François ROBERDAY
Valet de chambre de la reine, organiste et compositeur
(1624 – 1680)
par André PIRRO (1901)
in La Tribune de Saint-Gervais
Note de Musica et Memoria : Depuis la rédaction de cette étude par Pirro publiée en 1901, des recherches supplémentaires ont permis de découvrir de nouveaux éléments biographiques sur ce musicien, notamment sur son état-civil précis. Nous les résumons ci-après : né le 21 mars 1624 (date du baptême) à Paris, François Roberday est mort le dimanche 13 octobre 1680 (date de son inhumation dans l'église Saint-André) à Auffargis (actuellement dans le département des Yvelines, non loin de Rambouillet), où il s'était installé vers 1668. Par son mariage avec Charlotte Champagne, il était devenu le beau-frère de Jean-Henri d'Anglebert (c.1628-1691), organiste du duc d'Orléans et ordinaire de la musique de la chambre du Roi pour le clavecin. Son épouse sera marraine de l'un de ses enfants : Nicolas d'Anglebert, baptisé lé 8 avril 1665 à Saint-Germain-l'Auxerrois (Paris).
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François Roberday appartenait à une famille de la bourgeoisie parisienne dont le nom eut quelque célébrité dans l'histoire de l'orfèvrerie française. « Ces mots : façon de Roberdet, écrit M. H. Havard1, se rencontrent, durant un demi-siècle, dans nombre d'Inventaires et de Comptes. » Un François Roberday, mort en 16512, avait été orfèvre ordinaire du roi3. Sans doute est-ce lui que Loménie de Brienne appelle familièrement dans ses Mémoires « Roberdet mon compère, ouvrier inventif et industrieux4 ». Le goût de la société d'alors pour les objets façonnés de métaux précieux assurait à l'état d'orfèvre profit et considération. Jean Héroard nous dit l'amour de Louis XIII pour l'argenterie ; Mme de Motteville cite avec complaisance la table et « le balustre » d'argent de la reine, et, en 1659, « princes, ducs et pairs » sont reçus par l'orfèvre du roi, de La Haye, qui fait jouer la Pastorale de Cambert dans sa maison de campagne à Issy. Assez fortuné pour acquérir une charge à la cour5, Francois Roberday entra dans la maison de la reine-mère, Anne d'Autriche, dont il devint l’un des seize valets de chambre servant par quartier6. Les gages étaient de cent quatre-vingts livres7, auxquelles s'ajoutaient cent livres de gratification. De plus, les valets de chambre de la reine avaient bouche à cour à leur table8, avantage qui ne fut remplacé qu'en 1729 par une indemnité en argent9. Ils jouissaient de tous les privilèges de la noblesse, sauvegarde, exemption de tailles et autres droits, committimus, et servaient l'épée au côté. Anoblis par leur charge, ils pouvaient prendre le titre d'écuyer et porter un casque timbré au-dessus de leurs armoiries. Ils avaient droit au titre d'ordinaire de leur charge, même n'étant que de quartier. Dans les cérémonies, leur rang de préséance les plaçait après les conseillers des bailliages, sénéchaussées et sièges présidiaux, et avant les officiers des élections, greniers à sel, etc.10. Au XVIe siècle, le titre de valet de chambre avait été porté par des écrivains célèbres, Bonaventure Despériers et Clément Marot, et des musiciens tels que Guillaume Costeley et Nicolas de la Grotte l'avaient joint à celui d'organiste du roi. Les documents que j'ai pu consulter ne donnent jamais à Roberday la fonction d'organiste de la reine, et il n'est cité que comme valet de chambre dans les états de paiement de 1660, où son nom paraît pour la première fois. Les comptes de la maison de la reine ayant une lacune, entre 1649 et 1660, la date de l'entrée de Roberday à son service ne peut être ainsi fixée qu'à dix ans près. Il figure encore sur l'état de 1661, mais l'état de 1662 ne le nomme point. En 1663, on le voit au nombre des valets de chambre de Marie-Thérèse, inscrit au quartier de janvier, ayant pour collègues Arnault Le Clerc, Guy Valentin et Louis Le Blanc. L'Estat de la France des années suivantes nous le montre continuant régulièrement l'exercice de sa charge, et les archives de la maison de la reine ajoutent quelques détails aux indications sommaires de ce recueil administratif. Une pièce de 1676 le mentionne à propos d'un différend survenu entre les valets de chambre et huissiers du quartier de janvier, d'une part, et les ordinaires des mêmes charges, de l'autre. Il s'agissait des gratifications données pour « les serments, tabourets et autres semblables casuels ». De droit, cette aubaine revenait aux officiers « de quartier ». Ayant servi en leur « lieu et place », aux réceptions de janvier, les « ordinaires » prétendaient en bénéficier. Un arrêt d'Olympe Mancini, comtesse de Soissons, surintendante de la maison de la reine, leur donna raison11, et sa décision, basée sur ce qui s'était « pratiqué chez la feue Reyne », forma jurisprudence pour les cas semblables à venir12. Roberday eut ainsi le mot à dire dans le « caquetage éternel des tabourets » que Chateaubriand reproche aux Mémoires de Saint-Simon. La cause est des plus humbles, mais cette querelle domestique nous apprend du moins que les compétitions soulevées par le privilège de s'asseoir au cercle de la reine ne divisaient pas que les grands. Fussent-ils d'accord, ou leurs rivalités confondues par un choix heureux, il restait encore bien des envies à défaire, en deçà des leurs, pour que l'honneur accordé par la reine fût accueilli, comme Scarron l'écrit à une postulante élue, « au grand plaisir de tous ». Le 24 mars 1679, Roberday obtint, pour son fils Gilles, la survivance de son office. Grâce à cette faveur de la reine, la succession en fut assurée à ce dernier. Le droit d'héritier ne comptait en effet pour rien dans la transmission de telles charges, « lesquelles étant en la seule et entière disposition du roi13.» L'acte par lequel Marie-Thérèse garantit à Gilles Roberday la possession de l'emploi paternel est daté de Saint-Germain-en-Laye. En voici la teneur : « Les bons et agréables services que François Roberday nous rend depuis plusieurs années en la charge de l'un de nos valletz de chambre nous donnant sujet de luy tesmoigner nostre satisfaction, et pour la confiance que nous avons en la personne de Gilles Roberday son fils, iceluy pour ces causes et autres a ce mouvans avons retenu et retenons audit estat et charge de l'un de nos valletz de chambre dont ledit Roberday père s'est démis en nos mains en sa faveur, a condition toutefois de survivance l'un de l'autre, l'avoir, tenir et doresenavant exercer, en jouir et user aux honneurs, autoritez, etc., et tout ainsy qu'en a jouy et jouit encore a present ledit Roberday père. Et estant quel nous plaire mandons a chacun. » Le même jour, la reine signa un « brevet en faveur de la femme et des enfans » de Roberday. « Aujourd'huy, 24 du mois de mars 1679, la Reyne étant a Saint-Germain-en-Laye, desirant en quelque sorte reconnoître les bons et agréables services que luy rend depuis plusieurs années François Roberday en la charge de l’un de ses valletz de chambre, et pour la volonté qu'elle a pour sa famille, Sa Majesté a déclaré et déclare qu'ayant octroyé ce jourd'huy la survivance de ladite charge a Gilles Roberday son fils, son intention est qu'il n'en jouisse qu'a condition expresse de payer apres la mort dudit Roberday pere a sa veuve la somme de quatre mille livres sur le prix de ladite charge, soit qu'il la rende ou qu'il la garde, pour estre partagee entre elle, luy et ses autres enfans. Et le surplus du prix d'icelle, a quelque somme qu'il se puisse monter, apartiendra par preciput audit Gilles Roberday....14 » Malgré sa démission, François Roberday paraît encore sur l’Estat de la France de 1680, au quartier de janvier, avec son fils « en survivance ». En 1682, Gilles Roberday est seul mentionné, et pour le quartier de juillet15. Cela ne peut suffire à établir que François Roberday était mort à cette date. Sans rien déterminer de plus, une pièce de 169516 l'appelle « feu Roberdet », et nous apprend qu'il fut, avec Metru17 et Gigault18, le maître de Lully19.
D'après Fétis, François Roberday fut organiste des Petits-Pères. Je n'ai pu contrôler ce dire, qui paraît admissible. Anne d'Autriche avait une dévotion particulière pour l'église de ce couvent et les Augustins Déchaussés, ou Petits-Pères, avaient gagné toute sa bienveillance depuis que le Frère Fiacre, de leur communauté de Paris, avait prédit, en 1638, la naissance de Louis XIV. Elle visita leur église plusieurs années de suite, le jour de Notre-Dame des Sept-Douleurs, et Marie-Thérèse l’accompagna quelquefois dans cette pieuse démarche. Rien d'étonnant à ce que Roberday, qui servit les deux reines, ait touché l'orgue des religieux qu'elles patronnaient. Mais je ne crois pas qu'il l'ait fait au titre d'organiste régulier. Non seulement ses fonctions de valet de chambre pouvaient le tenir hors de Paris pendant toute la durée de son quartier, mais les statuts des Augustins Déchaussés rejetaient l'emploi des instruments de musique et ne toléraient même pas le plain-chant. On ne se permit de passer outre, dans la période qui nous intéresse, qu'en certaines circonstances solennelles, à des Te Deum chantés avec orchestre, par exemple à une visite du roi, en 1654, ou bien pour le rétablissement de Louis XIV, que l’on célébra, le 21 août 1671, par un Te Deum et Exaudiat de Campra, exécuté par 130 musiciens, violons, hautbois, trompettes, timbales et « jeu d'orgues », qui, disent les Gazettes, « formoient la symphonie20 ».
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S'il nous reste beaucoup d'inconnu dans la vie de Roberday, s'il nous faut ignorer la date de sa naissance et la date de sa mort, si nous ne savons pas qui fut son maître, sa préface nous montre du moins en quel milieu artistique il vécut, nous révèle ses tendances, et nous apprend sous quelles influences il écrivit.
Un nom domine tous les autres, en cette préface où Roberday croit rendre à chacun ce qu'il lui emprunta. C’est Frescobaldi qu'il désigne tout d'abord. L'hommage honore surtout l'organiste français qui le rend au maître romain, car ce témoignage d'admiration est aussi une preuve de discernement, une garantie d'études, et presque une promesse de talent. On peut y reconnaître, en outre, et ce sentiment est fortifié par l'examen des pièces qui suivent, une marque de fidélité envers un idéal vieilli et dont la recherche, pour les musiciens du temps, devait perdre chaque jour de son prix. Je ne sais si les Italiens de 1660 auraient consenti à ratifier pleinement l'éloge que Roberday fait si grand d'un seul mot. Certes, en 1640 Pietro della Valle concède encore à Frescobaldi le pouvoir d'étonner ; il lui accorde même le don d'émouvoir 21. Mais Doni, quelque temps auparavant, écrivait déjà au Père Mersenne : «Touchant ce que vous mettez (à la page 65 du livre 7 des Instruments de percussion 22) Frescobaldi au rang des plus estimez musiciens d'Italie avec Lucas Marenzio et Monteuerde, il ne faut pas que vous vous trompiez en cela. Car il y a au iour d'huy à Rome une douzaine de musiciens qui sont plus estimez que luy. Mais estant peut estre le plus habil homme qui soit au iour d'huy en Italie à iouer des orgues et du clavecin et à y composer des pièces, les ignorans estiment qu'il ait attoint le but de ceste profession : quoy qu'il ait bien de la difference d'estre bon Melopee ou Musicien, ou un bon compositeur des Sinfonies. Au reste ie vous asseure qu'il est si peu sçavant qu'il ne sçait pas ce que c'est semi ton maieur ou mineur et ne ioue gueres sur les touches metaboliques qu'on appelle communement cromatiques23. Et quand il n'entend pas quelque mot un peu rare en la poesie vulgaire. il en demande advis a sa femme, qui en sçait plus que luy ». Le 22 juillet 1640, au sujet de la musique moderne, Doni répète à Mersenne : « Pour Frescobaldi, il est le moins propre de tous : veu que c'est un homme fort grossier quoy qu'il ioue fort parfaictement des orgues et soit excellent a composer des fantasies, danceries et choses semblables ; mais pour accommoder les paroles, il est fort ignorant et despourveu de iugement, de façon qu'on peut dire qu'il ait toute sa science aux bouts des doits. Et ie ne doute pas qu'il soit plus estime loin d'icy que la ou il est24 ». Doni s'interessait trop peu au sort de la musique pure pour soupçonner en Frescobaldi un mérite plus élevé que d'être l'adroit virtuose dont les accompagnements, enrichis de « mille sortes d'inventions », émerveillaient Maugars. Ce dernier le connaît mieux quand il en dit : « Ce n'est pas sans cause que ce fameux organiste de Saint-Pierre a acquis tant de reputation dans l'Europe25, car bien que ses oeuvres imprimées rendent assez de témoignage de sa suffisance, toutefois pour bien juger de sa profonde science, il faut l'entendre à l'improviste faire des toccades pleines de recherches et d'inventions admirables. C'est pourquoi il merite bien que vous le proposiez comme un original à tous nos organistes, pour leur donner envie de le venir entendre a Rome26 ». On ne peut guère en demander plus, en fait d’appréciation, à un contemporain. Maugars ne parle que de ce qu'il voit et de ce qu'il entend. Instrumentiste lui-même, il est d'abord frappé de la prodigieuse exécution de Frescobaldi. Quelques mots à peine indiquent qu'il pénètre plus avant et ne se contente pas de ces dehors éblouissants de l'art. Mais il serait ridicule de lui reprocher de n'avoir su prédire ce que l'avenir devrait à Frescobaldi, créateur de formes, fondateur d'une technique, et, en ses essais harmoniques les moins acceptables, prophète audacieux d'une nouvelle loi. Vingt ans après Maugars, Roberday fut-il à même d'en pressentir davantage ? Que connaissait-il, d'ailleurs, de l'oeuvre de Frescobaldi ? L'avait-il même parcourue tout entière ? Supposons, cela est possible, qu'il l'ait lue et étudiée dans tous les détails. Aurait-il su y voir d'assez haut pour demêler tant de raisons, discerner tant de germes et en poursuivre l'épanouissement? Il est probable que son étude se serait bornée à interroger ces compositions comme des modèles établis à jamais, et dont il ne fallait qu'imiter les proportions heureuses dès qu'on en avait surpris le secret, souci de praticien, et de pareille nature que le zèle ouvrier des orfèvres de ses parents, appliqués à disposer, en guirlandes nouvelles, les mêmes feuillages autour de cadres semblables. Et, comme Roberday semble plus épris de curieux rapprochements que de simple ordonnance, il se fût appliqué surtout à reproduire le désordre harmonique ou le pittoresque signiflcatif de certaines combinaisons ou de certains motifs. Mais à quelque travail, incomplet et mal orienté, ou judicieux et fécond qu'il ait pu se livrer en son particulier sur l'œuvre de Frescobaldi, il est à croire que Roberday reçut en outre un souvenir précis de ses enseignements et que Johann Jakob Froberger, l’illustre disciple du précurseur, fut pour lui le messager de sa doctrine.
« Comme il ne seroit pas iuste que ie tirasse aduentage du trauail d'autruy, ecrit Roberday dans l'Avertissement de ses Fugues et Caprices, achevés d'imprimer le 14 août 1660. ie vous dois avertir que dedans ce liure il y a trois pieces qui ne sont pas de moy, il y en a vne qui a este autrefois composée par l'illustre Frescobaldy, vne autre de Monsieur Ebnert, et la troisiesme de Monsieur Froberger, tous deux organistes de l'empereur. » Cette pièce de Froberger, Roberday la tenait apparemment de l'auteur lui-même qui, dit-il plus loin, lui presenta un sujet de fugue.
Mattheson a parlé d'un séjour de Froberger à Paris. L'auteur de l’Ehrenpforte ne mérite pas toujours créance. C'est à lui que Fétis et Halévy doivent le merveilleux qu'ils ont jeté dans le roman de Froberger. Ici, toutefois, ce qu'il rapporte est exact. Un recueil de musique manuscrite, conservé à la Bibliothèque Nationale, contient une fugue de Froberger, marquée de cette note : fait à Paris27, et un passage de la Muze historique de Loret désigne, à n'en pas douter, l'organiste allemand. Dans sa lettre, datée du dimanche 29 septembre 1652, Loret rend compte d'un concert donné aux Jacobins, le jeudi précédent, par un grand nombre de musiciens.
Des chantres, pres de quatre-vingts,
Composant trois choeurs de muzique
accompagnés de
Violons, violes, vielles,
Basses-contres et chanterelles,
Fluteurs, harpeurs, guitériens,
Théorbiens, lutériens,
Des lutériens, c'est-a-dire,
Joueurs de luts et non de lire
Clavessins, trompettes, hautbois.
Il ajoute avec dépit, après avoir loué « les charmantes harmonies » et les « accords délicats » des voix et des instruments :
Je trouvois un peu ridicule
Que ces accords melodieux
Ne se fissent point pour les dieux,
Pour des puissances souveraines,
Ny pour des roys ny pour des reines,
Mais pour regaler seulement
Un certain pifre d'Alemand,
Tres mediocre personnage,
Et lequel n'est, pour tout potage
(Ha! cela me met en fureur)
Qu'organiste de l'empereur,
Et, pour le plus homme de solde
Du sieur archi-duc Leopolde,
Que depuis quelque temps il sert. 28
La mauvaise humeur de Loret est toute naturelle. Tandis qu'on fête ainsi l'organiste de l'empereur, l'armée des princes est aux portes de Paris, grossie des contingents conduits, à côté de Condé et de Beaufort, par le duc de Lorraine et le duc de Wurtemberg29. Loret malmène en paroles le musicien allemand, et sa boutade malveillante lui est inspirée par le même patriotisme offensé qui poussait, presque le même jour, le peuple parisien à témoigner « son affection pour la France et son aversion pour les estrangers qui entretiennent nos divisions », de telle sorte « qu'un chariot du duc de Wurtemberg passant lors dans la rue Saint-Honoré, fut entièrement pillé par la populace 30». Et c'est encore une vengeance du rimeur, que de laisser anonyme le héros de la fête. Mais tous les détails conviennent à Froberger, aussi bien cette allusion triviale à sa corpulence31, que cette mention de l'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas de 1647 a 165632, par laquelle s'expliquent en même temps et le séjour avéré de Froberger à Bruxelles33, et son éloignement prolongé de Vienne34. La présence à Paris d'Ulrich de Wurtemberg, frère de la comtesse de Montbéliard, chez laquelle Froberger trouva un dernier asile, est aussi à remarquer dans ce concours de circonstances35.
A côté de Frescobaldi et de Froberger, Roberday nous présente Ebner. Malheureusement, le titre d'organiste de l'empereur qu'il lui donne ne suffit pas à déterminer le personnage, et l’on peut hésiter entre Marcus Ebner, organiste à la Hofburg de 1655 à 1680, et Wolfgang Ebner (1612-1665), inscrit aux registres de la chapelle impériale de 1637 à 1665. Nous pencherons toutefois pour ce dernier, entré au service la même année que Froberger, comme lui protégé de Ferdinand III, dont il publia un air qu'il enrichit de trente-six variations36, et maître de Léopold ler. Comme les pièces de Frescobaldi et de Froberger que Roberday nous donne, la composition d'Ebner paraît avoir été inédite jusqu'alors, gardée sans doute par Froberger parmi ses manuscrits, avec quelques œuvres recueillies à Rome, souvenir d'un ami, peut-être d'un condisciple, mêlé aux souvenirs du maître37.
Si nous devons quelque reconnaissance à Roberday, qui nous a transmis ces fragments, il est juste aussi de lui reprocher de n'avoir rempli qu'à moitié sa tâche d'éditeur, en nous laissant, avec les risques de l'aventure, le soin de préciser l'indication assez vague qu'il nous accorde sur les pièces dont il n'est pas l'auteur, et l'on ne peut que répéter la naïve doléance de Sébastien de Brossard : « Ce qu'il y a de mal, c'est que le sieur Roberday ne marque point le nom des auteurs des pièces qui ne sont pas de luy38 ». De Boisgelou transcrit la note de Brossard à peu près mot à mot dans son catalogue de 1803, se hasardant pourtant à attribuer à Froberger la troisième pièce du recueil, interprétation malheureuse de la préface. Ce n'est pas, en effet, au commencement du volume que l’on doit chercher les morceaux d'emprunt. Jusqu'à la dixième Fugue, l'auteur reste fidèle à son titre ; à la suite de chacune, hormis la quatrième, la cinquième et la septième, qui d'ailleurs gardent bien le caractère un peu tourmenté de son style, il donne un Caprice traité sur le même sujet. Les dernières Fugues, au contraire, plus développées, de facture plus coulante, forment un groupe que rien ne divise. Or il est assez naturel que Roberday ait réuni, en un seul amas, les gerbes prélevées sur la moisson d'autrui. Bien plus, appliqués aux pièces mises à part, les quelques mots qui lui échappèrent comme à regret dans sa préface reçoivent un sens assez clair pour nous aider à reconnaître, dans la quinzième Fugue, et la troisième de la subdivision ainsi obtenue, la manière de Froberger. Le thème est d'une coupe rythmique qu'il affectionnait39, et l’on y trouve des imitations par augmentation, diminution et renversement qui lui sont familières. L'insistance en vain déguisée du même motif trahit quelque pauvreté d'invention mélodique, et la rachète en même temps par un développement serré où le genre traité suit, sous de nouvelles contraintes, une logique plus pressante, dont la vigueur augmente jusqu'à la fin, effort tendu mais entraînant.
Dans la dixième Fugue, au contraire, pour révéler Frescobaldi, c'est assez d'un sujet calme, conduit tranquillement, auquel il suffit d'ajouter une note, en changeant le mode, pour qu'il s'épanouisse en chant 40, se dégage de la trame, et proclame le lyrisme doux répandu dans toute cette pièce, vocale encore 41, empreinte d'une noble sérénité, italienne en un mot.
D'après ce système d'explication, la onzième Fugue serait d'Ebner.
Quant aux autres thèmes que Roberday reçut, dit-il, de « Messieurs de La Barre, Couperin, Cambert, d'Anglebert, Froberger, Bertalli 42 et Cavalli », il est presque impossible d'en préciser les auteurs. A cette époque où tout l'art du compositeur paraissait le jeu d'une arithmétique secrète, formule que Leibniz compléta, qu'il rendit célèbre, mais qu'il n'inventa point 43, les musiciens avaient coutume de se proposer des sujets, comme les mathématiciens des problèmes. L'échange volontaire, la copie même des données, ne déshonoraient personne. Il en était d'un motif de fugue comme d'un texte de sermon, et le public ne jugeait que sur les développements. Parfois, l'auteur imité ne pouvait que se féliciter, et Huygens avait raison d'écrire, en 1653, à Dumont : « A l'une de mes Allemandes, vous faites trop d'honneur d'en avoir emprunté l'entrée, pour l'appliquer à une des vôtres. » La fréquence de certaines formes thématiques dans les œuvres de ce temps ne doit donc pas nous étonner. Il serait d'ailleurs tout à fait vain d'en rechercher les créateurs. A quoi bon remarquer que Dumont 44 annonce, dans ses Meslanges de 1657 45, le thème de la cinquième Fugue de Roberday, puisque ce thème est employé par Froberger dans sa Toccata faite à Bruxelles en 1650 46, et que cette suite chromatique est des plus communes au XVIIe siècle 47 ? De même, il ne nous est pas permis d'affirmer que la huitième Fugue est écrite sur un sujet de Couperin, encore qu'une Gigue, conservée sous son nom, commence presque de même 48. Au surplus, Roberday ne dit pas, des trois Couperin, Louis, Charles, François 49, lequel il prétend désigner. Il néglige également de nous apprendre s'il veut parler de Pierre de Chabanceau, sieur de La Barre, mort en 1656, ou de l'un de ses fils, soit Joseph, organiste du roi après son père, soit Charles-Henri, qui obtint, comme joueur d'épinette d'Anne d'Autriche, la survivance de la charge paternelle dès 1642, et passa, avec le même titre, au service de Marie-Thérèse 50. Cambert, que Roberday mentionne ensuite, devait aussi appartenir à la maison des deux reines. Il avait déjà donné, en 1658, la Muette ingrate, en 1659 la Pastorale d'Issy, et songeait alors à l’Ariane, pièce où Saint-Evremond loue les « plaintes d'Ariane51», et qu'il appelle son chef-d'œuvre. Jean-Baptiste-Henry d'Anglebert, organiste du duc d'Orléans, puis claveciniste de Louis XIV, complète cette liste des musiciens français 52. Réunis dans la préface des Fugues et Caprices, ils président, avec Frescobaldi et Froberger, à l'œuvre de Roberday. Les exemples du premier et les conseils du second auraient pu sans doute y fructifier sans le secours de leurs thèmes, dons peu précieux, auxquels des noms sont attachés, il est vrai, mais indistincts, et que nulle personnalité ne révèle. Que ces préceptes et ces modèles aient été soumis à leurs discussions, aient fait l'objet de leurs entretiens, nous l'ignorons, mais il y a quelque charme à supposer que les Fugues et Caprices aient été écrits sur des matières par eux données, pour répondre à leurs critiques ou mettre à profit leurs commentaires, suscités par les compositions des premiers maîtres de l'orgue. Si cette hypothèse trop particulière est à rejeter, on peut admettre toutefois que Roberday discourut fréquemment avec les auteurs qu'il cite, sinon sur les formes de la fugue chez Frescobaldi53, du moins, comme le demandait Mersenne, sur les « causes qui rendent les pièces de la composition agréables, et qui font que de certaines transitions d'une consonance à l'autre et de certains meslanges de dissonances sont meilleurs les uns que les autres... et pourquoy telle ou telle suite de consonances donne une si forte atteinte a l'esprit 54 ». Quelques-uns d'entre eux furent peut-être scandalisés en lisant, dans sa préface, cette déclaration subversive : « Il se trouvera dans cet ouvrage quelques endroits peut-estre un peu trop hardis aux sentimens de ceux qui s'attachent si fort aux anciennes regles qu'ils ne croyent pas qu'il soit iamais permis de s'en départir. Mais il faut considerer que la Musique est inventée pour plaire a l'oreille, et par consequent si ie leur accorde qu'un ouvrier ne doit iamais sortir des regles de son Art, ils doivent aussi demeurer d'accort que tout ce qui se trouvera estre agreable a l'oreille doit tousiours estre censé dans les regles de la Musique. C'est donc l'oreille qu'il faut consulter sur ce point, et comme ie n'ay rien fait que ie ne l'aye veu pratiquer par les plus habiles dans cet Art, et qui n'ait esté trouvé fort agréable dans l'exécution, je ne doute point que si on suspend son iugement iusques a ce qu'on ait ouy l'effet des Nottes, qui semblent ne se deffendre pas assez bien sur le papier, on ne trouvera pas que ie me sois donné des licences, que pour ne pas laisser échapper les traits, que i'ay creu devoir estre les plus agréables. » Mais si ces nouveautés paraissent faites pour effaroucher quelque pythagoricien attardé, Roberday ne les offre pas, du moins, sous des apparences susceptibles de séduire et d'entraîner le vulgaire. Il est loin de ressembler à cet organiste parisien qui, vers 1635, dit Mersenne, « attiroit tout le monde apres soy pour entendre les duos qu'il iouoit d'une grande vitesse de main 55 ». Les succès faciles répugnent à son tempérament de ciseleur de pièces rares, et il estime sans doute qu'il faut laisser les compositions trop simples et trop brillantes aux « dames religieuses qui touchent l'orgue en façon de Duo 56 ». Ses audaces ne sont point communes. Elles passent au-dessus de la foule, qui ne les comprend point, et ses hardiesses, en faveur desquelles il invoque le témoignage des sens, ne sollicitent que l'esprit. Ses auditeurs, il les convie à une recherche, et non à un spectacle. Suivre une fugue, c'est un plaisir auquel l'attention et la mémoire doivent participer activement. On ne peut en jouir sans le concours de ces deux facultés. L'un des correspondants de Mersenne, Deschamps, médecin à Bergerac, semble déjà le reconnaître lorsqu'il énumère, en 1635, à l'avocat bordelais Pierre Trichet 57, les causes « pourquoy les fugues sont si agréables, premierement parce qu'elles se font à l'unisson ou à quelque consonance, deuxiemement de ce qu'on repete la guide (le sujet) de mesme mesure, de sorte que le sens est meu convenablement selon l'impression restée en l'organe, de mesme que celuy qui sçait l'air d'une chanson, prend plus de plaisir a l'ouïr chanter ou jouer, que ceux qui ne l'ont jamais ouye 58 ». Mais c'est en vain que Roberday provoque le jeu du souvenir, en vain qu'il s'efforce, en outre, de stimuler, par des accords nouveaux, le jeu de la sensibilité. Il ne lui sert de rien d'animer le rythme de ses Fugues en des Caprices dont le nom semble promettre aux curieux « quelque petit grain de folie, mêlé à leur science 59 ». Son œuvre n'est point de son temps : elle aura le sort de tant d'ouvrages qui répondent admirablement aux goûts d'une époque passée, mais ne présentent, à l'heure où ils paraissent, qu'un intérêt d'étude, sans apporter de jouissance, car ce n'est plus de leur vie que le siècle respire. Ses fugues, faites pour être jouées « à discretion 60 et fort lentement », tiennent trop encore de cette « musique pesante » des Orlande et des Claudin que les critiques du XVIIe siecle finissant ne se rappellent que pour la railler, confondant au reste sous le même dédain les travaux de la période plus rapprochée d'eux où l'art du contrepoint se perpétuait dans les compositions instrumentales des Titelouze, des Métru, tandis que les airs de Boësset annonçaient déjà le langage passionné des récits d'opéras. Au moment même où paraissent les Fugues et Caprices, toute l'attention des amateurs s'est tournée vers l'oeuvre que prépare Cavalli, venu en France « pour le service du Roy 61 ». Le prestige de sa mission et la solennité des circonstances où il la remplit donnent encore plus de prix à la merveille qu'on attend de lui. Si le public est déçu par les longs récitatifs italiens où il ne comprend rien, si Perrin ose dire de tels ouvrages que ce ne sont que « plains-chants et airs de cloistre », cela importe peu. Ceux même qui n'ont rien goûté du Serse ont pressenti l'attrait de cette forme d'art, où la tragédie s'enrichit de musique et s'orne de spectacle. Que Lully paraisse, qu'il donne au récitatif français « cette belle déclamation notée 62» que Voltaire jugera « une melopée si parfaite 63 », et le succès du genre est assuré. Dès le mois d'août 1661 64, celui que Mademoiselle de Montpensier appelait en 1659 le « baladin du roi » est devenu, pour le public des Fâcheux, « Baptiste le très cher 65. » Il est presque célèbre, avant même de s'être révélé par quelque œuvre d'importance, et sa vogue marque l'orientation définitive du goût musical en France 66. A l’avènement de ce nouvel âge, où l’on ne voulut plus que jouir de la musique, et sans avoir besoin de l'apprendre, qui aurait pu s'intéresser aux compositions abstraites 67 du maître auquel Lully dut pourtant, pour une bonne part, d'avoir su « faire chanter toutes les parties presque aussi agréablement que le dessus..., introduit des fugues admirables, et surtout des mouvements tout nouveaux 68 »?
André PIRRO (1869-1943)
Organiste, musicologue,
professeur d’histoire de la musique à la
Sorbonne
(saisie et numérisation : Max Méreaux/Musica et Memoria)
1 Histoire de l’orfèvrerie française, Paris, 1896, p. 107.
2 « Du jeudy 27 avril 1651, convoy général de feu Francois Roberday, vivant orphebvre ordinaire du Roy et bourgeois de Paris, pris rue des Thuilleries et porté au couvent de l’Ave-Maria. Reçu 72 l. 14 s. » (Extrait des registres de Saint-Germain-l'Auxerrois,, publié par M. Herluison dans les Nouvelles Archives de l'Art francais, 3° série, t. IV, 1888, p. 185.)
3 Le nom de Francois Roberday figure en 1650 sur la « Liste des marchands joailliers de la ville, faubourgs et banlieue de Paris, qui ont été reçus et incorporés dans ladite corporation et communauté depuis l'année 1553 ». (Communiqué par M. G. Vicaire, directeur du Bulletin du Bibliophile.)
4 « Je faisois souvent à Sa Majesté (Louis XIV dont il était enfant d'honneur) de petits présents... Je lui donnai entre autres un canon d'or traîné par une puce ; une trousse de chirurgien garnie de toutes ses pièces, et qui ne pesoit que quelques grains ; des Cannes et des bâtons de la façon de Roberdet... » (Mémoires inédits de Louis-Henri de Loménie, comte de Brienne, publiés par Barrière. Paris~ 1828, p. 222.)
5 « Les Roys anciennement n'admettoient au service de leurs personnes que des hommes de naissance et de qualité, mais la vénalité des Offices y a introduit des gens de toutes sortes de conditions. » (Le vray et nouveau Estat de la France, par du Verdier, 1656, 1. II, c. 1.)
6 Il dut lui être recommandé par Mazarin, qui appréciait les modèles d'orfèvrerie dits « de Roberday ». On lit en effet dans l’Inventaire de tous les meubles du Cardinal Mazarin, dressé en 1653, publié par le duc d'Aumale : « Un grand miroir de glace de Venize de trente-six pouces... dans une corniche d'ebeine, couverte d'argent blanc, travaillé à feuillages, percé à jour, rapporté sur le dit ebeine, façon de Roberdet.... » (Londres, 1861, p. 248.)
7 Arch. nat. Etat général des officiers de la maison, écurie et musique de la reine pour 1660. Z1 a 511. — Bibl. Nat. Ms. Clairambault 522, fol. 38 b.
8 Arch. nat. O1 3714.
9 Traité des droits, fonctions, franchises, exemptions, prérogatives et privilèges annexés en France à chaque dignité, à chaque office et à chaque état soit civil, soit militaire, soit ecclésiastique, publié par Guyot. (Paris, 1787. T. II, p. 261.)
10 Voir les Etats de la France de 1658 a 1683.
11 Arch. nat. O1 3713,fol. 1.
12 Guyot ; Traité des Droits, etc.
13 Déclaration royale de 1653. — La simple survivance était « une donation de l'office à cause de mort, qui ne pouvait avoir son effet qu'après la mort ou la résignation volontaire du résignant » (Dictionnaire de Richelet). Sur la valeur de certaines charges, voyez le Journal de Dangeau (23 févr. 1689, 31 mars 1690 et janv. 1691).
14 Arch. nat. O1 3714, fol. 16 a et 16 b.
15 Dans l’Estat de la France de 1683, Gilles Roberday porte le titre de sieur du Vauguérin. On a de lui un livre de découpures sur velin appliquées à un transparent noir. Il y met en action quarante fables d'Esope. Ce recueil, ainsi désigné sur la première page : Les fables d'Esope Phrigien, inventeez et découpeez par G. Roberday, valet de chambre de M. T., m'a été gracieusement communiqué par M. de Savigny de Moncorps. E. Thoinan l'attribue à « un Roberday qui était, je crois — dit-il — le frère de Roberday, organiste et valet de chambre des reines Anne d'Autriche et Marie-Thérèse ». (Les Hotteterre et les Chèdeville, 1894, p. 17.) Quelques-uns des sujets traités ici avec une certaine grâce d'ornementation et des mouvements parfois assez justes se retrouvent, plus maniérés, dans ses Essais de Tabatières gravés en 1710. (Bibl. Nat., Estampes Ze 57.) Sous ce titre: Quid profuit? le Cabinet des Estampes (Suppléments) garde un dessin de G. Roberday qui représente la mort accroupie, tenant en main le fil de la vie, et environnée d'attributs divers, couronnes, instruments et cahiers de musique.
16 Raisons qui prouvent manifestement que les compositeurs de musique ou les musiciens qui se servent de clavecins, luths et autres instrumens d'harmonie pour l'exprimer, n'ont jamais esté et ne peuvent estre de la communauté des anciens Jongleurs et Menestriers de Paris, etc. Date du 8 mars 1695. Voyez p. 33. Bibl. Nat., Vp. 2632.
17 Nicolas Metru, qui fut maître de chapelle des Jésuites à Paris (Gantez, L'Entretien des Musiciens, 1643, p. 119 de l'ed. Thoinan), publia en 1642 trente-six Fantaisies à deux parties pour les violles (Bibl. Sainte-Genevieve). Le titre le dit natif de Bar-sur-Aube en Champagne. L'lndex da livraria de musica de Jean IV de Portugal (1649) mentionne de lui, sous le n. 951, Ayres, ou modos de cantar. Brossard cite dans ses recueils manuscrits Missa quatuor vocum ad imitationem moduli Breuis oratio, authore N. Metru. Ballard, 1663 (Bibl. Nat., Ms. nouv. acq. lat. 526). Monteclair écrit dans ses Principes de Musique (1736) : « Le nommé Grandjean, maître d'école à Sens en Bourgogne, Le Maire, Métru et Nivers, organiste de Saint-Sulpice à Paris, sont les principaux maîtres à qui nous avons l'obligation d'avoir secoué le penible joug des muances qu'un auteur appelle crux tenellorum ingeniorum, et d'avoir fait revivre le nom de Si que l'ignorance ou l'entêtement avaient abattu » (p. 130). C'était un maître « fameux et affamé », dit Gantez. Il mourut avant 1695.
18 Gigault, organiste de Saint-Nicolas-des-Champs, donna en 1682 un Livre de musique dédié à la Très-Sainte Vierge contenant des noëls. En 1685, il publia un autre Livre de musique pour l'Orgue renfermant plus de cent quatre-vingts pièces, messes, hymnes et fugues. Les registres de Sainte-Marie-Madeleine en la Cité le mentionnent encore le 1er novembre 1706, comme juge d'un concours pour une place d'organiste où Rameau remporta, mais ne fut pas accepté, ne voulant pas quitter les orgues des Jésuites et de la Merci, qu'il touchait déjà. On nomma Antoine Dornel, élève et pensionnaire de Lebègue, organiste du roi, « le plus fameux de Paris en ce temps-là ». (Arch. nat., LL 826, p. 33 6134.)
19 Le nom des Roberday paraît encore dans le « Testament de Demoiselle Anne-Marguerite Baillou, veuve du sieur François Roberday, marchand, bourgeois de Paris, demeurant rue de l'Arbre-Sec, près Saint-Germain-l'Auxerrois ». Enregistré le 5 mai 1753. (Publications du Châtelet de Paris. — Arch. nat., Y56 456.)
20 Voyez les Mémoires pour servir à l'Histoire de N.-D. des Victoires, recueillis par M. E. Lambert (Bibl. des travaux historiques, ms. 6839). Ce manuscrit donne, page 527, une date malheureusement incomplète pour l'introduction de l'orgue dans le couvent. Si on l'interprète avril (16) 32, il reste toutefois à tenir compte des restrictions que nous avons indiquées à l'usage de cet instrument chez les Petits-Pères pour la période qui nous occupe. Mais l'observance ne fut point toujours gardée avec cette rigueur, même tempérée. De graves manquements à la discipline, fautes où la musique n'était pour rien, obligèrent les supérieurs à recourir à l'autorité royale pour obtenir une réforme de l'Ordre, qui fut prescrite par arrêt du Conseil d'Etat du 8 décembre 1706 (Bibl. Nat., ms. fr. 20342). On retrancha alors de l'office le serpent, les autres instruments de musique, et même le plain-chant, accordé seulement en 1701, et dont le propre avait été composé par Nivers. On revint plus tard sur ces décisions austères ou on les laissa tomber, car les Mémoires cités plus haut renferment une instruction détaillée pour le service de l'organiste aux différents offices. Dans la Description de Paris, Piganiol de La Force cite l'orgue des Petits-Pères, instrument de 32 jeux, « construit par Sclop » (sans doute Lesclop) et renfermé dans un buffet de Régnier (t. III, p. 107).
21 Della musica dell'età nostra. Discorso di Pietro della Valle al Sign. Lelio Guidiccioni (publié avec les œuvres de G. B. Doni. Florence, 1753, 2e vol., p. 253).
22 Harmonie universelle, Paris, 1636.
23 Doni ne connaissait sans doute ni la Toccata Cromaticha ni le Recercar Cromaticho des Fiori musicali (1635).
24 Correspondance de Mersenne. Bibl. Nat., Mss. Nouv. acq. f. 6205, fol. 288 b et 306 b. L'édition des lettres concernant la musique, avec notes et éclaircissements, est en préparation.
25 En 1631, le Jésuite allemand Wolfgang Schoensleder (1579-1651) le cite avec admiration : « Adjungo nobile exemplum fictæ musicæ ex fantasia quadam Hieronymi Frescobaldi in paucis clari musici » (c. XVI, p. 37 de Architectonice musices universalis... autore Volupio Decoro Musagete. Ingolstadt). Au chapitre XXII (p. 57), il dit encore : « Excelluerunt in eis (fugis) Homerus Herpol, Aloysius Prænestinus, Orlandus. Et in his eximius Hieronymus Frescobaldus. » Cf. A. Kircher : « Frobergerus... celeberrimi olim organædi Hieronymi Frescobaldi discipulus. » (Musurgia universalis. Rome, 1650, I, 1. VI, p. 465.)
26 Maugars, Responce faite à un curieux sur le sentiment de la musique d'Italie, 1639, p.13.
27 Vm7, 1862, f. 15.
28 La Muze historique, 1. III, lettre 38 (éd. Ravenel et de La Pelouze, 1er vol., p. 291, 1857).
29 Recueil de Gazettes, 1652, p. 876. Paris, 14 septembre.
30 Recueil de Gazettes, p. 914, septembre 1652.
31 « Pifre... Terme injurieux et bas dont on se sert pour reprocher à un homme qu'il est trop gras et trop replet. » (Dictionnaire de Furetière, 1727.) Froberger mourut d'apoplexie.
32 Loret devait se soucier assez peu de l'archiduc Léopold, qui devint l'empereur Léopold 1er, tandis que le Léopold Wilhelm, qui guerroya contre la France, était bien connu des Parisiens sous le nom d' « archiduc Léopold ». Fils de Ferdinand II, Leopold Wilhelm, né en 1614, fut proposé au trône à la mort de Ferdinand III, contre Leopold Ier. Il mourut évêque de Strasbourg en 1662. Kircher lui dédia sa Musurgia universalis en 1650. Il avait alors pour organiste Johann Kaspar Kerl (1625 ? 1693), élève de Carissimi, dont Kircher publia une Rlcercala (1. IX, p. 316). Mais Kerl ne devint qu'en 1680 organiste à la cour de Vienne : le passage de Loret ne peut donc lui être appliqué.
33 Le recueil Vm7 1862, déjà cité, renferme une Toccata de Froberger portant cette indication : fatto a Bruxellis, anno 1650 (f. 7).
34 Froberger disparait des comptes de la chapelle impériale d'octobre 1645 au 1er avril 1653.
35 Froberger quitta la cour en 1657, par l'effet, dit-on, d'une disgrâce, due peut-être à son attachement à Léopold Wilhelm, le compétiteur de Léopold ler. Après de nouveaux voyages, il fut recueilli par la duchesse Sibylle de Wurtemberg (1620-1712), comtesse de Montbéliard, veuve de Léopold-Frédéric, duc de Wurtemberg (1624-1662), retirée depuis 1663 à Héricourt, chef-lieu de son douaire. C'est là qu'il mourut, le 7 mai 1667. Observons que de 1605 environ à 1608, et de 1621 à 1637, un Basilius Froberger fut maître de chapelle à la cour de Wurtemberg. (Cf. J. Sittard : Zur Geschichte der Musik mid des Theaters am Würtembergischen Hofe, 1er vol., p. 32.)
36 Aria Augustissimi ac Invictissimi Imperatoris Ferdinandi III, 36 modis variata. — Prague, 1648. Réédité par M. Guido Adler : Musikalische Werke der Kaiser Ferdinand III, Leopold I, und Joseph I. — Né a Augsbourg en 1612, Ebner mourut à Vienne en 1665.
37 Froberger ne livrait pas volontiers ses pièces à qui ne lui semblait pas capable de les exécuter avec assez de talent. Aussi se refusa-t-il toujours à les publier (il n'en parut d'édition qu'en 1693, comprenant douze pièces seulement) et pria même Sibylle de Wurtemberg de ne pas en donner de copies (Correspondance de Constantin Huygens, Leyde, 1882, p. 204). Il les apprenait à ses élèves mesure par mesure, note par note, et l’un d'entre eux, Caspar Grieffgens, jugeait impossible à quiconque de les jouer comme lui, s'il ne les lui avait enseignées. Que Roberday les ait reçues de sa main, et cela est probable, témoignerait à la fois de sa virtuosité et de ses études avec Froberger.
38 Catalogue manuscrit de 1725, p. 237.
39 C'est encore le rythme de la Canzon alla francese. Le thème est d'ailleurs assez commun. Ainsi Gabrieli, cité par Ambros (IIIe vol. de l’Histoire de la Musique, p. 551), donne à sa Canzon ariosa (1596) le motif :
Dans une autre œuvre (Ricercare IV du lVe vol. des Denkaemler der Tonkunst in Oesterreich, publié par M. Guido Adler, 1re partie, p. 107 ; Vienne, 1896), Froberger le transforme ainsi :
et cela deviendra le thème de la fugue en mi de la seconde partie du Clavecin bien tempéré de. J.-S. Bach. Citons encore une Canzone de J.-K. Kerl, publiée dans l'ouvrage de A.-G. Ritter (Zur Geschichte der Orgelspiels, IIe partie, p. 153 ; Leipzig, 1884).
40 Archives des Maîtres de l’Orgue, publiées par M. Guilmant, 3e vol. Fugues et Caprices de F. Roberday (1660), voir p. 41, mes. 15.
41 Remarquez, dès le début, les élans d'octave du ténor.
42 Antonio Bertali (1605 ?-1669), entré en 1637 dans la chapelle impériale, maître de chapelle en 1649.
43 « Musica est exercitium arithmeticæ occultum nescientis se numerare animi. » (Lettre de Leibniz à Goldbuch, 17 avril 1712.) Cf. G.-J. Vossius : De quatuor Artibus popularibus, de Philologia, et Scientiis mathematicis, etc. Amsterdam, 1650, p. 80 : « Ut dicere possis, Musicen nihil esse aliud, quam Arithmeticen in sonis... » et, p. 29 : « Musices imperitus numerandi arte componet omnium cantionum cantilenas, quotquot intra definitos octavarum limites fieri possunt. »
44 Roberday ne cite pas Dumont dans sa préface. Dumont fut cependant au service d'Anne d'Autriche en même temps que Roberday. Les Comptes de 1660 le mentionnent comme «joueur de clavecin » de la reine, aux gages de six cents livres. (Arch. nat. Z1a, 511.) Dumont fut également claveciniste et maître de chapelle de Marie-Thérèse.
45 N° 18, f° 13 b.
46 Bibl. Nat., Vm7, 1862, f° 7 a. (Cf. Ritter, op. cit., IIe partie, p. 226, mes. 5.)
47 Rapprocher le thème de la deuxième Fugue de Roberday avec le thème du Capriccio VIII
de Froberger (Denkmaeler der Tonkunst in Oesterreich, IVe vol., Ie partie, p. 95).
Voyez aussi la Fantasia de Sweeling (Ritter, IIe partie, p. 67), le Quando se claudunt lumina des Petits Concerts spirituels de H. Schütz, etc.
49 Charles Couperin, père du grand Couperin, vécut de 1638 à 1669. François était né en 1631. Il mourut vers 1701.
50 Voir dans Le Moliériste l'article d'E. Thoinan intitulé La Barre et Florimond rivaux de Molière (10e vol., p. 161, an. 1887-1888).
51 Dans sa comédie Les Opera. — Robert Cambert, né à Paris vers 1628, organiste de Saint-Honoré, maître de la musique d'Anne d'Autriche vers 1662, gratifié par Louis XIV après la mort de la reine-mère, des privilèges des commensaux (1666), reçoit, en 1669, le privilège d'établir des Académies de musique pour l'exécution des opéras, tant à Paris qu'en province, fait représenter Pomone en 1671, en 1672 Les Peines et les Plaisirs de l’Amour, voit la même année son privilège passer aux mains de Lully, est encore à Paris en 1673, cité dans les registres capitulaires de Saint-Séverin, le 26 avril et le 21 mai, à propos d'une visite d'orgue (Messieurs Quambert, orguaniste de Saint-Honore, Lebeigue, orguaniste de Saint-Merry. — Arch, nat., LL. 925, fol. 274 a et 276 a), donne, le 19 août de la même année, une procuration générale à sa femme pour cause de départ, mais n'est remplacé à Saint-Honoré que le 3 septembre 1674, par Simon Lemaire, entre au service de Charles II, et meurt à Londres dans les premiers mois de 1677, assassiné par son valet, a-t-on dit, ou consumé par le chagrin.
52 D'Anglebert, né à Paris, donna en 1689 un livre de Pièces de Clavecin contenant quelques fugues pour l'orgue et un « Qualuor sur le Kyrie à trois sujets tirés du plain-chant ». Il mourut en 1691, âgé de soixante-trois ans.
53 Remarquons cependant que Gigault cite dans la préface de son Livre de musique pour l'orgue de 1685 la fugue « poursuivie et diversifiée à la maniere italienne ». Dans son Traité de la Musique théorique et pratique (1639), le Père Antoine Parran énumère trois sortes de fugues : fugue simple, double et renversée (p. 95). Jean Denis y joint la fugue continue. (Traité de l’accord de l'Espinette, 1650, p. 34.)
54 Harmonie universelle, première préface générale au lecteur.
55 Harmonie universelle, 1. IV, prop. 2, p. 205.
56 Henry Dumont, Préface aux Meslanges à deux, trois, quatre et cinq parties, etc., 1657.
57 Pierre Trichet (1586 ou 1587-1644?) nous a laissé un Traité des instrumens de musique resté inédit. (Bibl. Sainte-Geneviève, ms. 1070.)
58 Correspondance de Mersenne. Bibl. Nat., Ms. nouv. acquisitions fr. 6206, fol. 193 a. — Les derniers mots rappellent le cinquième et le quatrième problème sur la musique dits d'Aristote. (Pour une étude complète et une bibliographie des ouvrages modernes sur ces problèmes, voir la lecture faite à l'Academie des Sciences de Berlin, le 23 avril 1896 : Die pseudo-aristotelischen Probleme über Musik.~) Remarquons ici la comparaison que L. Septali fait au sujet de ces problèmes dans son commentaire des problèmes de la dix-neuvième section (Lyon, 1652, p. 49). Développant une note du Père Blancano (Aristotelis loca mathematica, Bologne, 1615, p. 251), il assimile le plaisir éprouvé quand on entend une mélodie déjà connue et dont on prévoit le développement, au plaisir ressenti par le spectateur d'une chasse, qui se réjouit non seulement en regardant le chien poursuivre le gibier, mais encore en le voyant l'atteindre. Ajoutons que, dans le latin de basse époque, fuga signifie chasse (Cf. du Cange, Glossarium mediæ et infimæ lalinitatis). Décrivant, pour en blâmer l'emploi à l'église, des pièces en imitations fuguées, le Père Crésol les appelle « vænatica diverticula, cum duo ita canunt, ut unus præcat quasi lepusculus, turn vænator paribus sequatur vestigiis ». (Mystagogus. Paris, 1629, p. 630.)
59 « Caprice... se dit de pièces même de Poésie, de Musique, d'Architecture et de Peinture un peu bizarres et irrégulières, qui réussissent plutôt par la force du génie que par l’observation des règles de l'art... Ces sortes de compositions, qui sortent des règles ordinaires, doivent être d'un goût singulier et nouveau. On les appelle aussi fantaisies, parce que ceux qui les composent se laissent aller à leur imagination. » (Diet, de Furetière, 1727.) Michel Praetorius écrit : « Capriccio, seu Phantasia subitanea, c'est quand quelqu'un entreprend de traiter une fugue selon son bon plaisir, mais ne s'y arrête pas longtemps, et passe à un autre sujet qui lui vient en tête... » (Syntagmatis musici... Tomus tertius, 1619, c. VIII.) Observons toutefois que les anciennes pièces de ce nom ne correspondent pas à ces définitions. Ainsi A. Valente (1580) et O. Bariola (1594) réunissent, sous le titre de Capricci, l'un des Canzone, l'autre des Versi spirituali. D'autre part, Frescobaldi reste fidèle dans ses caprices à un motif dominant, de même que Froberger, qui ne voit dans les caprices que des pièces plus animées que le Ricercari. — On sait combien de plaisanteries le nom de cette sorte de composition attire aux musiciens « reputez fantasques et capricieux » (Métru, op. cit., 1642), jugés « fantasques ou bizarres » (Gantez, op. cit., 1645), etc.
60 Ce mot rappelle l'adagio de Frescobaldi. Nivers écrit dans son Livre d'Orgue de 1665 : « Le mouvement des Préludes, Fugues graves, Basses et Récitz de Voix humaine, et Pleins Jeux, est fort lent : celuy des autres Fugues, Diminutions, Basses Trompettes, Recitz de Cromhorne, Duos, Cornets, Grands Jeux, est plus guay, et celui des Duos marquez au signe trinaire fort léger... » Roberday ne parle pas de registration. Les orgues françaises de ce temps étaient assez riches en combinaisons diverses. Maugars pouvait, en 1639, faire cette remarque au sujet des organistes italiens : « Il est vray que j'en ay oüy plusieurs qui suivent fort bien une fugue sur l'orgue : mais ils n'ont pas tant d'agrément que les nostres : je ne scay si c'est à cause que leurs orgues n'ont pas tant de registres et des jeux differens, comme ceux que nous avons aujourd'hui dans Paris ; et il semble que la plupart de leurs orgues ne soient que pour servir les voix, et pour faire paroistre les autres instrumens ». D'après Saint-Evremond, le compositeur italien Luigi admira à Paris le « concert de nos Violons, il admira nos Luths, nos Clavessins et nos Orgues ». (Sur les Opera, p. 276 des Œuvres meslées, t. II. Amsterdam, 1699.)
61 Francesco Cavalli (Caletti Bruni de son vrai nom), entré en 1617 à la chapelle de Saint-Marc, à Venise, comme chanteur, puis organiste, enfin maître de chapelle (1665), compositeur d'opéras très fécond, avait, sur la demande de l'ambassadeur de France, reçu, le 11 avril 1660, la permission de se rendre à Paris pour les fêtes du mariage de Louis XIV. Son opéra, dont Xerxès est le héros, fut représenté le 22 novembre 1660 dans la haute galerie du Louvre. Loret reproduit l'opinion générale quand il en dit : « Enfin je l'ai vu, le Xerces — Que je trouvay long par excez ». (Muse historique, décembre 1660.) Cet opéra avait été joué à Venise en 1654. Lully y ajouta des entrées de ballet. Cavalli fit un long sejour à Paris, où il fit représenter, en 1662, l’Ercole amante. Il mourut en 1676.
62 Lettre de Voltaire à M. de La Borde (4 novembre 1765).
63 Lettre à M. de Chabanon (18 decembre 1767).
64 Lully avait été nommé surintendant et compositeur de la musique de la chambre du roi, le 21 mai de cette année.
65 Acte I, scène III, Lysandre à Eraste.
66 Le livre de clavecin de d'Anglebert (1689) contient plusieurs transcriptions tirées des opéras de Lully.
67 Bien que « faites principalement pour l'orgue », ces pièces ont encore la destination générale des compositions de Frescobaldi et de Froberger, écrites « per sonatori de cembalo et organo » ou « per gli amatori di cimbali, organi ed istromenti ». Roberday met en avant les violes, préférées aux autres instruments à cordes pour leur son, « qui contrefait la voix en toutes ses modulations et mesme en ses accens les plus significatifs de tristesse et de joye : car l'archet a son trait aussi long a peu pres que l'haleine ordinaire d'une voix... de mesme que les tremblements et les flatteries de la main gauche, que l’on appelle la main du manche, en représentent naïfuement le port et les charmes ». (Mersenne, Harmonie universelle, 1. IV, p. 195.) Trichet dit : « La netteté de leur son, la facilité de leur maniement et la douce harmonie qui en résulte, fait qu'on les emploie plus volontiers que les autres instrumens ». (Traité des instrumens, fol. 107 a.) Suivant Mersenne, « le violon a trop de rudesse, d'autant qu'on est contraint de le monter de trop grosses chordes pour esclater dans les suiets auxquels il est naturellement propre », et cela explique la défaveur de « cet instrument fécond, jusqu'alors avily » (Serré de Rieux, 1714). On cherchait au contraire à ajouter aux orgues des jeux de violes, « par le moyen de plusieurs unissons » ou aux clavecins « par le moyen de roues qui suppléent les traits de l'archet », invention allemande, dit Mersenne, au sujet de laquelle Praetorius entre dans de longs développements, en donnant une figure, et publiant d'importants extraits du traité de Hans Hayden, écrit en allemand vers 1600, et traduit en latin en 1605 sous ce litre : De instrumenlo musicali reformato. Villiers, de Sens, écrit à Mersenne, Ie 5 septembre 1635 : « J'ay apris qu'a Saint-Jean en Greue ou a Saint-Geruais il y auoit dans leur orgue un ieu de viole. » Dumont donne dans ses Mélanges de 1657 des « Préludes et Allemandes pour l'orgue et pour les violes ». Cf. les « Fantaisies pour les violes de M. Couperin » (Bibl. Nat., Vm7, 1862, fol. 24 b. et 25 b).
68 Perrault, Les hommes illustres qui ont paru en France pendant ce siècle (Paris, 1696). Ce passage est copié par Titon du Tillet (Parnasse françois, p. 394), et imité par Voltaire dans le Siècle de Louis XIV. — Roberday s'attendait à un meilleur accueil, et il semble avoir eu, tout préparé, un second ouvrage à donner au public si le premier avait réussi. Il aurait employé un caractère nouveau, et peut-être abandonné la notation sur quatre portées en partition, imitée d'ailleurs de Froberger et de Frescobaldi, pour employer la tablature moderne sur dix lignes, mise en usage en France par Titelouze et signalée par Salomon de Caus (30e problème des Forces mouvant, Francfort, 1615; Paris, 1624).
AVERTISSEMENT
De tous ceux qui s'adonnent à la composition de la Musique, il n’y a personne qui ne reconnaisse que la partition ne soit la manière d'écrire la plus utile et la plus avantageuse, parce que les parties étant toutes ensemble, et néanmoins distinguées les unes des autres, on peut bien plus facilement les examiner chacune en particulier et voir le rapport qu'elles ont toutes entre elles : on y peut même découvrir bien plutôt tout ce qu'il y a de bien inventé, et si quelquefois on entreprend de traiter presqu'en même temps plusieurs sujets, cela paraît bien évidemment dans la partition où toutes les moindres notes peuvent être exactement remarquées. Il y a encore cet avantage que si on veut jouer ces Pièces de Musique sur des violes ou autres semblables instruments, chacun y trouvera sa partie détachée des autres, tellement que la seule difficulté, que l'on pourrait opposer, est que ces Fugues et Caprices étant faites principalement pour l'orgue, il est bien plus difficile de les jouer sur la partition que si elles étaient écrites en la tablature ordinaire. Mais ceux qui possèdent un peu le clavier sauront qu'il ne leur sera pas si difficile qu'ils se l'imaginent, d'acquérir l'habitude et la facilité de jouer sur la partition, et il y en a dans Paris, qui peuvent rendre témoignage de cette vérité par leur propre expérience : joint qu'il leur sera toujours facile de réduire, quand ils voudront, toutes ces pièces dans la tablature ordinaire. Cela étant ainsi il y a lieu de s'étonner, de ce qu'il ne se trouve personne parmi nous qui se soit voulu servir de cette méthode pour mettre au jour ses ouvrages, et si c'est en partie ce qui m’a donné occasion de composer ces Fugues et Caprices et les donner au public pour exciter à ce travail ceux qui font leur principale profession de cet art, et qui y employant tout leur temps y peuvent avoir acquis de plus belles connaissances.
II se trouvera dans cet ouvrage quelques endroits peut-être un peu trop hardis aux sentiments de ceux qui s'attachent si fort aux anciennes règles qu'ils ne croient pas qu'il soit jamais permis de s’en départir. Mais il faut considérer que la Musique est inventée pour plaire à l'oreille et par conséquent si je leur accorde qu'un ouvrier ne doit jamais sortir des règles de son art, ils doivent aussi demeurer d'accord que tout ce qui se trouvera être agréable à l’oreille doit toujours être censé dans les règles de la Musique. C'est donc l’oreille qu'il faut consulter sur ce point, et comme je n'ai rien fait que je ne l’aie vu pratiquer par les plus habiles dans cet art, et qui n'ait été trouvé fort agréable dans l’exécution : je ne doute point que si on suspend son jugement jusqu’à ce qu'on ait ouï l’effet des notes, qui semblent ne se défendre pas assez bien sur le papier; on ne trouvera pas que je me sois donné des licences, que pour ne pas laisser échapper les traits, que j’ai cru devoir être les plus agréables. J’avoue néanmoins que j'ai quelquefois abandonné cette maxime, lorsque j’ai voulu m'astreindre à traiter en même temps plusieurs sujets, et les répéter tous dans toutes les parties; et je ne sais pas si en cette rencontre l'oreille trouvera toute sa satisfaction, mais j’ai bien voulu éprouver ce que je pouvais exécuter en ce genre d'écrire.
Comme il ne serait pas juste que je tirasse avantage du travail d'autrui , je vous dois avertir que dedans ce livre, il y a trois pièces qui ne sont pas de moi, il y en a une qui a été autrefois composée par I'illustre Frescobaldi, un autre de Monsieur Ebnert et la troisième de Monsieur Froberger, tous deux organistes de l'Empereur, pour les autres je les ai toutes composées sur les sujets qui m'ont été présentés par Messieurs de la Barre, Couperin, Cambert, d'Anglebert, Froberger, Bertalli, maître de musique de l'Empereur, et Cavalli organiste de la République de Venise à Saint Marc, lequel étant venu en France pour Ie service du roi, lorsque mon livre s'achevait d'imprimer, je l'ai prié de me donner un sujet, afin que mon livre fut aussi honoré de son nom.
II ne me reste plus qu'à vous dire que les Caprices se doivent (quant à la mesure) jouer à discrétion et fort lentement, quoiqu'ils soient notés par des croches et doubles croches, et que quelque diligence que j'aie apporté à corriger, cela n'a pas empêché qu'il ne se soit encore trouvé quelques fautes, ce qui m'a obligé de faire un Errata par lequel je vous supplie de commencer à voir le livre. Je n’y ai point marqué plusieurs liaisons qui ont été omises et quelques pauses où il y a erreur, les savants y suppléeront facilement. Si au surplus on trouve quelques difficultés et que l’on se veuille donner la peine de me les communiquer, on me fera beaucoup d'honneur, et je tâcherai autant qu'il me sera possible d'y satisfaire. Si je reconnais que cet ouvrage contente ceux auxquels je le présente, je me résoudrai volontiers à mettre encore quelque autre chose sous la presse, et d'un caractère nouveau et plus petit, où je tâcherai à être plus exact.
Achevé d'imprimer pour la première fois, Ie quatorzième d'août 1660.
(transcription par Max Méreaux avec orthographe actualisée de l'Advertissement des Fugues et Caprices à 4 parties de Roberday)