L'introduction d'autres instruments que l'orgue
dans la liturgie actuelle (en France)


 

 

 

L'orgue est traditionnellement l'instrument principal et privilégié par l'Eglise pour la liturgie. Les autres instruments ne sont admis dans le culte que d'une manière dérogatoire et sous certaines conditions.  Ils peuvent légitimement intervenir lors de veillées de prière, soirées à thématique religieuse. Mais il en va de la liturgie comme dans d'autres domaines : l'exception finit par devenir la norme et la norme l'exception et l'on constate que dans de nombreuses paroisses, flûte, violon, guitare, percussions ont pris une place affirmée en complément voire en remplacement de l'orgue. Il ne sera pas question ici des orgues ou claviers électroniques ni des accompagnements pré-enregistrés de chants que la technologie rend possible mais des instruments joués par des personnes « physiques » au cours des célébrations.

 

Voici, tout d'abord, ce que précisent les textes du Magistère au sujet de l'emploi des instruments autres que l'orgue :

 

1 - Instruction sur la musique sacrée et la sainte liturgie, 1958 :

 

68. Dans les actions liturgiques, surtout aux jours les plus solennels, d'autres instruments de musique - et tout d'abord les instruments à cordes et à archet - peuvent aussi être employés avec l'orgue ou sans lui, dans un ensemble musical ou pour accompagner le chant, mais en observant strictement les lois qui découlent des principes proposés ci-dessus (n° 60), et qui sont :

a) Qu'il s'agisse d'instruments de musique qui puissent vraiment convenir à l'usage sacré.

b) Que le son de ces instruments retentisse de telle façon et avec une telle gravité, comme une sorte de chasteté religieuse, qu'on évite tout éclat de musique profane et que la piété des fidèles soit favorisée.

c) Que le maître du concert, l'organiste et les artistes connaissent bien l'usage des instruments et les lois de la musique sacrée.

 

70. Les instruments de musique qui, selon le jugement et la pratique générale, ne conviennent qu'à la musique profane seront totalement écartés de toute action liturgique et des pieux exercices. »

 

2 - Instruction « Musicam sacram », 1967 :

 

62. Les instruments de musique peuvent avoir une grande utilité dans les célébrations sacrées, soit qu'ils accompagnent le chant, soit qu'ils jouent seuls. "On estimera hautement, dans l'Église latine, l'orgue à tuyaux comme l'instrument traditionnel dont le son peut ajouter un éclat admirable aux cérémonies de l'Église et élever puissamment les âmes vers Dieu et le ciel. "Quant aux autres instruments, selon le jugement et le consentement de l'autorité territoriale compétente, il est permis de les admettre dans le culte divin, selon qu'ils sont ou peuvent devenir adaptés à un usage sacré, qu'ils s'accordent à la dignité du temple et qu'ils favorisent véritablement l'édification des fidèles." [43]

[43] Constitution sur la liturgie, art. 120.

 

63. Pour admettre des instruments et pour s'en servir, on tiendra compte du génie et des coutumes de chaque peuple. Les instruments qui, d'après le sens commun et l'usage courant, ne conviennent qu'à la musique profane seront exclus de toute action liturgique ainsi que des pia et sacra exercitia [44].

Tout instrument admis dans le culte sera employé de telle manière qu'il réponde aux exigences de l'action liturgique, qu'il serve à la beauté du culte et à l'édification des fidèles.

[44] Cf. Instruction de la S. C. R., 3 sept. 1958, n. 70.

 

64. L'emploi d'instruments dans l'accompagnement des chants peut être bon pour soutenir les voix ; il pourra rendre plus aisée la participation et plus profonde l'unité d'une assemblée. Mais le son des instruments ne devra jamais couvrir les voix ni rendre le texte difficile à comprendre. Tout instrument doit se taire lorsque le prêtre ou un ministre prononce à haute voix un texte relevant de sa fonction propre.

 

65. Dans les messes chantées ou lues, on peut utiliser l'orgue, ou quelque autre instrument légitimement admis, pour accompagner le chant de la chorale et du peuple. On peut en jouer en solo avant l'arrivée du prêtre à l'autel, à l'offertoire, pendant la communion et à la fin de la messe. On peut appliquer la même règle, en l'adaptant correctement, dans les autres actions sacrées.

 

66. Le jeu en solo de ces instruments n'est pas autorisé durant le temps de l'Avent et du Carême, pendant le triduum sacré et dans les offices ou messes des défunts.

 

67. Il est tout à fait souhaitable que les organistes et autres instrumentistes ne soient pas seulement experts dans le jeu de l'instrument qui leur est confié ; mais ils doivent connaître et pénétrer intimement l'esprit de la liturgie pour qu'en exerçant leur fonction, même dans l'improvisation, ils enrichissent la célébration selon la vraie nature de chacun de ses éléments, et favorisent la participation des fidèles.

 

Dans son livre Concile et chant nouveau (Levain, Paris, 1968), le père Lucien Deiss écrivait :

 

« Il n'y a pas d'instruments religieux et d'instruments profanes. […] Une guitare n'est pas moins pieuse qu'un violon ». (p. 265)

 

« Entre une affirmation principielle formulée pacifiquement dans la sérénité d'un document officiel et les réalisations pratiques parfois désirées passionnément, parfois rejetées avec non moins de violence, il peut y avoir un monde. La position traditionnalisante est aussi fausse que la position modernisante. Là on caressait des cadavres. Ici on les livre au four crématoire. Dans les deux cas, on sacrifie la communauté. » (p. 269)

 

La diffusion de la « culture musicale populaire » par les médias n'est pas étrangère à ce changement de paradigme :

 

« Si le peuple a toujours connu une pratique de chant et d'instruments variés, la musique cultivée, autrefois réservée aux classes privilégiées, occupe aujourd'hui une place dans la vie de tous nos contemporains. Pour beaucoup de fidèles, la liturgie fut pendant longtemps le principal lieu où ils entendaient la musique. Aujourd'hui il y en a partout. Longtemps aussi la musique d'Eglise était « incomparable ». Aujourd'hui, elle est devenue comparable et la comparaison lui est défavorable car elle n'a pas les moyens de tenir sa place face aux exécutions de musique classique ou de variété.

 

Ce véritable déluge musical n'est pas sans répercussion sur la musique liturgique. La plus grande place est donnée à la musique de variété et à la chanson. Cela constitue l'univers musical de la majorité de nos contemporains. » (La Maison-Dieu, n° 128, Paris, Le Cerf, octobre 1976, p. 157)

 

L'introduction dans la liturgie de musiques « rythmées », de type jazz, dans les années 1960-70, puis de plus en plus proches des musiques pop ou de variétés, notamment par l'action de communautés charismatiques, a entraîné un désintérêt pour l'orgue au profit d'orchestres composés de différents instruments (dont généralement, au moins un instrument polyphonique, comme la guitare).

 

Cette tendance à laisser l'orgue de côté se retrouve même dans de nombreux monastères :

 

« Le second phénomène réside dans l'emploi d'instruments autres que l’orgue : cithare, guitare, percussions légères. L'avantage de ces instruments est de créer une ambiance harmonique ou de souligner le rythme sans contraindre la voix (comme le fait l'orgue) par des sons tenus. L'instrument devient structurant du geste psalmodique. » (La Maison-Dieu, n° 145, Paris, Le Cerf, janvier 1981, p. 57)

 

Tout en accordant une place généreuse à l'orgue (c'est bien le moins qu'on pouvait attendre de la part d'un organiste), de nombreux chants liturgiques ou d'Ordinaire composés par Jacques Berthier comportent des parties dévolues à d'autres instruments.

 

Sur le plan pratique, comment organiser le rôle de ces instrumentistes dans la liturgie ? Sur ce site, un article (http://www.musimem.com/chants_liturgiques_qualite.htm) indique que la répartition des interventions doit se faire de façon logique entre l'orgue qui joue ou accompagne seul et les autres instruments qui interviennent séparément dans l'accompagnement de certains chants plus rythmés (ou méditatifs, si la flûte ou le violon jouent). En effet, pour des raisons acoustiques, d'accord et d'effets sonores, il semble exclu de mélanger l'orgue aux autres instruments (sauf pour des morceaux « classiques » au cours desquels l'orgue accompagnera un violon, une clarinette, un hautbois, une trompette ou une flûte solistes).

 

Si les organistes ont l'habitude de trouver et varier les harmonies, d'introduire, d'improviser interludes et postludes, de transposer la hauteur d'un chant, d'aider à rétablir un tempo défaillant, de soutenir un chantre, de redynamiser un chant et ont la possibilité de varier les timbres et les nuances, bien souvent, les compétences des autres instrumentistes sont moins larges.

 

Dans ce cas, il peut sembler utile de donner quelques conseils à ces musiciens, afin de les aider à assurer au mieux leur fonction d'accompagnateurs :

 

 

Avant la célébration

 

1 - Travailler sérieusement le programme de chants à accompagner, chez soi puis en groupe, au cours de la semaine ou avant la célébration (mais dans un local séparé de l'église ; les fidèles qui arrivent en avance pour se recueillir n'ont pas à être incommodés par une répétition confuse et bruyante de dernière minute dans l'église). Veiller à ce que l'ambitus des chants, sur les partitions, corresponde aux possibilités vocales d'une assemblée composée de personnes de sexes et d'âges variés (en général, la note la plus grave ne doit pas descendre en dessous du la grave en clé de sol – deux lignes supplémentaires sous la portée – et la note la plus aiguë ne doit pas excéder le ré de la quatrième ligne en clé de sol) : au besoin réécrire les transpositions nécessaires. Penser aux introductions de chants (qui n'est pas constituée des deux premières notes mais doit installer le tempo et la tonalité ; souvent le fait de jouer la première et la dernière phrases musicales enchaînées forme une bonne introduction, laquelle doit se terminer par une cadence – parfaite ou éventuellement une demi cadence -).

 

2 - Distribuer les différentes parties aux instruments. Il n'est pas utile (et même contre-productif) de doubler la mélodie des chants à plusieurs instruments, en dehors de l'introduction, éventuellement. Pendant l'accompagnement, il est préférable de soutenir les harmonies car la doublure mélodique a tendance à faire ralentir les chanteurs et à les gêner dans leur respiration. Si les instruments jouent les parties vocales d'une harmonisation, ils veilleront à lier les notes répétées. Savoir quelle note supprimer et quelle note conserver impérativement dans une polyphonie demande des compétences en écriture musicale et ne relève pas de l'improvisation ni de l'à peu près.

 

3 - Choisir une place appropriée pour les musiciens. Un endroit discret d'où ils pourront facilement suivre la direction des chants, voir le choeur et faire entendre leur accompagnement de façon homogène par l'assemblée. Mais, dans la mesure où ce qui se passe à l'autel est la seule chose importante lors d'une messe, ils se souviendront du fait que leur fonction est un service et qu'ils ne sont pas là pour monopoliser l'attention des fidèles, les divertir ni se faire voir.

 

4 - Accorder les instruments entre eux.

 

5 - Evaluer la pertinence de la sonorisation des instruments, en fonction de l'acoustique et de la surface de l'édifice à remplir. Ce n'est pas toujours une bonne idée, les instruments de prise de son étant généralement prévus pour la voix (et ne jamais sonoriser une batterie !). Attention au risque de larsen. Tester le volume et le résultat sonore à différents endroits de l'église, afin de ne pas surexposer certains fidèles en gênant le chant ni en en obligeant certains à tendre l'oreille.

 

 

Pendant la célébration

 

1 - Chacun remplit sa fonction et tient sa place au sein du groupe de musiciens.

 

2 - Jouer les introductions au tempo exact du chant.

 

3 - Suivre la direction du chant par l'animateur, le chantre ou/et les indications du « chef » s'il y en a un. Attention, pour les chants d'ouverture, d'offertoire ou de communion, il est parfois nécessaire de supprimer un couplet par rapport au programme ou à ce qui figure sur la feuille de chants. Il convient donc d'être attentif à la communication non verbale de l'animateur.

 

4 - En cas de décalage ou d'erreur de la part d'un instrumentiste (ce qui arrive même aux musiciens confirmés), ne pas s'entêter, interrompre sa partie et attendre le refrain ou le couplet suivant pour rejoindre les autres musiciens.

 

 

Après la célébration

 

Se réunir de façon informelle pour faire un bilan, identifier les problèmes qui sont survenus, réfléchir à des solutions, programmer la répétition suivante pour une célébration à venir.

 

Olivier Geoffroy

(août 2020)

 

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