), apportent incontestablement à la connaissance de " Dom Bedos et l’esprit encyclopédique ".François de BEDOS de CELLES
(1709-1779)
organier, gnomoniste et horloger
Les passionnés de la construction des orgues au 18ème siècle connaissent le moine François de Bedos de Celles (1). Les facteurs d’orgues français, notamment, lui sont reconnaissants d’avoir fait paraître la " bible des facteurs d’orgues " qui dans la seconde partie du siècle consigne les études observées et les techniques employées pour réaliser le plus parfait des instruments durant les Règnes de LOUIS XIV et de LOUIS XV.
Dom Bedos de Celles est l’un des nombreux moines savants de cette période. Il est très tôt remarqué pour s’adonner lui-même à la pratique de ce métier singulier dans les abbayes où il séjourne et un jour, sans doute poussé par l’évolution de son temps et des volontés éditoriales de l’époque, il quitte en effet la varlope pour la plume.
Cette simple constatation a donné lieu en mai 2004, à Bordeaux, à la tenue d’une colloque initié par l’université Michel-de-Montaigne : " Dom François Bedos de Celles, mémorialiste universel de la facture d’orgue ". Les actes publiés trois ans plus tard, dans les Cahiers d’Artes (Atelier de Recherches Transdisciplinaire Esthétique et Sociétés, numéro 2
Mais il nous semble nécessaire d’ouvrir cette analyse et d’élargir ce savoir, car François de Bedos de Celles " …ne s’intéressait pas seulement à l’orgue! "
Le livret accompagnant le double CD consacré par l’organiste Marina Tchebourkina aux œuvres de Jean-Jacques Beauvarlet-Charpentier (Natives, CDNAT 08, 2007) nous en donne l’occasion. Cette approche nouvelle du cas dom Bedos est ici offerte à la lecture des internautes du site " Musica et Memoria "… et des renseignements supplémentaires y sont ajoutés.
*
* *
( coll. privée ) |
Dom Bedos traite aussi de la " gnomonique " et de la " grosse horlogerie " et on peut le retrouver dans cette citation de Voltaire : " le véritable esprit peut se plier à tout ; on ne vit qu’à demi quand on n’a qu’un seul goût ". Vers quel projet éditorial ce bénédictin de la congrégation de Saint-Maur nous entraîne-t-il ?
En 1745, dom Bedos est Secrétaire du chapitre de l’abbaye Sainte-Croix de Bordeaux appelé par son Prieur, dom Joseph Goudar. Né le 24 janvier 1709 à Caux, village de l’Hérault et baptisé le 28, il est fils de " noble Henri de Bedos et de Jeanne de Pradines ". Il reçoit la tonsure et les ordres mineurs entre 1720 et 1725 des mains de Louis-Charles des Alris de Roussat, évêque de Béziers (2) fait profession à Toulouse le 7 mai 1726, chez les bénédictins de La Daurade. Dom Louis Fabre, un camarade du village de Roujan situé à 5 kilomètres de Caux, s’est engagé dans la même voie deux mois auparavant et deviendra bibliothécaire du monastère de Bonne-Nouvelle à Orléans, fonction qu’il occupera pendant plus de quarante ans (3). Pour les besoins de notre histoire, il conservera deux lettres signées par dom Bedos. L’une, écrite le 23 février 1770 nous intéresse particulièrement, dom Bedos y cite le très célèbre horloger du Roy, Ferdinand Berthoud (1727-1807) et s’attache à ses travaux (4) :
" nous sommes encore convenus avec Mr. Berthoud que j’ajouterais la partie de la grosse horlogerie, dont j’ai fait une étude particulière. Je tâcherai pour ma partie de faire en sorte que ce livre soit plus utile qu’il ne l’a été cy devant ".
C’est bien de mathématiques que dom Bedos souhaite nous entretenir quand il publie en 1760 à Paris, chez Briasson, Despilly et Hardy : " La Gnomonique pratique, ou l’art de tracer les cadrans solaires avec la plus grande précision par les meilleures méthodes, mises à la portée de tout le monde, avec des observations sur la manière de régler les horloges " qu’il dédie à Messieurs de l’Académie Royale des Sciences de Bordeaux dont il est membre associé depuis le 3 avril 1759 :
" le droit que vous m’avez donné à votre protection en m’associant à vos travaux me fait espérer que vous recevrez avec bonté l’ouvrage que j’ai l’honneur de vous offrir comme une première marque de mon empressement à répondre à votre choix. Je me suis proposé de traiter la gnomonique d’une manière universellement utile, de dégager cette science d’une théorie abstraite et profonde, qui l’avait rendue inaccessible au commun des hommes. Ai-je rempli mon objet ? Le Public, qui dans ces matières se décide toujours d’après ce qu’il reconnaît pour ses Maîtres, ne peut Messieurs, que régler son jugement sur le vôtre. S’il m’est favorable, je devrai ce succès bien moins à mes faibles talents, qu’au désir le plus vif de mériter votre approbation et de vous exprimer, et le profond respect avec lequel je suis, Messieurs, Votre très humble et très obéissant Serviteur ". (5)
Dans cette première édition, il en sera fait de même dans les suivantes parues en 1774, 1780 et 1790, dom Bedos remercie Antoine Deparcieux, récemment nommé " censeur royal ". Celui-ci fait autorité dans la science des cadrans solaires, depuis son Traité de Gnomonique, dans lequel l’on enseigne à tracer les Cadrans Solaires, en employant les Calculs des deux Trigonométries, Rectiligne & Sphérique qu’il a publié en 1741. Viennent ensuite les noms de Jean-Paul Grandjean de Fouchy, membre de l’Académie royale des sciences de Paris, de Paul Larroque (1725-1792), géographe et membre associé de l’Académie de Bordeaux, car il faut bien un géographe pour parler de longitudes, latitudes et autres méridiennes. Deparcieux donne, à la fin de l’ouvrage, son " approbation " à la diffusion de l’ouvrage de dom Bedos.
Nous noterons que pour calculer la table de déclinaison du soleil, dom Bedos " suppose que le point de lumière a été marqué le 10 décembre 1758, à 4h ½ du soir ", ce qui nous renseigne sur le moment où il a établi ses relevés. A cette époque, nombre d’ecclésiastiques, de mathématiciens, d’architecte du Roi s’appliquent à régler les horloges suivant le cours du soleil et s’intéressent à la construction de cadrans solaires. Remarqué depuis 1641, cet engouement voire cette science fait appel à la connaissance de la physique et se développe dans les châteaux, les riches maisons bourgeoises, avec un attrait particulier pour les cadrans solaires si joliment décorés. Par ce traité de Gnomonique pratique, dom Bedos se fait connaître et entre dans l’histoire du monde éditorial qui prépare l’Encyclopédie et plus particulièrement L’Art du Facteur d’Orgues. Sur ce sujet, à Bordeaux, la réputation de dom Bedos est acquise par la livraison en 1748 d’un instrument gigantesque pour l’église abbatiale de Sainte-Croix qui est réalisé en collaboration avec les Austruy, les Labruyère, les Mauroumec, facteurs d’orgues. A cette date, n’existe aucun projet éditorial et le centre d’intérêt des travaux de l’Académie porte, ici, comme ailleurs, sur les progrès de la connaissance dans les matières de mathématiques et de physique. Pourtant, ces deux matières que forme " la gnomonique " et " l’orgue " finissent par se croiser et se rejoindre, très certainement grâce à la rencontre avec l’astronome Jean-Paul Grandjean de Fouchy qui présente bientôt le " moine facteur d’orgues " à son confrère académicien, le botaniste Henry Louis Duhamel du Monceau (1700-1782).
Cet agronome est un savant universel qui soutient toutes les disciplines de la recherche : géographie, chimie, physique, connaissance et description des techniques et des métiers. En son château de Denainvilliers, près de Pithiviers, Duhamel du Monceau consulte activement le monde savant. Depuis la mort de Réaumur survenue en 1757, il est chargé par l’Académie de concrétiser et parfaire l’édition d’une collection intitulée : Description des arts et métiers qui porte sur quatre vingt deux " Arts ". Cette belle et noble aventure, créée à la fin du XVIIème siècle à l’instigation de Colbert, avait été mise sur le devant de la scène, les Truchet, Jaugeaon … et surtout l’abbé Jean-Paul Bignon (1662-1743), neveu de Pontchartrain, grand commis et directeur de la Librairie. Celui-ci s’était lancé dans l’organisation du contrôle du monde de l’édition qui devait intéresser l’élite du royaume. Il se fixait pour but de réformer les académies en assurant leur promotion par son Journal des savants . Il est attesté que dès sa nomination en 1719, comme bibliothécaire du Roi, l’abbé Bignon constitue un véritable réseau comprenant des académies, des bénédictins, des jésuites missionnaires et des sociétés étrangères. La première partie de L’Art du Facteur d’Orgue, publiée en 1766 sous la houlette de l’hôte de Denainvilliers, procède donc de ces heureuses conjonctions.
Planche (intérieur d'un orgue de 16 pieds) extraite de L'Art du Facteur d'Orgue ( coll. privée ) |
En sa demeure du Loiret, Louis Duhamel du Monceau reçoit donc beaucoup et accueille plusieurs fois, à partir de 1760, le mauriste dom Bedos " qui y a sa chambre " et à qui " il aurait fait ménager une trappe s’ouvrant sur l’intérieur de la chapelle du château pour que le moine puisse assister au saint office " comme l’affirme l’actuel propriétaire de la demeure historique (6). Nous en trouvons la confirmation par un voyageur de passage à Denainvilliers en 1773. Pourquoi notre bénédictin serait-il empêché de descendre? Une infirmité passagère ou une trop grande charge de travail ? Nul ne peut le vérifier ; quoiqu’il en soit, Duhamel du Monceau charge dom Bedos de lui réaliser plusieurs cadrans solaires, utiles à ses observations botanico-météorologistes. Ces réalisations participeront à la seconde édition de la Gnomonique. Ainsi, deux cadrans dessinés à l’intérieur de la maison sont attribués au bénédictin, tandis qu’à l’extérieur, dans le parc sont réalisés deux autres cadrans horizontaux gravé dans la pierre, dont un signé " D. Bedos, 1774 ". L’emploi de cette matière et sa position sur le sol sont conformes aux indications figurant à son Traité :
" On peut employer pour tracer le cadran solaire, le marbre ou le grès, l’ardoise, la pierre, la brique, le cuivre, l’étain, le plomb, etc. " On peut imaginer les conversations entre les deux hommes !
Nous retrouvons des traces de l’activité de dom Bedos dans la Sarthe, où lui sont attribués, en 1777, d’autres cadrans solaires pour les abbayes de La Couture et de Saint-Vincent du Mans. De plus, le moine dom Jean Colomb (1668-1774) dans ses Mémoires de l’Abbaye de Saint-Vincent (7) précise :
" Dans ces deux clochers condamnés avec tant d’autres par les niveleurs, ont été suspendues les douze cloches que le célèbre dom Bedos y fit établir et qui honorèrent longtemps le monastère ".
Les bénédictins ont rasés les bâtiments gothiques et entrepris une reconstruction de l’abbaye de 1758 à 1775. A Solesmes, dom Bedos est remarqué pour la fabrication d’un gnomon sur les terres d’un paysan. Dans cette région, il est aussi sur les terres de la famille Cassini, dont plusieurs générations dirigent l’Observatoire de Paris, qui en avait vendu une partie en 1753 (8). Toujours dans la Sarthe, dom Bedos s’intéresse aussi à la " grosse horlogerie ". Paul Gelineau, horloger manceau et historien local, (9) dans sa recherche consacrée aux Horloges anciennes du Mans, 1933, situe l’activité de dom Bedos à l’abbaye de Saint-Vincent pour la " construction d’une harmonieuse sonnerie qui a été fondue sous sa direction ".
C’est encore au Mans, que nous apprenons, incidemment, que dom Bedos est appelé le 19 juin 1762 au chevet de l’horloge de la Cigogne et de Saint-Julien et encore " qu’il est en partance pour trois semaines à Saint-Denis en France où il doit faire sa résidence et qu’il serait chargé de savoir la résolution du bureau pour le rétablissement des horloges afin d’avoir le temps de faire les devis et les plans nécessaires pour l’exécution du projet si la ville veut suivre le même système qu’il a mis en pratique pour celle de Saint-Vincent, qu’est d’avoir une forge et une boutique, d’ageter les matières et louer des ouvriers, que c’est le seul moyen de n’être point trompé " […] - " Après avoir entendu ce rapport le conseil décida : qu’il est essentiel de profiter des offres obligeantes de dom Bedos et de son séjour en notre ville pour faire réparation des deux horloges selon le sistème dom Bedos, de le remercier de ses offres obligeantes, le prier de faire les plans et devis et marquer les grandeurs, grosseurs des matières et mettre les projets en état d’être exécutés en son absence entre les mains du sieur Bory, son élève ".
Mais pourquoi notre bénédictin qui est si heureux en province, songe t’il à gagner la capitale ? Sans doute pour se rapprocher de l’élite qui anime les Académies, mais comment y parvenir, sinon qu’en faisant reconnaître sa compétence dans les sciences exactes. L’homme des Calculs envisage une situation opportune depuis qu’il a démontré ses goûts qui vont dans le sens des travaux de l’Académie de Paris, la plus reconnue et la plus proche du Pouvoir. Ce sont Les Lumières. Il approchera directement les Grandjean de Fouchy, Duhamel du Monceau, Nollet, Dortous de Mairan et participera à leurs travaux.
Sur l’heure, Messieurs Nollet et de Mairan sont connus de dom Bedos pour être, comme lui, passés par l’Académie des Sciences de Bordeaux. Ils y ont laissé quelques travaux dans le domaine de la physique expérimentale et de la géométrie. Ainsi, à l’invitation (10) de Montesquieu (1689-1755), l’abbé Jean-Antoine Nollet (1700-1770) apporte en 1741 à la capitale provinciale cette nouveauté qu’est " la physique expérimentale " et peut-être, dom Bedos y suit-il ses cours qui, sont ouverts à tous, sans formalités aucunes ?
Le second est Jean-Jacques Dortous de Mairan (1678-1771), physicien et géomètre, qui produit des travaux pour cette Académie de Bordeaux. Toute sa vie durant il conserve des contacts étroits avec Montesquieu, jusqu’à sa mort en 1755. Dortous de Mairan est un Bitterois comme l’est aussi l’Evêque qui a reçu la profession de dom Bedos. Mais le point le plus important pour notre analyse nous vient de la lecture de sa nécrologie. Nous apprenons que Mairan pratiquait la Musique : " les arts de goût même entraient dans la composition de son mérite ; il était Musicien, et peut-être plus qu’aucun qui se sont occupés de cet objet. Il connaissait cette partie des Mathématiques à fond, depuis la structure de l’organe de l’ouïe jusqu’à la pratique et au savant usage du clavier " (11). Une autre preuve enfin s’établit lorsque Jean-Philippe Rameau présentant par deux fois devant l’Académie des Sciences, en 1737 et en 1749, son mémoire relatif aux fondements de son système de musique théorique et pratique, Génération harmonique, le jury approuve en ces termes :
" l’harmonie assujettie communément à des règles assez arbitraires ou suggérées par une expérience aveugle, est devenue par le travail de Monsieur Rameau, une science plus géométrique, et à laquelle les principes mathématiques s’appliquent avec utilité plus réelle, etc – après avoir acquis une grande réputation pour les ouvrages de Musique pratique, mérite encore d’obtenir par la Théorie de son Art, l’approbation et l’éloge des Philosophes ". Fait à Paris, le 10 décembre 1749, Dortous de Mairan, Nicole, d’Alembert. (12)
Vers 1763, au moment ou dom Bedos rejoint la capitale, les couvents de mauristes sont en effervescence partout dans le royaume, car les bénédictins de l’abbaye de Saint-Germain-des-Près ont présenté au roi une requête, pour être affranchis de leur règle et pour quitter l’habit monastique. Voltaire interprète l’actualité : " tous ces évènements peuvent être attribués aux progrès de la raison en France " mais se veut rassurant : " si le gouvernement avait jugé à propos de donner son agrément à la Requête des moines de Saint-Germain-des-Prés, je crois que, Dieu me pardonne, dans vingt ans d’ici il n’y aurait plus eu un moine en France " (13). Cette " requeste présentée au Roy ", autrement appelée " Mitigations ", est-elle du goût de notre bénédictin dom Bedos qui ne songe qu’à travailler ? Le rapport précise que vingt huit religieux ont signés le texte (14) et protestent au sujet d’un habillement singulier et avili aux yeux du public … mais reconnaissent que la congrégation de St Maur est : " consacrée à l’étude et aux recherches de l’antiquité ". Ces moines " modernistes " veulent bénéficier d’un habit qui leur laisse la liberté de se répandre dans le monde, et d’y jouir de tous les amusements qu’il ne croiront pas incompatibles avec la décence.
Tous les monastères sont consultés pour régler cette fronde et les noms des vingt-huit religieux protestataires sont diffusés dans tous les monastères. A Saint-Denis, où dom Bedos a retrouvé dom Joseph Goudar, son ancien Prieur de l’abbaye Sainte-Croix à Bordeaux, notre savant est au cœur de la mêlée. Son Prieur et ami est devenu Procureur général, ayant résidence à l’abbaye de Saint-Denis et surtout a la charge de comptabiliser les voix sorties de ce " referendum ". Dans cette abbaye qui compte seize moines, dom Bedos est favorable au maintien des lois qui régissent depuis cent trente ans la Congrégation de Saint-Maur. La requête est donc rejetée. Lisons le témoignage de Ferdinand-Albert Gautier, organiste des Religieux de Saint-Denis de 1763 à 1793 :
" L’entreprise de 28 religieux qui avaient dessein d’être sécularisés et de vivre comme des chanoines, désirant porter perruques ou laissant croître leurs cheveux, avaient désirés être indépendants. La demande fut rejetée par le Roi et n’eût pas d’effet. Elle fut signée par la plus grande partie des religieux " (15).
À peine sorti de cette tentative frondeuse, ou dom Bedos ne s’est pas compromis, il lui est proposé de faire son entrée à l’Académie Royale des Sciences de Paris, en qualité de " membre correspondant de Duhamel du Monceau " en application du règlement royal du 23 mars 1753 qui fixait les modalités de ce type de recrutement :
" On n’accordera la correspondance qu’à ceux dont l’établissement sera distant de Paris au moins de dix à douze lieues ".
Dom Bedos a entrepris la rédaction du premier tome de L’Art du Facteur d’Orgues et voici que l’Académie des Sciences souhaite lui confirmer sa confiance par la délibération de sa séance du 29 août 1767 où nous apprenons que sept places sont rendues vacantes du fait de l’absence de nouvelles de ces sept correspondants " libérant autant de places. A la séance du 25 novembre suivant, on indique que Messieurs de Thury (Cassini de Thury, dit Cassini III), Duhamel et l’abbé Nollet avaient été nommés pour prendre des informations nécessaires au sujet […] de dom Bedos de Celles, en ayant fait un rapport favorable, l’Académie a procédé suivant la forme ordinaire à […] élection ; et la pluralité des fois ayant été pour [l’]admettre. Ce que lui confirme le document " pour minute " de Defouchy (16) :
Agrément de Dom Bedos membre de l'Académie des Sciences, 25 novembre 1767 ( Archives de l'Académie des Sciences, Paris ) |
Jean-Paul Grandjean de Fouchy (1707-1788), secrétaire de l’Académie en remplacement de Jean-Jacques Dortous de Mairan depuis 1743, signe cette délibération. Dom Bedos qui est conforté dans sa position sociale reçoit la commande de L’Art du Facteur d’Orgues de Messieurs Duhamel du Monceau et Grandjean de Fouchy, lesquels préfacent l’édition de 1766 par cet avertissement :
Pour le bien traiter, il faut avoir des principes de Mathématiques, il faut être harmoniste, il faut connoître beaucoup d’Arts qui tous concourent à faire ce bel & grand instrument. […] heureusement tous les talents nécessaires se son trouvés réunis dans la personne de Dom Bedos, Religieux Bénédictin de la Congrégation de S. Maur ; & plus heureusement encore ce savant Religieux charmé de concourir à la perfection de l’entreprise de l’Académie, a sur le champ acquiescé à l’invitation que l’Académie lui a faite d’entreprendre la description de l’Art du Facteur d’Orgues " […] Notre célèbre Auteur a jugé à propos de diviser son Ouvrage en trois Parties qui paroîtront successivement ; elles mériteront d’autant plus l’attention du Public que nous n’avons aucun Ouvrage qui ait traité de la facture de l’Orgue. Deux autres tomes suivront en 1770, tandis que le quatrième ne paraîtra qu’en 1778.
Cette production éditoriale considérée jusqu’à ce jour comme le traité le plus important sur la facture d’orgue, situe dom Bedos dans sa quête de la perfection scientifique " à la française " et où il fait montre de sa sincérité, de sa méthode, de ses observations comme il l’a fait naguère pour la gnomonique. Il affirme ses goûts pour les mathématiques et ajoute à ce don sa vertu si solide, assistée d’habitudes laborieuses du moine-savant : Il n’y a point d’Art qui n’ait ses principes. Il n’est point d’Artiste qui ne doive connaître ceux de sa compétence. La facture de l’orgue a les siens, comme tous les autres Arts.
En scrutant davantage la biographie de ces " académiciens mécènes ", s’établit le lien entre " la gnomonique pratique " et " la facture d’orgue ". Si nous avions noté l’influence indirecte, mais plausible, du physicien et musicien Dortous de Mairan, celle qui émane de la part de l’astronome Jean-Paul Grandjean de Fouchy est plus authentique encore. Nous l’apprenons grâce à Marie-Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet (17), dans l’éloge du 14 novembre 1789 qu’il lit après le décès de l’académicien astronome : il aimait la musique et jouait de plusieurs instruments et que presque tous les dimanches, il touchait l’orgue dans quelque église de son voisinage.
Ce goût pour le clavier est parfaitement attesté grâce à deux actes notariés signés en 1744 et en 1788 : Grandjean de Fouchy possède dans sa maison parisienne : " un clavecin organisé à deux claviers ". Plus encore, nous apprenons que son père Philippe Grandjean de Fouchy (1665-1714) pratiquait l’orgue : […] après avoir embrassé l’état ecclésiastique à l’abbaye de Cluny en qualité de Page et ou il trouva le moyen d’apprendre à jouer de l’orgue – et le célèbre Le Bègue avec qui il fit connaissance à Paris osoit lui confier son clavier et le prioit quelquefois de tenir sa place à St Merry, " -lorsqu’il entra dans la vie civile, à la fin du XVIIIe siècle.
Plus important encore est le lien avec le monde éditorial, Philippe Grandjean de Fouchy se distingua très tôt dans les activités de l ‘imprimerie, activités que poursuivra son fils Jean-Paul en même temps que celui d’astronome. Philippe Grandjean de Fouchy fut employé à l’Imprimerie royale comme dessinateur et graveur, où le roi lui-même, reconnaissant ses talents, devait le charger de refaire un grand nombre de poinçons des grecs du roi détériorés et de graver un quatrième corps plus fort que ceux qui existaient déjà. " Le Grandjean " entrait dans l’Histoire ! Cette brillante ascension n’était pas non plus le fait du hasard … puisque le fameux abbé Bignon lui avait constitué par devant notaire, le 25 septembre 1703, une rente de cinq mille livres pour conforter son second mariage contracté le 2 janvier suivant avec Marie-Madeleine Hynault. Messire Jean-Paul Bignon, abbé de Saint Quentin en l’Isle, Conseiller et Maistre ordinaire y figurait en qualité de témoin (18).
Tel père, tel fils ! La Librairie est la Musique étaient présentes chez les Grandjean de Fouchy lesquels faisaient affaires avec les principaux libraires parisiens de l’époque. On ne s’étonnera donc guère de voir éditer chez les Briasson La Gnomonique pratique du bénédictin dom Bedos de Celles qui devait marquer les relations entre tous ces hommes. Toutes ces heureuses conjonctions révélaient notre savant mathématicien et physicien.
C’est au bitterois dom Jacques-Marie Carrière (1738-1811) - membre de l’Académie des Sciences de Bordeaux, élu en 1780, un des historiographes de la Guyenne, bibliothécaire de la ville de Bordeaux -, que reviendra le soin de dresser l’éloge (qui semble perdu) de dom Bedos, décédé à l’abbaye de Saint-Denis, le jeudi 25 novembre 1779.
Voici ce qu’en dit encore Ferdinand-Albert Gautier dans son " Recueil d’anecdotes et autres objets curieux relatifs à l’histoire de l’abbaye de Saint-Denis en France, pour faire suite à l’histoire de dom Félibien ". Notons qu’à la page n°43 de son manuscrit, celui-ci indique Bédos (avec un accent) et préconise de prononcer : " Bédoce ".
" Dom Bédos fut enterré le 26 dans le Cloître, côté du chapître. Dom Bédos était un homme de grand mérite, et très grand mérite, et qui fit l’honneur à l’abbaye de St.Denis, ainsi que quelques autres, tels qu’étaient dom Lancelot, dom Monniotte, dom Révy et autres savants distingués. Dom Monniotte demeurait à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés, il s’entretenait tous les dimanches pour se rendre à St.Denis pour professer dans ses Cours de la semaine, les différentes langues qu’il enseignoit. Dom Bédos étoit académicien de l’académie de Bordeaux, correspondant de celle de Paris. Il était gascon. Il fut connu d’abord par son traité de Gnomonique pratique, et chargé par l’académie des sciences de Paris de faire sur cette matière un traité complet dont on a senti la prix et l’utilité. […] " J’ai vu travailler dom Bédos pendant plusieurs années à un traité de l’art du facteur d’orgues avec des détails très circonstanciés, avec des planches et gravures très bien soignées pour l’intelligence nécessaire de l’ouvrage. Cet ouvrage est en trois parties, et se trouve dans toutes les bibliothèques publiques, et chez Moutard, imprimeur rue des Mathurins, hôtel de Cluny. […] Cet habile artiste excellait dans plusieurs genres. Il étoit d’un fini et d’un précieux très rares à rencontrer et dont on à peine à se faire une juste idée. Il a fait une pendule à Equations, laquelle fut admirée des plus célèbres horlogers, laquelle étoit de la plus grande justesse. Il étoit savant mathématicien. Il faisoit tous ses outils et instruments lui-même. Il n’auroit pas trouvé, selon lui, d’ouvriers assez adroits, n’y assez précieux pour les lui faire selon ses désirs. Il fit entr’autres choses un étui pour serrer des instruments de Mathématiques en galuchat qui surprenoit les plus fins connaisseurs dans l’art. Ce fut lui qui fit en 1765, un cadran solaire vertical adossé au mur de l’infirmerie de l’abbaye de St.Denis, du côté du jardin, qui subsiste encore aujourd’huy. Il en fit un autre horizontal placé au milieu du jardin près le canal, et qu’on consultoit avec confiance, ainsi que celui de l’infirmerie. Enfin, c’est un des hommes utiles à la Société, et qui joignoit à cela les qualités d’un bon religieux, doux, affable, obligeant et très laborieux, étant estimé des savants, et jouissant de la réputation la mieux acquise par la supériorité de ses talents, et dont il ne prévalut jamais ". […] " Un jour de St. Denis, je ne sais quelle année, j’ai entendu dom Bédos chanter à l’orgue de St. Denis le Credo, mais la grandeur du vaisseau empêcha qu’il ne fut bien entendu dans le chœur, ainsi que dans le reste de l’église ".
Loïc Métrope, 11 juin 2007
NOTES