HUBERTE VECRAY

Dolhain (Belgique), 16 septembre 1923 - Membach (Belgique), 3 juillet 2009


Huberte Vecray dans le rôle de Salomé

Huberte Vecray dans le rôle de Salomé (Hérodiade)
(photo Agfa Gevaert, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

 

 

« Je garde le souvenir de prestations sensationnelles du soprano Huberte Vecray, particulièrement dans le rôle de Madeleine de Coigny (André Chénier) aux côtés de mon époux, le ténor Antonio Nardelli (1920-2005 : cf. portrait par l’auteur, publié par Musica et Memoria  http://www.musimem.com/nardelli.htm). Ces représentations, notamment au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, furent inoubliables. L’artiste fut également magnifique dans la figure altière et digne de Mère Marie, lors de la création des Dialogues des carmélites au Théâtre Royal de Gand, en 1959, en présence de Francis Poulenc. Je conserve d’Huberte Vecray l’image d’une excellente interprète et d’une brillante comédienne. »

Marian Balhant, soprano belge
Le 2 septembre 2009

« C’est avec une profonde tristesse que j’ai appris le décès d’Huberte Vecray, qui fut une excellente amie et surtout, une brillante artiste. C’est principalement au Théâtre Royal de Gand, entre 1955 et 1960 que nous avons collaboré sur le plan artistique. Je puis citer la création dans ce théâtre des Dialogues des carmélites (œuvre dans laquelle j’incarnais le Chevalier de la Force), Adrienne Lecouvreur, pour la création en langue française, en 1956 (j’y chantais de Chazeuil, aux côtés de Rita Gorr et de Jacques Boüet), le Consul, Faust ou encore, La Juive. En 1957, nous avons participé à une longue tournée au Congo belge (l’actuelle République démocratique du Congo) avec plusieurs membres de la troupe du théâtre : que d’agréables souvenirs artistiques ! Puis, Huberte Vecray mit fin à sa carrière lyrique, à compter de 1960 pour des raisons familiales. Je présente, à son fils Marc, ainsi qu’à tous ses proches, mes sincères condoléances et ma marque de vive sympathie. »

Stany Bert, ténor belge
Le 28 août 2009

« J’ai eu l’occasion de partager l’affiche avec Huberte Vecray, notamment au Théâtre Royal de Gand dans Aida et Le Trouvère, où j’y étais Amneris et Azucena. Dans ces deux rôles verdiens, le soprano était excellent. Mais ce fut dans le rôle de Magda Sorel, pour la création du Consul où je la trouvai particulièrement impressionnante, autant sur le seul plan vocal, que scénique : Huberte Vecray put restituer un portrait complet et réaliste de l’héroïne de Gian-Carlo Menotti. A propos de création, il me vient à l’esprit la création à Gand, puis au Théâtre Royal de la Monnaie, des Dialogues des carmélites, dans lequel elle était Mère Marie – j’y chantais la Première prieure - : dans ce rôle très particulier, le soprano, grâce à son port imposant, sut conférer à Mère Marie l’aspect quelque peu altier et retenu voulu par le personnage de Georges Bernanos. »

Lucienne Delvaux, mezzo-soprano belge
Le 7 septembre 2009

J'ai chanté avec Huberte à l’occasion de nombreus spectacles au Théâtre Royal de la Monnaie, ainsi que pour quelques séries de Le Trouvère au Grand-Théâtre de Verviers.
Elle possédait une voix belle et riche : en outre, la femme était sympathique, charmante et ....extrêmement myope ! En effet, dans les années 1950, le port de lentilles de contact n’était pas très répandu. Nous interprétions Le Prince Igor à la Monnaie, saison 1952-1953, œuvre dans laquelle Huberte fit ses débuts, et puisqu’une Russe vivant au Moyen-âge ne portait évidemment pas encore de lentilles, elle chantait sans ce précieux sésame ! Alors, qu’elle interprétait l’un des airs de Jaroslavná se déroulant au Palais Galitsky, Huberte dut gravir des marches, suivant ainsi les indications de mise en scène de Georges Dalman. Elle revêtait une longue et volumineuse robe de scène. Tout à coup, elle trébucha et s’étala de tout son long sur la scène du théâtre ! Le public, ainsi que ses collègues osèrent à peine respirer, retenant leur souffle. Puis, à la stupéfaction générale et sans perdre son sang froid, Huberte se releva et courageusement, continua à chanter tout naturellement ... Voilà une artiste consciencieuse! Hélas, ce bon vieux temps est loin derrière nous et plus rien n'est comme avant. Mais fort heureusement, il nous reste les beaux souvenirs qui, eux, sont mémorables.

Gilbert Dubuc, baryton belge
Le 10 septembre 2009

Huberte Vecray dans le rôle de Jaroslavná

Huberte Vecray dans le rôle de Jaroslavná (Le Prince Igor)
(photo H. Vermeulen, Bruxelles, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

 

« Je suis peinée d’apprendre la disparition d’Huberte Vecray. Je conserve d’elle le souvenir d’une interprète de tout premier plan. Notre entente fut toujours des plus parfaites et notre contact empreint de sympathie et de chaleur humaine. Sur le plan strictement vocal, sa voix était puissante, animée par un fort tempérament dramatique : en outre, l’artiste était extrêmement musicienne et son chant me paraissait absolument naturel. Malgré l’insolence de ses moyens vocaux, elle sut rester naturelle : c’est-à-dire humble, réservée, voire timide. Je salue ici sa mémoire de grande artiste. »

Diane Lange, mezzo-soprano belge
Le 2 septembre 2009

« Evoquer le talent d’Huberte Vecray est pour moi une chose agréable. Sa voix était vraiment exceptionnelles : d’une très grande étendue, une couleur lumineuse, avec une diction impeccable, une qualité qui est propre, me semble-t-il, à beaucoup d’artistes lyriques belges. Au-delà de ses éminentes qualités vocales, elle était une excellente comédienne et nous ne conservons d’elle que des souvenirs agréables et particulièrement positifs. Nous saluons donc ici de tout cœur la mémoire de cette belle artiste. »

Michel Trempont, baryton belge et Jacqueline Vallière, soprano belge
Le 11 septembre 2009

 

« Quant à l’interprétation, elle comble nos vœux. Mme Huberte Vecray se révèle en Magda Sorel une tragédienne accomplie. C’est avec tout son talent qu’elle donne en ce rôle exténuant, toute son âme, après l’avoir portée et maintenue au plus haut degré de [la] tension  L’initiative de la Monnaie a renconré l’adhésion d’une nombreuse assistance qui a fait fêts à tous les artistes, particulièrement à Mme Vecray, qui appartient à son rôle par toutes les fibres de son être. »

Paul TINEL, journaliste du quotidien belge Le Soir, extrait d’article reproduit dans la revue L’Eventail, n° 28 du 11 mai 1951.

 

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Soprano dramatique, Huberte Vecray fit ses études de musique et de chant au Conservatoire de Musique de Verviers, où elle y obtint une médaille d’Art lyrique en 1946. Fine musicienne dans l’âme, puisque déjà enfant, elle chantait naturellement, sa famille et son entourage l’incitèrent, dès l’âge de 16 ans, à s’inscrire au Conservatoire. C’est ainsi qu’elle fut admise dans la classe du réputé ténor et pédagogue belge Louis Deru (1886-1952), qui décela en elle une voix superbement timbrée, ample et surtout, lumineuse, alliée à une étonnante musicalité. Rapidement, elle s’avéra en mesure d’apprendre le solfège et de lire à vue en moins de dix mois, puis de mémoriser des mélodies ou des scènes d’opéras avec une prodigieuse facilité. Les progrès qu’elle accomplira au Conservatoire seront concluants : la jeune artiste participa ainsi, au terme des trois premières années académiques, à des récitals qui lui permirent de se familiariser avec les airs classiques et progressivement avec le répertoire lyrique. Dès cette première approche avec le milieu musical professionnel, Huberte Vecray s’attacha à défendre les partitions de compositeurs classiques, tout en alternant avec des œuvres contemporaines de compositeurs belges et français. Elle mit ainsi un point d’honneur à assurer, autant souvent que possible, des créations absolues ou in loco, embrassant ainsi plus de deux siècles d’histoire musicale, notamment tout au long de sa collaboration artistique avec le Théâtre Royal de la Monnaie (entre 1946 et 1960.)

Ces prestations du jeune soprano au récital s’avérèrent utiles pour l’artiste en devenir, de nature timide : elle fut en mesure de graduellement se rapprocher du public et d’affirmer les multiples facettes de son art, notamment de prouver la déconcertante facilité de son émission vocale. « J'étais d'un caractère extrêmement timide et pourtant, je n'ai jamais éprouvé la moindre timidité lorsque j’étais en scène. Dès que je me trouvais face au public, je crois qu’en fait, je me dissimulais derrière mes personnages auxquels je devais insuffler une nouvelle vie. Alors, à ce moment précis, ma timidité ne me gênait plus : j'étais quelqu'un d'autre ! Et même déjà aux cours d'art lyrique du Conservatoire, je n'éprouvais aucune gêne à exécuter ce que l'on me demandait, cela me paraissait facile et surtout, naturel » (interview concédée à l’auteur, octobre 2000.)

Constamment en quête de perfection, Huberte Vecray suivit des cours de perfectionnement (chant et art lyrique) à Salzburg, puis avec le soprano russe Lucette Korsoff (1876-1955): cette dernière, elle-même soprano lyrique-coloratura de grande renommée internationale, la forma à l’approche du répertoire italien, tout en peaufinant l’agilité de la voix : « Mes cours de perfectionnement avec Lucette Korsoff furent extrêmement précieux pour moi, en particulier pour l’étude de certains rôles du répertoire italien, comme Leonora, Santuzza, le rôle-titre d’Aida, et ceux de Tosca, Manon Lescaut et Turandot. Nous travaillions alors sur le perfectionnement du souffle, mais surtout, nous nous concentrions sur le phrasé, le legato, la prosodie, la couleur italienne, les nuances … Nous abordâmes aussi quelques rôles du répertoire russe, que Lucette Korsoff appréciait. L’un de ses préceptes, que j’enseignai par la suite à mes élèves fut : ‘Quoi que vous chantiez et quel que soit le répertoire abordé : n’altérez jamais, d’aucune manière que ce soit, votre couleur vocale naturelle’. Lucette Korsoff évoqua souvent avec moi le travail effectué avec Gina Cigna (1900-2001), qui fut l’une de ses talentueuses élèves (elle eut également pour élève la basse polonaise Tadeusz Wierzbicki (1922-1990), qui fit également carrière à la Monnaie et au Théâtre Royal de Gand) . Je ne la pris certainement pas pour modèle, mais cela me réconforta dans mon assurance qu’une voix ample doit être tout à fait en mesure d’être émise en nuance avec finesse et surtout, en mettant en exergue l’intégralité de sa palette de couleurs. Et en cela, ‘La Maestra’, comme je l’appelais, excellait ! Avec elle, j’avais parfois la sensation étrange de tout rependre à zéro et les cours s’avérèrent parfois pénibles, mais oh combien précieux. Je garde un souvenir ému de Lucette Korsoff qui, au terme d’une glorieuse carrière internationale, décédera à Bruxelles dans le plus grand dénuement. » (interview concédée à l’auteur, novembre 2003.)

Peu avant le terme de la deuxième année académique, un ami providentiel de Louis Deru, Corneil de Thoran (1881-1953), alors directeur de la Monnaie (cf. portrait par l’auteur, publié par Musica et Memoria : http://www.musimem.com/thoran.htm), qui était régulièrement tenu informé des progrès de la élève, voulut l’auditionner. A l’époque, certains artistes membres de la troupe de la Monnaie commençaient à montrer quelques signes de déclin ou d’autres, en pleine carrière, abordaient un tout autre répertoire que celui qu’Huberte Vecray serait à même d’aborder. Il fallut alors organiser des auditions dans le but de recruter des artistes en mesure d’affronter des premiers, deuxièmes, voire troisième plans, alternant les reprises traditionnelles (il faut se souvenir que la Monnaie jouait à l’époque une œuvre différente quotidiennement, parfois même deux), avec des créations in loco ou absolues. Au tournant de la seconde guerre mondiale et afin de garantir un équilibre entre le répertoire d’opéra, d’opéra comique et d’opérette, il s’avéra indispensable de rajeunir les effectifs et ce fut chose faite.

C’est ainsi que plusieurs séries d’auditions furent organisées par Corneil de Thoran et Georges Dalman (Georges Dallemagne, 1882-1958 : baryton, puis costumier et metteur en scène belge) et l’initiative se montra concluante, car malgré son manque d’expérience scénique, Huberte Vecray se verra offrir son premier contrat pour la saison 1945-1946. Peu après la seconde guerre mondiale, le théâtre recruta plusieurs artistes lyriques : Lise Rollan, Ysel Poliart, Yvonne Herbos, Simone Boucherit, Yetty Martens, Diane Lange, Renée Varly, Albert Delhaye, François-Louis Deschamps, Georges Darric, Gabriel Bouvier, Jean-Benoît Pestiaux, Pierre Morlier, Numa Kadaner, etc.

Les premiers mois de la nouvelle saison 1946-1947 furent placés sous des auspices particulièrement difficiles sur le plan financier pour le premier théâtre lyrique de Belgique, au point que plusieurs représentations durent être reportées, voire annulées, le théâtre se remettant péniblement des affres de la guerre mondiale. Pourtant, pendant une bonne partie des événements, le théâtre eut l’insigne mérite de maintenir à l’affiche bon nombre des spectacles programmés, en s’attachant à conserver les saisons d’été, qui présentaient des spectacles d’opérettes (reprises et créations à la Monnaie) qui eurent le mérite de distraire le public – et les artistes – qui découvraient ainsi un genre musical nouveau et plus léger. Ce fut ainsi que des œuvres telles que Boccace, Le Pays du sourire, La Fille de Madame Angot, Véronique, Les P’tites Michu, Le Comte de Luxembourg, Gillette de Narbonne, La Chauve-souris, Giroflé-Girofla, Ciboulette, La Mascotte, La Poupée, La Veuve joyeuse, ou encore, les Mousquetaires au couvent, Paganini ou Valses de Vienne vinrent égayer l’atmosphère quelque peu morose qui s’était emparée de la vie théâtrale bruxelloise, bien que celle-ci eût toujours été active, en maintenant une excellente qualité musicale d’ensemble.

Huberte Vecray dans le rôle de Cléopâtre
Huberte Vecray dans le rôle de Cléopâtre, pour la création de Jules César au Théâtre Royal de la Monnaie, le 24 février 1947.
(photo H. Vermeulen, Bruxelles, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

Huberte Vecray débuta à la Monnaie lors de la saison 1946-1947 en incarnant un rôle particulièrement dramatique : celui de Joroslavna (Le Prince Igor, un opéra de Borodine et Rimsky-Korsakov créé en langue française à Bruxelles en 1924 sous la direction de Corneil de Thoran.) Puis, elle y affronta Donna Anna (Don Giovanni), emploi dans lequel elle remporta un vif succès. L’impeccable musicalité de l’artiste, l’insolence de ses moyens, la facilité avec laquelle elle affrontait les partitions les plus ardues : ces qualités furent promptement saluées par le public et la presse, qui reconnurent en elle une tragédienne de premier plan

Jusqu’à la saison 1959-1960 (marquant la fin de la direction de Joseph Rogatchewsky), elle interpréta tour à tour Léonore (Fidelio), Marguerite (Faust), Marina (Boris Godounov), le rôle-titre d’Aida, Rachel (La Juive), le rôle-titre d’Armide, Amelia (Un Ballo in maschera), Madeleine de Coigny (André Chénier), Santuzza (Cavalleria rusticana), le rôle-titre de Floria Tosca, Donna Anna (Don Giovanni), Alice Ford (Falstaff), Catherine d’Aragon (Henry VIII), Salomé (Hérodiade), Brünnhilde (La Walkyrie et Siegfried), la Jalousie (Céphale et Procris), Martha (Tiefland), Orphée (Orphée aux enfers), Madeleine (La Passion), Elsa (Lohengrin) et enfin, le rôle-titre d’Elektra, personnage de Richard Strauss qu’elle chérissait tout particulièrement.

Huberte Vecray dans le rôle de Marguerite

Huberte Vecray dans le rôle de Marguerite, pour une reprise de Faust au Théâtre Royal de la Monnaie, 1958.
(photo J.M. Mertens, Anvers, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

 

Huberte Vecray dans le rôle de Catherine d’Aragon

Huberte Vecray dans le rôle de Catherine d’Aragon, pour une reprise d’Henry VIII au Théâtre Royal de la Monnaie, saison 1952-1953
(entourée de Jacques Piergyl, Jean-Benoît Pestiaux et Jean Laffont.)
(photo H. Vermeulen, Bruxelles, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

 

Artiste éminemment éclectique, le soprano se vit confier des créations de tout premier plan : Cléopâtre, reine d’Egypte (Jules César, avec le mezzo-soprano Yetty Martens, cf. portrait par l’auteur, publié par Musica et Memoria : http://www.musimem.com/martens.htm), Solem (Un Drame sous Philippe II), Lady Billows (Albert Herring), Marie (Friedentag), Magda Sorel (Le Consul, avec le baryton Jean Laffont, cf. portrait par l’auteur, publié par Musica et Memoria : http://www.musimem.com/laffont.htm), Ellen Oxford (Peter Grimes), Béatrice (Le Serment : épisode lyrique en deux tableaux d’Alexandre Tansman, sur un livret de Dominique Vincent d’après Honoré de Balzac), Lady Macbeth (Macbeth : drame lyrique en sept tableaux en un prologue et trois actes, musique d’Ernest Bloch, sur un poème d’Edmond Fleg, d’après William Shakespeare), l’Esprit du ciel (Don Juan de Mañara : opéra en quatre actes et six tableaux d'Henri Tomasi sur un livret inspiré de la pièce dramatique de Miguel Mañara d'Oscar Venceslas de Lubicz-Milósz).

Au sujet de la diversité de son répertoire, Huberte Vecray confia à l’auteur : « Que ce soit les grands classiques : le rôle-titre d’Armide, Cléopâtre, Léonore dans Le Trouvère ou des héroïnes plus contemporaines, comme Ellen Oxford ou Madga Sorel, je gardais toujours à l’esprit les préceptes de Louis Deru puis ceux de Lucette Korsoff : je n’altérais jamais ma couleur vocale, j’affrontais ces compositions si différentes, souvent diamétralement opposées, avec la même approche vocale, soutenue en cela par ma mémoire musicale. Puis, le travail avec le répétiteur et le chef d’orchestre apportait le point d’orgue final à ma caractérisation : j’étais alors prête. Et si l’on avait la chance de pouvoir être dirigé par Corneil de Thoran ou Maurice Bastin, alors tout, absolument tout, était en place et je pouvais alors me concentrer non seulement sur la partition, mais aussi sur l’interprétation du rôle. » (interview concédée à l’auteur, novembre 2003.) Toujours à la Monnaie, l’artiste participa à la création de Mère Marie (Les Dialogues des carmélites, en octobre 1959. Cette œuvre de Francis Poulenc fut créée en Belgique au Théâtre Royal de Gand, le 6 février 1959 sous la direction de Robert Ledent, avec, à quelque exception près, la même distribution. Huberte Vecray y remporta, avec Lucienne Delvaux qui incarnait la Première prieure, un retentissant succès, reproduisant ainsi l’effet favorable qu’elle avait produit dans ce rôle sur le compositeur qui, séjournant à Gand au moment des répétitions et se trouvant dans la salle du théâtre, déclara qu’elle «était absolument parfaite dans sa beauté spartiate, sa grandeur toute maîtrisée et intériorisée. Son apparition sur le plateau du Théâtre Royal fut tout à fait conforme à ce que j’avais imaginé. »

Huberte Vecray parut souvent à Gand (saisons 1948-1949, puis entre 1954 et 1960.) Dans cette ville, extrêmement férue d’art lyrique et orgueilleuse de ses traditions musicales, l’artiste fut hautement appréciée non seulement pour ses qualités vocales, mais également pour ses dons de tragédienne.

Au Théâtre Royal, elle incarna une partie de son répertoire : Léonore, Alice Ford, Selika (L’Africaine), Madeleine de Coigny, Santuzza, Floria Tosca, le rôle-titre de Turandot, Toinette (Le Chemineau), etc. Elle participa aux créations de : Magda Sorel (Le Consul), avec Lise Aubin, Yola De Gruyter, Marian Balhant, Simonne Van Parijs, Suzanne Blattel, Jean Laffont, Fabio Giongo, Michel Trempont et Jan De Mulder (en 1955), le rôle-titre d’Adrienne Lecouvreur (pour la création en langue française : avec Rita Gorr, Marie Liétard, Robert Derville, Richard Plumat, Stany Bert, Lode Le Moine, le 25 janvier 1956.)

Huberte Vecray dans le rôle-titre d’Adrienne Lecouvreur

Huberte Vecray dans le rôle-titre d’Adrienne Lecouvreur, pour la création de l’opéra de Francesco Cilea, au Théâtre Royal de Gand, le 25 janvier 1956.
(photo J.M. Mertens, Anvers, fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles)

 

Le Grand-Théâtre de Verviers l’accueillit régulièrement tout au long de sa carrière (saisons 1947 et 1960) : elle y chantera l’essentiel de son répertoire et y ajoutera Desdemona (Otello), Inès (L’Africaine), Valentine (Les Huguenots) et les rôles-titre de Manon Lescaut et de Turandot (également chantés au Théâtre Royal de Gand.) L’enfant du pays y fut applaudie avec une ferveur bien méritée et ses représentations furent saluées par des critiques élogieuses. Elle donnera également deux représentations de Faust au Théâtre de la Maison du peuple (Bruxelles) avec des passages occasionnels au Théâtre Royal de Liège (quelques rôles de son répertoire, ainsi que pour une représentation de Marguerite (La Damnation de Faust), avec Guy Fouché, Jean Laffont et Pierre Fischer, saison 1959-1960, ainsi qu’au Théâtre Royal de Namur pour Tosca (en 1952.)

Verviers fut un vivier de talents lyriques, tout d’abord belges, puis internationaux. Aux côtés des membres de la troupe du théâtre, des solistes de la Monnaie furent régulièrement invités et surtout, de prestigieux artistes internationaux, gloires de l’Opéra Comique ou du Palais Garnier. Ils devinrent, le temps d’un soir ou lors de plusieurs saisons, de véritables vedettes et il ne faut pas occulter l’importance de Verviers dans le lancement de carrières de tout premier plan, notamment grâce au fameux Concours International de chant de Verviers (et il ne faut pas oublier l’excellent Concours International de l’Echo des travailleurs, entre 1926 et 1971.) Huberte Vecray partagea l’affiche du Grand-Théâtre (et du Théâtre Royal de Gand) avec des artistes aussi connus que Georges Genin, Henri Saint-Cricq, Emilio Marinesco et Jan Verbeeck (cf. portrait par l’auteur, publié par Musica et Memoria: http://www.musimem.com/laffont.htm), pour lesquels elle nourrissait une grande estime, notamment pour leur interprétation du rôle-titre d’Otello), Jean Caujolle, Guy Fouché, Georges Vaillant, Henri Peyrottes, Jean Laffont (pour son extraordinaire jeu scénique.)

Elle eut également pour partenaire l’impétueux ténor Giacomo Lauri-Volpi (pour quelques représentations d’Aida à la Monnaie), soirées lors desquelles elle put apprécier son talent dramatique et sa voix de stentor, mais où elle fut le témoin d’incidents avec des figurants du théâtre, l’indomptable ténor refusant de se laisser approcher sur le plateau à moins d’un mètre! « Je fus d’abord intriguée par son caractère intransigeant, il me paraissait ‘surnaturel’ en quelque sorte et j’admets que j’étais quelque peu intimidée par sa présence magnétique. Je dus me montrer attentive et particulièrement discrète au moment de chanter notre duo final, de peur de le serrer trop fort contre moi. Puis, finalement, un esprit serein s’instaura entre nous deux et tout se déroula le mieux du monde. Toutefois, lors d’une répétition sur la scène de la Monnaie, Giacomo Lauri-Volpi se fâcha avec deux figurants, au moment de l’arrestation de Radamès, à la conclusion du 3ème acte d’Aida. Les deux malheureux jeunes gens agrippèrent fermement le bras du ténor pour le conduire vers son cachot souterrain: furieux, il les rejeta avec véhémence et leur ordonna de garder leurs distances ! Il s’ensuivit alors une discussion fort animée avec le régisseur, puis avec le chef d’orchestre. La tension monta d’un cran et le ténor était réellement furieux et intransigeant. Finalement, il eut le dernier mot et les deux figurent se virent obligés de céder aux exigences du ténor. Alors, comme par enchantement, au moment de l’arrestation, le public vit Radamès, escorté à distance de ses deux gardes, se diriger sagement vers le souterrain ! Mais je dois dire cependant que malgré son caractère difficile, il était absolument magistral sur le plan vocal et dramatique : un tout grand artiste et une véritable force de la nature ! Et ces préceptes de chant sont aujourd’hui encore, précieux. » (Interview concédée à l’auteur, novembre 2003.)

Son activité au concert, notamment dans la défense des grands classiques, fut importante et cet aspect de son art fut parfois occulté. Elle participa à de nombreux récitals et concerts, d’abord à Verviers (Conservatoire de musique), puis à Bruxelles (Conservatoire Royal, Palais des Beaux-Arts, Musée Charlier, etc.) A titre d’exemple, elle interpréta la partie de soprano solo dans la IXème Symphonie de Beethoven en avril 1949 au Conservatoire de musique de Verviers, avec Yetty Martens, Albert Delhaye et Noël Pirotte (en juin 1950, elle chanta la Missa solemnis.) Toujours avec Yetty Martens, elle aborda régulièrement (notamment au Conservatoire Royal de Bruxelles) la partie de soprano dans le Stabat mater de Pergolesi et ne manqua jamais d’inclure dans ses programmes des œuvres rarement représentées de compositeurs belges ou français, embrassant ainsi plus de deux siècles de musique.

Huberte Vecray chanta en France (Vichy, Rouen, Bordeaux, Dijon, Lyon et Paris.) Elle débuta à l’Opéra de Paris en mai 1953 dans Elsa (Lohengrin, aux côtés de Suzanne Juyol, Raoul Jobin et René Bianco), puis elle y fut applaudie dans Tosca. L’artiste parut également en représentations en Suisse (Lausanne, Genève et Lucerne), aux Pays-Bas (Amsterdam pour Tosca) et La Haye, ainsi qu’en Allemagne (notamment à Cologne) et qu’en Grande-Bretagne. Ces dernières prestations ne sont pas, à l’heure actuelle, formellement documentées. Enfin, elle participa à une tournée organisée par la direction du Théâtre Royal de Gand qui la conduira au Congo belge avec une partie de la troupe du théâtre (dont Stany Bert) et des solistes de la Monnaie, en 1957.

Tout au long de sa carrière, le soprano donnera de nombreux concerts, dont certains furent radiodiffusés. Puis, à partir de 1960, elle interrompit sa carrière pour se consacrer à sa vie familiale, s’établissant pendant quelques années au Congo belge. A partir de 1967, elle se consacra à l’enseignement du chant et de l’art lyrique au Conservatoire de Verviers, un retour aux sources : elle y succéda à un autre illustre pensionnaire de la Monnaie, le baryton belge Francis Andrien (1903-1980). Huberte Vecray enseigna parallèlement au Conservatoire de Liège jusqu’en 1988.

D’une exemplaire discrétion et humilité, s’était retirée à Verviers, où elle menait une vie paisible. Elle appréciait les longues conversations axées sur l’univers lyrique qu’elle chérissait tant et il lui était agréable d’évoquer les étapes de sa carrière lyrique, sa mémoire étant encore très vive. Pourtant, son caractère humble était constamment remis en exergue, car Huberte Vecray évitait toujours de trop parler d’elle: elle préférait évoquer ses prestigieux partenaires à la scène, pour lesquels elle nourrissait une profonde admiration et un grand respect. Surtout, elle portait une véritable vénération pour ses maîtres, d’abord Louis Deru, puis Corneil de Thoran. Au moment de la publication par Musica et Memoria du portrait de ce dernier, réalisé par l’auteur, Huberte Vecray déclara : « Votre texte éveille en moi beaucoup d’émotion. En effet, je nourrissais une vive admiration pour Corneil de Thoran ou plutôt, pour ‘Monsieur le Directeur’. Il connaissait comme personne la voix, pouvant ainsi déceler chez un premier plan, comme chez un troisième chanteur, voire un choriste, un potentiel qu’il s’attachait alors à développer. S’il dirigeait la Monnaie en main de maître et avec fermeté, il se montrait d’une humanité toute particulière et déférente avec ses chanteurs. Chanter sous sa direction orchestrale fut un plaisir pour moi : il ne dirigeait pas, il ‘conduisait’ les artistes et il suffisait alors de se laisser guider et sa rigueur, tout comme son apparente froideur, n’étaient alors pas un obstacle, bien au contraire. Il se dégageait de Corneil de Thoran une grande force intérieure, une totale sérénité : avec un tel chef, je me sentais humble et heureuse de servir les compositeurs, mais également, d’insuffler à chaque soir un rai de lumière nouveau sur les œuvres que je défendais. Je pouvais, avec un tel chef, me surpasser. J’en eus bien-sûr d’autres, à l’instar de Maurice Bastin ou de Luigi Martelli, mais Corneil de Thoran restera pour moi inoubliable et surtout, inégalé. » (Interview concédée à l’auteur en mars 2004.)

Cette déclaration est emblématique du caractère et de l’âme de musicienne que fut Huberte Vecray : elle laisse le souvenir d’une grande dame et d’une figure attachante de l’art lyrique en Belgique.

Des enregistrements radiodiffusés existent, somnolant dans les archives de radios nationales ou auprès de collectionneurs (Guillaume Tell d’A.E. M. Grétry, Aida, Tosca, Adrienne Lecouvreur pour la création en langue française à Gand, ainsi que des extraits de concerts) : puissent-ils être édités un jour par les circuits officiels, afin de faire découvrir le talent d’Huberte Vecray à un public plus large. En attendant, l’extraordinaire coffret de quatre CDs édité par la firme française Malibran Music « 300 Ans d’Opéra à Bruxelles » (référence CDRG 169) nous permet d’apprécier une incandescente et somptueuse Huberte Vecray dans un extrait du grand air de Leonore, au 1er acte de Fidelio, en langue française, capté lors d’un concert public.

 

Claude-Pascal PERNAã
tous droits réservés,
Septembre 2009

 


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