Deux recueils d'importance de chants liturgiques en français


 

 

Déclinés en plusieurs volumes, les recueils de chants liturgiques « Gloire au Seigneur », du père Geoffroy et « Les Deux Tables », du père Jef, ont constitué, quelques années avant le Concile Vatican II, un point de départ non négligeable dans l'élaboration d'un répertoire en français de qualité, avec des paroliers de talents et des musiciens reconnus (comme Jean Langlais, Robert Jef-Marthouret, Gaston Litaize, Claude Arrieu, César Geoffray). Avec les « Psaumes » du père Gélineau et les chants du père Lucien Deiss, les pièces contenues dans ces fascicules dotaient les paroisses françaises d'un corpus d'une certaine valeur. Malheureusement, l'élan amorcé fut suivi par une production bien plus médiocre... Voici quelques articles extraits de la revue « La Maison-Dieu » (Paris, Le Cerf) relatifs à ces volumes de chants.

 

Gloire au Seigneur, Éd. du Seuil, sous la direction du P. Geoffroy.

« Ce recueil groupe quarante-quatre chants pour la messe et la journée chrétienne, prélude d'un répertoire plus complet. Il constitue un ensemble assez nouveau et d'une valeur incontestable. « Il voudrait répondre au besoin qu'éprouvent les chrétiens de s'unir plus étroitement à l'action liturgique et de faire de leur prière une louange digne de Dieu, qu'on puisse chanter sans rougir devant des incroyants, sans mentir vis-à-vis de soi-même. » Idéal que tous poursuivent et que peu réalisent.

 

La presque totalité des textes sont originaux et s'imposent par leur haute tenue littéraire, leur sincérité dans la prière et leur adaptation rythmique soignée (sauf une regrettable exception). On pourrait désirer parfois un peu plus de densité. Citons la première strophe du Credo sur le choral grandiose de Nicolai, dit du Veilleur :

 

            Souverain Seigneur et Père,

            Dont j'ai reçu tout bien sur terre,

            Je crois en toi, je te bénis.

            En Jésus nous sommes frères,

            La Vierge sainte est notre Mère,

            L'Esprit d'amour nous garde unis.

            Le Verbe s'est fait chair,

            Pour nous il a souffert,

            Puis vers le Père est remonté

            Ressuscité.

            Par lui les cieux nous sont ouverts.

 

On doit toutefois regretter l'absence de chants qui expriment l'acte même du saint Sacrifice : offrande du Christ au Père, au bénéfice de trop nombreux chants d'offertoire. Le choix des mélodies est éclectique : folklore breton ou basque (les plus belles), chorals français, allemands, anglais ; hymnes et antiennes grégoriennes ; cantilènes modernes de genre varié.

 

Dans cet ensemble de qualité, quelques œuvres modernes apparaissent plus ternes et moins populaires. »

(n° 13, 1948, p. 99-100)

 

Cantiques pour l'année liturgique. Paris, Le Seuil, 1950, 48 chants ; 100 fr.

« Depuis l'apparition de « Gloire au Seigneur », qui manifestait la volonté d'introduire dans le cantique français plus de vérité, de sobriété et d'esprit liturgique, nous avons vu paraître de nombreuses oeuvres isolées qui ont prolongé et perfectionné cet effort. Mais aucun ouvrage d'ensemble ne fut comparable à celui qu'un collaborateur de Musique et Liturgie, Jean Bonfils, vient de publier avec la collaboration de Michel Fustier, dans la collection même de « Gloire au Seigneur » sous le titre de Cantiques pour l'année liturgique.

 

Nous louerons d'abord la tenue générale de l'ouvrage qui est d'une qualité littéraire et musicale. Chacune de ces quarante-huit pièces sur la journée chrétienne (6), la messe (8), les sacrements (3), liturgique (20), le sanctoral (10), est également soignée.

 

Les mélodies sont, pour la plupart, empruntées au répertoire des XVIIe et XVIIIe siècles français, mais aussi aux folklores de divers pays. Aucune n'est originale. Toutes sont parfaitement populaires, en construites avec de nombreuses reprises et alternances possibles. Certaines sont des chefs-d'œuvre. L'ensemble présente toutefois une monotonie certaine et plusieurs chants semblent vraiment « dater ». On peut craindre que ceux-là ne restent étrangers à la sensibilité spontanée de nos assemblées chrétiennes. Les textes sont généralement d'inspiration scripturaire. Le style est d'un dépouillement et d'une limpidité admirables. L'absence de et assonances, qui choque violemment au premier contact puis s'atténue à l'usage, accentue parfois une certaine impression de prosaïsme. Mais ce manque à gagner se trouve compensé par un rythme impeccable et organique du texte adapté à la musique, par la vigueur et le naturel de la syntaxe, par que la plénitude du sens, ensemble qui nos antiennes romaines ou les tropaires byzantins. Le sanctoraI est particulièrement original et, dans l'ensemble, réussi. On peut reprocher trop au cycle liturgique, qui est le corps du volume, d'être vu de l'extérieur (de même que la sainte Écriture). Les étapes de l'économie du salut ne s'en dégagent pas assez fortement. Plusieurs cantiques enfin n'échappent pas à un certain esthétisme ésotérique. Mais nous ne cacherons pas notre admiration pour le « cantique de la Toussaint », le « chemin de croix » et tant d'autres. J. GELINEAU, S. J. »

(n° 29, janvier 1952, p. 161)

 

Les deux Tables, psaumes et cantiques pour la messe. Éd. du Chalet, Lyon, 1952, 46 chants.

« Le titre de ce recueil intrigue sans doute le lecteur. A vrai dire, traduit pourtant exactement le propos des éditeurs : donner aux fidèles des chants qui leur fassent mieux goûter les aliments de la messe : parole de Dieu à « la Table de la loi divine », corps du Christ à « la Table de l'autel ». La plupart des pièces de ce recueil sont adaptées des psaumes et l'une d'entre elles au moins (Tu es mon berger, ô Seigneur) a déjà connu un grand succès. Les mélodies sont, en général, simples et alertes ; les textes, simples aussi, risquent parfois d'être plus obscurs qu'une traduction strictement littérale. Après avoir utilisé ce recueil, on formule le même vœu que pour d'autres : à quand la traduction littérale des psaumes et une mélodie adaptée ? Nous trouvons ici déjà d'excellentes « antiennes » et adaptations qui préparent les esprits à recevoir leur vraie nourriture. H.-N. BONNET, O. P. »

(n° 29, janvier 1952, p. 165)

 

Gloire au Seigneur, 2. Éd. du Seuil; cinquante-trois chants nouveaux pour l'année liturgique; 150 fr.

Après une préparation de plusieurs années le R. P. Geoffroy nous a livré la suite de sa collection de cantiques, Gloire au Seigneur. Le premier volume contenait quarante-quatre cantiques pour la messe et la journée chrétienne. Sa publication marquait une date dans le chant français. Prolongeant la même ligne ce deuxième recueil nous apporte cinquante-trois nouvelles pièces pour tous les temps liturgiques et les principales fêtes chrétiennes.

 

Il est d'abord significatif de voir des poètes comme Patrice de la Tour du Pin, Luc Estang, Jean Cayrol, Jean-Claude Renard, des musiciens comme Maurice Thiriet, Jean Langlais, Claude Arrieu signer les textes et les mélodies de ce volume et que de vrais artistes chrétiens apportent aujourd'hui leur contribution à la prière de l'Église.

 

Tous les textes et la majorité des mélodies sont originaux (quelques mélodies sont folkloriques ou classiques). L'ensemble est extrêmement soigné, et chaque pièce, dans le genre où elle se situe, mérite attention. (Le tirage prévu en fiches donnera lieu à des appréciations particulières.) Nous disons, dans son propre genre, car il importe d'éviter une équivoque. Le chant religieux en français peut avoir de nombreux emplois : cantiques de missions, cantiques de réunion paroissiale de prières (processionnaux ou chants de méditations), chants pour veillées d'allure religieuse ou même d'allure simplement fraternelle ; il peut, en outre, revêtir de nombreuses formes d'exécution, depuis l'assemblée du tout-venant jusqu'à la sélection chorale, depuis la grande foule jusqu'au petit groupe. C'est à cette gamme complexe que veut répondre la présente publication. Il ne faudrait pas attendre un recueil homogène de cinquante-trois chants utilisables en n'importe quelle paroisse et à toutes fins utiles, spécialement au culte. S'il y a, par exemple, des mélodies à refrains courts et du plus authentique style populaire (comme les litanies à la Vierge de Jean Langlais au n° 89) et des chants de forme responsoriale, normalement destinés à accompagner une fonction cultuelle (nos 93, 84, 76, etc.), on trouve aussi des chorals (nos 47, 5o, 90), et enfin une bonne proportion de pièces d'un style plus soutenu destinées, sinon à une chorale, au moins à un groupe habitué au chant et quelque peu exercé. De même, tandis que certains chants rejoignent l'hymne liturgique (n° 5o), d'autres ne relèvent que de la chanson spirituelle (n° 77) ou de la com- plainte religieuse (n° 69).

 

Si une critique doit être faite à cette collection, elle s'adressera à la disproportion entre les chants, trop peu nombreux, qui expriment d'abord le contenu « théologique» des mystères du Christ vécus au cours des temps liturgiques (l'admirabile commercium de Noël, le triomphe pascal de la vie sur la mort, etc.) dans le style objectif de la grande tradition euchologique chrétienne, et le nombre encore prépondérant où s'exprime la dévotion individuelle du chrétien devant un aspect subjectif des fêtes (deuil du vendredi saint, folklore de Noël, etc.). Le renouveau pastoral contemporain dont l'esprit est si heureusement biblique et liturgique en sera-t-il satisfait ? Peut-être pas pleinement. Mais au moins ne lui présente-t-on pas ici de fadaises ou de quincailleries. »

(n° 37, janvier 1954, p. 171)

 

Michel Brouta : Eucharistie (Les deux tables, n° 4). Le Chalet, Lyon, 1956.

« Ce fascicule présente une vingtaine de pièces « eucharistiques ». Elles ont une grande valeur doctrinale, grâce à « l'enracinement biblique et liturgique » des textes. Le lien mélodie-texte est très étudié. La tessiture des refrains est excellente. Les harmonisations n'offrent pas de grosses difficultés.

 

Il nous semble important de signaler que l'auteur a réussi à concilier la participation vocale de la foule avec le « supplément de solennité » apporté par une polyphonie qui met clairement le texte en relief. A la foule sont réservés les refrains et quelques couplets. La chorale est chargée de l'harmonisation, discrète et simple, pour que « la mélodie et les paroles des couplets se détachent nettement sur les voix d'accompagnement ».

 

L'ensemble est d'une qualité religieuse certaine et constante. »

(n° 52, octobre 1957, p. 165)

 

*

 

« C'est en lien étroit avec l'esprit et, surtout, le travail intellectuel de ces deux institutions que vont naître, symbolisés par trois recueils, les chants en français qui, par leurs qualités littéraires et musicales, seront prêts, lorsque Vatican II le rendra possible, à devenir le chant liturgique en français.

 

Le premier de ces recueils, qui sera aussi le premier d'une série, a pour titre : Gloire au Seigneur. Il paraît en 1946 sous la responsabilité du père Bernard Geoffroy, jésuite de Marseille. Le cardinal Saliège, archevêque de Toulouse, dans sa Préface au recueil, ne dit pas que ces chants sont liturgiques, mais qu'ils ont une « saveur liturgique » et qu'ils « pourront être utilisés sans distraire l'attention de l'Action liturgique ». Mais le père Geoffroy lui-même, dans un texte de présentation, dit que ces chants voudraient « répondre au besoin qu'éprouvent les chrétiens de s'unir plus étroitement à l'Action liturgique ». Les trois quarts des chants proposés suivent en effet de très près le déroulement de la messe.

 

Cinq ans plus tard, en 1951, paraît le premier recueil d'une autre série intitulée : Les Deux Tables, sous la responsabilité d'un musicien lyonnais, le Père Marthouret, qui écrit sous le nom de Jef. Le titre, à lui seul, dit bien à quel point la liturgie est en train de redécouvrir ses fondements, douze ans avant la Constitution sur la sainte liturgie de Vatican II et quatorze avant la Constitution dogmatique sur la Révélation divine qui officialisera, si l'on peut dire, ce concept théologique de l'Eucharistie comme « table de la Parole de Dieu et du Corps du Christ ». Ces nouveaux chants, dont plusieurs n'ont quitté ni les mémoires ni la pratique actuelle, comme l'indépassable hymne eucharistique La nuit qu'il fut livré (C 3), sont, en effet, répartis en chants pour « la table de la Parole » et chants pour « la table de l'Eucharistie ».

 

Le troisième recueil est certainement le plus saisissant et celui qui a le plus profondément marqué la conscience croyante des catholiques de France. Il s'agit de la parution, en 1953, de Vingt-quatre psaumes et un cantique du Père jésuite Joseph Gelineau. »

(n° 212, octobre 1997, p. 32-33)

 

« Mon histoire de poète pour la liturgie a commencé en 1945, quand le P. Bernard Geoffroy publia le recueil de chants Gloire au Seigneur. Il ne supportait plus le divorce établi entre le culte et la culture : comment pouvait-on dans un collège jésuite proposer aux enfants qui étudiaient Racine et Molière, La Fontaine et Verlaine, de chanter dans la liturgie les cantiques d’alors ? Il fut le premier à demander à des poètes et des musiciens de métier de rénover le répertoire. C'est ainsi que l'on a commencé à chanter dans les églises, pour ne citer que quelques noms, des textes de L. Estang, P. de La Tour du Pin, J.-C. Renard, J. Cayrol, avec des musiques de J. Langlais, Cl. Arrieu, C. Geoffray, L. Liébard, Dom Cl. Jacob, M. Thiriet. C'était un début. C'était prophétique. Peut-être prématuré ? Le Concile n'avait pas encore dit : « Dans la liturgie, Dieu parle à son peuple et le peuple répond à Dieu par ses chants et ses prières. » Il n'avait pas encore redonné son importance et sa gravité à la réponse du peuple faisant écho à son Dieu qui lui parle (et de quelle parole !) par la bouche de ces géants que sont des poètes comme David, Job, Isaïe, Osée, Jean ou l'auteur du Cantique des Cantiques. »

(Didier Rimaud, « La collaboration d'un poète avec des compositeurs pour la liturgie catholique contemporaine en langue française », n° 212, octobre 1997, p. 45-46)

 

Documentation rassemblée par Olivier Geoffroy

(octobre 2020)

 

 

Les deux artisans de ces collections

 

Le père Bernard Geoffroy

 

Le père Bernard Geoffroy était jésuite. Fondateur et directeur des « Petits Chanteurs de Provence », manécanterie du collège jésuite de Marseille, il a enregistré avec son choeur un certain nombre de disques pour les Studios S.M. et c'est lui qui a mis en contact Juliette Gréco et le jésuite Didier Rimaud (1922-2003) qui venait d'écrire les paroles de la chanson « Faudrait aller plus loin » que la chanteuse a interprété. Nommé surveillant au collège jésuite de Marseille peu après son ordination, Didier Rimaud avait été repéré par Bernard Geoffroy en 1949 pour son talent de poète et parolier. Le père Geoffroy, très cultivé, a écrit de nombreux chants liturgiques en français, souvent sur des mélodies traditionnelles.

 

Robert Jef-Marthouret (1924-1999)

 

Né en 1924 à Sainte-Foy-les-Lyon, Robert Marthouret est ordonné prêtre pour le diocèse de Lyon en 1951. Professeur au collège des Minimes de Lyon dont il était ancien élève puis vicaire à la paroisse Saint-Polycarpe (1952), il est nommé aumônier d'hôpital en 1955. Il avait commencé ses études musicales en étudiant le piano auprès de Louis Mathis, organiste de l'église de l'Immaculée-Conception de Lyon et professeur au collège des Minimes avant de les poursuivre au conservatoire de Lyon, dans la classe d'écriture (harmonie et contrepoint) de César Geoffray (1901-1972). Il obtient de son évêque l'autorisation de se perfectionner au conservatoire de Genève dont il sort diplômé (Enseignement de l'orgue, Prix du Concours Rochette d'improvisation et accessit de composition au Prix de la reine Marie-Josée). Très doué pour l'improvisation (ses anciens élèves de l'Institut de Musicologie de Lyon se rappellent de sa faculté à improviser de petites fugues à partir de sujets anodins), il suit les cours de Louis Robillard dans ce domaine. Il obtient l'agrégation d'éducation musicale en 1976 (l'année où le concours fut établi) et enseigne l'harmonie au clavier à l'Université de Lyon et Saint-Etienne. Il fut titulaire de l'orgue de Notre-Dame-de-Bonsecours (orgue Ruche, 3 claviers, 28 jeux, 1941) et de la chapelle de l'Hôtel-Dieu de Lyon (orgue Zeiger, trois claviers, 46 jeux, 1852). On lui doit de nombreux chants liturgiques de qualité sous le nom de « Robert Jef » ainsi que quelques pièces pour orgue (notamment des variations sur des cantiques). Il meurt le 24 avril 1999.

 

(Source principale : http://museedudiocesedelyon.com/MUSEEduDIOCESEdeLYONjef.htm)

 

(octobre 2020)

 

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