La Schola Cantorum


 

 

 

Paris, église Saint-Gervais, janvier 2015, anniversaire des 120 ans de la Schola Cantorum. Une émotion singulière se percevait dans la foule qui envahissait l'immense nef, point d'ancrage originel de l'école, de l'école mythique de la rue Saint-Jacques. Les mêmes sentiments gagnaient également les nombreux musiciens qui essayaient de se trouver une place derrière l'autel ou dans la sacristie. Comment aurait-il pu en être autrement ? N'étions-nous pas accueillis par les Couperin, père et fils ? et l'aurions-nous oublié, le somptueux buffet d'orgue qui dominait l'assemblée aurait suffi à nous le rappeler, à nous rappeler qu'en honorant la mémoire de la Schola, nous faisions beaucoup plus que de raviver les souvenirs, publics et privés, d'une école de musique. Tous, nous savions que le formidable creuset de création et de recréation qu'elle représente en fit, au début du XXème siècle, rien de moins que le sanctuaire du renouveau de la conscience historique chez les musiciens français.

 

En entendant Michel Denis prononcer son discours inaugural, et retracer les premiers temps héroïques d'une aventure artistique semblable à aucune autre, je ne pouvais m'empêcher de penser qu'il était investi ce soir-là d'une double légitimité : légitimité du directeur de l'établissement et légitimité de celui qui l'avait sauvé du naufrage. Peut-on ignorer, en effet, la manière avec laquelle, sans argent ni soutien, il s'était donné pour tâche de s'opposer à une mort programmée ? Le plus étonnant est qu'il y soit parvenu, car les soutiens les plus inattendus et les plus improbables ont fini par arriver... On pense inévitablement à Charles Bordes qui, dans les murs de Saint-Gervais, conçut son projet à partir de rien ou presque rien, ne pouvant compter que sur quelques amitiés fidèles. S'impose ici l'idée selon laquelle "la foi déplace les montagnes", car, si l'expression a un sens, nul doute qu'elle s'applique idéalement à l'histoire de la Schola, deux aventures - naissance et renaissance - qui, à un siècle de distance, se renvoient les échos des batailles du passé ayant rendu possible l'émergence d'un chapitre essentiel de la musique française.

 

Alexis Galpérine




Souvenirs…

Certains lieux ont une âme. L'histoire prestigieuse de la Schola Cantorum, celle des grands fondateurs de l'institution, Vincent d'INDY, Charles BORDES, Alexandre GUILMANT et de leurs disciples, je pense bien sûr à Albert ROUSSEL, permet de dire que la Schola est une page de l'histoire de la musique française. Cette histoire aurait pu mourir et connaître la décadence de tant de grandes institutions. Ce ne fut pas le cas et il est émouvant pour celui qui a tant aimé ce lieu béni de constater qu'il est aujourd'hui plus vivant que jamais. Il ne vit pas de souvenirs mais au contraire puise dans ceux-ci l'esprit qui lui permet non seulement de continuer mais aussi d'agrandir le champ de ses activités.

Je veux dire ici que la Schola m'a tout donné. Elle fut le premier chemin que j'allais emprunter, c'est en effet dans ses murs que je devais connaître un enseignement dont je mesure aujourd'hui à quel point il est au centre de ma formation musicale. Si je me permets d'évoquer la Schola sous un angle personnel, ce n'est pas seulement pour exprimer ma gratitude, mais c'est aussi parce que ma propre histoire illustre d'une certaine manière la pérennité de l'enseignement dispensé ici.

Mes grands-parents, Madeleine BLOY et Édouard SOUBERBIELLE ont été parmi les premiers élèves de la Schola. Et, un demi-siècle plus tard, je franchissais avec eux pour la première fois le porche de l'école, à l'ombre du Val de Grâce.

Lily BACH mit le violon dans mes mains et me conduisit jusqu'à mon 1er prix du Conservatoire. Elle fut pour moi, comme pour tant d'autres, le plus admirable des professeurs. Cet être très rare, qui aura été l'un des premiers pédagogues de Paris, fut adoré de ses élèves et représenta comme personne l'esprit de la Schola.

Jacques CHAILLEY était alors notre directeur, son influence fut immense, je n'aurais sans doute jamais embrassé la carrière musicale sans la manière unique dont il m'a suivi et conseillé.

Enfin, je veux évoquer celui qui m'a ouvert à l'univers de la Musique de Chambre, le grand artiste que fut Alfred LOEWENGUTH. Des centaines d'enfants ont découvert la musique, révélée et mise en lumière par la personnalité rayonnante de cet homme merveilleux.

Si j'ai trop parlé de ma propre histoire et de ceux qui l'ont marquée, c'est pour tenter d'expliquer ce que fut et ce qu'est l'esprit de cette école semblable à aucune autre.
Ma plus grande joie, après une période de concerts, est de revenir respirer l'air de la Schola. Je franchis le seuil, je suis accueilli par Francine MONSY- FRANZ et Christine TREAL, la musique me parvient au travers des portes, et je sais que l'école est tournée vers l'avenir.

Alexis Galpérine
(1986)

www.schola-cantorum.com/


Discours prononcé par Michel DENIS

(directeur de la Schola Cantorum de Paris)

le 24 janvier 2015 lors des 120 ans de l'Institution (1894-2015)

en l'église Saint-Gervais (Paris), berceau de l'oeuvre.

 

 

Les trois fondateurs de la Schola Cantorum en 1894 : Charles Bordes, Alexandre Guilmant et Vincent d'Indy.
(La Schola Cantorum en 1925, Bloud & Gay, coll. DHM) DR.

L'Atmosphère particulière et la ferveur de cette soirée où nous sommes heureux de vous convier sera - à n'en pas douter - le reflet de ce que c'est, et de ce que représente cette institution avec cet « esprit Schola » unique en son genre, qui a présidé à sa fondation et qui perdure de nos jours au travers des artistes et des protagonistes qui ont généreusement prêté leur concours pour célébrer ce soir, comme il se doit, le 120eme anniversaire de la Schola Cantorum et pour fêter et honorer celles et ceux qui ont bâti et fait son histoire et auxquels nous attache un devoir du souvenir et de la mémoire.

 

Cette école porte le témoignage d'une grande, noble et passionnante aventure humaine, dont le point de départ se situe - ici même - en cette église Saint-Gervais à Paris, où va s'ancrer tout d'abord l'histoire unique d'une volonté et d'un seul homme : Charles BORDES (1863-1909) son fondateur. En 1890, il est nommé au poste de Maître de Chapelle en cette église.

 

À sa première visite, il fut saisi par la hardiesse de cette nef entrevue par une journée basse et pluvieuse de mars qui laissait errer sous la voûte des vapeurs violettes : « Quel beau vaisseau pour faire de la musique ! » s'écria-t-il.

 

Dès lors, la vieille âme de pierre avait parlé à l'Artiste, cette pierre lourde aussi de mémoire historique, et que transcendent le génie et la poésie du lieu.

 

C'est à lui seul, écrira plus tard Vincent d'INDY (1851-1931) - qui présida aux destinées de la Schola entre 1900 et 1931 - et à lui seul que revient le titre de fondateur de la Schola Cantorum.

 

Là où il y a volonté, il y a chemin, et le sien - c'était là sa destinée - croisera la route du curé de Saint- Gervais, un saint homme : le Chanoine de Bussy, un nom prédestiné, qui va lui laisser carte-blanche pour organiser dans son église une grande partie des chefs-d'œuvre de la musique sacrée, avec un répertoire s'étendant sur plusieurs siècles, ce qui représentait, à l'époque, une révélation et un événement en soi.

 

Mais pour cela, il fallait trouver des exécutants et un public, ce qui n'était pas évident et n'allait pas de soi.

 

Charles Bordes se dirigea tout d'abord et instinctivement vers le Conservatoire de Paris où il recruta des élèves des classes de solfège, et chargea trois d'entre eux d'en recruter 25, par ce que l'on a appelé « la technique de la boule de neige ». Parmi eux, un certain Alfred CORTOT (1877-1962) ; j'aurai l'occasion d'en reparler. Et l'aventure peut, et est digne de commencer.

 

Ces chœurs sont insuffisants ? Bordes réquisitionne ses propres amis. Si leurs voix sont faibles ou défectueuses, au moins chantent-ils en mesure et parmi ses ténors ou basses on reconnaît - excusez du peu - des compositeurs célèbres : Henri DUPARC (1848-1933), Ernest CHAUSSON (1855- 1899), Vincent D'INDY et Emmanuel CHABRIER (1841-1894), l'auteur d'Espana... Et nul n'a oublié la vision de ce dernier, son mouchoir sur la tête pour se préserver d'un courant d'air, et qui se présenta au brave curé en se faisant passer pour César FRANCK (1822-1890) en personne, le curé tenant absolument à rencontrer l'organiste de l'église Sainte-Clotilde, à Paris.

 

Charles Bordes fonda - bien plus tard - un quatuor vocal qu'il promenait partout : le Soprano manquait de discipline, le Ténor ignorait la musique, la Basse n'avait pas d'aigus ! Mais qu'à cela ne tienne, c'étaient les temps héroïques qui ont fait dire à l'époque à un journaliste que « la Schola était à l'histoire de la musique ce que l'aéropostale était à l'histoire de l'aviation ».

 

On est sur la brèche, on atterrit et l'on décolle comme l'on peut, par tous les temps, l'important étant d'ouvrir des voies nouvelles. Il en fut et il en aura été ainsi sans relâche.

 

Le succès et la notoriété étant et venant, les concerts que Charles Bordes organise vont trouver un écho grandissant auprès des musiciens de l'époque, et non des moindres, qui vont fréquenter assidûment Saint- Gervais : Maurice RAVEL (1875-1937), Isaac ALBENIZ (1860-1908), Charles GOUNOD (1818-1893), Gabriel FAURÉ (1845-1924), Paul DUKAS (1865-1935) et particulièrement Claude DEBUSSY (1862-1918) qui surnommera plus tard la Schola de « Ruche bourdonnante », vont être de ceux-là. Julien TIERSOT (1857-1936) se souvenait de Claude Debussy sortant de l'église Saint-Gervais « L'œil allumé tel que je ne l'avais jamais vu, et venant à moi, me disait ces simples mots, exprimant une émotion intense : « voilà la musique ! » Et c'est ainsi, que pratiquement sur plus d'une décennie furent remis à l'honneur et en pleine lumière les musiques de Jean-Sébastien BACH (1685-1750), Georg-Friedrich HAENDEL (1685-1759), François COUPERIN (1668-1733), Giovanni-Pierluigi da PALESTRINA (1525-1594), Jean-Baptiste LULLY (1632-1687), Marc-Antoine CHARPENTIER (1643-1704), Giacomo CARISSIMI (1605-1674), Claudio MONTEVERDI (1567- 1643), etc.

 

Puis Charles Bordes songea à développer, dès 1894, en province, l'action qu'il avait entreprise dans le but de faire instituer par d'autres, et dans des centres différents, ce qu'il avait créé avec bonheur à Paris, en un mot, la décentralisation.

 

Il conçu alors la création d'une société, et pour cela il lui fallait une couverture morale et des collaborateurs qui puissent cautionner son projet.

 

Il fit alors appel à deux grands musiciens : Alexandre GUILMANT (1837-1911), l'un des plus grands organistes de son époque. Il enseignait alors au Conservatoire de Paris, et il devait devenir - bien plus tard - premier Président de l'école.

 

Il avait des scrupules : « J'aurais l'air, disait-il, de manger à deux râteliers ». D'Indy le rassura : « il y en a un des deux où l'on ne mange pas ! ». Heureuse époque, le ton était donné !

 

Quant au conservatoire en question, on le mit en demeure de choisir, « je choisis les deux ! », répondit Guilmant.

 

En ce qui concerne Vincent d'Indy, il devait devenir la figure emblématique de l'Institution et il présida à ses destinées de 1900 à 1931.

 

Le début d'une épopée

 

Le programme de Charles Bordes les passionna, cependant l'entreprise nouvelle était hasardeuse. Sainte-Thérèse, il est vrai, n'avait que trois écus à l'époque où elle entreprit de fonder tous les Carmels d'Espagne, mais disait-elle « Dieu, Thérèse et trois écus peuvent tout ».

 

Bordes ne posséda jamais le premier sous vaillant, comme l'on dit, mais il avait la Foi, cette Foi qui soulève les montagnes, et que ne ferai-t-on pas sans argent !

 

Et c'est ainsi que cette institution, comme toutes les entreprises qu'une foi a fait surgir des profondeurs, a été fondée avec beaucoup de passion, beaucoup de coeur et peu d'argent.

 

Une poignée d'hommes et de femmes ont uni finalement leurs efforts pour fonder à partir de rien cette modeste société du nom de Schola Cantorum, et c'est d'une petite mansarde voûtée et gothique appliquée au flanc de l'église Saint-Gervais qu'est née l'oeuvre féconde à la fin du XIXe siècle.

 

Les débuts de l'école proprement dite, dans le quartier de Montparnasse, rue Stanislas en 1896, ont quelque chose de légendaire.

 

Il fallait une Institution, ce sera la Schola Cantorum, d'abord petite société d'études, puis tour à tour : école, maison d'éditions, société de concert, et centre toujours actif d'une rénovation artistique et musicale qui s'inscrit dans un courant de pensée et d'action qui puise ses racines dans un courant spirituel et humaniste.

 

En décembre 1899, l'abbé Noyer, ici même à Saint-Gervais, du haut de cette chaire, exhortait ses ouailles en ces termes :

 

« Allez Messieurs-Dames au numéro 11 de la rue Stanislas ! Certes, vous ne remarquerez pas un palais, mais vous y trouverez un foyer vivace. Ce n'est pas encore comme le Conservatoire, mais cela peut le devenir un jour. Donnez donc, Mesdames et Messieurs, donnez de tout cœur, aidez de vos deniers toutes ces initiatives »

L'on n'a plus qu'à dire « Amen » et « Alleluia » à tous ces prêches !

 

Pendant de nombreux siècles, l'enseignement musical avait été associé à la suprématie de la musique religieuse et sacrée. C'est là un fait indiscutable. Il faut remonter au pontificat du pape Saint Grégoire-le-Grand (?-604), grande figure de la chrétienté au Moyen Âge, pour voir apparaître, à Rome, aux environs de l'an 590, une Schola Cantorum, qui désignait alors une « Ecole de chantres ». Le terme « Maîtrise » lui fut substitué par la suite.

 

Aussi faut-il voir symboliquement dans le choix du nom Schola Cantorum, la manifestation et le rattachement à des valeurs spirituelles entre autres. Par la suite, la portée et la signification de ces deux mots dépassera le cadre restrictif, voire confessionnel qu'il sous-entendait lorsque l'institution, dès son installation rue Saint-Jacques s'ouvrira et épousera toutes les facettes de l'art musical.

 

En un mot, de la Schola Cantorum à la résonance quelque peu antique, l'on est passé plus familièrement à la Schola, dans la plus forte acception du terme. C'est sous ce vocable que l'Institution est universellement connue et reconnue.

 

Au conservatoire, axé en ce début du XXème siècle sur l'art lyrique, les fondateurs de la Schola Cantorum vont opposer une Schola attachée à tous les genres de la musique occidentale, à savoir :

 

L’Art grégorien, dans l’esprit des fondateurs, l’art grégorien était très important aussi bien comme objectif propre en matière d’enseignement que comme base de formation musicale, les rapports du grégorien avec toute la musique européenne étant étroits.

La musique de chambre

La musique d'orgue

La symphonie Beethovénienne, avec un approfondissement de la formation musicale…

 

La Schola ne voulait pas uniquement former que des virtuoses mais des artistes. Pour Vincent d'Indy, l'art était - avant tout - un moyen de vie pour l'âme ; le but d'une école étant de former des artistes, et non des premiers prix et des « bêtes à concours ».

 

Ce devait être - avant tout - une entreprise de camaraderie, de coopération, d'émulation, et non de rivalité. « On ne fait pas de musique contre quelqu'un » devait-il écrire par la suite. Ce sont là quelques « leitmotivs » qui ont guidé et inspiré les fondateurs et leur action humaine, éducative et artistique.

 

Il fallait aussi, d'emblée, inscrire dès le début l'Institution dans une démarche et une position éducative et intellectuelle de premier ordre qui fit comparer l'école à une Université plus qu'à un Conservatoire.

 

Pour la petite histoire, à défaut de la légende des siècles, j'aimerais évoquer dans la continuité de vos propos auxquels nous avons été sensible [Michel Denis fait ici allusion aux propos du père Abbé et de son discours d’accueil à Saint-Gervais], notre joie de fêter des retrouvailles après plus de cent ans d'absence.

 

À ce propos - si je peux me permettre une légère digression - lorsqu'il s'est agi de fêter le centième anniversaire de la Schola, une personne avait compris que je fêtais personnellement mon centième anniversaire. Nous étions en 1994 et le bruit se répandit que je ne faisais pas mon âge...

 

Précisons donc bien - malgré 20 ans de plus - que j'entends bien n'avoir que l'âge de mes artères. Après cela l'on dira, à juste titre, que l'on a l’âge de César Franck et l’âge de ses artères. Après tout, ce n'est pas tous les jours que l'on a 120 ans !

 

La légende des siècles.

 

Telles sont quelques-unes des riches réflexions et enseignements que l'on peut tirer de cette épopée qui fut aussi héroïque. Cette école appartient désormais à l'histoire tout court.

 

Pour ma part, je m'efforcerai de veiller scrupuleusement sur cet héritage moral que nous ont légué nos prédécesseurs, en nous attachant à retrouver non pas la lettre mais surtout l'esprit, et surtout l'enseignement des fondateurs qui n'a rien perdu de sa nécessité, et faire en sorte que l'école puisse continuer à être prospère, dynamique, ouverte, et qu'elle puisse porter au loin les fruits de son enseignement : message musical, humaniste et culturel, qui ont fait son succès et son rayonnement aux quatre coins du monde.

 

120 ans, cela peut paraître court au regard de l'histoire est eu égard à la légende des siècles, mais c'est - à notre échelle humaine - un pas somme toute dans l'éternité.

 

Puisse en ce jour anniversaire entre tous, le présent, le passé et le futur se conjuguer pour ajouter un nouveau chapitre, et parfaire l'oeuvre entreprise dans une fierté partagée.

 

« Notre tradition, c'est l'audace de ceux qui nous ont précédé » avaient coutume de dire Daniel-Lesur et Jacques Chailley, mes prédécesseurs. Il faut donc qu'à leur tour, ceux qui nous suivront, trouvent une tradition qui sera faite de notre propre audace.

 

Merci encore une fois à tous ces pionniers que nous honorons, et qui ont semé à tous vents de la bonne musique, sans souci de leur gloire en seulement s'inclinant devant les génies. Mais quelle moisson ! C'est à la longue dit-on, que s'enracinent les chênes, et que la forêt finalement l'emporte sur la friche.

 

Vive la Schola, vivent ses professeurs, vivent ses élèves, vivent tous mes collaborateurs, vive son public et que vivre Saint-Gervais. Longue vie à toutes et tous, si Dieu le veut...

 

Alleluia !


La Schola Cantorum

Une Ecole de musique répondant aux besoins modernes

Vincent d’Indy, discours d’inauguration de l’Ecole de Chant liturgique et de Musique religieuse et classique,
fondée par la « Schola Cantorum » en 1896, agrandie et transférée rue Saint-Jacques, 269, Paris, le 2 novembre 1900

 

 Mesdames, Messieurs, Mes chers amis,

L'art n’est pas un métier.
Une école d’art ne peut pas, ne doit pas être une école professionnelle. Telle est la vérité qu’en inaugurant cette nouvelle section d’enseignement de notre Schola Cantorum je tiens à développer devant vous.

Il faudrait bien se garder de croire, en effet, que, pour être musicien, il suffise de savoir jouer, même très bien, d’un instrument ou de pouvoir écrire très correctement une fugue ou une cantate ; ces études font évidemment partie de l’enseignement musical, mais elles ne constituent point l’art, j’oserai même dire que pour celui qui s’arrête à ce degré d’instruction sans chercher l’art véritable, les connaissances acquises deviennent funestes et d’autant plus pernicieuses qu’il s’imagine être suffisamment armé pour produire ou interpréter de grandes œuvres.

C’est en raison de cette regrettable équivoque que dans la foule, toujours croissante, des professionnels, il en est malheureusement beaucoup, même doués d'un certain talent, qui ne sont pas, qui ne seront jamais artistes.

Au cours de ma carrière, il m’est arrivé parfois d'observer l’effet produit sur une salle de concert ou de théâtre par l’audition d’une belle œuvre, et j’ai pu constater, avec une certaine stupéfaction, je l'avoue, que le bon public, celui qui est susceptible d'émotion en face d'un chef-d’œuvre, se divise en auditeurs ayant la connaissance approfondie de l’art, c’est le très petit nombre, et en assistants, ceux-là fort nombreux, totalement dépourvus de science et juchés d'ordinaire aux places à bon marché, mais se laissant simplement, naïvement, sincèrement aller à leur impression ; quant au mauvais public, celui qui ratiocine sur l'œuvre sans savoir même l’écouter, il se compose d'une seule catégorie d'individus, les gens qui ont étudié l'harmonie. Ceux-ci n’étant point assez naïfs, parce qu'ils se croient savants, pour se laisser impressionner, et n’étant pas assez savants pour juger sainement, ne sont capables ni de sentir ni de comprendre.

Il en est des étudiants en musique comme des publics, ceux qui s’en tiennent à l’acquisition du seul métier ont bien des chances pour rester des êtres inutiles, je dirai même nuisibles, au progrès de la musique.

Que le ciel nous préserve des demi-artistes comme des demi-savants, il vaudrait mieux pour eux... et pour l’art qu’ils ne fussent jamais nés !

Mais, hélas ! cette race tend à devenir légion, et, depuis le compositeur Adolphe Adam avouant à ses élèves que la musique ne procurait à son esprit aucune jouissance et qu’il n’en composait que parce qu’on ne lui avait pas appris à faire autre chose, jusqu’à un célèbre ténor jugeant ex professo de la valeur d’une partition d’après la fréquence des si bémol, beaucoup usurpent le noble nom d’artiste qui auraient fait bien meilleure figure sous les espèces d’un employé de banque, d’un homme politique ou d’un commis-voyageur en vins de Bordeaux.

C’est cette production périodique de non-valeurs que la Schola Cantorum veut éviter à tout prix, et puisqu’on a bien voulu m’y confier la direction de la section d’enseignement, qu’on me permette de dire ici quelle serait ma conception d’une école d’art idéale.

Lorsque j'avançais tout à l’heure que l’art n’est pas un métier, loin de moi l'opinion, encore répandue chez quelques gens du monde, que l’inspiration suffit à tout et que l'homme inspiré n'a nul besoin d’apprendre la composition ou l'exécution.

Il y a dans l'art une partie métier qu’il est nécessaire, qu'il est indispensable de posséder à fond lorsqu’on se croit appelé à la carrière artistique. Tout instrumentiste, tout chanteur, tout compositeur, doit, avant toutes choses, se rendre maître absolu de la technique de son instrument, de sa voix, de son écriture musicale ; j'indiquerai tout à l'heure la méthode que je crois devoir être employée à cette fin. Mais lorsqu’on en est arrivé là, lorsqu’on est capable de se tirer sans accroc de concertos émaillés des traits les plus scabreux, de voltiger avec succès au travers des vocalises les plus compliquées, d’aligner d'une façon congrue les contrepoints les plus sévères et même de mettre sur pied une fugue correcte, il faudrait bien se garder de croire que c’est là le terme de l’éducation et que pour avoir surmonté, souvent avec peine, toutes ces difficultés, on soit devenu un artiste consommé ; c'est précisément le contraire, et, si l’on s’arrête à ce point qui n’est, à proprement parler, qu'à moitié route, on risque, neuf fois sur dix, de rester toute sa vie un demi- savant, partant, un médiocre.

Ces premières études nécessaires, qui ne sont autre chose que l’équivalent des mouvements d’assouplissement dans l’exercice militaire, seront classés, dans l’école dont je parle, sous la rubrique : Enseignement du premier degré.

Mais, là où finit le métier, l’art commence.

Et c’est alors que la tâche des professeurs sera, non plus d’exercer les doigts, le larynx, l'écriture des élèves, de façon à leur rendre familier l’outil qu'ils auront à manier, mais de former leur esprit, leur intelligence, leur cœur, afin que cet outil soit employé à une besogne saine et élevée, et que le métier acquis puisse ainsi contribuer à la grandeur et au développement de l'art musical. Ne nous y trompons point, mes chers amis, ce que nous devons chercher dans nos travaux d'art, ce n’est pas le profit, laissons ce négoce aux trop nombreux sémites qui encombrent la musique depuis que celle-ci est susceptible de devenir une affaire, ce n’est pas même la gloire personnelle, résultat éphémère et sans portée, non, nous devons viser plus haut, nous devons voir plus loin, le vrai but de l’art est d’enseigner, d’élever graduellement l’esprit de l'humanité, de servir, en un mot, dans le sens du sublime : dienen, que Wagner met dans la bouche de Kundry repentante au troisième acte de Parsifal.

Et je ne crois pas qu’il existe au monde une mission plus belle, plus grande, plus réconfortante que celle de l’artiste comprenant de cette façon le rôle qu’il est appelé à jouer ici-bas.

Ce sera donc non seulement une instruction artistique, mais encore une véritable éducation spirituelle que les élèves auront à recevoir dans cette seconde phase, la plus importante de leurs études. Tel sera le but de l’enseignement du second degré, que je qualifierai enseignement artistique par opposition aux travaux purement techniques du premier degré. Il ressort de là que cet enseignement du premier degré sera confié, dans mon projet d'école idéale, à des artistes de talent, possédant à fond les matières qu'ils sont chargés de communiquer aux élèves. Quant aux cours du second degré, ils ne pourront naturellement être donnés que par des compositeurs ou des exécutants ayant fait de sérieuses études de composition.

Mais, pour atteindre le but, il est indispensable que ces deux sortes d'enseignement soient coordonnées d’une manière logique ; j’en arrive donc à la méthode qui me semble la meilleure et la plus pratique pour obtenir le résultat désiré.

L’art, dans sa marche à travers les âges, peut être ramené à la théorie du microcosme. Comme le monde, comme les peuples, comme les civilisations, comme l'homme lui-même, il traverse de successives périodes de jeunesse, de maturité, de vieillesse, mais il ne meurt jamais et se renouvelle perpétuellement. Ce n’est pas un cercle fermé, mais une spirale qui monte toujours et toujours progresse.

Adaptant ce même système microcosmique à l’organisation de mon école idéale, je prétends faire suivre aux élèves la marche même que l'art a suivie, en sorte que subissant en leur période d’étude, les transformations subies par la musique à travers les siècles, ils en sortiront d'autant mieux armés pour le combat moderne, qu’ils auront vécu pour ainsi dire la vie de l’art et se seront assimilé dans leur ordre naturel les formes qui se sont logiquement succédé dans les diverses époques du développement artistique.

Ce système sera appliqué d’une façon générale aussi bien aux jeunes gens qui se destinent à la carrière de compositeur qu’aux chanteurs et aux instrumentistes, car il sera tout aussi profitable à ceux-ci de savoir chanter convenablement une monodie liturgique ou de pouvoir jouer, dans le style qui convient, une sonate de violon de Corelli, qu’aux compositeurs d’étudier la structure d’un Motet ou d'une Suite ; et cette éducation méthodique aura, de plus, l’avantage de faire passer en revue aux élèves toutes les belles œuvres anciennes et modernes qu’il leur importe de connaître, d’éveiller conséquemment en eux des sentiments d’amour, d’admiration, d’enthousiasme pour les hautes manifestations de l’esprit humain et d’élever leur âme fortifiée par cette saine et substantielle nourriture jusqu’aux sommets de la philosophie de l’art.

Qu’on me permette de faire ici l’exposé du plan d’études que je propose, supposant, bien entendu, les élèves amplement instruits de la théorie musicale et du solfège.

 

Classe de grégorien d'Amédée Gastoué (debout au centre) en 1900.
(photo Ribaud, in La Schola en 1925, Paris, Bloud & Gay, 1927, coll. DHM) DR.

CHANTEURS

Enseignement du premier degré

Délimitation de la voix.

Pose de la voix.

Gymnastique et assouplissement.

Exercices d’articulation.

Exercices de diction.

Exercices de déclamation.

Exercices de rythme.

Notions de chant grégorien.

Etude des vocalises de Bach et de Haendel.

Étude de passages du chant italien du XVIIIe siècle propres à développer la gymnastique de la voix.

Étude de divers airs de l’école italienne du XIXe siècle.

 

Enseignement du second degré

Étude complète du chant grégorien.

Étude du style polyphonique vocal (chant palestinien).

Choix gradué de morceaux du style récitatif et représentatif. Récits de Carissimi, de Schütz, de Monteverde, de Caccini et des compositeurs italiens de la haute époque.

Choix d’airs de Bach (Cantates et Passions).

Choix d’airs de l’opéra français. Lully, Destouches, Rameau, Gluck, Monsigny, Grétry, Méhul, Spontini, Boïeldieu.

Notions sommaires des morceaux d’opéra italien du XIX* siècle et des scènes d’opéra français de l’époque judaïque.

Etude du chant dramatique moderne. Explication de ses principes et de leur application.

Choix de scènes de Mozart, Beethoven, Weber et Richard Wagner.

Histoire du style vocal.

Participation aux études d’ensemble choral.

 



Classe d'orchestre de Vincent d'Indy (debout, au centre) en 1901.
(La Schola en 1925, Paris, Bloud & Gay, 1927, coll. DHM) DR.

INSTRUMENTISTES

Enseignement du premier degré

Principes et doigté.

Gymnastique et assouplissement (études).

Exercices de rythme.

Etude graduée de passages tirés des parties d’orchestre d'œuvres symphoniques, depuis Bach jusqu'à l’époque moderne.

Etude de concertos sans valeur musicale, écrits spécialement pour approfondir la technique de l'instrument.

 

Enseignement du second degré

Etude chronologique et méthodique des œuvres importantes écrites pour l’instrument depuis son apparition jusqu’à l'époque moderne.

Etude des divers styles afférents aux diverses époques et aux différentes formes. Explication de la raison d’être du style.

Histoire des compositeurs ayant écrit pour l’instrument et de leurs œuvres. '

Histoire de l’instrument, de ses transformations et de ses développements successifs. Notions de fabrication.

Notions de chant grégorien et palestinien.

Notions élémentaires de l’harmonie, du contrepoint et des formes de composition pouvant s’appliquer aux œuvres écrites pour l’instrument.

Participation aux études d’application d’orchestre, d’accompagnement et de musique de chambre.

Participation aux études d’ensemble choral.

 



Classe de composition de Vincent d'Indy, vers 1905. De g. à dr. : Joseph Jemain (prof piano), Gustave Bret, Pierre Coindreau, Marcel Labey, René de Castéra, Vincent d'Indy, Maurice Alquier, Auguste Serieyx, Henry Estienne, Albert Roussel, Charles Pineau.
(Cinquante ans de musique française, de 1874 à 1925, sous la direction de L. Rohozinski, tome II, p. 223, Paris, 1925, Les Editions musicales de la Librairie de France) DR.

COMPOSITEURS

Enseignement du premier degré

Cours complet d’harmonie.

Cours complet de contrepoint.

Etude du chant grégorien.

Participation aux études d’ensemble choral.

 

Enseignement du second degré

Divisé en quatre cours successifs présentant chacun une partie théorique et une partie pratique.

 

Premiers cours

 

THÉORIE

Considérations sur l’art.

Le rythme.

La mélodie (Histoire de la notation) – PRATIQUE : Analyses mélodiques.

Etude de la monodie médiévale et de ses formes – PRATIQUE : Composition de monodies

L’harmonie (histoire) – PRATIQUE : Écriture du Choral varié.

L’expression, la tonalité.

Etude des formes de l’époque harmonique, de Josquin des Prés à H. Schütz (le style palestinien) – PRATIQUE : Analyse de motets.

Les formes du Motet – PRATIQUE : Composition de Motets.

 

Deuxième cours

 

THÉORIE

Première partie
Naissance du genre symphonique.

La Fugue et le Canon (étude historique).
Les formes de la Fugue et du Canon – PRATIQUE : Etude approfondie de la Fugue.

La Suite (étude historique. Scarlatti, Rameau, Bach) – PRATIQUE : Fugues vocales et instrumentales.

Les formes de la Suite – PRATIQUE : Composition d’une Suite pour un instrument.

La Sonate avant Beethoven

Les formes anciennes de la Sonate italienne. Corelli, etc. – PRATIQUE : Analyses de Sonates ; formes anciennes.

La forme Sonate depuis Ph.-Emmanuel Bach.

La forme Sonate chez Haydn, Mozart et Rust.

Etude de la forme Sonate, déterminée par Beethoven.

L’idée, le développement, la modulation et les lois tonales.

 

Deuxième partie

La Sonate depuis Beethoven.

Etude historique et esthétique de toutes les Sonates de Beethoven – PRATIQUE : Analyses de Sonates de Beethoven.

La Sonate moderne et les diverses modifications de sa firme. Weber, Schubert, Chopin, Schumann, Brahms, Grieg, Franck, Saint-Saëns, Fauré – PRATIQUE : Analyses de Sonates modernes.

La forme cyclique dans la Sonate – PRATIQUE : Composition d’une Sonate.

 

Troisième cours

 

THÉORIE

Première partie

Le concert et le Concerto (étude historique) – PRATIQUE : Analyse de Concerts.

La formes du Concert et du Concerto.

L’orchestre (étude théorique et historique).

L’instrumentation. Principes théoriques.

La Symphonie (étude historique de Haydn à l’époque moderne) – PRATIQUE : Analyse de Symphonies.

Les formes de la Symphonie.

Etude historique et esthétique des Symphonies de Beethoven.

Les formes cycliques de la Symphonie moderne.

 

Deuxième partie

La Musique de chambre (étude historique).

Les formes de la Musique de chambre.

Le Quatuor à cordes – PRATIQUE : Analyse de Quatuors.

Etude historique et esthétique des Quatuors de Beethoven

La forme cyclique du Quatuor moderne depuis Beethoven (Le Quatuor de C. Franck).

La Variation (étude historique) – PRATIQUE : Analyse de pièces variées.

Les formes de la Variation. (La Variation amplificatrice de Bach, chorals, à Beethoven, quatuors.)

La Fantaisie (étude historique). Ph.-Emm. Bach, etc.

L’Ouverture (étude historique) – PRATIQUE : Analyse d’Ouvertures.

Les formes de l’Ouverture italienne, française et allemande.

Le Poème symphonique (étude historique) – PRATIQUE : Analyse de Poèmes symphoniques.

Les formes du Poème symphonique, depuis le poème vocal jusqu’à Berlioz, Liszt et l'époque moderne – PRATIQUE : Composition d’une pièce dans la forme symphonique pour musique de chambre ou orchestre. La forme au choix de l’élève.

 

Quatrième cours

 

THÉORIE

Première partie

Le genre dramatique (étude historique) – PRATIQUE : Cours pratique d’orchestration.

Le Madrigal dramatique.

Les trois époques de l’Opéra italien, de Monteverde à l’école napolitaine – PRATIQUE : L’orchestre symphonique et l’orchestre dramatique.

Les trois époques de l’Opéra français, de Lully à Gounod (Rameau, Gluck, l’opéra comique, la période judaïque) – PRATIQUE : Etude de l’art du chef d’orchestre. Etudes pratiques de direction.

L’italianisme cosmopolite.

L’Opéra allemand, de l’école de Hambourg à R. Wagner.

 

Deuxième partie

Les formes dramatiques, depuis l’opéra italien du XVII” siècle jusqu’à R. Wagner.

Etude des œuvres wagnériennes au point de vue de la forme et de la construction.

Principes de composition du drame moderne – PRATIQUE : Composition d’un drame ou de scènes dramatiques.

L’Oratorio sacré (étude historique).

Les formes de l’Oratorio, de Carissimi à Bach et à Beethoven. (La Messe en ré) – PRATIQUE : Composition d’un oratorio sacré ou profane.

L’Oratorio profane (étude historique).

Les formes de la Symphonie dramatique moderne. (Berlioz, Liszt, Franck).

Le Lied (étude historique).

Les formes du Lied – PRATIQUE : Composition de Lieder.




La Schola Cantorum, installée en 1900 dans l'ancien monastère des Bénédictins anglais (1674), 269 rue Saint-Jacques, Paris :
le Pavillon principal vu du jardin, la Salle de concerts dans l'ancienne chapelle des Bénédictins, avec un orgue Cavaillé-Coll, 30 jeux, l'Entrée de l'ancienne chapelle, le Grand escalier, le Salon. (CP Yvon) DR.

Tel est, Mesdames et Messieurs, le programme d'études de mon école idéale ; je ne compte point que la présente année voie encore notre Schola le réaliser pleinement, mais j’ai assez de confiance en la valeur de nos professeurs et en la bonne volonté de nos élèves pour augurer qu'ils s’en rapprocheront autant que possible, parce que tous ici, je le sais, sont ou seront animés de la grande foi artistique.

Grâce à ce système d’enseignement, les élèves, une fois le métier acquis, auront étudié leur art au triple point de vue de l'histoire, de l'esthétique et de l'application pratique, et leur esprit sera suffisamment nourri, orné et fortifié pour qu'ils puissent ensuite parfaire d’eux-mêmes leur éducation dans un sens véritablement droit et profitable à leur carrière.

Et nous ne serons pas exposés, comme au temps de ma jeunesse, à voir un compositeur prendre Animuccia, le créateur de l'Oratorio, pour une femme aimable, ou à entendre un prix de Rome, à l’audition des premières mesures de l'allegretto de la Symphonie en la, s’écrier sérieusement : « Tiens, c’est joli, ça ! ça doit être du Saint-Saëns ! »


On remarquera de plus que tous, chanteurs et instrumentistes aussi bien que compositeurs, seront tenus d’étudier de façon plus ou moins approfondie et au moins de connaître le chant grégorien, les mélodies liturgiques médiévales et les œuvres religieuses de l’époque de la polyphonie vocale, c’est que j’estime que nul artiste n’a le droit d’ignorer le mode de formation de son art, et comme il est absolument avéré que le principe de tout art, aussi bien de la peinture et de l’architecture que de la musique, est d’ordre religieux, les élèves n’auront rien à perdre et tout à gagner dans la fréquentation des belles œuvres de ces époques de croyance, dont l’ensemble sera pour leur esprit comme la souche primitive sur laquelle viendront plus tard se greffer les rameaux de l’art social moderne.

Une autre mesure générale est l’obligation pour tous les élèves, sans distinction, qu’ils soient doués ou non au point de vue vocal, de faire partie du cours d’application chorale, qui leur permettra de connaître par la pratique les œuvres dont je viens de parler. Cette mesure n’est, du reste, pas une innovation, elle est appliquée couramment et depuis longtemps dans tous les Conservatoires de l’Étranger. Enfin, la création d’un cours spécial de direction d’orchestre, cours qui n’existe pas en France, que je sache, aura pour résultat, je l’espère du moins, de fonder chez nous une pépinière de chefs d’orchestre munis d’une solide éducation musicale et qui pourront être appelés à relever le niveau artistique des Sociétés de province, si inutiles à l'heure actuelle parce que presque toujours mal dirigées. Quant aux élèves compositeurs, il leur sera donné de faire une étude complète des formes de composition, aussi bien dans l’ordre symphonique que dans l’ordre dramatique, étude qui les mettra à même de s'assimiler, d’analyser et de juger avec fruit et compétence toutes les productions musicales, tant classiques que modernes. Qu’on me permette, à ce propos, de relever en passant une objection spécieuse qui m’a été faite à plusieurs reprises, même par des artistes de talent : « A la lecture des œuvres d’autrui », me disait-on, « le compositeur risque de perdre ou du moins d’atténuer sa propre personnalité ». Mais d’abord il faudrait admettre que ce qu’on nomme la personnalité fût vraiment une denrée bien fragile pour courir le risque de se casser ou de se détériorer au moindre contact ! Ensuite, qu’est-ce donc que cette fameuse personnalité, sinon l’expression sincère du sentiment humain par des moyens artistiques, et comment ce sentiment serait-il effacé par l’acquisition des connaissances qui ne peuvent au contraire que contribuer à l’élévation de l’esprit par le développement de la notion du beau ?

Au surplus celui qui s’hypnotise en la recherche exclusive de l’originalité, risque fort de ne la point trouver, nous en voyons journellement des exemples. Beethoven, qui, durant toute sa première manière, procéda du style de Mozart, de Clementi et des auteurs de son temps, Jean-Sébastien Bach, qui copia de sa propre main les principales œuvres de Vivaldi et des clavecinistes français, ne furent pas, ce me semble, dépourvus d’une certaine originalité; je maintiens donc qu’il est non seulement favorable mais même indispensable au développement des qualités personnelles chez l'artiste de connaître et d’étudier toutes les productions antérieures à son époque, en prenant pour modèle les admirables ouvriers d'art du Moyen-Age, qui ne songeaient qu’à imiter, dans leurs œuvres, les types plastiques établis, pour ainsi dire dogmatiquement, par leurs prédécesseurs. Ceux-là ne recherchaient point l’originalité à tout prix, ils étaient simplement et sincèrement d’accord avec leur conscience d’artiste, c'est ce qui les fit grands ! Guerre au particularisme, ce fruit malsain de la déviation protestante ; tout pour le bien de tous, telle est la devise qu'élèves et professeurs de la Schola s’efforceront de mettre en pratique.

Mais, me dira-t-on, il faut cependant bien renouveler les anciennes formules. Oui, certes, et ce n’est pas moi qui chercherai à refréner les généreux élans vers la marche en avant. Comment donc doit s’opérer cette rénovation, pour être féconde ? — Il est indéniable que le désir de l’originalité quand même, s’il n'est point appuyé sur des bases sérieuses, ne peut qu'aboutir à des formules destinées à vieillir encore plus vite que la cadence fin de phrase de Mozart et d’Haydn. Il existe actuellement en musique une sorte de style clinquant qui semble, en apparence, réagir contre les formes classiques, mais qu’on pourrait avec justesse comparer à ce que l'on nomme, dans l’article mobilier, le modern style ; c'est très joli, ça tire l'œil, mais à regarder de près, cela manque de solidité et, tranchons le mot, c'est de la camelote. Les auteurs, pour la plupart fort bien intentionnés, qui pensent ainsi faire du neuf, ne se rendent pas compte qu’en agissant empiriquement et en marchant à l'aveuglette, ils sont bien loin de créer, comme ils le croient, un art nouveau et des formes nouvelles, précisément parce que, soit par ignorance, soit par incurie, ils ne savent ou ne veulent pas se rattacher à la chaîne logique du passé. — Cette tendance paraît être encore un dernier avatar de l'école judaïque, qui retarda la marche de l’art pendant une grande partie du XIXe siècle, les œuvres qui en émanent sont, en général, superficielles comme cette école, et, comme elle, destinées à périr.

Où donc irons-nous puiser la sève vivifiante qui nous donnera des formes et des formules vraiment nouvelles ? Certes, la source n'en est point difficile à découvrir ; n'allons pas la chercher autre part que dans l'art décoratif des plain-chantistes, dans fart architectural de l’époque palestinienne, dans l'art expressif des grands Italiens du XVIIe siècle. C’est là, et là seulement que nous pourrons trouver des tours mélodiques, des cadences rythmiques, des appareils harmoniques véritablement neufs, si nous savons appliquer ces sucs nourriciers à notre esprit moderne.

C’est dans ce but que je prescris à tous les élèves de l'École l'étude attentive des antiques formes, parce qu’elles seules sont susceptibles de donner à notre musique les éléments d’une nouvelle vie fondée sur des principes sûrs, sains et solides.

Et maintenant, si du domaine de l’écriture je passe à celui de la pensée, je dois vous prémunir, vous qui avez presque terminé vos études et vous qui allez les commencer, contre un danger qui n'est, en somme, que le corollaire de la tendance que je viens de signaler ; je veux parler du vérisme en art.

Sans m’appesantir sur la vilaine assonance de ce néologisme, je ne crains pas d’affirmer que rien n'est plus faux, que rien n'est même plus vieux jeu, car nous la retrouvons à toutes les basses époques de l’histoire musicale, que cette soi-disant recherche aiguë de la vérité ; le rendu du réel n’a jamais été de l’art; ce qui produit le beau ce n’est point la copie servile de la nature mais bien l’impression ressentie se magnifiant, s’idéalisant (je ne répugne point à employer ce terme), dans l'âme de l'artiste pour se réduire ensuite et se concrétiser en une œuvre. Cette prétendue réforme ne sert en général à autre chose qu’à déguiser l’ignorance ou l'impuissance de penser hautement les compositeurs italiens contemporains, dans le sillage desquels se meuvent nos véristes français (Il convient de faire une exception en faveur de Gustave Charpentier, qui est, je le crois, un sincère et un convaincu), gagneraient aussi beaucoup à étudier de plus près leurs grands ancêtres et l’on aimerait rencontrer dans leurs œuvres, fut-ce même au simple titre d’imitation, un peu de la noblesse de style d’un Palestrina, du sentiment expressif d’un Carissimi ou d’un Monteverde, voire de la forme plastique d'un Scarlatti ou d’un Cimarosa.

Ne soyons pas véristes, mes chers amis, contentons-nous d’être vrais. Et pour cela, gardons-nous bien de viser au succès, disposition des plus néfastes pour le créateur, qui l'amène fatalement soit à devenir l'homme d’une seule œuvre si son premier essai a trop bien réussi, soit à se faire l’esclave de la mode, et c’est le cas des cultivateurs du « modem style » dont je parlais tout à l'heure, soit enfin à faire sciemment de mauvaise musique pour capter les suffrages d’une assistance, toutes conditions indignes de l’artiste véritable, dont la mission n’est pas de suivre le public, mais de le précéder et de le guider.

C’est le respect de cette mission qui caractérise tous les grands, ceux qui ne passeront point, parce que leur art a eu une raison d’être éducatrice ; c’était aussi ce qui caractérisait le maître de la moderne génération symphonique en notre pays, notre vénéré père Franck, qui est, nous pouvons le dire, un peu le grand-père de cette Schola Cantorum, car c’est son système d’enseignement que nous nous efforçons de continuer et d’appliquer ici.

César Franck, dont la naïve adoration pour l’art véritable, sans parler même de son génie, inspirait à tous le respect, avait su créer autour de lui une atmosphère d’amour enveloppant étroitement les disciples qui communiaient en son enseignement. Cet amour mutuel, cet esprit d’union dont nous étions alors animés, je voudrais les voir revivre en nos élèves, et le meilleur moyen pour atteindre ce but est le mépris de ce qu’on nomme le succès immédiat, le succès de public.

Soyez des émules dans le travail, jamais des rivaux.


C’est la raison pour laquelle nous répudions ici le système des concours, qui produit bien rarement un résultat satisfaisant, le concours n’étant le plus souvent que la consécration officielle de la médiocrité.

Vous sortirez de cette École avec un certificat constatant le point jusqu'où vous aurez poussé vos études, mais n’attendez pas de nous récompenses ou distinctions, car notre intention est de produire des artistes et non des premiers prix.

Certain que tous nos professeurs sont animés des mêmes sentiments, il me paraîtrait banal de les remercier d’avoir bien voulu marcher à nos côtés dans cette voie de propagande artistique. Je tiens cependant à exprimer spécialement notre reconnaissance aux deux piliers (qu’ils veuillent bien me pardonner cette assimilation architecturale), aux deux piliers qui soutiennent si fermement l’édifice de la Schola. L'un, le grand maître moderne de l'orgue, qui sait allier à sa profonde connaissance des anciens une saine et large appréciation des productions modernes, l'éminent musicien qui n’a pas dédaigné de venir, en sa bienfaisante bonté, instruire et former les élèves de notre Schola naissante. Si le vir bonus discendi peritus (c’est à dessein que je modifie légèrement le texte de ma citation) est applicable à une personnalité, c’est bien sûrement à celle de notre cher maître Alexandre Guilmant.


L'autre pilier, sans lequel, je puis le dire, la Schola n’aurait jamais pu s’édifier, c’est Charles Bordes, le chef de la vaillante phalange des Chanteurs de Saint-Gervais, société qui fut comme la trompette d’avant-garde de toute notre campagne actuelle et dont les membres — qu’ils reçoivent le témoignage de notre gratitude — ne cessèrent de prodiguer aide et encouragements à notre Schola naissante, Charles Bordes, qui. par son pur enthousiasme, a su réveiller et enflammer nos zèles, je l’avoue, un peu hésitants dans le principe, Charles Bordes qui, non content de fonder, grâce à son infatigable activité, l’ancienne École delà rue Stanislas, malgré l’exiguïté des capitaux disponibles (à l’époque de cette fondation, il y a quatre ans, nous avions en caisse 37 fr. 50), non content de l'agrandir par des modifications successives, est arrivé, en dépit des obstacles, des difficultés, je dirai même des appréhensions de ses amis, à nous doter du beau bâtiment dont nous prenons possession aujourd’hui. C’est à Charles Bordes que nous devons non seulement l’idée première, mais la mise en œuvre de la Schola Cantorum ; sa foi généreuse et jamais troublée nous a entraînés, nous l’avons suivi et nous ne nous en repentons certes pas.

Il faut cependant dire encore combien je suis fier et heureux de pouvoir offrir ici nos sincères remerciements à tous nos professeurs, et non seulement aux courageux militants de la première heure qui combattent avec nous depuis trois ans déjà, mais aussi à ceux qui n’ont point hésité à venir se grouper autour de nous avec, j’ose le dire, le plus complet désintéressement, chose rare, hélas! dans notre métier; grâce à ces maîtres de talent, nous ferons, j'en ai la ferme conviction, une belle et bonne besogne pour la gloire de notre art et de notre pays.

Je ne puis mieux terminer cet exposé de principes, de la longueur duquel je tiens à m’excuser auprès de vous, qu'en vous exprimant un souhait que je trouve précisément dans le Graduel grégorien : c’est le texte d'une des admirables antiennes du Jeudi saint qui résume en quelques mots toutes les qualités dont l’artiste doit orner son âme pour passer sans faiblesse au milieu des difficultés de sa carrière. Voici ce texte :

 

Maneant in vobis fides, spes, caritas,

Tria haec, major autem horum est caritas.

 

Que la foi, l’espérance et l’amour habitent en vous ;

Mais de ces trois vertus, la plus grande est l’amour.


Ces trois vertus que le Catéchisme appelle théologales, nous pouvons à bon droit les nommer artistiques, parce que si elles parlent de Dieu, elles parlent par cela même de l’Art, émanation divine ; ces trois vertus, nous devons les garder avec soin si nous avons le bonheur de les posséder et chercher de toutes nos forces à les acquérir si nous ne les possédons pas. Oui, amis, ayons la Foi, la foi en Dieu, la foi en la suprématie du beau, la foi en l’art, car il faut avant tout croire fermement à l’œuvre que l’on écrit ou que l’on interprète pour que celle-ci soit durable ou dignement présentée.

Faisons notre soutien de l’Espérance, car vous le savez, l'artiste digne de ce nom ne travaille point pour le présent, mais en vue de l’avenir.

Laissons-nous enfin enflammer par l’Amour, par le généreux amour du beau sans lequel il n’est point d’art, pour la sublime Charité, la plus grande des trois : major caritas, seul terme final de la lutte sociale comme de la lutte artistique, car l’égoïste qui ne travaille que pour soi est presque toujours exposé à voir son œuvre stérile, et, je vous le dis en toute assurance, la flamme créatrice ne trouve son véritable aliment que dans l’amour et dans le fervent enthousiasme pour la beauté, la vérité et le pur idéal.

 (déc. 1900, Paris, Aux Bureaux d’Edition de la Schola)
© transcription Denis Havard de la Montagne



- 30 novembre 1894, demande d'audience par le "Comité de la Schola Cantorum" à Mgr François Richard de la Vergne, archevêque de Paris (1886 à 1908) pour lui soumettre le projet de fondation de l'école, signée par ses 5 membres : Alexandre Guilmant (président), L.A. Bourgault-Ducoudray [1840-1910, prix de Rome 1862], le prince Edmond de Polignac [1834-1901, compositeur amateur] et les secrétaires Gaston de Boisjolin  [1846-av.1925, maître de chapelle] et Charles Bordes. (Archevêché de Paris, Archives Historiques/coll. DHM) DR.


- 20 novembre 1921, lettre de la Direction de la Schola Cantorum à Mgr Louis-Ernest Dubois, archevêque de Paris (1920 à 1929) au sujet de sa "Lettre pastorale concernant le Chant Grégorien et la prononciation latine", signée par 20 professeurs : Louis de Serres (Inspecteur général des études et chef des choeurs), Guy de Lioncourt (professeur de contrepoint, Secrétaire général), Michel d'Argoeuves (Secrétaire des concerts, professeur d'orgue, organiste à Notre-Dame du Rosaire), Amédée Gastoué (professeur de chant grégorien supérieur), Cécile Jumel (professeur de chant grégorien, Louis Vierne (professeur d'orgue supérieur, organiste à Notre-Dame), Abel Decaux (professeur d'orgue et organiste du grand-orgue de la Basilique de Montmartre), Marc de Ranse (professeur à la Schola, maître de chapelle à St Louis d'Antin et au Cours St Louis), Joseph Civil (professeur, organiste de choeur à St François-Xavier), Marguerite Cadier (professeur d'orgue et d'harmonie), Paul Braud (professeur de piano), Maurice Tremblay (professeur à la Schola, baryton-solo à la Maîtrise de St François-Xavier), Georgina Riquet (professeur de solfège), Léon Saint-Réquier (Directeur des Chanteurs de St Gervais, professeur, maître de chapelle de St Charles de Monceau), Gabriel Marie (professeur de chant à la Schola), Albert Gébelin (professeur de chant à la Schola, basse-solo à la Maîtrise de St François-Xavier), Marcel Labey [ancien professeur suppléant de la classe d'orchestre et piano 2ème degré], Maurice Sergent (professeur d'orgue, organiste du grand-orgue de Notre-Dame de la Croix), Eugène Borrel (membre de la Société Française de Musicologie [et professeur de violon 1er degré]), Achille Philip (organiste, maitre de chapelle de St Jacques du Haut-Pas [et professeur d'harmonie]. (Archevêché de Paris, Archives Historiques/coll. DHM) DR.


Quelques listes de professeurs à diverses époques : 1899, 1963 et 1984.
 (coll. DHM) DR.

(Combat, 10 janvier 1957) DR.


L'orgue Mutin de la Schola Cantorum

 

 

L'orgue de la Schola Cantorum de Paris a été construit par la manufacture Mutin-Cavaillé-Coll en 1901. Des travaux de la manufacture Beuchet-Debierre ont eu lieu en 1967, modifiant en partie la composition.

 

Composition originelle :

 

Grand-Orgue (56 notes) : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte harmonique 8', salicional 8', prestant 4', trompette 8'.

Positif expressif (56 notes) : Cor de nuit 8', flûte creuse 8', dulciana 8', flûte douce 4', nazard 2 2/3', quarte de nazard 2', tierce 1 3/5', cromorne 8'.

Récit expressif (56 notes) : Flûte traversière 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', plein-jeu IV rgs, basson 16', trompette 8', basson-hautbois 8', clairon 4'.

Pédale (32 notes) : Contrebasse 16', soubasse 16', bourdon 8', basse 8', violoncelle 8', bombarde 16'.

Tir. I, II et III, acc. II/I, III/II, III/I en 16 et 8, appel I, combinaisons I, III et péd.

 

Composition actuelle :

 

Grand-Orgue (56 notes) : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte harmonique 8', prestant 4', flûte 4', doublette 2', plein-jeu IV rgs.

Positif expressif (56 notes) : Cor de nuit 8', flûte creuse 8', principal 4', flûte douce 4', nazard 2 2/3', quarte de nazard 2', tierce 1 3/5', cromorne 8'.

Récit expressif (56 notes) : Flûte 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte 4', flageolet 2', plein-jeu IV rgs, trompette 8', basson-hautbois 8', clairon 4'.

Pédale (32 notes) : Contrebasse 16', soubasse 16', bourdon 8', flûte 8', flûte 4', trompette 8'.

Tir. I, II et III, acc. II/I, III/II, III/I en 16 et 8, appel I, combinaisons, anches III, appel trompette pédale.

 

La Tribune de Saint-Gervais de janvier-février 1902 (p. 49-56), sous la plume de Marcel Labey, donne un compte rendu complet des discours et concerts d'inauguration de l'instrument. En voici quelques extraits, parmi les plus représentatifs et qui ont plus spécifiquement trait à l'instrument :

 

« Ce fut une fête tout à fait intime et familiale, bien que l'assistance fût très nombreuse. Il régnait dans la salle un esprit d'entente qui pour être tacite n'en était pas moins très réelle: tout le monde savait qu'on allait assister à la remise du grand orgue par M. Mutin, successeur de Cavaillé-Coll, à Charles Bordes, directeur de la Scola, et que l'on saisissait cette occasion de rendre hommage une fois de plus au maître éminent dont le talent a atteint un degré si élevé, à l'homme de cœur dont la vie fut un modèle de droiture et de bonté, au président de la Scola j'ai nommé Alexandre Guilmant.

 

Monsieur Charles Mutin, facteur de l'orgue inauguré, prit le premier la parole : […] Lorsque M. Bordes est venu me demander de remplacer le chétif « youyou » perdu dans cette belle salle, je n'ai pensé qu'à vous, mon cher Maître, et mon unique but a été de vous satisfaire et de construire un instrument digne de vous. Digne de vous c'était osé. Ai-je réussi ? Si imparfaite que soit cette oeuvre, elle chantera sous vos doigts vous lui donnerez une vie que nous ne lui soupçonnons pas encore, et je souhaite qu'elle ne soit pas si mauvaise qu'elle doive empêcher le charme. […]

 

Immédiatement après M. Vincent d'Indy : […] Vous souvient-il de notre pauvre petit orgue de la rue Stanislas ? On y honorait Bach et les maîtres, tout en déplorant que les sonorités en fussent impuissantes à traduire dignement les œuvres de génie. […] La bienveillante amitié du successeur de ce modeste homme de génie qui avait nom Cavaillé-Coll et qui, malgré l'effort des basses jalousies, n'a point encore de rivaux dans la facture d'orgue, nous a permis d'établir cet instrument que nous tenons à vous consacrer en hommage de pieuse reconnaissance. […]

 

Puis ce fut Charles Bordes qui, après ces hommages rendus au maître Guilmant, joignit ses remerciements à ceux de MM. Mutin et d'Indy et sut très habilement glisser la question pratique à côté de la question sentimentale : […] M. Mutin, en ce qui nous concerne, a été grand comme l'aurait été le « Père Cavaillé », comme on dit familièrement, et je vous assure qu'il n'a pas cherché à s'enrichir. Je n'ai pas à vous donner ici tous les détails de notre contrat, mais il est tout à sa louange ; qu'il me suffise de vous dire qu'il a trouvé le moyen de nous avoir fourni un orgue provisoire que vous avez connu ici et rue Stanislas, pendant trois ans, sans que nous eussions eu bourse à délier, puisque tous les acomptes que j'avais versés sur cet instrument ont été comptés en amortissement de celui-ci. Mais celui-ci vaut un gros prix, plus de trente mille francs, et en dehors des acomptes dont je parlais tout à l'heure, je n'ai pas encore versé un traître sou. Je sais bien que M. Mutin m'a donné des années pour attendre mais si les morts vont vite, les années vont plus vite encore, et je voudrais bien payer mon orgue avant de mourir.

 

[…] Entre les versets du Magnificat, le maître Guilmant, qui avait déjà pris possession du superbe instrument en jouant le prélude et la fugue en mi mineur de Bach, fit des improvisations d'une inspiration vraiment religieuse et, je tiens à appuyer sur ce mot, tout à fait moderne. Il est impossible de joindre en effet plus de hardiesse dans les modulations, les harmonies, les sonorités même, à un sens plus pondéré du sentiment religieux et de la solennité de la cérémonie. Ce furent là quelques moments tout à fait sublimes et qui laisseront une trace inoubliable dans l'esprit des assistants. Comme sortie, le maître exécuta une allègre fugue en ré majeur de sa composition.

 

[…] Le soir, la salle de concerts se trouva de nouveau remplie. Un concert de musique profane succédait à l'audition de musique religieuse de la journée. Monsieur Alexandre Guilmant ouvrit la séance en exécutant les prélude et fugue en mi bémol pour orgue, de Bach. Puis ce fut Mlle de la Rouvière qui, avec le hautbois concertant de M. Gundstoett, chanta un air de la cantate Ich hatte viel Bekummerniss du même Bach. Ce fut ensuite un concerto de Haendel pour orgue et orchestre, dont le maître Guilmant registra le final avec tant d'originalité et de charme qu'il dut le dire une seconde fois. Enfin M. Joseph Debroux, l'excellent violoniste souvent applaudi dans notre salle, fit entendre le prélude et la fugue en sol mineur de Bach, pour violon seul, d'une exécution si difficile, et, pour finir la première partie de ce concert, M. Guilmant joua sa sonate pour orgue, de large inspiration et de sonorité puissante. » […]

 

*

La Tribune de Saint-Gervais, p. 57 :

[…] « L'orgue que nous possédions, quoique muni de deux claviers, pédales et d'un nombre de jeux fort respectable, fut trouvé insuffisant. Nous avons maintenant ou plutôt nous aurons prochainement (en février), car on ne monte pas un orgue aussi rapidement que l'on abat une cloison, un instrument à trois claviers et 26 jeux sur lequel les œuvres d'orgue du vieux J.-S. Bach pourront être exécutées avec les diverses sonorités qui leur conviennent. Notre nouvel instrument, sorti comme le précédent des ateliers de la maison Cavaillé-Coll, pourra, vu son importance, servir à donner des concerts composés exclusivement de musique d'orgue. » […]

 

Collecte : O. Geoffroy

(janvier 2022)


 

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