Maurice BLAZY (1873-1933)
organiste et ami de Louis Vierne
Maurice Blazy
(coll. I.N.J.A.) DR.
Lorsqu'on songe aux organistes aveugles de la fin du XIXème siècle et de la première moitié du XXème siècle, ce sont les noms d'Adolphe Marty (1865-1942) et d'Albert Mahaut (1867-1943) qui viennent spontanément à l'esprit. Tous deux ont oeuvré avec un grand dévouement à la cause des musiciens non-voyants. Le premier a composé de nombreuses pièces pour orgue, le second n'a pour ainsi dire pratiquement rien légué au patrimoine organistique mais son action en tant que professeur à l'Institution National des Jeunes Aveugles de Paris est restée célèbre. Cependant, un autre organiste, Maurice Blazy, qui fut un ami intime de Louis Vierne, mériterait d'être rangé aux côtés des deux grands hommes précités.
Maurice Blazy naquit à Paris en 1873. Rapidement atteint de cécité, sa mère manifesta pour lui une présence et un soutien constants ainsi que le rapporte Louis Vierne : « Il avait reçu d'une mère admirable, qui le gâtait terriblement une éducation des plus raffinées, et avait puisé auprès d'elle le sens le plus haut du devoir. » (Le Valentin Haüy, 1933, n°4, p. 76).
Il entra à l'Institution Nationale des Jeunes Aveugles de Paris où il reçut une solide instruction générale et commença l'étude de la musique avec Julien Héry (solfège et harmonie), Jacques Brès (violon), Victor Paul (piano et harmonie complémentaire) et Adolphe Marty (orgue, contrepoint, fugue et composition). De son condisciple Louis Vierne, il bénéficia de conseils et de leçons puisées par le futur organiste de Notre-Dame auprès de ses professeurs du conservatoire de Paris.
Ses diplômes obtenus, il fut nommé, en 1894-95, professeur de piano à cette même Institution et forma durant toute sa carrière de nombreux élèves non-voyants. Soucieux de développer la curiosité de ses disciples, il demanda parfois à des intervenants extérieurs, comme Paul Landormy, de faire des communications relatives à l'histoire de la musique, par exemple. Organiste, il devint par concours titulaire de l'orgue de l'église Saint-Médard de Paris en 1892, tribune qu'il quitta en 1901 pour celle de Saint-Pierre de Montrouge (où Jean Langlais, un de ses élèves, lui succédera à sa mort).
L'amitié qu'il entretint avec Louis Vierne resta indéfectible et c'est ainsi que le grand compositeur lui dédia plusieurs de ses œuvres (Légende du second volume des Pièces en style libre et Elévation de la Messe basse pour les défunts).
Maurice Blazy s'adonna à la composition et plusieurs de ses pièces furent publiées. On peut notamment retenir plusieurs motets (Ave Maria, Tantum ergo), des pièces de musique de chambre (Romance sans paroles pour violon et piano, Au soir, pour violoncelle et piano), des mélodies pour chant et piano (comme Le Dernier Soir), ainsi, bien entendu, que des pièces pour orgue (Cinq Pièces pour grand orgue ou piano à pédales – Andante, Cantabile, Allegretto, Finale, Marche -, Trois Préludes pour harmonium destinés à un volume des Maîtres contemporains de l'orgue de l'abbé Joubert). Ces œuvres sont écrites dans un langage tonal, parfois empreint de modalité et dont certains enchaînements harmoniques rappellent un peu le style de son ami Louis Vierne (l'Allegretto est d'ailleurs dédié à René Vierne, frère de Louis).
Au sein de l'Association Valentin Haüy, il devint en 1908 membre du conseil d'administration, puis il prit la direction de la bibliothèque braille musicale avant, quelques années plus tard de devenir responsable de l'imprimerie où il développa l'édition braille de nombreuses pièces, rendant ainsi un service inestimable aux musiciens aveugles.
Il se fit à l'occasion chroniqueur musical pour la revue Le Valentin Haüy dans laquelle il relatait des concerts donnés par Louis Vierne, Gaston Litaize ou André Marchal. Il fut également rédacteur à la Revue Braille.
C'est alors qu'il s'apprêtait à quitter ses fonctions qu'il fut victime d'un accident fatal : « Le jeudi 21 décembre [1933], dans l'après-midi […], M. Maurice Blazy se rendait seul à la séance du Conseil d'Administration [de l'Association Valentin Haüy] qui allait élire notre nouveau président lorsqu'il fut heurté sur le trottoir, à quelques mètres de l'A.V.H. par un camion faisant marche arrière, en dépit des règlements de police. Relevé aussitôt et transporté, d'abord à l'hôpital, puis, sur sa demande, ramené à son domicile, il expirait quelques heures plus tard des suites du choc. (Le Valentin Haüy, op.cit., p. 75).
Il ne lui restait que deux jours d'activité avant de pouvoir prétendre à une retraite méritée. Il laissait une œuvre et deux fils. A ses obsèques assistèrent un grand nombre d'amis, d'élèves et de musiciens attristés par la mort d'un homme doté « d'une humeur égale et conciliante, d'une cordialité franche et de bon ton et d'un empressement à faire plaisir et à rendre service ». (op. cit., p. 75-76).
Olivier Geoffroy
(avril 2018)
N.D.L.R. : né le 6 septembre 1873 à Châtillon (Hauts-de-Seine), fils d'Eugène Blazy (1843-1872), architecte à Paris, et de Marie-Louise Buquet (1854-1898), Maurice-Auguste-Louis Blazy s'est marié à Paris le 27 décembre 1898 avec Berthe Eliard, qui lui donne trois fils, dont le cadet, né en 1905, est décédé enfant. Les deux autres, Charles (1900-1981), Secrétaire général de la Banque nationale française du commerce extérieur, et André (1902-1988) ont laissé une descendance toujours représentée de nos jours dans les familles Blazy, Thomas-Collignon, Appert, Davesne, Cormier et Corvaisier. Un frère de Maurice, Léon (1877-1908), engagé volontaire en 1896 au 1er Régiment de chasseurs d'Afrique comme chasseur de 2ème classe, fit les campagnes d'Algérie de 1896 à 1899 et en 1897, alors tirailleur de 2ème classe au 1er Régiment de tirailleurs algériens, était « clairon musicien ». Ajoutons que Maurice Blazy donna beaucoup de son temps en faveur des artistes musiciens aveugles, en collaboration avec son ami Pierre Villey, au sein de l'Association Valentin Haüy. Ce dernier, normalien, professeur de faculté, spécialiste de la littérature française du XVIe siècle, périt aussi tragiquement deux mois plus tôt : circulant en train en Normandie, d'où il était originaire, il fut tué le 24 octobre 1933 à bord de l'express Cherbourg-Paris qui dérailla à Saint-Elier (La Croisille) près d'Evreux. Cette catastrophe fit 37 morts et une centaine de blessés. N'oublions pas enfin de mentionner que Maurice Blazy a été le professeur de piano de Jean Langlais à l'Institution Nationale des Jeunes Aveugles et c'est lui qui recueillit sa succession en 1934 au grand orgue de Saint-Pierre-de-Montrouge. (notes D.H.M.)
Le Professeur et l'Artiste
Il y a dix-sept jours, il me téléphonait encore. Il était plein de vie, il allait prendre sa retraite de professeur et faisait des projets de rénovation d'activité en faveur de l' « Association Valentin Haüy », à laquelle il rêvait désormais de consacrer toute son énergie et tout son zèle... Et, brusquement, brutalement, il disparaît de la façon la plus tragique... Il me semble, en écrivant ceci, faire un épouvantable cauchemar. Je ne puis réaliser que jamais plus je ne verrai cet incomparable ami, cette sorte de frère d'élection qui, pendant 50 ans, me témoigna une affection sans défaillance, se réjouissant plus que moi-même de tout ce qui pouvait m'arriver d'heureux, partageant d'un cœur généreux les chagrins qui m'éprouvaient... D'autres diront mieux que moi ce que fut la vie publique de cet homme de bien : je veux aujourd'hui rendre témoignage à l'artiste.
C'était un enfant délicieux, plein de grâce et de gentillesse, quand il entra à l'Institution Nationale des Jeunes Aveugles où j'étais moi-même élève. Il avait reçu d'une mère admirable, qui le gâtait terriblement, une éducation des plus raffinées, et avait puisé auprès d'elle le sens le plus haut du devoir. Le sachant doué d'une volonté peu commune, d'une opiniâtreté au travail irréductible, enfin, d'une nature affective et droite, en qui le cœur et la raison réalisaient le plus parfait équilibre, son initiatrice avait pu, sans danger pour l'avenir, l'entourer d'une tendresse d'autant plus vive que, dans son cœur de mère, elle devait faire, dans la mesure du possible, contrepoids à la rigueur du sort qui l'avait fait infirme. Cette femme d'élite avait bien auguré de son fils et l'événement ultérieur lui donna raison.
Manifestant des dons musicaux évidents, il reçut l'enseignement de Julien Héry pour le solfège et l'harmonie, de Jacques Brès pour le violon, de Victor Paul pour le piano et l'harmonie complémentaire, enfin d'Adolphe Marty pour l'orgue, le contre-point, la fugue et la composition. Il se montra un élève studieux, appliqué, avide de progrès, il acquit de ce fait à l'Ecole une solide technique dans toutes les branches énumérées plus haut. Mais, là ne se borna pas son ambition.
Lors de ma sortie de l'Institution Nationale et de mon entrée au Conservatoire, je hantais régulièrement chez lui : sa famille m'accueillait avec une extrême bienveillance et, le soir, je lui faisais part des idées recueillies auprès de mon maître Widor, sur la tradition, sur la rationalisation de la technique, sur les buts supérieurs de l'art, sur l'enseignement à tirer de la vie et des œuvres des maîtres. Il écoutait tout cela avec une attention concentrée, me posait une foule de questions judicieuses, faisait en silence son profit de toutes mes remarques et en tirait immédiatement profit, assimilant rapidement tout ce qui pouvait lui convenir dans ce butin glané au cours de soirées durant lesquelles on musiquait ferme. Il adopta d'enthousiasme notre manière de voir en ce qui concerne la technique rationnelle de l'orgue, l'interprétation transmise par tradition verbale ou écrite, le fond et la forme de la composition musicale. Au sortir de l'Institution, il devint aspirant-professeur dans cette Ecole puis, après de brillants examens, il fut titularisé professeur, prenant la succession de Victor Paul à sa classe de piano. Il fut nommé organiste de Saint-Médard ; c'est alors qu'il épousa celle qui devait être pour lui la plus merveilleuse des compagnes, ange tutélaire qui mit à son service ses yeux, son intelligence sagace, en plus de son indéfectible amour, le soutenant dans son énorme labeur, lui créant un foyer où il pût trouver le réconfort dont les artistes ont tant besoin au cours de leurs luttes, exaltant ses facultés par la naturelle émulation qui naît d'un sentiment aussi fidèle que profond. Il fut nommé un peu plus tard organiste de Saint-Pierre de Montrouge, poste qu'il occupa brillamment et qui consacra sa réputation d'organiste sérieux, instruit et au goût très sûr. Il avait aussi reçu des conseils de pianistes en renom qui élargirent son talent et lui permirent un enseignement dont les succès de ses élèves aux palmarès de l'Ecole attestent la clarté et la solidité. Fervent des concerts de toute sorte, qui se donnent ici et ailleurs, il se forma à ses auditions un sens critique des plus aigus. Sans idées préconçues, il portait sur les œuvres des jugements marqués au coin de la plus fine analyse : il ne se laissa séduire ni par les réactionnaires, ni par les outranciers : il demandait à la musique de l'émouvoir beaucoup plus que de l'étonner. C'est chose plus rare que l'on ne croit en ces temps incertains. Il improvisait à l'orgue dans un style clair, élégant, décelant une sensibilité sans affectation : celle des hommes de race. Il laisse, comme compositeur, de belles pièces d'orgue, de charmantes mélodies, de la musique religieuse d'une inspiration élevée. Cette musique, soignée de forme et d'écriture, sincère de sentiment, est d'une belle âme qui traversa courageusement les épreuves de la vie, qui fut optimiste et bienfaisante. J'aurais encore beaucoup à dire mais j'arrête ici mon éloge, ne voulant pas effaroucher les mânes de cet être qui me fut cher parmi tous, que je pleure amèrement et qui fut avant tout un honnête homme et un modeste au sens le plus pur du mot.
Louis VIERNE,
Organiste aveugle du Grand Orgue
de N.-D. de Paris
(4 janvier 1934)
in Le Valentin Haüy, octobre-décembre 1933, n° 4, p. 76 (DR.)
Maurice Blazy, Trois Préludes pour orgue ou harmonium, "à Mademoiselle Jeanne Montjovet" (1887-1955), compagne un temps de Louis Vierne jusqu'en 1915 (chanteuse, soliste des Concerts du Conservatoire, des Concerts Colonne, Lamoureux et Pasdeloup).
( in Abbé Joubert, Les Maîtres contemporains de l'orgue, Paris, Maurice Sénart, vol. 4, 1914 )
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)