Dom Georges Mercure (1905-1993)
Grégorianiste, organiste, chef de chœur et compositeur
Dom Mercure, à l'orgue de Fontainebleau
(Photo X..., coll. Martial Morin) DR.
Ce moine bénédictin canadien a connu la liturgie de l'Eglise ante et post conciliaire et a su mettre en harmonie son amour du grégorien, son talent de musicien et le service de la liturgie en langue française.
Georges Mercure naît le 19 juin 1905 à Drummondville (Québec). Il effectue ses études secondaires au collège Sainte-Marie de Montréal puis entre en tant que novice au monastère de Saint-Benoît-du-Lac (Québec). Son supérieur l'envoie en France à l'Abbaye de Saint-Wandrille en Haute-Normandie afin de lui donner une solide formation philosophique et théologique.
Il avait appris le piano dans son enfance auprès d'un maître belge émigré au Canada puis l'orgue avec Arthur Letondal (1869-1956) et Hervé Cloutier, organiste malvoyant, ancien élève de Gigout. Durant son séjour en France, dom Georges parfait sa connaissance du chant grégorien à l'abbaye de Solesmes et sa formation en écriture à la Schola Cantorum de Paris.
Dom Mercure et Nadia Boulanger
(Photo X..., coll. Martial Morin) DR.
Dans les années 1950, il retourne à Paris pour prendre des leçons de contrepoint avec Nadia Boulanger (1887-1979).
A son retour au Canada en 1933, il est nommé maître de choeur de son abbaye avant d'en devenir prieur en 1944. Il y fait œuvre de pédagogue au service d'une meilleure interprétation du chant grégorien et nombreux sont les musiciens qui lui doivent une partie de leur formation.
Il prend sa retraite en 1978 et meurt à Montréal le 24 août 1993.
Son œuvre de compositeur est impressionnante. En effet, à partir de 1967, il a écrit pour la liturgie en français les offices de l'année liturgique composés à partir des traductions du propre grégorien. Leur publication par les moniales bénédictines du Précieux-Sang du Mont-Laurier s'est étalée sur plusieurs décennies.
« Dans la veine néo-grégorienne, l'immense œuvre menée avec détermination et autorité par le bénédictin dom Georges Mercure est bien connue. Avec l'aide des moniales du Monastère du Précieux-Sang du Mont-Laurier, dom Mercure a créé un répertoire complet répondant à tous les besoins de la liturgie. »
(Paul Cadrin et Gilles Routhier, La liturgie en quête de sa musique, Mediaspaul, 2007, p. 120-121)
Avec les frères de son abbaye, il a enregistré plusieurs disques consacrés au chant grégorien ; notamment dans un but pédagogique et bien accueillis par la critique :
« A la veille de la Grande Guerre, la Congrégation bénédictine de France fondait au Canada, dans la province de Québec, un monastère qui, situé sur les bords du « lac aux Eaux claires », tel est le nom même du lieu, -prit le titre évocateur de Saint-Benoît-du-Lac. Il fut élevé récemment au rang de prieuré conventuel, et entre-temps son sous-prieur, qui cumule les fonctions de maître de chœur, le R. P. Dom Georges Mercure, était venu passer de longues années à Solesmes ainsi, le jeune monastère, fondation française, hériterait-il du plus pur esprit bénédictin et du plus authentique chant grégorien. Plus encore que Solesmes, Saint-Benoît-du-Lac était malaisé d'accès, et l'on savait pourtant là-bas, au Canada, que le chœur des moines, quoique peu nombreux, était admirablement formé et digne de servir de modèle. De beaucoup de lieux, on demanda au R. P. Dom Mercure de faire sortir de son monastère l'enseignement qu'il donnait à ses frères. Ce fut l'origine de ces disques.
Ils sont, comme ceux de Solesmes, au nombre de douze, répartis en deux albums de six. En réalité, tout le second album et le dernier disque du premier sont ce que le prospectus appelle des « disque d'exécution », de très bons spécimens de pièces usuelles données d'après les principes énoncés dans les disques précédents. Ce sont ces cinq-là, les cinq premiers de la collection, qui en constituent toute l'originalité et, à notre sens, tout le prix.
Arriver à condenser dans cinq disques à double face, c'est-à-dire en une trentaine de minutes d'audition, un cours pratique et très suffisamment complet de chant grégorien, cela peut paraître une vaine chimère c'est pourtant ce qui a été réalisé, et fort bien. Nous ajouterons même, et nous allons l'expliquer réalisé de façon très originale. C'est à de véritables leçons de chant grégorien données par Dom Mercure à sa communauté que nous sommes invités à assister. En cinq leçons de quelques minutes chacune, tout est condensé, tout est dit. Si vous les possédez à fond, – et pour y parvenir, rien n'est plus facile que de vous les faire répéter dix fois de suite, - vous avez tous les principes nécessaires pour exécuter convenablement une mélodie grégorienne. Voici par exemple le premier disque.
Le chœur des moines ouvre le graduel à l'Introït Statuit du commun des Confesseurs Pontifes. Vous en ferez autant si vous voulez profiter de la leçon. Les moines commencent à chanter, et là est la trouvaille à dessein, ils accumulent les fautes qu'un musicien encore malhabile en ce genre de chant sera porté à commettre. Ici, les voyelles manqueront de couleur ou d'énergie là, le mouvement sera trop lent ou trop précipité là encore, il y aura manque de justesse ou port de voix. Le maître de chœur arrête à chaque fois ses chanteurs et leur fait remarquer la faute. « Vous précipitez, leur dit-il. Accélérer n'est pas précipiter. » « Vous traînez maintenant ralentir n'est pas traîner. » « Faites attention à cette finale qui n'est pas assez déposée. » Et il chante lui-même. « Voici, dit-il, ce que je désire. »
Ainsi, toute une série de conseils portant sur les cas les plus usuels. On l'entrevoit, ce seul disque bien assimilé par une schola grégorienne suffirait à supprimer une foule d'imperfections, de bavures, dont l'ensemble dénature ce chant délicat entre tous. Un second disque a trait exclusivement au solfège. On sait que le chant grégorien peut être écrit en cinq clefs différentes. Il importe grandement et ce n'est pas une des moindres difficultés de savoir lire aisément, quelle que soit la clef. Le disque comporte donc cinq piécettes écrites chacune dans une de ces clefs et que les moines solfient à titre de modèle. Vous êtes prié de les suivre dans votre livre et de les répéter après eux phrase à phrase.
Vient ensuite la grande question du rythme, dont l'importance dans l'exécution même du chant grégorien est capitale. C'est vraiment un tour de force d'avoir su, en un disque et demi, exposer la théorie, et aussi la pratique, du rythme d'une part, le rythme élémentaire avec ses éléments essentiels l'arsis qui est élan de la voix, et la thesis qui est repos d'autre part, ce qu'on nomme le grand rythme, c'est-à-dire le fusionnement de plusieurs rythmes élémentaires en un seul, comme plusieurs mesures forment une phrase musicale.
J'avoue n'avoir jamais rencontré exposition aussi lumineuse et aussi agréablement présentée de cette doctrine qu'on a peut-être compliquée à plaisir. Le cinquième disque passe en revue les divers neumes et indique en une série d'exemples chantés la manière de les exécuter. Telle est la partie qu'on appellerait théorique ou, mieux, pédagogique de cette collection. Elle constitue une nouveauté qui méritait d'être présentée et soulignée. Le reste est l'application de l'enseignement donné à un certain nombre de pièces de caractère usuel et qu'on pourra travailler d'après les principes reçus des disques précédents pour les exécuter avec le même souci de perfection que les moines.
Il nous apparaît que semblable méthode est susceptible de donner les meilleurs résultats pour la diffusion d'un art qui devrait pénétrer les masses catholiques et qui, en fait, leur est encore très étranger. La plupart des chrétiens et des chrétiennes, même de ceux et celles qui possèdent de sérieuses connaissances musicales, ont l'impression que le chant grégorien représente un monde inaccessible et que seules des voix travaillées à souhait sont capables de l'exécuter comme il faut. Au risque de les étonner fort, nous leur dirons que le R. P. Dom Gajard est le premier à avouer que les moines de Solesmes ont, pris individuellement, les voix les plus ordinaires qui soient et nous leur livrerons, sans crainte d'être indiscret, le mot que nous écrivait, de Saint -Benoît-du-Lac, le R. P. Dom Mercure « Les voix, prises chacune en particulier, sont vilaines et mal formées. »
Je ne sache pas de phrase plus encourageante que celle-là, et je la voudrais inscrite sur chacun des disques dont j'ai parlé. Elle dirait à tous ceux qui veulent se former au chant grégorien que la qualité de la voix n'est rien, ou presque, mais que la discipline est tout. »
(« Chronique musicale » in : revue Etudes, Paris, janvier 1937, p. 233-236)
Par la suite, d'autres enregistrements – de ses propres compositions, cette fois - ont vu le jour.
Mais on lui doit également des harmonisations de Noëls traditionnels, des messes polyphoniques ainsi que des ouvrages et articles sur la rythmique grégorienne. Le catalogue de la BnF recense une partie de ses œuvres publiées : https://data.bnf.fr/fr/12977054/georges_mercure/
Olivier Geoffroy
(août 2019)