Cette étude1 de M. Joachim Havard de la Montagne a été écrite en 1955, à l’époque où la musique religieuse participait activement à l’éclat de la liturgie et aidait à la prière en facilitant le recueillement. Depuis lors, après les réformes du Concile de Vatican II (1962-1965), trop souvent mal comprises et mal appliquées2, qui ont abouti à l’anéantissement d’un patrimoine musical séculaire, il n’est hélas plus l’heure de s’interroger sur l’opportunité de tel ou tel répertoire classique joué à l’Eglise par tel ou tel instrument traditionnel, mais plutôt de se demander si les cantiques insipides ou les chants bêtifiants, la plupart du temps interprétés par des non-musiciens en quête de reconnaissance, facilitent réellement la perception de la grandeur de l’Eglise et l’approche de la profondeur de la foi ! Néanmoins ce document a valeur de témoignage historique, car il permet de voir en quoi consistaient, il n’y pas encore si longtemps, les lois d’un véritable Art Musical à l’Eglise.
D.H.M.
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Excluons sous ce titre le "Roi des instruments" reconnu depuis longtemps instrument d'église, et pour lequel une littérature immense s'est développée dans le cadre de son rôle liturgique.
Parlons donc des autres instruments dans la musique d'église, des cordes, des bois et des cuivres.
I – UN PEU D'HISTOIREA - Des origines à la décadence
On peut remonter loin dans l'Histoire, bien avant l'avènement du Christ, et trouver déjà au temple toutes sortes d'instruments prenant part au service divin. Le psalmiste (Psaume 150) ne nous invite-t-il pas à louer Dieu dans ses sanctuaires au son de la trompette, du psaltérion, de la cithare, des cordes, de l'orgue et des cymbales joyeuses ? N'allons pas toutefois jusqu'à ajouter foi au témoignage de Josephus Flavius quand il nous parle de deux cent mille chanteurs, de quarante mille harpes, de quarante mille sistres3 et de deux cent mille trompettes qui s'y faisaient entendre les jours de grandes fêtes : l'impossibilité même du fait enlève toute valeur à ces chiffres impressionnants !
Mais passons les années pour aborder l'ère chrétienne : à l'origine du christianisme, tout instrument, cette fois, semble exclu des offices du culte : "Nous n'employons qu'un instrument, la parole d'amour et de paix, et non le vieux psaltérion, ni le tuba, la timbale, ni la flûte, aimés de ceux qui s'apprêtent a combattre"4. On peut supposer que, célébrant leurs offices dans les catacombes, les premiers chrétiens, de peur d'être découverts par leurs persécuteurs, étaient obligés de prier et chanter à mi-voix et donc, à plus forte raison, d'éviter les sons trop perçants des instruments.
Au Moyen-âge, à côté de l'orgue (dont l'usage dès cette époque semble prouvé sans que l'on puisse en déterminer l'emploi exact), il est certain que d'autres instruments intervenaient, apportant leur concours à l'exécution des pièces polyphoniques. André Pirro cite, pour le mariage de Marguerite d'York avec Charles le Téméraire, un ensemble de chalumeaux remplaçant les chantres avec le trombone (saqueboute) faisant fonction de ténor dans l'exécution d'un motet.5
Anges musiciens, fragment du rétable l'Agneau mystique (Saint-Bavon, Gand) peint par Van Eyck en 1432. L'ange du premier plan joue sur un orgue positif. |
Au XVIe siècle, au chœur vocal s'adjoint ou parfois se substitue un chœur de violes, de flûtes, de luths et de trompettes. C'est ainsi que l'on cite certains offices au cours desquels, au moment de l'Elévation, on entendit une fanfare de cinquante trompettes et de cent fifres. C'est l'époque des compositions de Gabrielli, tandis qu'en France Roland de Lassus fait paraître ses motets à cinq voix avec cet avertissement : "Aussi bien pour les voix humaines que pour les instruments de toute sorte" et que Claude Le Jeune, puis Du Caurroy, écrivent des fantaisies instrumentales à 3, 4, 5 ou 6 parties sur des thèmes liturgiques. La musique instrumentale prend ensuite un essor considérable dans tous les domaines. Les instruments eux-mêmes se sont perfectionnés et se perfectionnent sans cesse, tant l'orgue que les autres.
Au XVIIe siècle et au XVIIIe siècle, la Chapelle Royale donne l'exemple d'un ensemble instrumentale fort important participant à tous les offices aux côtés de l'orgue6. Presque toutes les compositions religieuses sont maintenant écrites avec accompagnement d'orgue (à part quelques très rares exceptions comme une messe de Campra et une autre de Lallouette) auquel s'adjoint bientôt une ou deux parties de violons ou de violes ; ces œuvres n'étaient en fait qu'une préparation aux grands motets de Dumont, Lully, Lalande, Campra, Bernier et d'autres encore qui font appel à des chœurs et des orchestres de plus en plus nombreux.
Certes, on peut supposer que ces formes nouvelles de la musique religieuse ont favorisé peu à peu l'influence, bientôt désastreuse, du théâtre sur l'église ! Mais c'est là une évolution qui s'est faite dans une mauvaise direction, car au XVIIe siècle et même au début du XVIIIe siècle, ce désir de faire entendre à l'église une musique grandiose et fastueuse quant au style et quant aux moyens employés pour l'interpréter, partait d'un excellent principe: Louis XIV, en effet, voyait grand dans la perfection des arts : le théâtre réunissait des masses chorales et instrumentales à des moyens scéniques et musicaux grandioses, les architectes, les peintres, les ingénieurs créaient et réalisaient partout dans le genre de beauté noble et majestueuse comme en font foi les constructions de Paris, le Palais et les jardins de Versailles, les forteresses aux portes monumentales. Aussi le monarque ne voyait-il pas sous un jour différent les choses de la religion ; il estimait qu'on ne pouvait pas rendre à Dieu de moindres hommages qu'a sa Majesté absolue.
Ce n'est donc pas ces masses chorales et surtout instrumentales que l'on peut critiquer que, plutôt, les déviations et l'éloignement de la liturgie qui furent provoqués. On verra plus loin que l'on peut concilier ces deux choses : liturgie et formes extérieures de la musique chorale et instrumentale. Quoiqu'il en soit, ces déviations s'accentuent de plus en plus en France comme à l'étranger.7
Sans parler de Bach et Haendel, qui n'étaient rattachés ni l'un ni l'autre au culte catholique, nous savons qu'en Allemagne ou en Italie d'importants ensembles instrumentaux avaient leur droit d'entrée courant dans les églises. Haydn et Mozart composent de la musique religieuse pour voix accompagnées de l'orchestre : là encore ce n'est pas tant ce choix qui les écarte des prescriptions de l'Eglise et de l'esprit chrétien, mais plutôt l'influence trop profonde de leurs contemporains qui ont perdu le sens de ce qui est digne par son sérieux de paraître à l'église. Comme nous pouvons regretter cette influence ! Connaissant le génie de ces deux musiciens (certaines de leurs œuvres religieuses portent le caractère de la plus haute perfection), ainsi que d'autres de la même époque, nous pouvons dire avec Raymond Schlecht : " Ils auraient pu créer et développer un style de musique d'église qui, égal en dignité et en caractère religieux au style palestrinien, l'aurait surpassé en richesse."
Haydn (1732-1809) écrit de nombreuses messes, offertoires, motets, Te Deum, etc., nécessitant un orchestre plus important encore que celui de Mozart, et dans ce style que l'on déplore. Certes il avouait un jour que, " lorsqu'il pensait à Dieu, son cœur gambadait de joie, et qu'alors sa musique gambadait aussi " ; c'est là une excuse pour lui composant sa musique religieuse, mais non pour nous la faisant exécuter à l'église. Mozart (1756-1791) écrivit de même un grand nombre d'œuvres vocales en musique religieuse ; il compose en outre (entre les années 1767 et 1780 sur la demande de l'archevêque de Salzbourg) quatorze Sonates pour orgue et divers instruments. Il ne nous appartient pas ici d'en écrire l'histoire ni d'en faire l'analyse; précisons seulement que ces sonates dites " d'église " ne peuvent nous rendre aucun service dans le cours de nos offices, et ceci uniquement à cause de leur style.
Nous passons rapidement sur les années suivantes durant lesquelles la musique instrumentale à l'église comme toute la musique d'inspiration religieuse devient de plus en plus profane et par surcroît perd le plus souvent toute qualité artistique. C'est le règne de Gossec (1734-1829), Lesueur (1763-1837), Cherubini (1760-1842), qui ne cherchent qu'a " faire frissonner les auditeurs ", mais non plus à faire prier ; c'est la mode des transcriptions d'airs ou de morceaux d'œuvres théâtrales sur lesquels on adapte tant bien que mal des paroles liturgiques, ou que l'on confie à l'orgue renforcé lui-même (le " pauvre " instrument n'y suffirait pas) par un ensemble d'instruments aussi imposant que varié. Devant un tel désordre, qui, entre autres dommages, desservait cruellement le rôle auquel aurait pu prétendre la musique instrumentale à l'église, de sévères réactions devaient se produire.
B - L’enseignement de l’Eglise au cours des siècles
Bien avant le Motu Proprio (22 novembre 1903) l'Eglise s'était prononcée sur l'opportunité d'introduire à l'église des instruments et sur leur rôle exact. Dès le XVIe siècle, le Concile de Trente, accomplissant une réforme générale de l'Eglise entre 1545 et 1563, pose les principes et les bases de l'art liturgique ; il attache le plus grand prix à l'audition des paroles liturgiques : les instruments sont admis pour soutenir les voix et faire ressortir davantage l'esprit des paroles.
Deux siècles plus tard, en 1749, Benoît XV publie dans sa Constitution plusieurs décrets a ce sujet : si on fait accompagner le chant par des instruments de musique, " il faut qu'ils servent uniquement a ajouter de la force au chant afin que le sens des paroles pénètre mieux dans le cœur de ceux qui écoutent "... II donne même des précisions quant au choix des instruments et conseille, " d'après l'avis des maîtres de chapelle distingués qu'il a consultés, dit-il, de n'employer dans les églises que l'orgue, le basson, le violoncelle, la viole, et le violon "...
Un siècle plus tard, le Cardinal Engelbert Sterckx, archevêque de Malines, publiait, en latin, une ordonnance au sujet de la musique d'église, puis dix ans plus tard la publiait à nouveau (en avril 1853) sous forme de décret, cette fois en français, en l'enrichissant d' "observations". D'autres précisions précieuses nous sont données (articles VII) : " Les symphonies qu'on exécute avec les seuls instruments et sans chant, si on en fait usage, doivent être graves et de nature à exciter la dévotion, et il faut qu'elles n'ennuient pas par leur longueur. " Le Cardinal ajoute l'"observation" suivante : " L'Eglise ne défend point d'exécuter pendant les offices divins des pièces d'orgue ou des morceaux d'ensemble au moyen d'autres instruments, pour remplir les intervalles où le chant cesse : mais elle exige avec raison que ces pièces soient graves et toujours de nature à exciter les fidèles au recueillement et à la prière..."
Enfin cinquante ans après paraissait le Motu Proprio. Les mêmes consignes s'y retrouvent avec cependant quelques restrictions, que légitiment les abus par trop violents des dernières années du XIXe siècle, (paragraphe VI) : " Bien que la musique propre de l'Eglise soit la musique purement vocale, il est néanmoins permis d'exécuter la musique avec accompagnement d'orgue. Dans les limites raisonnables et avec les convenances nécessaires on pourra admettre d'autres instruments avec une autorisation de l'Ordinaire... Il sera permis, alors, d'admettre un choix d'instruments à vent, limité, judicieux et proportionné à la grandeur de l'édifice, à condition que les compositions ou accompagnements qu'ils exécuteront soient écrits dans un style grave, convenable et en tout semblable à celui de l'orgue. "
Tous ces divers enseignements réitérés peu à peu ont porté leurs fruits8. C'est la réforme de la Musique Sacrée à laquelle contribuent particulièrement, en France, l'Ecole Niedermeyer, la Schola Cantorum et ses fondateurs, les Chanteurs de Saint-Gervais ; en Allemagne, la Société Cécilienne (dont le fondateur était Franz Witt), le Docteur Haberi ou encore Michael Haller ; en Italie, un Enrico Bossi (1861-1925) ou Mgr Perosi ; en Belgique, l'Ecole de Musique religieuse de Malines fondée par Lemmens à qui succède Edgar Tinel (1854-1912). L'affreux répertoire dont on a parlé plus haut est abandonné au profit d'œuvres nouvelles ou de la musique de la Renaissance. Les instruments compromis dans le mauvais goût des années passées, maintenant sans emploi, quittent la plupart des tribunes et maîtrises. Quand ils y demeurent c'est pour jouer des compositeurs encore insoumis aux règles de l'Eglise comme, par exemple, Gounod ou Théodore Dubois pour une partie seulement de leurs œuvres. On ne songe pas encore que l'on peut allier la pratique des instruments dans la musique religieuse à l'observance des lois de l'Eglise et au respect du culte divin.
On verra en conclusion que cette alliance est possible et comment on peut la réaliser.
II – CORDES, BOIS, CUIVRES
Si notre droit de faire intervenir les instruments dans la musique d'église n'est pas contestable, il est indispensable pourtant de porter toute notre attention sur le choix et de la musique qui leur est destinée (il n'est pas dans notre intention de dresser ici un catalogue) et de ces instruments mêmes qui conviennent plus particulièrement à l'église, au rôle sacré qui leur est confié, à leur union à l'orgue.
Au cours des siècles, l'opinion n'a jamais été unanime quant au choix plus ou moins opportun des instruments ou familles d'instruments. Si certains (au Concile de Milan tenu par saint Charles Borromée - 1538-1584) voulaient que l'on se borne absolument à l'orgue, d'autres n'exceptaient que les violons parce que, disaient-ils, " leurs sons aigus excitent plutôt la gaieté qu'ils n'inspirent ce profond respect et ce recueillement qu'exigent nos saints mystères ". D'autres encore voudraient que l'on se bornât aux instruments à vent. On a vu que le Pape Benoît XV, lui, conseille " l'orgue, le basson, le violoncelle, la viole et le violon et de bannir tous les autres instruments parce qu'ils rendent la musique trop théâtrale. "
Le Cardinal Sterckx, que nous avons cité plus haut, pense " qu'il est inutile de prescrire une règle générale sur le choix des instruments... Un bon maître de musique doit d'abord se procurer un nombre suffisant de voix, et choisir ensuite les instruments de manière à renforcer le chant sans le couvrir. " Et dans le Motu Proprio on lit le paragraphe suivant : " L'usage du piano est défendu à l'église ainsi que les instruments bruyants ou légers, comme le tambour, la grosse-caisse, les cymbales, les clochettes et autres semblables. " Ce sont donc les instruments dont l'usage est expressément défendu qui cette fois sont mentionnés; Pie X, par exemple, marque sa préférence pour les instruments à vent.
Nous n'entrerons pas ici dans des considérations matérielles (ce sont souvent des questions d'argent ou d'emplacement qui s'opposent à l'admission des instruments à l'église). Les ordonnances de l'Eglise, de même que le bon goût et la sobriété qui doivent être à la base de tout, en matière de musique sacrée, suggèrent quelques principes généraux :
1° - L'ensemble instrumental est préférable, sauf exception, au solo instrumental. On peut ici se référer à ce qui nous est dit dans le Motu Proprio au sujet du solo vocal : " La musique devra dans sa plus grands partie conserver le caractère de musique de chœur. Ce n'est pas que nous entendions complètement exclure le solo ; mais il ne doit jamais prédominer dans une fonction ; de plus il devra avoir un caractère de style et de forme mélodique simple et être étroitement relié au reste des compositions en forme de chœur. "
2° - Cet ensemble instrumental ne doit pas être trop important et ne pas devenir à proprement parler un orchestre qui déborderait sur les chœurs, alors qu'il ne doit que les accompagner discrètement. Cet ensemble sera, bien sûr, savamment dosé et bien composé.
Le QUATUOR à CORDES (à défaut du double quatuor), ou encore mieux, le QUINTETTE (la contre-basse "répondant" à la pédale de l'orgue), peuvent atteindre une grande intensité dans le recueillement (surtout en pianissimo).
Le HAUTBOIS et la FLUTE peuvent souligner admirablement une mélodie grégorienne dans une pièce purement instrumentale écrite sur un sujet liturgique sans prendre un caractère trop "lyrique" comme le ferait par exemple un violon.
Les TROMPETTES devraient être employées avec sobriété, tout comme les anches de l'orgue, encore qu'une trompette bouchée atteint une très grande douceur dans l'expression (Agnus Dei de la Messe Pax Christi de Joseph Noyon). Elles peuvent symboliser la joie chrétienne et l'allégresse de certaines fêtes.
Cérémonie de l'Immaculée Conception (8 décembre 1954) à l'église Sainte-Marie-des-Batignolles, Paris XVIIe. On remarque la présence d'instruments renforçant l'orgue, notamment dans la Messe solennelle de Léonce de Saint-Martin. ( Musique sacrée, n° 25, février 1955 ) |
Les CORS peuvent venir étoffer avantageusement cet ensemble ; employés aussi avec modération et sans dépasser le "mezzo forte", leur timbre velouté s'harmonise admirablement avec l'orgue. Ils suggèrent la grandeur du Mystère et la profondeur de la foi (les premières mesures du Notre Père pour chœur mixte de Joseph Noyon en sont à cet égard un bel exemple!). Et que dire de la conclusion pleine de sentiments profonds qu'apporte le cor soutenu par l'orgue dans le "Largo" du Concerto en mi pour orgue et orchestre de Marcel Dupré !
Les TROMBONES, par leur sonorité trop puissante et trop éclatante, nous paraissent moins souhaitables durant un office religieux. Reconnaissons au passage que, pourtant, se faisant entendre avec le tutti de l'orgue pour déclamer les larges phrases d'un choral, elles produisent un effet extraordinaire et inimitable. N'est-ce pas cette fois la puissance de Dieu qui est évoquée?9
De nouvelles expériences pourraient être tentées ; nous pensons tout particulièrement au saxophone dont la facture a accompli d'immenses progrès et qui a maintenant droit de cité dans des œuvres de grande valeur et désormais classiques. Ce n'est pas tant en soliste que l'essai mériterait d'être fait, mais en quatuor. Il faut avoir entendu des quatuors de saxophones (en particulier le Quatuor Mule) dans des œuvres originales ou des transcriptions, qui atteignent dans la puissance d'évocation une très grande intensité toute indiquée pour commenter certains textes liturgiques. Cela demanderait, n'en doutons pas, beaucoup d'habileté d'utiliser sans les confondre les diverses ressources de l'orgue et du quatuor de saxophones. Mais l'emploi encore trop récent et souvent exclusif qu'en a fait le jazz, en soliste, permet-il déjà semblable tentative?...10
Un mot encore au sujet de la HARPE. Son emploi à l'église pourrait être revendiqué au nom de sa "descendance" du luth ou de la cithare ! N'était-ce pas l'instrument de David ? En outre ses ressources toutes en opposition à celles de l'orgue offrent mille possibilités encore peu exploitées : ce sont là des préoccupations de compositeurs et d'instrumentistes ; mais sont-elles en accord avec la liturgie ? La sonorité trop ondoyante, trop chatoyante de la harpe paraît quelque peu en contradiction avec l'expression générale de la vraie musique religieuse toute faite d'intériorité et de profondeur. Ne contient-elle pas en-elle-même, dès qu'on la fait résonner, trop de suave poésie ?
Bien des instruments ont été évoqués ; un principe général doit encore être établi : on aura soin de ne jamais reléguer l'orgue à un moindre rôle que celui de l'ensemble instrumental ; cette remarque comporte plusieurs interprétations qui toutes ont leur importance :
- Au cours de l'office on pourra réserver certains chœurs accompagnés par l'orgue seul (ou même certains chœurs a cappella)11.
- Dans les pièces d'ensemble instrumental, on s'efforcera que l'orgue justifie son titre de "Roi des Instruments" ; que l'on ne laisse donc pas simplement un discret cor de nuit accompagner les instruments, mais, qu'au contraire, ce soit l'ensemble instrumental qui accompagne l'orgue. C'est chose possible, certains compositeurs l'ont prouvé. Nous exceptons de cette règle le répertoire ancien où l'orgue souvent réalise un continuo (qui d'ailleurs a son importance) mais qui par son caractère sobre et même religieux convient si bien à l'église.
Que l'on se souvienne donc que l'orgue a été formellement reconnu comme l'instrument d'église par excellence. Pie X le donna comme exemple, pour l'exécution de pièces d'ensemble instrumental et déjà Benoît XIV avait écrit dans son encyclique : " A la vérité, le son des orgues, même en dehors du chant, s'il est correctement traité, peut aider les fidèles à la prière... "12
POUR UN REPERTOIRE ET UNE CONCLUSION
L'histoire que nous avons retracée brièvement, l'enseignement de l'Eglise que nous avons rappelé, les principes établis quant au choix des instruments évoqués plus haut nous guideront dans notre répertoire selon les conclusions de cette étude.
La musique ancienne des XVIIe et XVIIIe siècles l'emporte et répond, en général, aux conditions requises : pureté de l'inspiration, sobriété des moyens employés (nous parlons surtout des mouvements lents).
Citons au hasard quelques noms. Parmi les maîtres italiens : Dario Castello qui, notamment, fit paraître de 1629 à 1644 des Sonates d'église pour orgue concertant avec accompagnement instrumental, Arcangello Corelli (1653-1713), Giovani Vitali (1632-1692), Tomasa Albinoni (1671-1751), dont le fameux Adagio pour cordes et orgue est devenu célèbre grâce à Jean Witold, Antonio Vivaldi (1678-1741), etc...
En Allemagne, citons : Scheidt (1587-1654), Buxtehude (ca 1637-1707)... Certaines ouvertures de Cantates de Bach sont écrites pour orgue concertant et cordes, mais en général dans un mouvement vif. On pourra extraire certains mouvements lents et, plus particulièrement recueillis, des Concertos d'orgue et orchestre de Haendel, mais il va sans dire que les Sonates d'églises de Mozart ne nous seront d'aucune utilité au cours de nos offices.
Les maîtres français nous offrent surtout de la musique de Noël : Marc-Antoine Charpentier (ca 1643-1704)avec ses Noëls pour les instruments , Delalande(1657-1726) avec ses Symphonies des Noëls , Blanchard (1696-1770) avec ses Concertos de Noël.
Dans le répertoire moderne, retenons les noms de Guilmant qui écrivit plusieurs Symphonies pour orgue et cordes (certaines sont des transcriptions de ses Sonates d'orgue), de Saint-Saëns, Dallier, Pierné, Büsser, Samazeuilh, de Lioncourt ; ceux-ci utilisent surtout un ou deux instruments solistes accompagnés par l'orgue à la différence de Joseph Noyon qui a écrit plusieurs pièces pour l'orgue et un ensemble instrumental comprenant en général les cordes et parfois aussi quelques instruments à vent.
En bref, on se rappellera que, dans ce domaine, plus encore que dans la musique vocale ou même la musique d'orgue, les règles que l'Eglise a prescrites ne pourraient être critiquées que si elles étaient inconciliables avec les lois de l'Art Musical. Ne confondons jamais la musique religieuse de concert (créée par le XVIIe siècle) avec le répertoire véritable de musique d'église. Et si l'on peut formuler un souhait, c'est celui de voir naître des œuvres développant des thèmes grégoriens en utilisant l'orgue uni aux divers instruments qui peuvent avoir accès à l'église. N'existe-t-il pas déjà, pour orgue-solo, un magnifique répertoire trouvant sa substance dans les thèmes liturgiques inauguré par Titelouze, puis enrichi après quelques années de décadence, par Tournemire, qui sera, cette fois, suivi par bien d'autres encore...
Alors le rôle et l'utilisation des instruments à l'église s'expliqueraient sans arrière-pensée, selon l'esprit de la prière et de la liturgie, et — la formule est de Michel Brenet, — pour " ne servir que l'Eglise dans l'église ".
1) Elle a été publiée précédemment en trois parties, en 1955, dans la revue Musique Sacrée - L'Organiste (numéros 28, 29 et 30) à laquelle M. Havard de la Montagne a longuement collaboré. [NDLR] [ Retour ]
2) L'esprit même de la Constitution Sacrosanctum Concilium (constitution sur la réforme liturgique), promulguée le 4 décembre 1963, a été bafoué dans maints diocèses, notamment en ce qui concerne ses articles 36, 54, 101 et 116 (usage de la langue latine), 112 (" dignité de la musique sacrée "), 114 (conservation du " trésor de la musique sacrée "), 120 (usage de l'orgue et des autres instruments) et 121 dont il n'est pas inutile ici d'en rappeler le contenu exact : " Les musiciens, imprégnés d'esprit chrétien, comprendront qu'ils ont été appelés à cultiver la musique sacrée et à accroître son trésor. Ils composeront les mélodies qui présentent les marques de la véritable musique sacrée et qui puissent être chantées non seulement par les grandes Scholae cantorum, mais qui conviennent aussi aux petites et favorisent la participation active de toute l'assemblée des fidèles. Les textes destinés au chant sacré seront conformes à la doctrine catholique et même seront tirés de préférence des Saintes Ecritures et des sources liturgiques. " [NDLR] [ Retour ]
3) Ancienne sorte de luth. [ Retour ]
4) Clément d'Alexandrie, IIIe siècle. [ Retour ]
5) Gilles Binchois (mort en 1460) utilise déjà les instruments : dans plusieurs passages du Gloria ou du Credo, deux voix sont unies à un ténor instrumental. De même, Guillaume Dufay (vers 1400-1474) laisse dans l'Et in terra pax d'une messe deux longs passages sans texte qui, selon Th. Gérold, seraient destinés aux instruments ; dans d'autres compositions du même auteur, on peut voir une indication d'instruments ou encore une énumération d'instruments notée pour l'église dans certains documents littéraires de l'époque. On ignore toutefois de quelle façon ces indications étaient mises en pratique. [ Retour ]
6) D'après des manuscrits originaux du XVIe siècle, on connaît le service et le nombre des membres de la Chapelle Royale vers 1578 : la prépondérance est encore aux voix (environ 30 choristes, l flûte et l cornet). En 1692, la symphonie est déjà admise à la Chapelle, elle se compose de 4 dessus de violon, 3 hautes-contre, taille ou quinte (" accompagnement "), 2 basses de violon, l grosse basse de violon ou théorbe, 2 flûtes allemandes, 2 bassons, l basse de cromorne et l'orgue accompagnant les 70 choristes. En 1712, les violons sont plus nombreux encore et 3 hautbois viennent s'ajouter à l'ensemble : les chœurs s'augmentent de près de vingt membres. C'est l'époque de Michel-Richard de La Lande. En 1773, la musique de la Cour et de la Chapelle ne font plus qu'une. L'effectif au complet ne peut être utilisé qu'à Versailles (car à Fontainebleau ou à Compiègne, le manque de place n'autorise qu'un ensemble très restreint de chanteurs et d'instruments), il est alors étoffé de clarinettes, cors, trompettes et timbales ; il comporte au total 50 instruments et 54 choristes. Une étude très documentée de Constant Pierre parue en 1899 apporte sur le sujet une multitude de détails fort intéressants avec des plans de la tribune de la chapelle de Versailles indiquant l'emplacement exact de chaque instrument et chaque chanteur. [ Retour ]
7) II convient de préciser que, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, la musique d'église était en France beaucoup plus religieuse ou en tout cas moins voluptueuse qu'en Allemagne ou en Italie où justement le goût de l'opéra italien exerçait ses ravages jusqu'au temple. [ Retour ]
8) Ajoutons que, à Rome, où les effets de cette restauration était plus longue à se manifester, le Cardinal-Vicaire publiait en 1912 un " Règlement sur la Musique Sacrée à Rome " rappelant aux Romains divers enseignements du Motu Proprio. [ Retour ]
9) II nous semble inutile de mentionner le serpent et l'ophicléide qui, pourtant, furent hélas ! pendant longtemps en place d'honneur dans de nombreuses églises. Ce sont des instruments de mauvais goût, d'une justesse des plus douteuses, d'une sonorité rude et grossière, qui ne peuvent même pas être classés parmi les instruments de musique. [ Retour ]
10) Citons à ce propos Trois Mélodies grégoriennes pour saxophone et orgue : Clemens rector, Puer natus, Pascha nostrum, de Guy de Lioncourt. [ Retour ]
11) A ce propos, rappelons-nous l'anecdote que rapporte Amédée Gastoué et qui se passa lors d'un voyage, dans le Midi, des Chanteurs de Saint-Gervais. Ceux-ci commençaient seulement à répandre les motets a cappella des Maîtres de la Renaissance : l'un des auditeurs était stupéfié que l'on put chanter sans accompagnement et il goûtait la beauté de cette musique, mais, ajouta-t-il, " cela aurait été bien plus religieux s'il y avait eu un harmonium "... [ Retour ]
12) Jean XXIII et Paul VI ont également confirmé à leur tour en 1963 que " on estimera hautement, dans l'Eglise latine, l'orgue à tuyaux comme l'instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l'Eglise et élever puissamment les âmes vers Dieu et le ciel. " dans la Constitution Sacrosanctum Concilium promulguée au cours du Concile de Vatican II. [NDLR] [ Retour ]