Ermend Bonnal
(1880-1944)
un compositeur méconnu
Ermend Bonnal
( photo Morgan, avec l'aimable autorisation de l'Association Ermend-Bonnal )
À l’orée du XXe siècle, on trouve en France bon nombre de compositeurs plus ou moins connus qui ont marqué la vie musicale de l’époque. Pourtant, et notamment à cause des désordres politiques qui régnaient pendant cette période, la plupart de ces musiciens ont été peu à peu effacés du monde musical, de nos salles de concerts, et des livres d’histoires. Ainsi, seuls de grands noms tels que Claude Debussy ou Maurice Ravel sont-ils reconnus et fréquemment joués aujourd’hui. Quelques autres sont également retenus, mais leurs musiques restent très peu interprétées. Il s’agit de compositeurs tels qu'Albert Roussel, Florent Schmitt, Paul Dukas, Erik Satie, Gabriel Pierné, Georges Auric, Darius Milhaud, etc.. Mais on sait également que ces musiciens ont côtoyé tout au long de leur vie de grands maîtres cités dans les articles de journaux ou livres de l’époque 1 qui aujourd'hui demeurent complètement absents des ouvrages sur la musique et des salles de concert. Il s’agit notamment de Paul Le Flem 2 , Joseph Canteloube 3 , Jean Cras 4 , Sylvio Lazzari 5 , Antoine Mariotte 6 , Gustave Samazeuilh 7 ou Ermend Bonnal. Ils sont ainsi nombreux à être presque oubliés dans le pays où ils sont nés et où ils ont exercé leur métier, trop nombreux à avoir écrit des musiques souvent surprenantes et intéressantes, voir inouïes au premier sens du terme, mais trop peu jouées.
L’intérêt va donc porter ici à faire redécouvrir une de ces personnalités musicales marquantes du début du XXe siècle français qui fut à la fois musicien, compositeur, chef d’orchestre et pédagogue, Ermend Bonnal. Compositeur français né à Bordeaux en 1880 et mort dans la même ville en 1944, son œuvre musical d’une grande richesse est aujourd'hui très peu connu et reconnu comme l’a noté Olivier Greif dans un témoignage : " Magnifique et méconnu, ces deux épithètes pourraient sans peine s’appliquer à l’œuvre tout entier de Bonnal ".
Ce compositeur d’Aquitaine est né le 1er juillet 1880. Son père, ferblantier de métier, était un grand amateur de musique : il jouait du violon et se plaisait à réunir fréquemment chez lui ses amis pour des concerts de musique de chambre. Dans un article du Monde musical datant de 1939, Ermend Bonnal évoque ainsi ses premières impressions musicales :
Mon père était possédé par deux passions : la chasse et la musique. Il avait travaillé le violon avec Beaudoin au Conservatoire de Bordeaux. Son sens musical était étonnant et il était un déchiffreur de premier ordre, ce qui lui valut d’assumer pendant vingt-cinq années les fonctions de second violon aux Concerts de Sainte-Cécile. Deux fois par semaine, des amis venaient chez lui faire de la musique. C’est ainsi que pendant plusieurs années, j’entendais de la chambre voisine, où tôt l’on me couchait, les Trios de Beethoven, des Duos de Mozart, des Quatuors de Haydn, etc. En vain, je m’efforçais de demeurer éveillé pour ne rien perdre d’une musique qui me semblait venir du Ciel : je ne tardais guère à sombrer dans un sommeil peuplé de songes angéliques. Tels sont mes plus anciens souvenirs musicaux. 8
C’est donc son père, qui, à l’âge de cinq ans lui donna, tout comme à sa sœur cadette Marthe, ses premières leçons de musique. Quelques années plus tard, alors âgé de douze ans, Ermend Bonnal entre dans la classe de piano de Gaston Sarreau au Conservatoire de Bordeaux puis à quinze ans, il devient organiste suppléant à l’église Saint-Pierre de Bordeaux. Les encouragements de ses parents et de son professeur incitent le jeune élève à s’inscrire au Conservatoire de Paris. Il y est admis premier sur cent vingt candidats à l’âge de dix-sept ans dans la classe de piano de Charles Wilfrid de Bériot. Très attiré par l’orgue, il quitte ensuite cette classe pour celle d’Alexandre Guilmant et suit parallèlement les cours de composition de Gabriel Fauré où il aura pour condisciples Florent Schmitt, Albert Roussel, Maurice Ravel et Paul Ladmirault, parmi les plus connus.
Lors de ses études au conservatoire, une longue correspondance entre Ermend Bonnal et ses parents s’établit. Il signe le plus souvent J-Ermend Bonnal ou plus simplement Ermend. Son premier prénom, Joseph, s’effacera peu à peu et il finira par ne conserver que le second. Sa fille, Marie-Elisabeth Bonnal, explique peut-être le détachement du premier prénom du compositeur afin qu’il ne soit pas confondu avec Joseph Bonnet 9 , un ami organiste et compositeur qu’il rencontra dans la classe d’Alexandre Guilmant. Quant au curieux prénom d’Ermend, il proviendrait peut-être des origines irlandaises de sa mère. Pour simplifier cette dénomination, nous nous bornerons au choix du compositeur qui signait fréquemment ses œuvres Ermend Bonnal.
C’est lors de ses études au Conservatoire que l’artiste commencera à écrire ses premières compositions musicales. Sa première œuvre d’envergure est une Sonate pour violon et piano en ré mineur, donnée salle Pleyel en 1900, l’auteur tenant la partie de piano tandis que celle du violon est jouée par A. Dulaurens. Michel d’Archangues, l’unique auteur d’un écrit sur le compositeur note : " À l’époque, Bonnal ne jure que par Emmanuel Chabrier, mais bientôt son style s’imprégnera de l’influence des " Impressionnistes "… 10 Dès 1903, est donnée à l’église Saint-Pierre de Bordeaux la Petite Rapsodie sur un thème breton (1898), qui témoigne de son attrait pour les paysages provinciaux. Cette pièce est composée d’un thème populaire recueilli par l’auteur au cours d’un voyage à l’île d’Ouessant. Cette inspiration n'est pas sans rappeler les œuvres de ses amis Joseph-Guy Ropartz 11 (Sur un thème breton) et Paul Le Flem, auteur d’un puissant Triptyque, le Chant des genêts, Paysage ou encore celle de Piriou (Au pied d’un vieux Calvaire ; le Rouet d’Armor, ballet). À la même époque, Joseph Canteloube rendait également hommage à l’Auvergne avec ses œuvres Le Mas, l’Arada, les Chants d’Auvergne, ainsi que beaucoup de publications relatives au folklore.
Toujours en 1903, Ermend Bonnal compose la Rapsodie landaise (ou Fantaisie landaise) pour piano et orchestre dédiée au pianiste Francis Planté, exécutée pour la première fois en 1904 à la salle Pleyel, par Mme Chailley-Richez et l’orchestre de Paris, sous la direction de Paul Vidal. L’œuvre obtint en 1904 le prix Pleyel au concours de la Société des compositeurs. Elle est construite sur trois thèmes dont deux sont des airs populaires landais. Pour la composer, Ermend Bonnal se rappela des séjours estivaux passés avec sa famille en Aquitaine : " Enfant, Bonnal passait ses vacances à Arcachon avec sa famille et s’est certainement souvenu de ces belles années en composant cette rapsodie qui connaîtra une certaine popularité ". 12
Ermend Bonnal ( photo aimablement communiquée par l'Association Ermend-Bonnal ) |
En 1904, Ermend Bonnal sort du Conservatoire avec le Premier Prix d’orgue et d’improvisation et continue ses études pendant dix ans avec Louis Vierne et Charles Tournemire. Pendant ce temps, il supplée à l’occasion Widor à Saint-Sulpice, Saint-Saëns et Périlhou à Saint-Séverin.
Deuxième Prix du concours de la Société des Compositeurs de Musique en 1904, Paysage Landais pour orgue est aussi une pièce inspirée des impressions d’enfance d’Ermend Bonnal. Le programme de la 89e audition d’orgue donnée par le compositeur à Bordeaux le 23 mars 1919 où est inscrite l’œuvre, signale à propos de celle-ci : " Cette pastorale fait partie d’un triptyque de pièces pour orgue. L’auteur a tenté de traduire sur un instrument ordinairement austère, des impressions de plein air. " 13
Autre partition attestant d’un attrait pour les beautés de la nature, Reflets solaires op. 17 pour orgue, composée en 1905 et dédiée à Joseph Bonnet. Cette pièce est donnée pour la première fois en 1906 à la Société Nationale. En 1911, elle est interprétée par son dédicataire à la fête de Sainte-Agnès où le programme explique brièvement les intentions de l’auteur : " En pleine justification de son titre, ce morceau nous dépeint les jeux et les rythmes du soleil dans les vitraux d’une rosace, sans toutefois que cet impressionnisme nuise en rien à une construction nettement musicale. Deux thèmes de caractères opposés, le second présenté avec insistance dans la forme canonique. "
On remarque par la présentation de ses premières compositions, combien le compositeur était imprégné du folklore, et plus particulièrement de celui du sud-ouest de la France, bien qu’il résidât depuis 1897 à Paris, où étaient présentées toutes les avant-gardes musicales. On sait notamment qu’il assista en 1902 " à la création tumultueuse du chef-d'œuvre de Claude Debussy, Pelléas et Mélisande, opéra pour lequel il professe une véritable admiration et dont il est un ardent supporter " 14 et qu’il connaissait les nouvelles méthodes de composition et de pensées musicales exploitées par la seconde Ecole de Vienne (il assista à une représentation des Gurrelieder d’Arnold Schönberg). Mais malgré toutes ces influences, son goût se portera davantage vers l’utilisation du folklore basque dans ses compositions, pour se créer un style des plus personnels. Peut-être fut-il tout de même influencé par Béla Bartók, qu’il rencontra à Paris et dont on connaît l’importance des travaux sur les musiques populaires de son pays, la Hongrie. On sait aussi qu’un ami d’Ermend Bonnal, le compositeur Joseph-Guy Ropartz, procédera d’une manière similaire dans ses compositions avec les musiques bretonnes. Ermend Bonnal fera d’ailleurs découvrir ce compositeur au public bordelais lors d’une longue série d’auditions gratuites données à l’orgue de la Basilique Saint-Michel. Un autre compositeur breton avec qui il était très lié était Jean Cras (1879-1932) dont il interpréta au clavier la première du Quintette pour piano et cordes en 1925 avec " La Quinte " une société de musique de chambre qu’il avait fondée à Paris en 1912 avec F. Schneider (violon), L. Schlossmacher (violon), H. de Renaucourt (alto) Y. Tkaltchitch (violoncelle).
En 1910, est créée la Légende pour violon et piano par Jeanne et Lucie Deslaurier à la Société Nationale des Beaux-Arts. " C’est une œuvre impressionniste, rêveries et visions d’un poète au milieu des ruines médiévales, " purement imprécise et non descriptive " selon la définition de l’auteur, et ornée d’un commentaire écrit quelque peu " gothique " 15 : " Dans les ruines du château féodal, un poète rêve. Soudain d’entre les pierres moussues surgissent des fantômes : enfants rieurs, amants alanguis, mères douloureuses, hardis guerriers… tous ceux enfin qui furent la Vie : la Vie… que guette inexorablement la mort… La vision s’efface… Dans les ruines du château féodal, un poète rêve !… " (Traduit de Sjoërbioen).
En 1915, à l’occasion de plusieurs tournées de récitals en France avec Edmond Clément, Ermend Bonnal réalisa une collecte de thèmes populaires. Malheureusement, les témoignages restent minimes et on ne sait pas précisément ce que le compositeur rassembla comme chants ou musiques populaires. Une interview du compositeur datant du 10 mars 1939 atteste cependant que ses collectes pour son pays d’adoption étaient d’importance : " J’ai recueilli en abondance ses [du Pays basque] mélodies populaires ". 16
Lors de cette retraite dans le sud-ouest de la France pendant la Première Guerre mondiale, Ermend Bonnal compose encore deux œuvres significatives ayant pour inspiration les paysages landais. La première s’intitule Landes d’amour et se compose de deux parties : " le chant du résinier " et " monologue et invocation au sommeil ". La première audition d’une partie de cette œuvre a eu lieu en 1915. La seconde qui porte le titre de Noël landais fut créée en 1919. On trouve sur le programme du concert cette brève notice : " Le thème de ce Noël n’est pas un chant populaire, mais l’auteur à voulu lui en donner le caractère naïf et évoquer l’appel des bergers pendant la marche à l’étoile ". Même s’il n’est pas de souche populaire, le thème de ce Noël tient à rappeler cette marche des bergers qu’Ermend Bonnal imaginait sans doute dans les collines des Landes.
En 1916, c’est vers d’autres contrées lointaines que l’inspiration de ce compositeur se tourne lorsqu’il écrit Chanson polonaise, Chanson irlandaise et Chanson russe. Les deux premières, auxquelles s’ajoute la Ballade provençale du XVIIe siècle, sont réunies sous le titre de Trois chansons populaires. Il s’agirait de textes harmonisés par Ermend Bonnal et interprétés en 1916 par sa première femme, Suzanne. Dans le domaine de la musique de chambre, il a également composé une œuvre intitulée Rapsodie Serbe pour flûte et piano. C’est une des rares œuvres qu’il composa en musique de chambre pour un instrument à vent. Elle est dédiée au célèbre flûtiste Philippe Gaubert, mais reste aujourd’hui inédite car inachevée.
Ermend Bonnal à l'orgue de l'église Saint-André de Bayonne avec Renée Germain ( photo aimablement communiquée par l'Association Ermend-Bonnal ) |
L’année 1920 fut décisive pour le compositeur. Il est tout d’abord nommé membre du jury et du comité d’examens des concours d’orgue au Conservatoire de Paris à la demande de Gabriel Fauré. Cette même année, il remporte à l’unanimité le concours très envié de la chaire d’orgue du Conservatoire de Strasbourg dont le jury était présidé par E. Gigout et Joseph-Guy Ropartz. Mais finalement la municipalité strasbourgeoise annula le concours, car elle refusait d’accepter la nomination d’un professeur d’orgue catholique pratiquant. Peu de temps après, la ville de Bayonne propose à Ermend Bonnal la direction de l’Ecole de Musique alors devenue vacante. Cette nomination va jouer un rôle prépondérant dans les inspirations de l’auteur pour ses prochaines compositions qui ne manqueront pas d’être imprégnées de l’atmosphère basque.
Les raisons pour lesquelles Bonnal accepte ce poste sont multiples (…). Son caractère modeste, droit et indépendant, son manque de goût pour la vie citadine, sa passion pour l’enseignement, son désintérêt pour l’argent et la gloire et ses projets familiaux achèvent sans doute d’emporter la décision de s’installer (s’enterrer ont dit certains) à Bayonne. La beauté et la sérénité du Pays basque, pour lequel il éprouve une véritable passion, ne lui feront jamais regretter sa décision. 17
Dans cette ville, Ermend Bonnal mènera tout d’abord à bien ses projets familiaux, en se remariant après son veuvage en 1921 avec Hélène Chevenot, pianiste, chanteuse et historienne de l’art dont il aura neuf enfants.
Avec son ample famille, Bonnal réside à la villa Amentcha, son " charmant ermitage basque ", comme il l’appelle. Dans le journal Biarritz datant du mois d’avril 1974, Hélène Bonnal évoque avec beaucoup de tendresse ses souvenirs :
" Nous habitions au Polo de Beyris, non loin de la villa Pia. Il y a un chemin qui aboutit à l’avenue des Platanes. Dans ce chemin, il y avait de magnifiques lauriers. Mon mari les aimait. Notre petite maison était entourée de roses. Il y avait aussi un pré et des pommiers. Elle s’appelait " Amentcha ", ce qui peut avoir trois significations, cela peut être " la maison de la mer ", " la maison de la folle " ou " la maison du rêve ". (…) Il y avait un bois où nous nous promenions avec la famille Neumann, dont le fils est actuellement docteur. Nous avions également comme voisins les Albeniz, c’est-à-dire les enfants du grand musicien espagnol que mon mari avait bien connu. Je me promenais avec sa belle-fille et ses deux petites-filles. (…) Quand nous allions à Saint-Jean-de-Luz, voir Ravel, on rendait également visite à Charles Lebaud, qui était organiste. " 18
Dans la maison, un piano à queue Erard occupe la place d’honneur dans un studio qu’une baie vitrée sépare du salon. À cet endroit sont suspendues des toiles de J.P. Rigaud, ami d’Ermend Bonnal, ou Ramiro Arrue, l’un des peintres les plus typiques du pays basque qui réalisa les décors et costumes de son Ballet Basque. L’arrivée de Bonnal en Pays basque " coïncide avec un renouveau assez général en France de la culture " régionaliste ", qui se manifeste du côté nord des Pyrénées (…) par une explosion du style " néo-basque " en architecture (William Marcel, les frères Gomez, Henri Godbarge, etc.) et dans les arts plastiques, notamment en peinture avec Ramiro Arrue, Louis Floutier, Pablo Tillac, Denys Etcheverry, Philippe Veyrin, René Choquet, Henri Zo, etc. "19
Musicalement, Ermend Bonnal s’insérera dans ce courant déjà amorcé à la fin du XIXe siècle avec le compositeur Charles Bordes (1863-1909) en s’intéressant au folklore et chants populaires basques et en harmonisant un certain nombre dont Adios ene maitia, Gernikako Arbola, Jeiki-jeiki " Chant de la mer ", Lurraren pian, Iturren Ari Nuzu, Turarren piu, Sujetak dirra Mamboho, Madalena gure patroina, Iturri goizean, Nere etchea, etc.
Ermend Bonnal et les Concerts Rameau devant le Théâtre de Bayonne ( photo aimablement communiquée par l'Association Ermend-Bonnal ) |
En 1921, Ermend Bonnal compose les Chansons dans le style landais (" Marinette, Bergerette XVIIe siècle, le Turlututu "), puis en 1929 les Chansons d’Agnoutine, chansons Landaises sur lesquels A. Tisseire écrit un article élogieux en 1932 dans la revue La Musique Sacrée : " Dès leur apparition, Jean Huré, dans le Monde musical en louait chaleureusement la simplicité savante comme celle de vieux folklores, la beauté et la noblesse des intervalles mélodiques, la liberté des rythmes riches, insoucieux des préjugés de carrure, la logique de la facture, la fine délicatesse des accompagnements, ne le cédant en rien à ceux d’un Manuel de Falla ou d’un Paul Le Flem… "20 Pendant près de vingt ans où le compositeur résidera à Bayonne, il traduira la beauté du Pays basque dans ses compositions, se forgeant ainsi un style propre. Cette influence marque également des œuvres pour piano, dont Soir aux abatilles (1924), pièce empreinte de couleurs harmoniques rappelant les œuvres pianistiques de Claude Debussy, ou encore Berceuse des pins qu’il composa en 1926.
La même année, la fervente foi religieuse qu’entretenait le musicien se révéla dans une œuvre qu’il composa sur des poèmes du grand poète béarnais Francis Jammes (1868-1938) : les Poèmes franciscains " ariette pour les anges ". Il s’agit d’un oratorio magistral pour basse, soli, chœur et orchestre se divisant en dix-neuf pièces. L’œuvre est jouée en première audition le 7 mai 1926 à l’Alhambra de Bordeaux avec le soliste Paul Cabanel, puis le 27 décembre 1926 au Théâtre municipal de Bayonne sous la direction de l’auteur. Dans un article de presse, Michel Faure nous évoque ainsi ses impressions :
Les Poèmes franciscains sont d’une extrême sobriété, limpides mais lumineux, dépouillés mais vivants. Discrétion, réserve, pudeur ; jamais aucun effet vulgaire ou tapageur. Cependant, quelle variété, quelle couleur ! À chaque instant, on trouve des évocations de pittoresque poésie ; comme un coin de vitrail ou une enluminure de missel c’est une flûte, un rythme sautillant, une modulation… Ce n’est qu’une touche légère. Le vitrail ne doit pas faire oublier la cathédrale, ni l’enluminure le texte sacré. Et les Poèmes Franciscains se revêtent d’une charmante parure pittoresque qui ajoute à leur prix. Mais leur beauté vraie et profonde, il faut la chercher dans leur sérénité et leur noblesse. C’est ce qui les met au rang des grandes œuvres et déjà les place dans le plus haut patrimoine musical. " 21
Le compositeur a en effet dans cette œuvre réussit à exprimer l’expression divine de la musique telle qu’il la concevait :
La musique est un art divin.
Comme la prière dont elle est le prolongement naturel, elle est la plus noble aspiration de nos âmes vers le Ciel. Mais de même que pour éprouver les bienfaits de la Grâce divine, il faut prier avec ferveur, il est aussi indispensable d’écouter la musique avec un cœur pur et une âme recueillie, si l’on veut bénéficier pleinement des hautes vertus qu’elle renferme. Ayez la Foi musicale.
Aimez la musique si vous voulez qu’elle vous aime. Et vous comprendrez qu’elle constitue l’un des plus sublimes trésors que la bonté de Dieu accorde aux hommes, puisqu’elle élève nos cœurs, nos âmes, et qu’elle est un peu de la voix des Anges descendue du Ciel pour embellir notre vie et nous faire entrevoir les délices éternelles du céleste séjour. 22
Cette profonde foi religieuse qui animait le musicien lui inspira également plusieurs pages magnifiques pour l’orgue et la musique vocale. On notera notamment pour l’orgue Cantique protestant, Verset pour orgue, Quatre pièces op. 26 " Allégresse, Prière et Choral ", Petit Canon, Je crois et esquisse op. 36 et sa Symphonie pour orgue " Media vita ". Cette dernière, écrite d’après le répons du temps de la Septuagésime " Média Vita ", est une œuvre d’une grande spiritualité dans laquelle l’influence liturgique est renforcée par son rapport avec le chant grégorien. Elle fut composée par Ermend Bonnal en 1932 pour le concours organisé par la Société les " Amis de l’Orgue ", sous la présidence du comte Miramon Fitz-James. Bonnal avait eu l’heureuse inspiration d’en emprunter le thème à un répons qui jouissait d’une très particulière célébrité durant tout le Moyen Âge et auquel on attribuait une vertu quasi incantatoire. Il a traité d’une façon si magistrale ce thème que le prix lui a été décerné à l’unanimité des voix d’un jury qui ne comprenait pas moins de douze membres – dont Nadia Boulanger, Gabriel Pierné, Maurice Emmanuel, Florent Schmitt, Arthur Honegger – et malgré la concurrence de deux artistes de la plus haute valeur : André Fleury et Daniel-Lesur. Son mysticisme lui inspira également de nombreuses œuvres de musique vocale.
Pour voix et accompagnement choral il écrivit Cantique à Saint-François d’Assise, Cantate de Lourdes, Tantum ergo, Verbum supernum, Ave Maria, La salutation angélique, Motets, Trois Noëls, Laudate Dominum op. 20, pour deux voix égales et orgue O Salutaris, pour chœur a cappella Tu es Petrus, Trois Noëls pour voix de femmes (soprano solo, chœur, deux sopranos et alto ou chœur à voix mixtes avec soli), Cantique de Noël en tambourin, Rorate, Adoremus, Stabat Mater, Quam suavis es, Laudete, Bomboko, A minuit, Trois princes d’Orient, Un enfant crie en Galilée et deux œuvres pour voix solo, chœur et orchestre ad libitum d’après un psaume de David figurant dans le livre de prière juif, avec lequel Ermend Bonnal remporta le premier prix devant cent dix candidats au concours de la Société pour l’Avancement de la Musique dans les Synagogues basée à San Francisco aux Etats-Unis.
Même si Ermend Bonnal témoigne à travers bon nombre de ses œuvres sa morale profondément chrétienne, il n’en est pas moins un bon vivant, et une autre partie de son catalogue, consacrée à la musique légère, le prouve. Au début des années 1900, les musiques de danse comme le tango, le fox-trot, la valse, le ragtime, le charleston et le cake-walk étaient fort prisées dans la capitale. C’est en effet l’époque où les compositeurs découvrent les premiers musiciens de jazz. Claude Debussy s’en servira notamment dans Children’s corner " Golliwogg’s Cake-walk ". Maurice Ravel, quant à lui, utilisera un fox-trot dans sa " fantaisie lyrique " L’Enfant et les Sortilèges, et le blues l’inspirera dans sa Sonate pour violon et piano ainsi que dans son Concerto pour la main gauche. Ermend Bonnal, d’ailleurs fort bon danseur, en composa de nombreuses dans ce style, dont The flea (ragtime), Valse d’un soir, Ciudad Real (tango), One step – nouveau riche, Les puces (one-step), All right (two steps), Berguinette (scottish), Benita (triple boston), etc. Il distinguait bien la musique légère, écrite sous le pseudonyme de Guy Marylis, de la musique dite " savante " qu’il signait Ermend Bonnal, et contrairement à ses contemporains il n’a pas mélangé ces deux influences. Dans un article, le compositeur nous fait remarquer combien il fait la distinction entre ces deux genres :
Il est certain que les variétés de la Musique contribuent à des genres forts différents et bien souvent opposés.
Ainsi il n’y a pas plus de rapport entre un fox-trot et une symphonie de Beethoven qu’il n’y en a entre le texte d’une chanson de Maurice Chevalier et les stances de Polyeucte.
Nous dirons donc, si vous le voulez bien, et pour nous permettre une courte classification de base, qu’il y a deux genres : la musique frivole ou utilitaire et la musique de haute expression.
Je m’empresse d’ajouter qu’il vaut mieux entendre une musique frivole bien faite qu’un morceau de haut style raté ou ennuyeux […].23
Pour revenir à la musique " de haute expression " comme il la nomme, et plus particulièrement celle inspirée par son pays d’adoption, on notera son Quatuor N°1 en mi mineur, commencé en 1925 " dans une petite maison du Polo de Beyris. Par la fenêtre ouverte (…), le vent du sud découvrait ce jour là un admirable paysage de montagne " 24 et achevé en 1927.
La Petite Suite basque datant de 1934, se compose de six pièces. La première intitulée le " Passe-Rue " rappelle le petit orchestre de Bayonne qui parcourt la ville sur des airs populaires au son d’un piston, d’une clarinette et d’une petite flûte aiguë appelée txirula, que l’on joue avec une main tandis que l’autre frappe sur un tambourin. La seconde, " l’Aïtatchi " (l’aïeul), est expliquée ainsi dans une notice accompagnant l’œuvre : " Rome a marqué les Basques. L’autorité et la noblesse se lisent sur la face consulaire de l’Aïtatchi ". La " Partie de pelote en Guipuzcoa " évoque le vieux jeu basque, la pelote, dans la province espagnole de Guipuzcoa sur le littoral de Donostia (San Sebastian). La quatrième pièce, " Le char basque ", exprime toute la solidarité et la lenteur de celui-ci tandis que " Jeunes filles à la fontaine " témoigne de la venue de jeunes filles d’Euskarie (c’est-à-dire du Pays basque) chercher de l’eau avec leurs cruches de terre sur la tête " comme au temps de la Sulamite ". La dernière pièce, " La petite cité de Guipuzcoa " évoque la petite ville perdue dans la lande montagneuse. À propos de cette œuvre, Florent Schmitt écrivit dans Le Temps :
Sans quitter le littoral, nous arrivons vite au Sud de la France ou si vous préférez au nord de l’Espagne pour accueillir la Suite Basque où E. Bonnal prodique sans compter les trésors d’une imagination tantôt descriptive et pittoresque comme dans le " Passe-Rue à Bayonne, Partie de pelote en Guipuzcoa, Char basque, Danseurs et Txixularis ", tantôt expressive et émue, ainsi dans l’Aïtatchi (l’Aïeul) ou solennelle lorsque le cortège de jeunes Euskariennes en marche vers la fontaine, la tête supportant les amphores séculaires se déploie avec une harmonie, une noblesse, une majesté dignes de rites sacrés du " cantique des cantiques ".25
En 1934, Ermend Bonnal compose également deux autres œuvres importantes : son Deuxième Quatuor à cordes et son Trio pour violon, alto et violoncelle. Il explique dans un article de La musique sacrée datant du mois de décembre 1934 : " Je recopie mon Deuxième Quatuor à cordes qui m’a été demandé aussi par le grand Quatuor français Calvet, et qui s’inspire, pour les deux premiers temps de deux quatrains de Francis Jammes. Quant au troisième mouvement, il pourrait s’énoncer : Soleil et Ombres, ou bien : Jeux de lumière sur un flanc de montagne " 26 L’œuvre fut créée quatre ans plus tard par le Quatuor Pascal à la Société Nationale de Musique Ars Gallica lors du 588e concert. Quant au Trio, il est directement inspiré de sa patrie d’adoption, comme en témoigne cette interview de 1939 :
- La Fantaisie landaise, une de vos premières œuvres, trahit déjà votre amour de la nature… Le Pays basque n’a pu manquer de vous devenir une source d’inspiration ?
- Sans doute… j’aime ses montagnes, son ciel, sa mer, ses falaises et ses rochers, le mystère de son antique passé, la noblesse et l’esprit de tradition de sa race. J’ai recueilli en abondance ses mélodies populaires.
- Et votre œuvre récente est imprégnée de ce folklore ? Oui, mon Trio à cordes, ma Petite Suite basque…, mais je n’ai utilisé ces matériaux qu’avec précaution, et notez bien que tel thème d’allure populaire est parfois, en réalité, un thème original.27
Le premier mouvement intitulé " Bidassoa " s’inspire directement du fleuve côtier de France dans les Pyrénées-Atlantiques qui sépare sur douze kilomètres la France et l’Espagne. Le deuxième mouvement, conçu dans la forme d’un Andante-Scherzo, porte le nom d’une province du Pays basque espagnol " Navarra ", tandis que le dernier mouvement, " Rapsodie du Sud ", met en scène deux thèmes de la vallée d’Ossau recueillis par l’auteur. À chaque mouvement correspond un argument écrit par Jean d’Elbée. À propos de cette œuvre, un journaliste écrit dans La petite maîtrise en juillet 1935 : " … les deux influences qui se partagent l’œuvre : l’Espagne voisine, andalouse et même mauresque, et le Pays basque " terre harmonieuse et musicale entre toutes ", connaîtra, on est en droit de l’espérer, une glorieuse carrière. " 28
Deux ans après, pendant l’été 1936, Ermend Bonnal composa une œuvre symphonique pour les obsèques de la grande danseuse espagnole Antonia Mercé, dite Argentina, qu’il intitula Le Tombeau d’Argentina. Elle était l’une des plus célèbres danseuses espagnoles de son temps : " Avec elle, la danse espagnole quittait le genre folklorique pour atteindre le niveau de la danse classique (…). Argentina mit au point une synthèse de ses deux expressions. " 29 Après avoir été joué lors des obsèques de la danseuse, Le Tombeau d’Argentina fut donné en première audition au Théâtre du Châtelet le 19 mars 1938 par les Concerts Colonne sous la direction de Paul Paray et cinq mois plus tard, le 19 août, au Casino de Biarritz par Gaston Poulet. À propos de cette œuvre, Henri Sauguet écrira : " d’un charme émouvant sur une sorte de lente habanera, les castagnettes élèvent leurs voix rythmiques et cette évocation de la grande danseuse à jamais endormie est d’une ravissante poésie " 30 tandis que Georges Dandelot dans le Monde musical note : " une courte et émouvante pièce à la mémoire d’Argentina où crépitent les castagnettes de la célèbre danseuse ".31 L’utilisation de la percussion typiquement espagnole, dont Argentina faisait l’usage, peut rappeler un autre compositeur français, Maurice Ravel, qui s’en servira dans quelques-unes de ses œuvres pour exprimer les paysages ibériques comme Daphnis et Chloé (1912), Alborada del gracioso (1919), La Valse (1920), Don Quichotte à Dulcinée (1934), ou la Rhapsodie espagnole (orch. 1908) qui comprend une " habanera " au troisième mouvement, lequel inspira peut-être Ermend Bonnal pour composer son œuvre.
L’année 1936 sera également le commencement d’une collaboration avec le peintre-cinéaste Ferdinand Earle, pour la réalisation de films. Tout comme Arthur Honegger ou Darius Milhaud, Ermend Bonnal s’intéressa vivement au procédé cinématographique qui a vu le jour en 1885 grâce aux frères Lumière. On sait notamment qu’il en fit la découverte alors qu’il étudiait au Conservatoire de Paris et que l’accompagnement de films muets lui permettait alors de gagner quelque argent pour subsister dans la capitale. Ensuite, son regain d’intérêt pour le cinéma se manifesta par la rencontre qu’il fit avec Ferdinand Earle, un Américain quelque peu extravagant qui s’installa en 1930 à Ascain, petite bourgade non loin de Bayonne. Earle était peintre de formation et fut notamment un élève du célèbre James Mac Neill Whistler. Il avait acquis une certaine notoriété dans les années 1920 pour avoir peint de nombreux décors de films et introduit certains effets spéciaux inédits. En 1923, il réalise un film intitulé The Rubaiyat of Omar Khayyam à propos duquel un des critiques américains les plus sévères, Dannenberg, écrivit : " Sans doute le film le plus magnifique et le plus artistique que personne n’ait jamais produit ".32 Quelques années après, il participe au célèbre film Ben Hur, en réalisant notamment l’épisode de Bethléem. En 1936 débute une importante correspondance entre Ferdinand Earle et Ermend Bonnal, qui se connurent grâce au poète Francis Jammes. Une lettre du 12 juin atteste d’un travail en commun pour la réalisation d’un film destiné à l’Exposition Universelle de 1937 : " Je compte sur votre musique pour beaucoup. Les Chefs de l’Exposition ont détruit mon scénario – qui n’a plus de sens. Il n’y a plus de drame. Il n’y a pas de drame. Il n’y a pas d’amour, ni d’histoire (…). Le miracle de la musique sera drame, logique, histoire, conte d’amour et poésie. " 33 Le film en question, intitulé Voyage au pays de nos rêves, était censé présenter les provinces françaises lors de l’Exposition. Il fut commandé à Ermend Bonnal, ainsi qu’à Ferdinand Earle par la Société Française de Films en Couleurs. Mais une lettre du 1er août 1936 révèle l’abandon du projet par le peintre cinéaste, celui-ci se sentant incapable de fournir le travail dans des délais trop courts imposés par la Société. La musique de Bonnal fut enregistrée quelques jours plus tard, le 4 août dans les studios Paramount à Joinville-Paris sous la direction de l’auteur. Aujourd’hui le film, l’enregistrement de la musique ainsi que la partition semblent perdus, seul le scénario annoté par Ermend Bonnal pour l’enregistrement demeure 34 . On ne sait d’ailleurs pas précisément si le film a été réellement diffusé lors de l’Exposition Universelle car dans une lettre du 10 juin 1937, Ferdinand Earle écrit à Ermend Bonnal : " Avez-vous des nouvelles Du Pays de Nos Rêves. Si le film va voir la lumière des projecteurs publics c’est déjà tard. L’exposition est quasi ouverte… " 35
Dans une lettre du 1er août 1936, le peintre-cinéaste présente ses projets futurs au compositeur : " Aussitôt que je me suis remis de ce knock-out (…), j’ai commencé un autre film en Gaspar Color " pour Monsieur Caroll " : une espèce de symphonie en forme et en couleur (…). Un film aussi différent des visions de tous les jours que les harmonies d’une symphonie ne ressemble guère aux bruits de la rue, ou des champs, ou des mers. Ce film doit être un mariage idéal de la musique avec forme et couleur " 36 et le 15 août, après avoir entendu l’enregistrement du Voyage au Pays de nos Rêves, il lui propose d’écrire la musique pour son prochain film : " Que je serais fier d’avoir votre grand talent pour le beau et original film que je prépare maintenant. Je comptais vous prier de collaborer avec moi ". E. Bonnal accepte la proposition de F. Earle, à savoir de composer une " symphonie visuelle ", selon le peintre, " une nouvelle forme d’art plastique et musicale ", financée par des capitaux privés. L’œuvre, intitulée Amor " débute avec les importants Titres Génériques et le Prélude gai et amusant (…). Alors suit le grotesque Royaume des Cœurs, avec l’introduction du Jeune Cœur et du Vieux Cœur, et l’arrivée chez Cœur Solitaire, l’effroyable poursuite dans la tempête, et la lutte à mort des rivaux au-dessus de l’abîme. Ainsi que vous savez déjà, le drame termine par les heureuses et très longues scènes d’amour entre Jeune Cœur et Vieux Cœur, terminant en une grandiose montée vers les sphères, et une Dantesque Apothéose dans le Ciel. La durée du film sera d’environ vingt minutes. " 37 Le film est présenté en avant-première au Casino municipal de Biarritz mais par manque de fonds, jamais produit dans son intégralité.
En 1938, Ermend Bonnal revient sur ses premières inspirations en composant Le Ballet Basque, une œuvre en trois actes et six tableaux d’après un argument du marquis Pierre d’Arcangues, Shorlekona, avec des décors et costumes du peintre Ramiro Arrue (1892-1971). Ce Ballet basque fut présenté à l’Opéra et accepté par Philippe Gaubert, alors directeur de l’Opéra de Paris de 1938 à 1941. Mais de nombreuses controverses éclatèrent, notamment dues aux problèmes politiques de l’époque et le projet n’a finalement jamais abouti. En 1975 dans le journal Biarritz, Henri Sauguet explique la genèse de l’œuvre :
" Le marquis d’Arcangues, dont la personnalité raffinée et bienfaisante a si longtemps rayonné sur ce pays offrit à Ermend Bonnal le thème d’un ballet Shorlekua. Le ballet fut reçu à l’Opéra de Paris, la création annoncée à plusieurs reprises. La musique fut répétée par l’orchestre, les décors et les costumes avaient été commandés. L’œuvre de Bonnal était tout imprégnée de ce folklore basque qu’il avait assimilé parfaitement au point de s’en faire un langage. " 38
La partition est actuellement conservée par l’Association Ermend Bonnal et les éditions Eschig. Le décor est visible au Théâtre de la Nature d’Arcangues ainsi qu’au Musée basque de Bayonne.
Ermend Bonnal à l'orgue de l'église Sainte-Clotilde à Paris
( photo aimablement communiquée par l'Association Ermend-Bonnal )En 1939 éclate la guerre franco-allemande. Ermend Bonnal va alors peu à peu perdre la totalité de ses élèves, et sur les conseils de la Société les Amis de l’orgue, le compositeur retourne s’installer à Paris où il succède à Charles Tournemire à l’orgue de Sainte-Clotilde. Peu de temps après, il est nommé Inspecteur Général de l’Enseignement Musical à la Direction des Beaux-Arts. Jusqu’à sa mort, survenue le 14 août 1944, Ermend Bonnal parcourt tous les conservatoires de France afin de surveiller la qualité artistique du travail effectuée dans ces établissements. Lors d’un déplacement pour une tournée d’inspection dans le Sud-Ouest de la France, il est victime d’une congestion cérébrale lors d’un bain de mer par une chaude journée. Privée de toutes possibilités de communication dans les tourments politiques auquel était soumise la France, la famille du compositeur apprit le décès par la radio.
Parallèlement à une activité intense par rapport à sa fonction de directeur, de père d’une famille de onze enfants, de grand musicien, Ermend Bonnal composa de nombreuses œuvres pour instrument seul, pour voix solo ou chœur, pour orchestre, pour des formations de chambre, etc.39 Il réussissait malgré les difficultés d’ordre politique financier à rester un compositeur passionné par son métier, et à écrire de la musique dans le peu de temps qu’il lui restait de la journée. Homme d’une bonté généreuse, Ermend Bonnal restera toute sa vie dévoué à la musique.
Voici donc quelques aspects de la personnalité de ce grand musicien. À travers quelques œuvres de son catalogue, nous avons pu remarquer qu’il s’inspirait fréquemment de la nature, et plus particulièrement de celle d’une région qu’il aimait, le Pays basque. Nous avons pu constater qu’il ira jusqu’à collecter et harmoniser des chants populaires de son pays d’adoption, comme l’avait fait Béla Bartók pour la Hongrie, ainsi que d autres compositeurs français du début du XXe siècle, tels que Joseph Canteloube ou Joseph-Guy Ropartz, continuant une démarche qui avait été initiée dans la seconde partie du XIXe siècle par George Onslow ou Vincent d’Indy. En revanche, l’attrait pour l’Antiquité ou l’exotisme, très en vogue au début du XXe siècle, ne sont pas des sources d’inspiration primordiales pour Ermend Bonnal. Contrairement à ses contemporains qui le plus souvent étaient animés par une morale uniquement épicurienne, Ermend Bonnal, compositeur d’une fervente foi catholique, était un hédoniste pour qui la musique était un art divin. Il traitera fréquemment le " mystère chrétien " et plus particulièrement dans ses compositions pour orgue et sa musique vocale.
Encore malheureusement trop peu connue, son œuvre mérite vivement d’être redécouverte pour l’enrichissement du patrimoine culturel français. Beaucoup trop de compositeurs de cette période d’entre-deux guerres furent malheureusement oubliés. Les Debussy et Ravel reçoivent tout le mérite qui leur est dû, mais n’oublions pas que beaucoup d’autres, dans la capitale, en province, dans les villes ou sur le front, continuèrent à composer malgré les difficultés financières et politiques de l’époque, et que ceux-ci méritent aussi leur place dans les salles de concert.
Déborah Bonin
Parution (2005) :
DETROIT CHAMBER TRIO
Eduard Perrone (piano) – Velda Kelly (violon) – Nadine Deleury (violoncelle)
Henri DALLIER : Trio en do mineur (1898)
Louis VIERNE : Sonate en si mineur, pour violoncelle et piano, op. 27 (1910)
Joseph ERMEND-BONNAL : Sonate pour piano et violon (1899)
1 CD Award Audio, St. Clair Shores, Michigan, U.S.A.
AA-05001
Distribution Amériques, Canada : www.awardaudio.com ou www.cdbaby.com
Pour la France : contacter rédaction@musimem.com
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Ermend Bonnal, Improvisation pour violon et piano, op. 23. Partition dédicacée “à mon Père” et écrite à Bègles en 1907 (Paris, Office Musical, 1911).
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)
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Notes :
1 SAMAZEUILH, Gustave, Musiciens de mon temps, Paris, Marcel Daubin " La renaissance du livre ", 1947, 429 p.
2 Paul Le Flem (1881-1984) : œuvres lyriques (dont Le Rossignol de Saint-Malo et La Magicienne de la mer), chœurs, 4 symphonies, Fantaisie pour piano et orchestre, pièces pour piano (inspirées de sa Bretagne natale).
3 Joseph Canteloube (1879-1957) : musiques instrumentales (6 Danses roumaines, Dans la montagne), musique vocale, 2 opéras, nombreux arrangement de musique folklorique (dont Chants d’Auvergne).
4 Jean Cras (1879-1932) : œuvres pour piano (Poèmes intimes, Danze, Paysages, Ames d’enfants), musiques instrumentales (Quatuor à cordes, Quintette pour cordes), musique symphonique (Journal de bord), un drame lyrique (Polyphème), œuvres lyriques (Sept Mélodies, l’Offrande lyrique, Elégies).
5 Sylvio Lazzari (1857-1944) : compositeur français d’origine autrichienne, diverses pièces pour piano, pour musiques de chambre (Sonate pour violon et piano, Octuor pour instruments à vent), plusieurs poèmes symphoniques (dont Ophélie), plus de 50 mélodies, 10 opéras (dont Armor, La Lépreuse, La Tour de Feu).
6 Antoine Mariotte (1875-1944) : nombreuses mélodies, musiques pour piano (Sonate en fa dièse mineur, Impressions urbaines), plusieurs opéras (dont Salomé, Le Vieux Roi, Léontine sœurs, Gargantua).
7 Gustave Samazeuilh (1877-1967) : compositeur et critique musical, musiques vocales (Le Sommeil de Canope, Le Chant d’Espagne, Le Cercle des heures), musiques instrumentales (Quatuor à cordes, Sonate pour violon et piano, Chant de la mer pour piano, des poèmes symphoniques).
8 Le Monde musical, vol. 50 n°1, Paris, 31 janvier 1939, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
9 Joseph Bonnet (1884-1944) : organiste français, il a écrit trois recueils de pièces d’orgue et trois Poèmes d’automne. On lui doit aussi la publication de trois volumes d’Historian organ recitals et des Fiori musicali de G. Frescobaldi.
10 ARCANGUES, Michel d', Joseph-Ermend Bonnal, Anglet, Séguier " Carré Musique ", 2003, p. 23.
11 Joseph-Guy Ropartz (1864-1955).
12 ARCANGUES, Michel d', op.cit., p. 24.
13 Programme de la 89e audition d’orgue donnée à Bordeaux le 23 mars 1919, archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
14 ARCANGUES, Michel d', op.cit., p. 27.
15 Ibid., p. 30.
16 Le Guide du Concert, " Un entretien avec … Ermend Bonnal ", 10 mars 1939, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
17 ARCANGUES, Michel d', op. cit., p. 36-37.
18 Biarritz, " Entretien au château d’Arcangues avec Mme Ermend Bonnal ", Mario Prieto, avril 1974, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
19 ARCANGUES, Michel d', op. cit., p. 36-37.
20 La Musique Sacrée, " Un grand musicien trop peu connu : M. Joseph-Ermend Bonnal ", A. Tisseire, 1932, pp. 27-31, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
21 ARCANGUES, Michel d', op. cit., p. 58-59.
22 Article de presse, s.l.n.d. extrait d’un discours lors d’un concert pour les élèves du collège Saint-Bernard à Bayonne, Livre volume 2 recensant recueil de presse et documents originaux (volume 2 : 1920-1934), archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules, p. 102.
23 Article de presse sans titre, s.l.n.d., Livre volume 2 recensant recueil de presse et documents originaux (volume 2 : 1920-1934), archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules, p. 101.
24 Biarritz, avril 1974, article de Mario Prieto d’après le témoignage d’Hélène Bonnal, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
25 Le Temps, Florent Schmitt, s.l.n.d., Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
26 La musique sacrée, " Une visite à un grand artiste ", décembre 1934, archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
27 Le Guide du Concert, " Un entretien avec… Ermend Bonnal ", 10 mars 1939, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
28 La petite maîtrise, juillet 1935, Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
29 CAHOURS D’ASPRY, Jean-Bernard, Musiciens au pays basque, Anglet, Atlantica, 2001, p. 163.
30 Critique d’Henri Sauguet à propos du concert du 19 mars par les Concerts Colonne, s.l.n.d., archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
31 Le Monde musical, Georges Dandelot, s.l.n.d., Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
32 S.l.n.d., Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
33 Lettre du 12 juin 1936 de Ferdinand Earle à Ermend Bonnal. Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
34 Des partitions avec des annotations de durées ayant pu servir à un enregistrement existent et sont conservées dans les fonds de la médiathèque d’Uzès.
35 Lettre du 10 juin 1937, Ibid.
36 Lettre du 1er août 1936 Ibid.
37 Lettre du 10 décembre 1936, Ibid.
38 Biarritz, Avril 1975, s.l.n.d., Archives de l’association E. Bonnal à Saint-Victor-des-Oules.
39 Cf. catalogue complet du compositeur sur le site internet www.bonnal.org.
Ermend Bonnal et la Presse, quelques extraits…
L'Avenir d'Arcachon du dimanche 7 avril 1918 :
« Rencontré Aux Abatilles, où il habite, l'éminent compositeur Ermend Bonnal encore tout attristé de la mort du compositeur Debussy qui, ainsi qu'il nous l'a rappelé, venait souvent à Arcachon où nous le vîmes encore l'an dernier. La perte de Debussy, nous a dit M. Ermend Bonnal, est une perte immense pour l'art musical. On a souvent parlé du talent de Debussy ; le mot génie eut été plus exact. L'œuvre capitale de Debussy, Pelléas et Mélisande, est le symbole d'une ère musicale nouvelle. Abordant un autre sujet, M. Ermend Bonnal nous fait part de son étonnement de voir à Arcachon tant de chiens dépourvus de muselière et de collier en dépit de la récente circulaire du préfet de police inspirée par les nombreux cas de rage, et il nous quitte pour aller pêcher des crevettes. »
La Croix du 2 août 1933 :
« Une symphonie pour orgue.
La symphonie de M. Ermend-Bonnal, tout récemment éditée par la maison Leduc, et jouée, un de ces dimanches passés en première audition publique, par M. Joseph Bonnet, à Saint-Eustache, est une pièce magistrale que vivifie un souffle puissant, et qui a, désormais, sa place marquée à côté des toutes premières compositions contemporaines pour orgue. Il y avait déjà, dans le fait qu'elle avait été couronnée, à l'unanimité des voix, au concours de composition des « Amis de l'orgue », une forte présomption en faveur du mérite exceptionnel de l'œuvre. A l'audition, et à l'analyse, cette présomption devient certitude assurée et tranquille. Et l'on est tout heureux de pouvoir s'abandonner, en toute sécurité, à son plaisir, puisque tout à la fois, on le sent, et on le sait au jugement de professionnels autorisés de qualité rare. Le thème inspirateur de sa symphonie, M. Ermend-Bonnal l'a emprunté au Media vita, « chant tragique et sublime » que nous a légué le moyen- âge et auquel certains attribuèrent longtemps une vertu quasi incantatoire. Mais il n'a pas été pour lui comme il est arrivé pour d'autres thèmes à des compositeurs renommés un simple prétexte, un point de départ, avec, de-ci, de-là, quelques timides et fugitifs rappels à peine reconnaissables. Il domine l'œuvre tout entière, et il y « circule comme la sève dans l'arbre », ainsi que s'exprimait Saint-Saëns au sujet de la Fantaisie et fugue en ut mineur, de Liszt. M. Ermend-Bonnal, après s'être, au préalable, assimilé toute « la substantifique moelle » du Media vita, lui a fait subir « des transformations rythmiques d'une inépuisable variété ». Aussi, cette symphonie pour orgue égale-t-elle en expressive beauté et il ne peut y avoir d'éloge supérieur à celui-là, la cantilène moyenâgeuse, l'une des plus émouvantes de tout le répertoire grégorien. On reste émerveillé devant une telle maîtrise qui s'affirme tant par la grandiose ossature architectonique de l'ensemble que par la délicatesse de touche et la perfection des moindres détails. Joseph Bonnet en qui M. Ermend-Bonnal eut un interprète idéal, auquel je demandais lequel des trois mouvements de la symphonie avait sa préférence, m'a répondu sans hésitation aucune : « Ils sont tous les trois également admirables. » Voilà qui en dira plus long et aura plus de portée que tous mes pauvres commentaires. I. Dupont »
Le Petit Journal du 3 février 1936 :
« C'est tout un office vespéral qui s'abritait, le lendemain, en dernière heure, avec les Poèmes franciscains de M. Ermend Bonnal à l'ombre de la beethovenienne Messe en ré. Et encore ne nous en dispensait-on que moitié environ. Oratorio, si l'on veut, mais morcelé en dix-neuf épisodes, brefs comme des versets, où les vers de Francis Jammes rappellent « les principaux mystères et les plus belles fêtes de l'année liturgique ». Paroles d'un croyant, strophes d'une poésie mystique ou ingénue, parfois familière, enluminures dont la musique se risque, entre temps, à souligner le détail pittoresque. Mais avec quelle discrétion ! Tous ces tableaux s'enveloppent d'une atmosphère d'oraison qui en unifie le ton. J'ajoute que le style relève, dans la gravité comme dans l'enjouement, de la plus traditionnelle orthodoxie. L'oreille n'y goûte que des joies permises, et n'est jamais en danger. Certains mouvements font songer à Franck, à un Franck que sa méditation dans l'oratoire aurait détourné des irisations de l'arc-en-ciel. Et puis, si l'on ne savait que M. Ermend Bonnal est organiste et excellent — les « Amis de l'orgue » ne l'ont pas oublié — on le devinerait non seulement à sa syntaxe, à son « écriture », comme on dit, mais encore à la sonorité caractéristique de son orchestre, le plus souvent étayé sur les jeux de « fonds » ! Ni le temps, ni l'espace ne me permettent, malheureusement, d'explorer cette partition d'une inspiration aussi élevée que sincère et profondément musicale, solidement et clairement construite, qui marie les voix, soli et chœurs, à l'orchestre avec une maîtrise formée à la meilleure école polyphonique. Beethoven et M. Ermend Bonnal ont trouvé en M. Etcheverry, Mmes Malnory-Marseillac, Thévenet, Vhita, MM. Planel et Hazart, réunis avec la Chorale Amicitia, sous la baguette souveraine de M. Paray, des interprètes de premier plan. »
L'Art musical du 31 juillet 1936 (p. 837) :
« BAYONNE ASSOCIATION RAMEAU; A. R. C. A.; AMIS DE LA MUSIQUE. Puissante et vivante direction du chef : Ermend Bonnal, attentive ferveur des instrumentistes, choix heureux des solistes. Tout concourt à la haute valeur artistique des concerts de l'Association Rameau. [...] Organisé par M. Ermend Bonnal et diffusé par les soins de l'A. R. C. A., un concert de musique régionale nous présenta, en une riche fresque musicale, des provinces du Sud-Ouest si diversement pittoresques. En des pages savoureuses, empruntées à leur folklore et heureusement harmonisées par MM. Canton, Marc de Ranse, Pillois, de Castera, Donostia, etc... Landes, Béarn, Pays basque furent chantés par les « Muts », sous la musicale direction de Jean Etchepare et par la puissante chorale Sainte-Cécile (direction A. Lynch), qui interpréta également avec grand succès et sous la direction de l'auteur, Quatre chansons basques, d'Ermend Bonnal, tout empreintes de la noblesse euskarienne. Cet excellent artiste galvanisa l'orchestre Rameau dans la Rapsodie basque, de Philipp, la Rapsodie basque, de Bordes, et dans le beau poème descriptif qu'est sa Fantaisie landaise. Diffusé lui aussi par l'A. R. C. A., un magnifique récital d'orgue fut donné par M. Ermend Bonnal sur le beau Cavaillé-Col de l'église Saint-André. Avec une grandeur et la générosité d'expression qui lui sont personnelles, il interpréta diverses œuvres de Bach, Balbastre, Martini, Franck et Duruflé. »
Le Ménestrel du 19 mars 1938 (p. 80) :
« Le Tombeau d'Argentina de M. Ermend Bonnal, pour orchestre, est excellent dans sa brièveté ; il offre un thème noblement émouvant, sobrement développé sur un constant accompagnement de castagnettes. Pièce de circonstance, mais de pieuse inspiration, et où l'ingéniosité, qui est certaine, s'efface devant la ferveur de l'intention. La Petite Suite basque, du même auteur, que nous avons pu comparer à la Rapsodie sur le même sujet, toute récente aussi et due à la plume de M. Delannoy, est moins bonne. Ce genre, fort à la mode, qui consiste, au moyen de thèmes et de rythmes de folklore, à évoquer l'atmosphère propre à un pays, à une région, est semé de pièges trop séduisants. M. Ermend Bonnal n'a fait que l'œuvre d'un artisan, et d'un artisan inégal. »
La Croix du 28 janvier 1939 :
« Ermend-Bonnal.
Vivre à Paris n'est pas toujours, pour un musicien compositeur, une condition indispensable de succès. M. Ermend-Bonnal en est la preuve. Il y a près de vingt ans, en effet, qu'il n'a pas quitté, sauf de rares, brèves et fortuites absences, ce coin charmant, si paisible, de la côte basque, situé à mi-chemin entre Bayonne et Biarritz. Il y est arrivé en 1921, partageant, depuis lors son temps entre ses devoirs de père d'une nombreuse famille, ses fonctions de directeur de l'Ecole nationale de musique, d'organiste de Saint-André de Bayonne, son enseignement pianistique et organistique à des élèves de choix, et le travail intense et fécond de la composition. Et la grande notoriété lui est venue d'elle-même, sans vaine réclame, de par le seul mérite de ses œuvres musicales dont le nombre s'est notablement accru, en ces derniers temps, et dont la valeur s'est imposée à l'admiration de tous, de ses pairs en particulier.
Ne vient-il pas de recevoir de l'Académie des Beaux-Arts, dès le premier tour de scrutin, et à l'unanimité des voix, le prix Lasserre (8100 francs), la plus haute récompense et la plus enviée de toutes aussi, parce qu'elle en classe le glorieux bénéficiaire parmi les maîtres incontestés de l'Ecole musicale contemporaine ?
La liste serait longue à établir des récompenses qui ont précédé et expliquent celle-ci. Je n'en mentionnerai que deux parmi les plus caractéristiques et les plus flatteuses : le premier prix si ardemment convoité que 110 compétiteurs de tous les pays du monde avaient brigué, remporté par M. Ermend-Bonnal, au concours international de San-Francisco, pour le psaume Adom Golan, et, plus récemment, le prix des Amis de l'orgue, pour sa symphonie Media vita.
Bordelais d'origine, M. Ermend-Bonnal révéla, dès sa plus tendre enfance, des aptitudes musicales précieuses, heureusement discernées par ses deux premiers maitres, son propre père et Gaston Sarreau, qui se plurent à les encourager, à les guider et à les développer de très fructueuse manière. Aussi ne tardèrent-elles pas à pleinement s'épanouir. Dès l'âge de 12 ans, déjà, le jeune disciple faisait honneur à ses maîtres, il était à même de pouvoir enseigner et de donner lui-même des leçons. Admis au Conservatoire de Paris, avec le numéro 1, dans la classe de piano de Bériot, il devient, simultanément ou successivement, l'élève de Guilmant pour la classe d'orgue, de Taudou pour l'harmonie, de L. Vierne et de Tournemire pour l'improvisation, de Gabriel Fauré pour la composition.
Combien son ancien et illustre maître, L. Vierne, mort tragiquement aux claviers de son grand orgue de Notre-Dame, se fut réjoui de l'attribution du prix Lasserre à son ancien élève, lui qui a écrit dans ses Souvenirs, tout fraichement publiés : « Avec Ermend-Bonnal, nous regagnons les sphères élevées. Voilà un musicien des plus personnels, un poète ému par la nature, un être d'une sensibilité profonde et émouvante, grand modeste, artiste dans l'âme. Son passage à la classe de Guilmant fut celui d'un beau travailleur, doué également pour l'improvisation et l'exécution. Il sortit avec un premier prix sensationnel. Jamais je n'ai compris pourquoi il ne fit pas une grande carrière d'instrumentiste, il avait tout ce qu'il fallait pour cela. Comme compositeur, il révéla un tempérament tout à fait original, exprimant sa pensée dans un style hardi, mais nullement excentrique en ce qui regarde spécialement l'orgue, il écrivit tout de suite des pièces significatives comme Reflets solaires, par exemple. »
Sa vie s'écoule à Paris jusqu'au moment de la guerre. Il s'y adonne à des tâches multiples. Maître de chapelle et organiste à Boulogne-sur-Seine, suppléant de Widor à Saint-Sulpice, de Tournemire à Sainte-Clotilde, organiste de Saint-Médard et de Saint-Séverin, soliste des concerts de la Société nationale, de la S. M. I., du Conservatoire de Liège, de Spa, etc., il est en même temps professeur, chroniqueur musical, musicologue, il organise des cours d'analyse musicale, il écrit, sur les Symphonies de Beethoven, la partie technique d'un ouvrage qu'édite Sénart et qu'on lit toujours avec intérêt et profit, il crée une Société de musique de chambre (piano et quatuor à cordes), la « Quinte », qu'il reconstitue, une fois la grande tourmente apaisée, à Bordeaux, et dont il fait un groupe artistique, tenu, à juste titre, en très haute estime. Bref, son autorité et sa valeur s'affirment de plus en plus, et il est nommé professeur à la classe d'orgue du Conservatoire de Strasbourg à la suite d'un concours où il obtient la première place.
Des raisons, sur lesquelles on ne peut insister, l'empêchent de prendre possession de son poste, et il devient, quelque temps après, directeur de l'Ecole nationale de musique, puis organiste de l'église Saint-André de Bayonne. Quel éclat il a projeté sur la première, et quelle vie il a su infuser aux belles orgues de la seconde. Ce n'est pas le moment de le dire ici en détail.
Impossible aussi de s'étendre, comme de raison, sur l'œuvre d'Ermend-Bonnal. Quelques légères touches s'imposent, du moins, et en premier lieu, cette remarque que, chez lui, le compositeur, merveilleusement doué, est également à l'aise dans les genres en apparence les plus opposés, musique symphonique, musique de chambre, pièces pour piano et pour orgue, musique lyrique, cantate, oratorio, chansons, pièces pour chœurs, voix et orchestre, etc.
Parmi les nombreuses pages détachées pour voix et instruments, je relève Légende, pour piano et violon, Sept trios pour voix de femmes ; dans l'ordre de la musique de chambre, deux quatuors à cordes et un trio à cordes, un quatuor avec piano encore inachevé parmi les œuvres symphoniques, la Fantaisie landaise, pour piano et orchestre, la Suite basque, le Tombeau d'Argentine enfin, pour chœurs, voix et orchestre, l'Hymne au vin exécuté à Bordeaux, en présence du président de la République, Quatre chansons basques et les Poèmes franciscains, oratorio, sur des poèmes de Francis Jammes, dont la presse a suffisamment parlé pour que j'aie à y revenir.
Je veux signaler, du moins un peu plus longuement, puisque aussi bien elles rentrent plus directement dans le cadre habituel de ces chroniques : tout d'abord la Cantate pour le centenaire de l'apparition de la médaille miraculeuse, pour soprani, mezzo-soprani et alti. Le poème anonyme décrit les phrases historiques, connues, des apparitions et se termine par une prière et par l'invocation O Marie, conçue sans péché. M. E. Bonnal a paré ce texte d'un vêtement sonore, tout de distinction et de grâce et d'une inspiration religieuse du meilleur aloi. L'artiste et le chrétien ayant collaboré avec la plus harmonieuse entente. Les chœurs même de moyenne force peuvent l'exécuter sans peine. Que si, en tout cas, le temps ou les ressources vocales manquent ici ou là pour apprendre et exécuter en entier la Cantate, tous les groupes choraux peuvent de confiance se mettre à l'étude de la prière et l'invocation finales, expressives et mélodiques à souhait, en même temps que faciles. Elles ont été, du reste, éditées à part.
Comment aussi, après avoir, en passant, complimenté M. E. Bonnal de s'être intéressé à l'enfant un peu délaissée qu'était la chanson française et de s'être appliqué à la tâche noble de sa rénovation, sinon de sa réhabilitation, ne pas faire connaître les Chansons landaises, parfaites d'inspiration et de forme, exhalant de pures et vivifiantes senteurs, ainsi qu'il convenait pour des chansons puisées à même le balsamique terroir français ? Sous le titre bucolique et charmant de Chansons d'agnoutine, « bergère au joli nom d'agneau », et sur des poèmes tout baignés d'esprit chrétien, de Loys Labecque, il a publié, chez Ploix, une première série de chants populaires landais (noël, berceuse, rondes, complaintes). De tous ces airs, déjà fort bien venus par eux-mêmes, et que relèvent encore des accompagnements délicats et chatoyants, de tous ces airs, d'une variété de ton qu'accentue la diversité des modes employés, il se dégage une impression de joie robuste ou de saine mélancolie. Il est difficile d'exprimer une préférence pour l'un plutôt que pour l'autre, car tous ont leur souvenir particulier. Qu'il suffise de citer, au hasard, les titres de quelques-uns d'entre eux : Pèlerin, o gué (1er prix au concours de l'association Léopold Bellan), Dans ton nid d'alguettes, Rondeau de la bergeronnette…
Il m'est très agréable de témoigner, par mon expérience personnelle, que, partout où elles ont été chantées, les Chansons d'agnoutine ont été très goûtées et ont connu une vogue des plus durables. N'est-ce pas, chères grandes et petites filles du patronage de Saint-Prix, qui les chantez avec tant d'entrain, de plaisir et de charme.
Enfin, je dois faire une place à part à deux des œuvres de M. E.-Bonnal, qui, au jugement de L. Vierne, sont « deux œuvres magistrales » et « ont enrichi notre littérature, trois Poèmes euskariens imprégnés du folklore basque, et une magnifique symphonie « Media vita ». J'ai analysé les premiers et la seconde dans des revues spécialisées et n'en dirai donc que quelques mots.
Les trois parties composant les Poèmes euskariens sont d'une très belle foulée organistique et méritent également de figurer dans les programmes d'orgue de choix. Toutefois, j'ai une préférence pour la troisième Cloches dans le ciel.
Ces Cloches dans le ciel, jouées sur des orgues puissantes, produisant un effet grandiose et s'apparentent aux œuvres atteignant le point culminant de la beauté qu'on est en droit d'attendre d'une composition d'orgue bien conduite, savamment construite et parfaitement équilibrée. Et il en fut ainsi sur les orgues de Notre-Dame de Paris, où M. L. de Saint-Martin les a jouées le jour de l'Assomption dernière.
Quant à la symphonie Media vita, l'œuvre la plus récente pour orgue de M. Ermend-Bonnal, elle affirme une maîtrise plénière tant par la magnificence architectonique sonore de l'ensemble que par la délicatesse de touche et la perfection des moindres détails. Le moyen, en particulier, de ne pas souligner en cette symphonie une particularité assez rare ! Le thème inspirateur n'a pas été, pour M. E. Bonnal, un simple prétexte, mais il vivifie et domine l'œuvre tout entière. Il y « circule comme la sève dans l'arbre », ainsi que s'exprimait Saint-Saëns à propos de la gigantesque Fantaisie et fugue en ut mineur de Liszt. M. E.-Bonnal, après s'être tout pénétré du media vita, lui a fait subir des transformations d'une inépuisable variété et qui mettent en relief plus accusé encore son originelle beauté. Aussi sa symphonie égale-t-elle en expression et cela n'est pas mince éloge la cantilène moyenâgeuse, l'une des plus émouvantes de tout le répertoire grégorien. Elle se classe d'emblée parmi les toutes premières compositions d'orgue contemporaines. Dédiée à M. Joseph Bonnet, elle a été jouée pour la première fois avec quelle conscience, quel amour et quel art, on le devine sans peine par le maître organiste de Saint-Eustache, sur ses grandes orgues si magnifiquement restaurées.
Pour être complète, cette rapide esquisse devrait retracer l'activité et le rôle de M. Ermend-Bonnal, soit comme organiste de Saint-André, soit comme professeur d'orgue. Ses dons pédagogiques, de qualité exceptionnelle, lui ayant permis de former des élèves dont plusieurs soutiendraient vaillamment les comparaisons avec des organistes réputés de Paris et de province.
Je ne le puis, faute de place. Mais pourrais-je mieux terminer que par ce portrait buriné, de main de poète, par le délicat et incomparable ami qu'était pour M. Ermend-Bonnal le si regretté Francis Jammes :
Taillé dans le dur bois d'un chêne harmonieux,
Ton pur profil, Bonnal, se confond avec l'orgue ;
Mais de nous déchiffrer le silence des cieux
Ne te remplit jamais de vile et sotte morgue.
Comme aux astres, le jour, voilés par leur pudeur,
L'ombre est ce qui convient à ta noble carrière.
Ah ! que tombe la nuit, et toute ta splendeur
Saura la consteller de notes de lumière.
I. Dupont »
Documentation recueillie par Olivier Geoffroy