Le chanoine Robert Delestre

(1901 - 1993)


 

Robert Delestre
(photo X..., in L'Orgue normand, 1993) DR.

 

 

Voici quelques informations relatives au chanoine Delestre, directeur de la maîtrise Saint-Evode de Rouen, organiste et compositeur, ancien élève de Marcel Dupré auquel il a consacré un ouvrage de référence.

 

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Robert Delestre est né à Déville-les-Rouen (Seine-Maritime) le 2 avril 1901. Il a reçu une formation musicale complète auprès d'Henri Beaucamp (1885-1937) pour l'orgue (titulaire du grand orgue de la cathédrale de Rouen), Emmanuel Bondeville (1898-1987) et André Haumesser (1885-1954) pour l'écriture musicale. Egalement disciple de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum, puis au Conservatoire de Paris de Noël Gallon (harmonie), Paul Dukas (composition) et de Marcel Dupré (orgue).

 

En tant que maître de chapelle de la cathédrale de Rouen, le chanoine Delestre a dirigé la maîtrise Saint-Evode de 1931 à 1977. Ce très ancien choeur a fourni de nombreux musiciens professionnels, parmi lesquels beaucoup d'organistes du diocèse de Rouen (70% d'après ce que déclarait le chanoine dans le livre de Loïc Vadelorge, Rouen sous la IIIème République, Presses universitaires de Rennes, 2015, p. 244).

 

En 1958, le chanoine Delestre a fondé à Rouen l'Institut Titelouze, spécialisé dans la musique religieuse. De 1973 à sa mort, il a également été un membre remarqué de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen pour laquelle il a rédigé plusieurs articles et communications.

 

Il a composé plusieurs œuvres de musique religieuse vocale ainsi que des pièces pour orgue et a donné des cours à un certain nombre d'élèves qui reconnaissent à leur ancien maître d'indéniables qualités pédagogiques.

 

Le nom du chanoine Delestre a été donné à une rue de Deville-les-Rouen et Le Tombeau de Titelouze (op. 38) composé en 1942 par Marcel Dupré lui est également dédié.

 

Il laisse quelques œuvres : Vexilla regis pour orgue (coll. « Organistes contemporains », Schola Cantorum), Triptyque pour grand orgue, 1950, Tu es Petrus, pour double choeur et cuivres, 1948, et un livre : L'oeuvre de Marcel Dupré (Procure, 1952, 163 p.).

 

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Hommage au chanoine Delestre

par Christian Goubault, musicologue (1938-2009)

 

« La disparition du chanoine Delestre représente, pour moi, et pour ceux qui l'ont connu, non seulement la perte d'un ami et d'un berger, dans le sens biblique du terme, mais également la fin d'un monde auquel nous étions profondément attachés. Un monde fondé sur le respect d'autrui, sur le respect des valeurs humaines que l'abbé Delestre savait faire fructifier. Avec Robert Delestre, ce respect de l'homme et de la tradition allait de pair avec le désir de rénovation dans le domaine de la musique religieuse qu'il a favorisée en créant en 1956, à la Cathédrale de Rouen et sous l'autorité du Cardinal Martin, l'Institut Titelouze de musique sacrée et ses annexes développées plus tard : l'"Atelier de composition", les "Entretiens Titelouze". En se plaçant sous l'invocation d'un grand aîné, les regards se portaient d'un côté sur le présent et le futur de la musique d'église, de l'autre sur les enseignements de rencontre et de recherche tant désiré, ce lien entre le clergé, les fidèles et les musiciens.

 

L'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Rouen recevait dans ses rangs, en novembre 1971, ce musicien et homme d'église, très convivial et d'une grande bonté, Maître de Chapelle de la Cathédrale de Rouen, directeur de la Maîtrise Saint-Evode et bientôt membre correspondant de l'Académie des Beaux-Arts. L'Académie décernait son Grand Prix à l'Institut Titelouze - ce n'était que justice - au cours de la séance solennelle du 15 décembre 1979.

 

Le chanoine Delestre consacrait son discours de réception aux trois illustres musiciens normands Paul Paray, Marcel Dupré, Emmanuel Bondeville. Un monument de respect envers les "Maîtres" dont il ne considérait pas qu'il fit partie. Cependant le clergé, les fidèles, les musiciens, ses élèves, trop nombreux pour être cités ici, ses disciples et ses amis l'appréciaient comme tel. Organiste honoraire du grand-orgue de la cathédrale, Marie-Thérèse Duthoit a toujours reconnu sa dette envers l'abbé Delestre : "Il a été pour beaucoup dans ma réussite", souligne-t-elle. "C'est lui qui me présenta pour la première fois à Marcel Dupré à Meudon".

 

Marcel Dupré... : un nom qui demeure indéfectiblement associé à celui de Robert Delestre qui lui consacra un ouvrage majeur, publié en 1952 aux Editions "Musique sacrée", L'oeuvre de Marcel Dupré. Un livre "né à la fois de l'admiration provoquée par l'ascendant d'un homme supérieur, dont la carrière s'est révélée hors de la commune mesure". Dans la cinquantaine, disciple de grands musiciens comme Vincent d'Indy et Paul Dukas, l'abbé Delestre se mettait à l'école de Marcel Dupré, "non seulement au cours de leçons techniques", comme il l'écrit lui-même dans l'avant-propos de son ouvrage, "mais aussi - surtout, peut-être -, dans le charme et l'abandon d'entretiens privés". Ce fils d'un gardien d'usine de Déville, cité où il est né en 1901, avouait avec une rare modestie qu'il n'avait joué que le rôle du porte-plume de Marcel Dupré, dans ce volume qui porte la marque de grandes compétences et d'un haut respect.

 

Son oeuvre musicale, peu abondante mais d'une rare qualité, est dédiée à ces maîtres qu'il vénérait : Tu es Petrus, pour double choeur, à Jean et Noël Gallon avec lesquels il étudia l'harmonie et le contrepoint, un Vexilla Regis et un Triptyque pour grand-orgue dédié à Marcel Dupré. Au cours d'entretiens amicaux avec le chanoine, lorsque j'évoquais les noms de musiciens qu'il avait rencontrés, il me coupait la parole avec un "Ah ! Ce sont des maîtres !" Auditeur libre de la classe de Paul Dukas à l'Ecole Normale de Musique de Paris, l'abbé Delestre prenait un air amusé lorsqu'il saisissait dans mon regard une lueur d'admiration et de convoitise. Avec un bon sourire et les yeux pétillants de malice, il rétorquait : "Lorsque Paul Dukas me voyait arriver, débarquant de mon train de Rouen, il me lançait un joyeux : "Voilà mon petit curé !" Quand je voulais en savoir un peu plus, la physionomie du chanoine changeait du tout au tout et reprenait un air pénétré pour me redire l'ineffable "Ah ! C'était un maître !"

 

Sans doute, au cours de cet hommage de l'Académie à notre confrère disparu, ai-je été trop familier, mais je veux garder du chanoine cette image à la fois confiante, heureuse, amusée, admirative, agissante, discrète, respectueuse, bienveillante, de celui qui a été un véritable guide sur et affectueux, un berger fidèle pour ceux qui l'ont approché et aimé, car nous ne pouvions pas faire autrement que de l'aimer.

 

J'ajouterai à la familiarité de mon propos, l'audace - moi qui ne suis pas homme d'église - de conclure cet hommage en disant à la mémoire du chanoine Robert Delestre le premier verset du magnifique psaume de David : "L'Eternel est mon berger : je ne manquerai de rien. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom". »

(Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1992, p. 432-434)

 

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Extraits de la réponse au discours de réception du chanoine Delestre à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, le 6 novembre 1971

par André Renaudin, écrivain et journaliste (1900-1997)

 

« Vous étiez prédestiné à être des nôtres. Rien ne permettait cependant de le prévoir lorsque vous vîntes au monde, le 2 avril 1901, dans un foyer modeste, à Déville-lès-Rouen. Votre père était fidèle gardien de l'usine Gillet Thaon. Vous n'avez bénéficié d'aucun atavisme artistique, sinon que votre oncle maternel, prénommé Henri, chantait le dimanche des rôles comiques dans les revues locales d'amateurs. Il est vrai que l'auteur d'une de celles-ci se nommait Henri Villette. Un autre oncle paternel, prénommé Edmond, n'en était pas moins maître de chapelle à Saint-Romain et Saint-Joseph. Dix ans plus tard vous étiez admis au Petit Séminaire. Vous deviez y rencontrer Ludovic Panel, organiste et compositeur qui termina sa carrière à Paris au grand orgue de la basilique de Montmartre.

 

C'est au Petit Séminaire que vous fûtes apprécié plus tard par Henri Beaucamp. Là aussi eut lieu la première rencontre avec Emmanuel Bondeville. Plus tard, ce dernier venait vous voir le samedi pour parler musique et l'étudier. Vous vous souvenez d'avoir interprété au piano à quatre mains les partitions du Coq d'Or et de Shéhérazade. L'on vous devine tous les deux attentifs à suivre la mise en pratique par Rimsky-Korsakow des principes qu'il avait exposés dans son « Traité d’instrumentation ». […]

 

En 1923, vous n'étiez encore qu'un étudiant. En plein accord avec vos maîtres et sur l'insistance d'André Haumesser (qui sortait lui-même des cours de la Schola Cantorum) vous sollicitiez votre admission dans cette vénérable institution de la rue Saint-Jacques à Paris. Vous avez bénéficié de l'enseignement que prodiguait Vincent d'Indy. De même qu'étant devenu auditeur à l'École normale supérieure de musique, vous avez eu la joie d'approcher Paul Dukas. En même temps vous suiviez les cours de piano du maître Paul Baud, boulevard des Capucines. A cet effet, comme tout élève studieux, vous preniez le train qui quittait Rouen dès sept heures du matin et vous rentriez chaque soir, ayant parfois Pierre Duvauchelle pour compagnon de trajet.

 

A Paris, vous avez eu la chance d'avoir pour professeurs Noël Gallon, Premier Grand Prix de Rome (1910) et son frère Jean. Le premier devait plus tard témoigner à la Maîtrise Saint-Evode de son estime et de son attachement. Il était, m'avez-vous dit, aussi silencieux que son frère était expressif. [...]

 

La formation d'un musicien est lente. Vous n'avez pas perdu cependant votre temps. Comment n'auriez-vous pas écouté avec toute l'attention dont vous étiez capable, boulevard Malesherbes, l'enseignement d'un Paul Dukas (1865-1935), compositeur d'Ariane et Barbe-Bleue, conte lyrique en trois actes sur un poème de Maurice Maeterlinck (Opéra-Comique, 1907) et de La Péri, poème chorégraphique (Opéra, 1912). […]

 

En 1931, vous entriez à la Maîtrise... Oui, Monsieur le chanoine, il y a quarante ans. Et s'il n'y a pas encore motif à un jubilé, il y a du moins matière à vous en féliciter. » (Précis analytique des travaux de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen, 1973, p. 135-144)

 

Olivier Geoffroy

(décembre 2019)

 

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