Jean BONFILS
(1921 – 2007)
Jean Bonfils, vers 1990
( photo X... ) DR
A la mémoire de Jean Bonfils, une messe sera célébrée le samedi 16 février 2008 à 14h30 en l’église de la Sainte-Trinité à Paris 9e (place d’Estienne-d’Orves) |
Le 26 novembre 2007, à Rennes (Ille-et-Vilaine), s’est éteint à l’hôpital de Pontchaillou Jean BONFILS, organiste, professeur d’orgue, musicologue et compositeur, à l’âge de 86 ans. Peu connu du grand public, principalement en raison de sa modestie et de son désintéressement pour les honneurs, ce musicien est pourtant l’auteur d’une œuvre vaste et variée comportant notamment de nombreuses restitutions d’œuvres anciennes, des études sur la musique classique française, une collection de pièces d’orgue pour le service liturgique en 10 volumes, des Méthodes de clavier et d’orgue, et une histoire de la Fugue. Assistant d’Olivier Messiaen à la tribune de l’église de la Trinité à Paris durant plus de quarante ans et professeur d’orgue à la Schola Cantorum, il présida longtemps l’Association Saint-Ambroise (1961 à 1985), éditrice de la revue Eglise qui chante qui parut de 1957 à 1996 avant de devenir l’actuelle revue Voix nouvelles (à Lyon) et fut membre du Comité directeur de l’Union Fédérale Française de Musique Sacrée (1961 à 1970). Fondée en décembre 1958 à l’issu du 3e Congrès Internationale de Musique Sacrée (à Paris, du 1er au 8 juillet 1957) qui se déroulait à la lumière de l’Encyclique Musicae Sacrae disciplina, cette Association, disparue en 1990, avait pour organe Musique et musiciens d’église (1960 à 1977). Jean Bonfils fut également un temps membre du Conseil des Groupements nationaux de Musique Sacrée, mis en place au début des années soixante.
Né le 21 avril 1921 à Saint-Etienne (Loire), d’un père employé de commerce, Jean-Baptiste-Marcel-Eloi Bonfils étudie la musique au Conservatoire de sa ville natale. La guerre, au cours de laquelle il à l’occasion de tenir quelque temps l’orgue de la Grand’église de sa ville natale, interrompt ses études. Une fois le conflit terminé, il les poursuit et les achève au Conservatoire de musique et de déclamation de Paris, alors dirigé par Claude Delvincourt. 1er prix d’orgue (1949) dans la classe de Marcel Dupré, 2e prix de composition (1948) dans celle de Jean Rivier après avoir également étudié dans les classes d’Henri Büsser (où il côtoie Georges Delerue, Serge Lancen et Jean-Michel Damase) et de Darius Milhaud, 1ère médaille d’analyse (1950) dans la classe d’Olivier Messiaen, Jean Bonfils se présente vainement à deux reprises aux épreuves du Concours de Rome (1947 et 1948), ce qui ne l’empêchera nullement de remporter plus tard le Prix Halphen de composition (1950). Cette même année, il est nommé suppléant de son professeur d’analyse au grand orgue de la Sainte-Trinité, poste qu’il partage durant une décennie avec Christiane de Lisle (1951 à 1961). Durant plus de 40 ans, jusqu’au décès de Messiaen (1992), Jean Bonfils remplira dans cette église ses fonctions d’organiste liturgique, tâche dont il s’acquittera avec beaucoup de soins et de zèle, notamment avec l'aide de Léon Souberbielle et Trajan Popesco, organiste de chœur et maître de chapelle.
A partir de 1953, parallèlement à ses fonctions d’assistant de Messiaen à la Trinité, Jean Bonfils tient le Merklin de la Grande Synagogue de Paris (rue de la Victoire), succédant-là à Henriette Roget. Il touchera cet orgue durant 44 ans, jusqu’en 1997. En 1964, à la mort de Paule Piédelièvre, titulaire du Cavaillé-Coll/Mutin de l’Eglise des Etrangers (Saint-Ignace) de la rue de Seine à Paris 6e, il est également nommé co-titulaire de cet instrument, en compagnie de Jacques Berthier. Quatre années plus tard viendra un 3e co-titulaire en la personne de Philippe Charru, mais Jean Bonfils quittera cette tribune en 1975, laissant son poste à Jean-Baptiste Courtois. Jean Bonfils avait une haute idée de ses fonctions d’organiste liturgique, considérant que la mission essentielle de l’orgue est de guider et de soutenir la prière. C’est pourquoi il mettait toujours beaucoup de soins à choisir ses programmes pour s’adapter au mieux à la liturgie du moment. Ainsi que le disait Mgr Huyghe, évêque d’Arras, lors de la bénédiction solennelle des orgues de la cathédrale d’Arras, le 24 juin 1962, parlant de la dignité de l’orgue et de la mission qu’il doit remplir, "l’orgue lui-même n’existe que pour prier. La musique est une prière en acte qui n’a pas besoin de paroles pour s’exprimer."
Dès 1961, Jean Bonfils enseigne l’orgue à la Schola Cantorum, tout d’abord comme assistant de Jean Langlais, puis, comme titulaire de 1973 jusqu’en 1993. C’est l’époque où il co-dirige, avec Gaston Litaize, L’Organiste liturgique. Cette collection, publiée par les Editions musicales de la Schola Cantorum et de la Procure Générale de Musique, comporte une soixantaine de numéros parus entre 1953 et 1967. Chaque publication est consacrée à un auteur (Bach, Dandrieu, Telemann, Balbastre, Travaci, Cavazzoni, John Bull, Sweelinck, Clément de Bourges, Nicolas de la Grotte, Charles Racquet, André Raison, Nivers, d’Agincourt, Charles Guillet, Grunenwald, Litaize, Georges Robert, Jean-Claude Henry, Xavier Darasse, Les Pré-classiques français : Gautier, Ballard, Thomelin, Monnard, Richard, de La Barre, Pièces romantiques ignorées : Mendelssohn, Berlioz, Franck, Le livre d’orgue de Marguerite Thiéry, Le livre d’orgue du Père Pingré…) ou à un thème (Ascension, Pentecôte, Pâques, Passion, Noël, Pièces pour cérémonies funèbres, A la Sainte Vierge …) avec des annotations, une restitution pour les pièces anciennes et une registration adaptée. Chez les mêmes éditeurs, en 1955 et 1956, il effectue aussi plusieurs autres réalisations d’œuvres d’Heinrich Schütz (Psaumes 97, 100, 103, 125, pour chœur à 4 voix mixtes et orgues, "Huit psaumes" à 5 voix et orgue), la restitution et la réalisation d’un motet à 3 voix d’hommes, 2 violons et basse continue : Ecce panis angelorum de Marc-Antoine Charpentier (1957), l’harmonisation pour 4 voix mixtes et orgue ou harmonium d’une série de cantiques liturgiques intitulée Fifres et pipeaux (mélodie anonyme de 1623), sur des textes du R.P. Louis Barjon (1952) et bien d’autres mélodies religieuses et cantiques, notamment avec des paroles Claude Rozier (sur des mélodies et basses empruntés aux grands auteurs français du XVIIe siècle). On lui doit encore plus particulièrement une importante série de Cantiques pour l’année liturgique, avec Michel Fustier pour les paroles, parue aux Editions du Seuil (1950), la restitution et réalisation de plusieurs psaumes et motets de Goudimel, Dumont et autres compositeurs des XVIe et XVIIe siècles aux Editions de la Procure Générale (puis Procure du Clergé) - Musique Sacrée au cours des années 1960, ainsi que la publication (présentation et révision), aux Editions ouvrières, d’un Premier puis d’un Second livre d’orgue de Jacques Boyvin (1969-1970) et, en collaboration avec Noëlie Pierront, une collection en dix volumes intitulée Deo gloria : répertoire liturgique de l’organiste pour orgue sans pédale ou harmonium (1962-1968). Avec ce même auteur, Jean Bonfils publie aussi une Nouvelle méthode de clavier, orgue-positif, harmonium en 4 fascicules (1960-1963, Editions musicales de la Schola Cantorum et de la Procure générale de musique), qualifiée lors de sa sortie de "pratique, claire et attrayant" et une Nouvelle méthode d’orgue en 2 fascicules (1962, id.). Enfin, ajoutons à son actif l’édition d’un Livre d’orgue attribué à Jean-Nicolas Geoffroy (1974, Heugel), la transcription de Chansons françaises pour orgue (vers 1550) dans la collection "Le Pupitre" (1968, Heugel) et, avec Marcel Bitsch (et la collaboration de Jean-Paul Holstein) une histoire de La Fugue parue en 1981 aux Presses Universitaires de France, collection "Que sais-je ?", n° 1849 (rééditée en 1993 chez Combre), dont on dit à l'époque que cet "excellent petit livre comporte en peu de pages et en un style clair (chose rare), un enseignement d'une grande richesse."
Les recherches de Jean Bonfils n'ont pas uniquement porté sur la musique religieuse ancienne, mais également sur des genres musicaux bien différents. On lui est en effet redevable de l'harmonisation de deux négro-spirituals sur des textes de Claude Rozier, intitulés Nobody knows (Personn' ne sait) pour chœur à 4 voix mixtes et Ho, every one (Oh! Vous tous qui avez soif) pour chœur à 4 voix d'hommes (1961, Procure du Clergé – Musique Sacrée, P.C.582M.S. et P.C.583M.S), qui font écrire à Henri Carol qu'il s'agit d' "un petit chef d'œuvre d'harmonisation à voix mixtes haute en couleur, délicate..." ; de la restitution et de l'harmonisation de "Variations musicales sur un texte littéraire" La Pipe, en 3 parties : Duo, Air, Trio (traductions musicales d'un même texte extraites d'Airs sérieux et à boire d'anonymes français des 17e et 18e siècles) (1960, Procure Générale – Musique Sacrée, P.G.512M.S) et de l’arrangement pour orgue d’une chanson folklorique d’Auvergne de Joseph Canteloube (The Shepherd’s song, 1974, Heugel).
Comme musicologue, Jean Bonfils fréquentait assidûment les bibliothèques, notamment celle de l'Arsenal à Paris et le département des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, à la recherche de partitions manuscrites anciennes et autres documents oubliés. Ses investigations lui ont ainsi permis d'éditer les nombreuses oeuvres mentionnées ci-dessus (liste non exhaustive) mais encore de rédiger quelques articles de fonds, tous de grand intérêt. Parmi ceux-ci, dans lesquels "on retrouve son érudition, son amour de la précision et son attrait pour la musique de l'époque classique dont il était spécialiste", signalons plus particulièrement son étude sur Les Noëls de Pierre et Jean-François Dandrieu (1957, L'Orgue, n° 83, pp. 48-54), deux articles sur les Psaumes de Goudimel, publiés en 1958 et 1960 dans la revue Musique Sacrée – L'Organiste (n° 54 et 66), se rapportant à la publication de 12 psaumes de ce compositeur (Editions Procure du Clergé – Musique Sacrée), une étude sur Les fantaisies instrumentales d'Eustache Du Caurroy, parue dans le volume II (1961-1962) de la collection "Recherches sur la musique française classique" (Editions Picard) ainsi que celle sur L'œuvre d'orgue de Jehan Titelouze, publiée dans la même collection (volume V, 1965). Mentionnons encore son précieux témoignage sur "L'homme et l'artiste" qu'était Olivier Messiaen (1992), publié dans L'Orgue (n° 224, pp. 12-14) et ses notices biographiques et bibliographiques sur François Bainville, Jean-Baptiste Buterne, les Deslandres, Jean Huré, Guillaume Lasceux, Joseph Nonot, Frédéric-Hubert Paulin, Joseph Pouteau parues dans la très sérieuse encyclopédie universelle de musique Die Musik in Geschichte und Gegenwart (Bärenreiter-Verlag and Verlag J. B. Metzler, actuellement 17 volumes).
Février 1991 ( coll. DHM ) |
Dédicataire des Trois Méditations sur la Sainte-Trinité op. 129, pour orgue, de Jean Langlais (1962, Philippo), Jean Bonfils, profondément cultivé, -il s’intéressait également à la littérature et à l’histoire- était la discrétion même, ne cherchant jamais à mettre en avant son savoir. Comme il l’a écrit, parlant d’Olivier Messiaen qu’il a côtoyé durant quarante-deux ans, mais qui peut également s'appliquer à lui-même "cette réserve était l’écran qui masquait sa profonde sensibilité." (L’Orgue, n° 224). C’est ainsi qu’on ne lui connaît que quelques enregistrements : dans les années 1960, à l’orgue avec la chorale "A cœur joie" de Paris, dirigée par Lucien Jean-Baptiste, La Messe des Laurentides de Joseph Gélineau et la Messe brève de César Geoffray (disque 45 tours, 17 cm, SM 17A176) ; en 1960, à l’orgue avec des chœurs placés sous la direction de Maurice Franck, "les Prières de Kippour et du Sabbat" (disque 33 tours, Ducretet Thompson 300C113) ; en 1976, à l’orgue et au piano, avec la Chorale de l’Ecole Saint-Nicolas d’Issy dirigée par Alain Foscolo, des musiques de Haendel et autres compositeurs rassemblées sous le titre de "Alleluia" (disque 33 tours Corelia) ; en 1972, également à l’orgue et au piano, avec un chœur mixte de 32 chanteurs issu des rangs de Radio-France, l’Orchestre Colonne dirigé par Jean-Paul Kreder et le hazan Shalom Berlinski : "La voix de la ferveur. Du Shtetl à la synagogue de la Victoire" (réédité en CD par la Fondation du Judaïsme de France, dans la collection "Patrimoine musicaux des Juifs de France", vol. 3) et en 1975, à l’orgue, L’Epihanie du Seigneur avec le Chœur des Moines et des Moniales de l’abbaye du Bec Hellouin (disque 33 tours, SM 30681, réédité en CD en 1995, SM 122423).
Longtemps domicilié à Issy-les-Moulineaux (rue du Général-Leclerc), puis rue Burq à Paris 18e, Jean Bonfils a pris sa retraite à la fin des années 1990 pour aller résider en Bretagne, à Rennes. C'est dans cette ville qu'il est décédé. Ses obsèques ont été célébrées le 29 novembre 2007 en l’église Notre-Dame de Vitré (Ille-et-Vilaine), suivies de son inhumation au cimetière Saint-Martin de cette ville.
Denis Havard de la Montagne
Extrait de l'Antienne de Ste Cécile, à deux voix, de Henry Dumont (1610-1684), restituée et réalisée par Jean Bonfils (1963, Procure Générale – Musique Sacrée, P.G.676 M.S.), par Claire Louchet (soprano), Jean-Philippe Doubrère (basse), l'Ensemble Instrumental de La Madeleine placés sous la direction de Joachim Havard de la Montagne. Eglise de la Madeleine, Paris 8e, 29 novembre 1988, enregistrement : Denis Havard de la Montagne.