Elisabeth (Betty) VERLOOY
Kammersängerin, soprano belge
(Louvain, 16 juin 1933 – Bruxelles, 22 novembre 2012)


"La finesse doit se produire avec tant de simplicité qu'on la sente sans la remarquer."
Marquis de Vauvenargues (1715-1747)
Réflexions et Maximes (1746)

Elisabeth Verlooy
(photo Studio Joachim Giesel, Hannover.)
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

«C’est ainsi notamment que la Poupée trouva en Betty Verlooy une interprète en ayant le physique et l’âge. Cette chanteuse est si jeune même – à peine 16 ans – que la voix n’est pas complètement formée, mais elle est d'une qualité rare et d’une pureté cristalline, permettant tous les espoirs, d’autant plus que la justesse et les notes piquées sont irréprochables. Aussi, cette délicieuse Olympia se fit-elle bisser d’enthousiasme.»
Gaston Hebbelynck, La Flandre libérale, 13/02/1949

«Nous sommes ici en présence d’un cas exceptionnel.  Non seulement notre toute jeune cantatrice dispose d’une voix remarquable, aux vocalises aisées, mais elle joue admirablement son délicieux et trop court rôle de la Poupée. Rien d’étonnant à ce que le succès triomphal que cette interprétation lui vaut à chaque fois à Gand ait trouvé son pareil dans sa ville natale»
Les Contes d’Hoffmann
Journal des Petites affiches, Louvain, 19 mars 1950

«Elisabeth Verlooy a accompagné ma longue association artistique à Hanovre. Entre 1959 et 1993, elle y a été LE soprano coloratura (avec une interruption entre 1963 et 1968,marquant son association avec l’Opéra de Wiesbaden, NDA).  Le souvenir de sa voix magique, presque enfantine est encore intensément gravé dans ma mémoire. Elle possédait une grande maîtrise de tous ses rôles, en particulier ceux de Zerbinetta, Konstanze et Gilda  qui demeurent inoubliables. Le contre-Mi couronnant l’air de Gilda, en quittant la scène, était impeccable de beauté, sans vibrato et semblait interminable, porté vers l’Eternité. Qu’il nous soit permis de penser que maintenant, elle chante pour la Joie des Anges et des Saints.!»
(Lettre autographe signée du 9 avril 2013 traduite de l’allemand, NDA.)
Pr. George Alexander Albrecht
Chef d’orchestre, Directeur musical Staatsoper (Hanovre)
Directeur musical Deutschen Nationaltheaters/Staatskapelle (Weimar)

«J’ai chanté le rôle de la Mère lors d’une reprise des ‘Contes d’Hoffmann’ au Théâtre Royal de Gand en février 1949. Ces représentations ont propulsé Elisabeth Verlooy sur les scènes lyriques. Ses débuts dans Olympia ont marqué les esprits. C’est Vina Bovy qui, grâce à son discernement artistique, a osé ce que d’autres auraient peut-être refusé d’entreprendre: donner sa chance à un soprano de 16 ans! Elle ne s’est pas trompée, puisque le succès de cette musicienne dans l’âme ne s’est pas démenti, ni Belgique, ni à l’étranger.»
Lucienne Delvaux
Mezzo-soprano belge de l’Opéra

«Je nourrissais une vive admiration pour Elisabeth Verlooy. J’aimais sa voix, son talent et son naturel à la scène; je peux dire que notre admiration était réciproque. Je me souviens d’une Olympia au Grand-Théâtre de Verviers, rôle dans lequel je l’ai retrouvée à l’Opéra d’ Hanovre. Elle y était extraordinaire de facilité, de fraîcheur et d’assurance technique: pour moi, elle fut la meilleure Poupée de sa génération. Nous avons chanté ensemble à plusieurs reprises à l’Opéra, notamment Lucia di Lammermoor, Ein Maskenball, Rigoletto, Lakmé, Manon ou encore, Ariadne auf Naxos. Dans Rigoletto, sa prestation fut à chaque fois magnifique, détaillant le rôle de Gilda avec une sensibilité à fleur de peau. J’ai pourtant souvent chanté cet opéra dans ma carrière, donc mes partenaires furent nombreuses: Elisabeth Verlooy fut pour moi la meilleure en tous points.  Nous avons aussi interprété Der feurige Engel de Sergueï Prokofiev dans un registre plus moderne. Nous étions deux artistes belges émigrés en Allemagne, pensionnaires de la troupe: chanter ensemble nous permettait de pallier au mal du pays! En outre, elle était une brillante comédienne, naturelle et spontanée. Charmante, chaleureuse et  attachante, elle va nous manquer. Mon épouse Sigrid l’a également bien connue et appréciée à la scène comme à la ville: elle se joint à moi pour saluer sa mémoire.»
Gilbert Dubuc
Baryton belge de l’Opéra

«Je me souviens bien d’Elisabeth Verlooy, une surprenante et talentueuse Olympia dans Les Contes d’Hoffmann en 1949.  J’étais alors première danseuse au Théâtre Royal de Gand et si les années amenuisent le souvenir, sa présence lumineuse et si particulière est encore ancrée dans mon esprit. Toute jeune virtuose, brillante et sympathique, son Olympia a été le clou de ces représentations. Chaque semaine, nous donnions plusieurs opéras et le rythme de travail était soutenu. Je suis donc incapable de vous fournir de plus amples souvenirs ou anecdotes, car je ne l’ai pas connue personnellement.  Cependant, j’ai vite compris qu’elle serait promise à une grande carrière et heureusement, ce fut le cas. Je m’associe volontiers à votre hommage, heureuse également de savoir que le baryton Gilbert Dubuc y contribue, car je nourris la plus vive admiration pour son talent que j’ai admiré lors de ses saisons gantoises.» (traduit de l’allemand, NDA.)
Greta Lintz
Première danseuse, maîtresse de ballet et chorégraphe néerlandaise
Théâtre Royal de Gand

«J’ai découvert Elisabeth Verlooy en 1950 à Courtrai, ma ville natale. Agée de 17 ans, elle y donnait un concert, peu après sa fabuleuse prestation dans Olympia dans ‘Les Contes d’Hoffmann’ à Gand. Ce fut pour moi une expérience extraordinaireet j’en fus impressionnée. En 1956, nous avons réussi le Concours Mozart au Mozarteum de Salzbourg où Sir Georg Solti était présent et avec lequel nous avons collaboré par la suite. Nous avons notamment travaillé avec Lotte Schöne, pour laquelle nous nourrissions une véritable admiration.  J’ai alors dit à Elisabeth combien j’avais apprécié sa prestation et sa fabuleuse technique, tout cela couplé à une musicalité prodigieuse. Des années plus tard, nous nous sommes retrouvées à Kassel, où je venais d’être recrutée en 1959 comme premier soprano coloratura de la troupe du Staatsoper, dans le cadre d’un concours d’interprétation consacré à Mozart. Bien que nous ayons eu un contact chaleureux et des plus agréables, nous ne nous sommes plus revues, étant respectivement en carrière dans nos troupes respectives: deux soprani belges au répertoire finalement assez proches, toutes deux établies en Allemagne! Nous aurions dû maintenir un contact et je regrette aujourd’hui de ne pas l’avoir fait. Je suis émue d’apprendre son décès: elle me laisse le souvenir d’une magnifique artiste tout à fait hors du commun.»
Kammersängerin Marie-Jeanne Marchal
Soprano belge de l’Opéra

«Un soir, au terme d’un concert au Conservatoire de Bruxelles, le soprano Germaine Teugels et le ténor Maurice Weynandt m’ont présenté une toute jeune fille accompagnée de sa mère et d’un ami violoniste: Betty Verlooy. Elle devait avoir huit ou neuf ans et pourtant, son nom ne m’était pas inconnu. Plus tard, invitée à l’un de ses récitals, j’ai été subjuguée par son chant: un miracle de facilité, une voix longue et sonore, extrêmement souple. Elle était déjà capable de magnifiques staccati et arpèges. Ensuite, je l’ai retrouvée une dizaine d’années plus tard, nous avons donné quelques concerts sous la direction de Safford Cap. Elle avait atteint un haut niveau de maturité artistique et ses prestations étaient réellement exceptionnelles, notamment dans des airs de Monteverdi et Caccini. J’ai souvent chanté avec le Groupe Pro Musica Antiqua. Nous donnions des concerts en Belgique et à l’étranger et nous travaillions beaucoup. Parallèlement à la carrière lyrique, j’ai collaboré avec Safford Cape avec plaisir, car j’aimais chanter la musique ancienne. Finalement, j’ai appris que Betty Verlooy avait été recrutée en Allemagne et promise à une belle carrière lyrique. Elle a marqué mon esprit et m’a fait indéniablement penser à l’âge d’or des Maria Malibran, Jenny Lind et autres prodiges.»
Yetty Martens
Mezzo-soprano belge de l’Opéra (1915-2004) – extraits d’une interview consentie à l’auteur (1997)

«Après des milliers de représentations, tant en Allemagne qu’à l’étranger, il m’est difficile de me souvenir d’anecdotes particulières concernant Elisabeth Verlooy, mais son nom est bien présent dans mon esprit. Nous avons partagé l’affiche dans Rigoletto et certainement dans d’autres œuvres. Je ne puis que m’associer de tout cœur à votre hommage, car elle était une superbe artiste; je conserve d’elle le souvenir d’une musicienne et d’une concertiste hors-pair, de ses débuts précoces jusqu’à sa longue carrière en Allemagne et en Europe. «
Kammersänger Pr. Jean Petit
Ténor belge de l’Opéra

«J’ai chanté avec Elisabeth Verlooy à mes débuts: j’ai été ravi de pouvoir collaborer avec elle. En vérité, ce fut pour moi un réel émerveillement de chanter à ses côtés. Je fus impressionné par sa musicalité sans failles et sa voix parfaitement maîtrisée. Chanter avec cette artiste de grande classe m’aura permis d’en retirer une forme de motivation supplémentaire et un bel encouragement artistique. Je conserve d’elle le souvenir radieux d’une magnifique soliste, humble et parfaitement agréable.»
Ludovic de San
Baryton, concertiste, pédagogue belge, fondateur et directeur artistique du Festival de l’Eté Mosan

«J’ai donné quelques concerts avec Elisabeth Verlooy et je conserve d’elle un excellent souvenir. Je me souviens d’un Stabat Mater de Pergolesi que nous avons interprété à l’Abbaye du Parc à Heverlee, près de Louvain, sa ville natale. Chanter à ses côtés fut une expérience des plus agréables: nous étions en totale fusion, particulièrement dans nos duos. Extrêmement musicienne, technicienne accomplie, elle possédait une voix parfaitement homogène et brillantesoutenue par une impeccable musicalité. Une excellente partenaire, humble, souriante et sympathique. Je conserve d’elle un beau souvenir ému.»
Lucienne Van Deyck
Mezzo-soprano et pédagogue belge

«Une grande effervescence dans la salle pour les débuts de la toute jeune Olympia, âgée de 16 ans à peine: haute comme trois pommes, elle est adorable, une ravissante petite poupée. Et quelle voix! Ses aigus sont assurés et claironnants, beaucoup plus beaux que ceux de [nom retiré par l’auteur], qui ferait mieux de chanter Antonia ou Giulietta! Elle a magnifiquement et habilement exécuté les gestes mécaniques de l’automate, avec un beau contrôle. Achille Sommers, au rideau, la serrera dans ses bras en l’embrassant. Près de dix rappels avec le vétéran Octave Dua embrassant tendrement Olympia! J’ai déjà trouvé un autre billet pour la représentation supplémentaire, hors abonnement. Betty Verlooy: c’est un nom qui va compter.»
Extrait du Journal d’une abonnée et protectrice du Théâtre Royal de Gand,
Elsa de Villa de Castillo

Betty Verlooy dans sa loge au Théâtre Royal de Gand en compagnie de Vina Bovy
Betty Verlooy dans sa loge au Théâtre Royal de Gand en compagnie de Vina Bovy
Cliché dédicacé au ténor et metteur en scène belge Octave Dua.

( photo Géo Pieters, Gand, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

UNE OLYMPIA PLUS VRAIE QUE NATURE A L’OPERA ROYAL DE GAND

Opéra Royal de Gand, le 13 février 1949: une agitation des grands soirs marque cette reprise des Contes d’Hoffmann  voulue par Vina Bovy dans leur traduction néerlandaise (Hoffmann’s Vertellingen), dirigés par Gérard Horens.  Ce début d’année 1949 marque les débuts d’une toute jeune artiste âgée de 16 ans, le soprano Elisabeth Verlooy dans le rôle de la poupée Olympia. La salle est bondée: amateurs d’opéra, critiques musicaux, représentants de la presse, personnalités politiques locales, autorités de la ville, personnel du théâtre, membres et amis de la famille Verlooy guettent avec anxiété la prise de rôle de la talentueuse enfant du pays surnommée «Le Rossignol de Louvain» ou «La nouvelle Maria Malibran».

Il est vrai que les bonnes fées se sont penchées sur le berceau de celle que l’on appelle affectueusement Betty. Clin d’œil du destin: la créatrice du rôle d’Olympia (et des trois autres féminins), le soprano français Adèle Isaac (1854-1915) avait précisément 16 ans lorsqu’elle débuta à la scène dans Jeannette (Les Noces de Jeannette), soit l’âge de Betty Verlooy.  Haute comme trois pommes, le visage poupin aux grands yeux bleus, espiègle mais pas trop, cette Olympia semble tout droit sortie d’un conte pour enfants des frères Grimm …

Elisabeth Verlooy
Achiel Somers ("Hoffmann") à Betty Verlooy ("Olympia"): “A ma chère ‘Olympia’, une pensée cordiale, 1949”.
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Lorsque le rideau se lève sur le 2ème acte des Contes d’Hoffmann, la salle émerveillée découvre une interprète ayant effectivement le physique et l’âge du rôle. Son air «Les oiseaux dans la charmille» est salué par un tonnerre d’applaudissements: la voix est déconcertante de facilité dans l’aigu, agile et brillante. Quant au jeu de scène, bien que volontairement mécanique, il est déjà habilement maîtrisé. Du reste, elle doit bisser son air: ce succès lui vaut plus de 12 minutes de rappels à la fin de l’acte d’Olympia. Certes, si l’assurance vocale est frappante, la voix n’a naturellement pas encore atteint son degré optimal de maturité, elle en est bien consciente, raison pour laquelle ce début se cantonne au rôle d’Olympia, qu’elle reprendra quatre fois à Gand à quelques jours d’intervalle. En quelques jours, Betty Verlooy passe du rang d’enfant prodige à celui de valeur déjà sûre d’un ensemble qui voit d’abord d’un œil curieux l’arrivée de cette jeune fille étourdissante musicienne. Après la première, elle reçoit maintes marques d’affection et des témoignages de soutien de la part de ses collègues.

Programme dédicacé en souvenir de la première des Contes d’Hoffmann à Gand.
Programme dédicacé en souvenir de la première des Contes d’Hoffmann à Gand.
Programme dédicacé en souvenir de la première des Contes d’Hoffmann à Gand.
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® )

UNE ENFANCE BERCEE PAR LA MUSIQUE ET PAR UNE MERE TRES PRESENTE

Elisabeth Verlooy est née à Louvain, issue d’une famille bourgeoise de la ville, où la musique, particulièrement le piano et le chant, font partie intégrante de la culture générale que l’on réserve traditionnellement aux jeunes filles. Avec un père, Lucien Verlooy (1896-1968) actif dans le monde bancaire et peu présent, c’est la mère, Marthe Verlooy-Hayette (1898-1970), qui est appelée à jouer un rôle essentiel dans la formation musicale et la carrière de la jeune fille que l’on surnomme affectueusement Betty. Pianiste émérite d’origine française et excellent pédagogue, Marthe Verlooy dispense des cours de piano et de chant dans le salon familial qui acquiert ainsi une notoriété locale. Son milieu social conservateur et un frère consacré prêtre vont restreindre ce professorat au cercle strictement privé et uniquement à la gente féminine, fermant ainsi les portes des conservatoires où certainement, cette musicienne passionnée aurait pu s’épanouir.

Betty Verlooy au piano dans le salon de la maison familiale, âgé d’environ 12 ans.
Betty Verlooy au piano dans le salon de la maison familiale, âgé d’environ 12 ans.
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( photo Studio G. De Ryck, Louvain, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Betty Verlooy voit son enfance bercée par la musique mais surtout, par la voix qui exerce sur elle une véritable fascination. Les notes égrenées sur le piano résonnent dans le grand salon et les vocalises, gammes, arpèges et airs d’opéra que les élèves viennent répéter chaque après-midi, forgent l’oreille de l’enfant. Dès l’âge de trois ans, elle reproduit aisément des vocalises, mais aussi et de manière plus surprenante, des extraits de bravoure, comme l’air des Clochettes (Lakmé), les Variations de Proch, les Couplets du Mysoli «Charmant oiseau» (La Perle du Brésil) ou encore, la Villanelle (d’Eva Dell’Acqua), etc. Un premier répertoire surprenant rappelant, dans une certaine mesure, les débuts précoces d’une autre chanteuse prodige: Maria Malibran (1806-1836).

Même si les rapprochements et autres comparaisons n’ont pas de fondement ici, des similitudes rapprochent ces deux vocations précoces. Tout comme sa légendaire devancière, Betty Verlooy chante en public avant l’âge de six ans, dominée par une présence maternelle tutélaire très forte (Maria Malibran, quant à elle, évoluera sous la double férule parentale, principalement régentée par son père, le ténor espagnol Manuel Garcia Sr). Toutefois, à la différence de l’environnement socio-culturel des Verlooy, chez les Garcia (Malibran étant le patronyme de l’époux de Maria Garcia, Eugène), on est artistes de père en fils, une génération de chanteurs qui essaimera sur les principales scènes lyriques d’Europe et aux Etats-Unis. C’est principalement l’emblématique figure paternelle de Manuel Garcia Sr. qui domine cette famille d’artistes réputés dont les figures de proue sont, outre le père, Manuel Garcia Jr. et surtout, Pauline Viardot.)  En outre, le clan très soudé des Garcia entretient des liens privilégiés avec le Théâtre des Italiens (l’Opéra Comique) et une partie influente de l’intelligentsia artistique européenne, ce qui dans le contexte de l’époque, sert d’indéniable catalyseur aux carrières respectives de ses illustres membres. Enfin, même si Maria Malibran chante autant des rôles de soprano brillant ou sfogato, grâce à une inhabituelle et prodigieuse extension vers le registre aigu, son instrument est celui d’un mezzo-soprano. La comparaison entre les deux artistes est toutefois consentie, dès lors que l’on évoque leurs débuts précoces. Plus proche de nous et dans le répertoire lyrique, le soprano italien Margherita Carosio (1908-2005)marquera les esprits en débutant au concert à l’âge de 14 ans et à l’opéra, deux ans plus tard, dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor puis dans celui d’Adina (Don Pasquale).

A compter de 1939, le premier apprentissage musical de Betty Verlooy est placé sous la houlette férue et attentive de sa mère qui veillera à lui prodiguer ses premiers cours de solfège, de piano, puis de chant. Elle développe sa propre méthode qu’elle recopie scrupuleusement sur des feuillets, déposés en évidence sur la bibliothèque du salon, à côté du piano: chaque élève devra faire siens ces préceptes et Marthe Verlooy sait se montrer, à l’occasion, intransigeante avec ses artistes en herbe. Elle offre à sa fille sa propre méthode de chant («De l’Art de bien chanter, à ma chère fille Elisabeth»), qui sans être innovatrice, est riche de bon sens, de conseils et d’orientations techniques et interprétatives. A propos des points d’arrêt d’une partition, Marthe Verlooy écrit: «En revanche, le point d’arrêt est souvent sacrifié. Cependant, il peut être d’un effet impressionnant. Il y a des silences lourds d’éloquence (n’a-t-elle point raison?). Le professeur enthousiaste et convaincu, saura éveiller et remuer les sentiments à l’état latent dans l’âme de l’élève, si celle-ci a quelque don musical naturel.» Aucune méthode de chant n’est certes universelle (bien que les noms de Porpora, Garcia, Vaccai, Marchesi ou Concone survivent à l’oubli.) Or, il semblerait que l’enseignement initial de Marthe Verlooy ait porté des fruits ou en tout cas, qu’il n’ait pas altéré le précieux instrument. La formation musicale ultérieure de Betty Verlooy au Conservatoire de Bruxelles, puis en Italie et en Autriche lui offrira le cursus académique complet nécessaire pour affronter l’arène lyrique, le concert et le répertoire du Lied.


UN ENVIRONNEMENT FAMILIAL PROTEGE ET PROPICE A LA CARRIERE

La seconde guerre mondiale éclate et la Belgique n’est pas épargnée. L’invasion par l’occupant et les restrictions touchant la population civile apporteront leur lot de drames pour la famille Verlooy avec la perte du frère de Betty Verlooy, Alphonse, mort au front. Dans des circonstances aussi éprouvantes, Marthe Verlooy trouve dans l’éducation musicale de sa fille un Ersatz gratifiant, dans lequel elle peut non seulement puiser du réconfort, mais aussi et surtout, assumer un rôle-clé qui s’avérera décisif dans le cursus musical de la jeune fille.  Elle s’implique également de manière active dans l’organisation de concerts de charité et récitals de bienfaisance, ne ménageant jamais ses efforts. Parallèlement à sa scolarité, Betty Verlooy ne tarde pas à progresser rapidement dans l’apprentissage du solfège, du chantet du piano, puisque dès l’âge de sept ans, elle est capable de jouer des petites sonates. Sa mère devra se montrer très stricte afin d’éviter que l’enfant ne soit pas tentée de sacrifier ses études primaires au seul bénéfice de la musique et du chant.  Ce qui n’empêche pas le professeur de promouvoir les talents précoces de sa fille en lui proposant de participer à des après-midis ou soirées musicales, la propulsant au rang de petit prodige. Tout d’abord, c’est à Louvain que Betty Verlooy, souvent accompagnée par sa mère au piano, donne ses premières prestations: dans le contexte socio-économique particulier de l’époque, ce sont surtout des concerts de bienfaisance, habituellement au bénéfice d’œuvres de charité, permettant à de nombreux artistes d’assoir leur notoriété naissante. Elle donne également des premières prestations à Malines, Gand, Courtrai puis Bruxelles.

Programme du gala du 24 janvier 1946 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Elisabeth Verlooy, enfant prodige, est alors âgée de 13 ans
Programme du gala du 24 janvier 1946 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Elisabeth Verlooy, enfant prodige, est alors âgée de 13 ans
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Le 24 janvier 1946, au Palais des Beaux-Arts (Bruxelles), haut lieu culturel de la capitale belge et à peine âgée de 13 ans, elle aborde avec aplomb les Variations de Proch et l’air extrait de l’opéra comique de Nicolo Isouard, Le Billet de loterie «Non, je ne veux pas chanter!» lors d’une soirée de gala organisée au profit du Foyer des orphelins.  

Un article du quotidien belge Le Soir (sans date) rapporte que «La Belgique et notamment Louvain, qui a déjà produit tant d’artistes renommés et dont Betty Verlooy est originaire, peuvent être fiers de ce virtuose du belcanto, dont la technique vocale peut se mesurer avec celle de cantatrices renommées. Tous ceux qui s’intéressent à l’art du chant seront heureux d’assister à l’audition de ce phénomène belge dont la réputation sera bientôt mondiale.» Le magazine belge Ciné-Revue (1946) la surnomme «la Deanna Durbin belge», la comparant ainsi à l’actrice et chanteuse canadienne de comédies musicales.

Progressivement, des propositions d’engagement se font plus pressantes et Marthe Verlooy doit faire preuve de sagesse, refusant certaines offres fantaisistes et peu sérieuses. Elle évite ainsi de transformer sa fille en une bête de foire instrumentalisée digne d’un Phineas Barnum. C’est à cette époque que d’un commun accord, mère et fille choisissent de recourir parfois au nom de scène Betty d’Ardenne. Ce tour de passe-passe leur permet de présenter la jeune artiste à différents recruteurs potentiels en évitant de compromettre ses chances de carrière et en maximisant ses chances de réussite. Prenant part à de nombreuses après-midi musicales, souvent au bénéfice de nobles causes que la famille Verlooy s’attache à embrasser, Betty d’Ardenne se forge déjà une belle réputation locale, puis nationale.


UNE EVOLUTION ARTISTIQUE PRECOCE ET PRUDENTE


L’apprentissage de Betty Verlooy évolue et ce faisant, son répertoire. En 1945-1946, le jeune soprano aborde l’Alleluia tiré de l’Exultate jubilate (Mozart), l’air du Rossignol dans L’Allegro e il pensieroso ed il moderato (Haendel), l’air de Parysatis (Le Rossignol et la rose, Saint-Saëns), la valse de Mireille (Gounod), la valse de Dinorah (Le Pardon de Ploërmel, Meyerbeer), l’air des Clochettes (Lakmé), l’air du page Urbain (Les Huguenots, Meyerbeer), Frühlingstimmen (J. Strauss II), l’air du Berger (La Bernoise, Mathieu), l’air Ma Poupée chérie (de Séverac), l’air L’Oiseleur (Delune).

Si ce répertoire, déjà impressionnant, est relativement sage, il est sporadiquement plus discutable d’y retrouver le grand air de Violetta du Ier acte de La Traviata ou encore, celui de Mimi dans le Ier acte de La Bohème, sans parler de mélodies de Mendelssohn, Schubert et Schumann … Personne de censé ne pourrait accorder une quelconque légitimité à un tel répertoire défendu par une fillette d’à peine 12 ans, Marthe Verlooy non plus. Certainement veut-elle avant toute chose mettre en exergue la diversité du talent musical de sa fille, désir légitime et, dans une certaine mesure, compréhensible.  

Marthe Verlooy s’approprie naturellement le rôle d’agent artistique et redouble d’efforts pour présenter sa fille à des recruteurs potentiels. La tactique fonctionne, car même si aucun théâtre ne peut proposer une association artistique à un si jeune élément, les auditions se succèdent en affirmant le talent et la confiance de Betty Verlooy.  Et puis, Bruxelles n’est finalement qu’une grande ville de province, même si indéniablement, elle est un centre musical de premier plan, voire stratégique.

Voyant des propositions affluer et trop soucieuse de garantir un avenir serein à sa fille, Marthe Verlooy redouble de prudence et sollicite des avis, qu’elle écoute avec attention. En 1946, elle tente de se mettre en rapport avec l’indomptable Blanche Marchesi, pour solliciter un avis et des conseilsquant à l’orientation à donner à sa carrière (grâce à un ami, sergent dans l’armée britannique rencontré lors d’un mini-récital de Betty Verlooy chez les Barons Rolin à Bruxelles.) Dans une lettre à la grande prêtresse du chant, c’est une mère déterminée et fière qui assume son rôle d’ambassadrice:

«As a matter of fact, I have been a teacher of singing for years and I have followed your method all the time with the most amazing success. But, there is one result, which particularly surprised me and which is my own daughter, Betty, now aged 13 years old, who, already some years ago, proved herself to be a singing genius.”
(En fait, j’ai enseigné le chant pendant des années et j’ai toujours appliqué  votre méthode avec grand succès. Mais un résultat m’a particulièrement étonnée: ma propre fille Betty, âgée aujourd’hui de 13 ans et qui depuis quelques années déjà, prouve qu’elle est un génie du chant. NDA.)


Elle clôt sa lettre à Blanche Marchesi en sollicitant une audition: celle-ci n’aura jamais lieupuisque la célèbre artiste, qui avait résidé à Londres dans le quartier de Saint John’s Wood, avait tiré sa toute dernière révérence le 15 décembre 1940 …

Le 5 mai 1946, Betty d’Ardenne, accompagnée par sa mère, se rend au Théâtre Royal de Liège et participe à un concert de Radio Jeunesse, organisé par la radio belge (I.N.R.): elle y chante les Variations de Proch, devenues l’un de ses chevaux de bataille. Le contrat est adressé à «Monsieur Verlooy» et signé par sa mère, à côté des signatures de Gaston Brenta et de Théo Fleischmann.  Le concert est un succès, car la captation en direct contribue à propulser le nom de Betty d’Ardenne dans toute la Belgique. Elle prend part à d’autres émissions, notamment à Bruxelles et les critiques sont unanimes pour saluer son talent. Dans une lettre du 13 novembre 1946 adressée à Marthe Verlooy, G. Coune, chef du Servicedes auditions musicales à l’I.N.R. indique:

J’ai appris avec le plus vif plaisir le succès croissant de votre petite Betty. Soyez rassurée: elle a beaucoup plu à la Radio. Et je suis convaincu que M. Kammans, pour ses séances de Radio Jeunesse ou M. Colwaert, pour ses concerts publics de l’Orchestre Radio, feront encore appel à son concours. Ecrivez-leur donc un mot et de mon côté, je leur rappellerai l’excellente impression que nous a laissé l’audition de votre mignonne ‘sopraninette’.»

LES CONCOURS ET LE CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES


Le 16 juillet 1943, elle remporte une Mention spéciale (hors concours, étant trop jeune pour concourir) au Jury Supérieur de Belgique (chant): document signé par Ernest Closson, Marguerite Thys et Maurice Weynandt. Toujours en 1943, elle décroche un Premier prix d’honneur – hors concours -, avec les félicitations du Jury – au Concours International de Bruxelles.  Puis, le 3 avril 1944,  elle obtient un Diplôme (chant, degré supérieur) avec la plus Grande Distinction et les félicitations du Jury au concours du Jury Musical de Belgique.

L’année 1946 est également importante, puisqu’elle marque des étapes importantes dans l’évolution de ce talent prodige, à peine âgé, rappelons-le, de 13 ans. Betty Verlooy se présente – sur l’insistance de deux membres de la commission d’évaluation - au Jury Supérieur de Belgique, section piano (degré primaire): elle y décroche une Grande distinction le 10 juillet 1946: document signé par Ernest Closson et Alfred Mahy. Elle est l’une des plus jeunes élèves inscrites.  Le 16 juillet 1946, elle se voit décerner un Diplôme avec Grande distinction du Jury Musical de Belgique (piano, degré moyen.)  Lors des sessions des mois d’avril et mai 1946 du 7ème Concours International de Chant Individuel de Verviers, elle remporte un Diplôme avec Premier prix spécial (hors concours, 3ème catégorie chant, enfants) avec les félicitations du Jury.  Le 1er septembre 1946, elle prend part aux Fêtes du 50ème anniversaire du Cercle Choral de L’Echo des Travailleurs en y chantant deux airs (elle y retrouve le baryton belge Gilbert Dubuc, qui avait obtenu un Grand Prix d’honneur et un Prix de «Sa Majesté britannique»: il y chante un air de La Favorite, un extrait de Le Pardon de Ploërmel et un air composé par le célèbre baryton et pédagogue belge Armand Crabbé intitulé Chanson du Gaucho.

Betty Verlooy n’est désormais plus qu’une seule enfant prodige dont les progrès se cantonnent à Louvain ou à la capitale belge, car sa notoriété ne cesse de croître. Pourtant,  c’est finalement la voix de la sagesse qui guideles pas de Betty Verlooy vers le Conservatoire Royal de Bruxelles, avant des études musicales plus approfondies en Autriche et en Italie. Elle y poursuit son cursus académique du 1er octobre 1946 au 15 juillet 1951 (classe de solfège avancé et théorie musicale de Simone Renard). Le 7 mai 1950, elle remporte un Diplôme de Premier prix au IXème Concours de Chant solistes organisé par l’Union Belge des Chefs de chant: document signé par un impressionnant aréopage de personnalités du monde musical et lyrique, puisque l’on relève (entre autre) les signatures du baryton Raoul De Lay (Président), du compositeur Joseph Jongen (Président honoraire qui a fait précéder sa signature de «Maître», du baryton Francis Andrien, du mezzo-soprano Dora Claeys-Nordier, des soprani Betty Dasnoy et Mariette Martin-Mettens et du ténor Joseph Rogatchewsky.  Et parmi les autres membres du Jury: Nany Philippart, René Barbier (directeur du Conservatoire de Namur), Maurice Coune, Georges Villier (baryton et pédagogue belge), etc. Parmi les autres concurrents, un certain Michel Trempont et son frère Pol, baryton et ténor ou encore, Micheline Cortois, mezzo-soprano qui fera carrière au Théâtre Royal de la Monnaie.

Le corps professoral du Conservatoire de Bruxelles est à l’époque un vivier de noms illustres issus du monde musical, et ses concerts jouissent d’une réputation européenne.  Il n’est alors pas rare d’y croiser – au détour d’un récital (ou d’un concert au Palais des Beaux-Arts, à proche distance du Conservatoire),d’un concours ou entre deux classes - des célébrités telles que Francis Andrien, Fernand Ansseau, Frédéric Anspach, Alain Malbrecq, Albert Huberty, Lucien Van Obbergh, Maurice Weynandt, Lucienne Despy, Ysel Poliart, Germaine Teugels, Marguerite Thys et tant d’autres. Pour certains artistes, le Conservatoire et l’enseignement sont l’antichambre de l’oubli. Pour Betty Verlooy, cette nouvelle structure pédagogique est idéale car elle lui permet d’assister aux manifestations qui y ont organisées et son nom circule de plus en plus dans l’enceinte de la vénérable institution. Germaine Teugels et Nany Philippart joueront d’ailleurs un rôle important dans leur soutien à ce brillant jeune élément.

Signature d'Albert Huberty, basse belge
Signature non identifiée, et signatures de Joseph Jongen, compositeur et organiste belge, et Lucien Van Obbergh, basse belge
Signatures de Germaine Teugels (-), Marcelle Bunlet (1900-1981) et Suzanne Danco (1911-2000)
Quelques signatures autographes : Albert Huberty, basse belge (1881-1955). Après une prestigieuse carrière internationale en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, il enseigne l’art lyrique au Conservatoire de Bruxelles ; X… (signature non identifiée) ; Joseph Jongen, compositeur et organiste belge (1873-1953), puis directeur du Conservatoire de Bruxelles (1925-1939) et Lucien Van Obbergh, basse belge (1887-1959, membre fondateur de l’Union des Artistes (Belgique, 1927) ; 3 soprani de renommée internationale au Conservatoire et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles: Germaine Teugels (-), Marcelle Bunlet (1900-1981) et Suzanne Danco (1911-2000).
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® )

Betty Verlooy fréquente les cours de piano du pédagogue espagnol Eduardo Del Pueyo, se montrant brillante et progressant rapidement dans l’apprentissage des exercices toujours plus ardus imposés par le maître. Un Premier prix de solfège est également décroché au Conservatoire en 1951: document signé par Marcel Poot et le Lt.-Gén. Vicomte Buffin de Chosal.

En janvier 1948, Marthe Verlooy, par l’intermédiaire d’un ami de la famille, Jean Albert, contacte Corneil de Thoran, directeur de la Monnaie (Cf. http://www.musimem.com/thoran.htm) pour lui présenter la jeune fille et obtenir ses conseils. Elles sont reçues au théâtre à la fin janvier: il n’est pas avéré qu’une audition en bonne et due forme ait eu lieu devant le directeur, mais en tout état de cause, elle semblerait peu plausible. C’est un avis judicieux et comme il fallait s’y attendre, éclairé, qui est donné à Betty Verlooy, l’encourageant à poursuivre sa formation musicale, dans un premier temps, au Conservatoire. Toujours en janvier, la jeune fille participe à un concert à Gand (dans les salons de l’Hôtel Britannia qui, à l’époque, organisait des séries de concerts, notamment en matinée le dimanche) où sa prestation est remarquée. A ses côtés, on retrouve un jeune mezzo-soprano belge promis à une grande carrière internationale: Rita Gorr, qu’elle retrouvera à Verviers dans le cadre du Concours de l’Echo des Travailleurs.

Le 30 mai 1948, Betty Verlooy est invitée à nouveau par le Concours de l’Echo des Travailleurs, dans le cadre de sa 8ème édition. Elle y décroche un Diplôme avec Mention spéciale (hors catégorie, chant, enfants.) En audition hors concours, elle chante deux airs de son répertoire. Parmi les concurrents, des noms marquants le panorama lyrique international: Leonie Rysanek, Marcelle Croisier, Rita Gorr, Germain Ghislain, Bruno Wyzuj et José Denisty.

C’est ainsi que la direction du Concours  de Verviers, contacte Marthe Verlooy pour lui proposer la participation de sa fille au gala commémorant le 50ème anniversaire du concours le 1er septembre de la même année. Parmi les membres d’honneur, Emile Laurent qui, plus tard, se souviendra de Betty Verlooy en lui proposant Olympia au Grand-Théâtre de Verviers le 15 janvier 1950 aux côtés de chanteurs de premier plan tels que Marthe Luccioni, Suzanne Herman, Albert Delhaye et René Bianco/Roger Rico. Nullement intimidée, elle se voit contrainte de bisser son air «Les Oiseaux dans la charmille».

Si les études musicales et la scolarité obligatoire font de Betty Verlooy une jeune fille occupée, elle ne ménage pas ses efforts pour se produire en public, tout en limitant ses prestations, pour ne pas fatiguer l’instrument et compromettre son épanouissement. Sollicitée pour des récitals ou concerts de musique de chambre, elle se produit principalement à Bruxelles, là où les chances de se faire connaître sont plus nombreuses qu’à Louvain. Par exemple, elle participe avec succès au Gala Ciné Revue, un concert couru par des personnalités du monde des arts, un autre tremplin pour le soprano.

Vina Bovy
Vina Bovy dans le rôle de Marguerite (Faust)
( photo J.M. Mertens, Anvers, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

UNE RENCONTRE DECISIVE AVEC VINA BOVY


Toujours en 1948,  Betty Verlooy assiste avec sa mère et des amis à une représentation de La Bohème au Théâtre Royal de Gand. A l’entracte, elle est présentée à Vina Bovy, directrice du théâtre depuis 1947.

Vina (Malvina) Bovy débute le 21 janvier 1918 dans Argentine (Les Deux billets, un opéra comique de Ferdinand Poise) au Théâtre Flamand (le Théâtre Royal est temporairement fermé pendant les hostilités). Elle y chante également Kerlien (De Bruid der Zee), Hänsel (Hänsel und Gretel), Musette (La Bohème) et Frasquita (Carmen), avant d’affronter les premiers plans. Dès 1920, sa carrière de soprano lyrique-coloratura prend son envol, la conduisant sur les principales scènes lyriques mondiales.  Elle partage l’affiche avec de prestigieux solistes (chanteurs et chefs d’orchestre) de son époque.  C’est en avril 1955 qu’elle met un terme à sa carrière lyrique à Gand, dans le rôle de Madeleine de Coigny (André Chénier), aux côtés d’un ardent Jan Verbeeck (Cf. http://www.musimem.com/verbeeck.htm) avec une voix à peine ternie par le poids des ans.

Lors de sa session du 19 mai 1947, l’Administration de la Ville de Gand nomme Vina Bovy directrice du Théâtre Royal (la dénomination officielle est Opéra Royal de Gand), décision confirmée le 23 juin 1947 par le Conseil municipal de la Ville, suivie par une notification qui lui est adressée le 28 juin 1947 (Cf. Fonds musical de l’auteur: Archives Vina Bovy/Théâtre Royal de Gand). La première saison (du 1er octobre 1947 au 30 avril 1948) doit prévoir 91 représentations (trois par semaines), dont 67 d’opéras comiques (30 en néerlandais et 37 dans d’autres langues) et 24 opérettes (en néerlandais  exclusivement.)  On la prie notamment de présenter De Bruid der Zee, du compositeur belge Jan Blockx (le mezzo-soprano belge Lucienne Delvaux débutera au Théâtre Royal de Gand dans le rôle de Guduul aux côtés de Vina Bovy reprenant le rôle de Kerlien, en néerlandais pour la première œuvre de sa saison inaugurale.)  Elle devra proposer une autre œuvre de ce compositeur: Herbergprinses (Princesse d’auberge). Parmi les autres opéras: Der Freischütz, Mârouf savetier du Caire, Samson et Dalila, Rigoletto et La Traviata (ces deux dernières devant être présentées avec une «bonne distribution italienne»). En complément au répertoire lyrique, la nouvelle direction sera tenue de proposer quatre concerts d’hiver avec l’Orchestre National de Belgique avec «des solistes connus». Enfin, elle devra offrir six comédies (dont trois destinées aux écoles) avec le Théâtre National de Belgique, dix avec les Tournées Karsenty et une avec la compagnie de la Comédie Française. Vina Bovy  revêt ainsi la double casquette de soprano et de directrice jusqu’au terme de la saison 1954-1955. Elle joue un rôle important dans l’éclosion ou l’épanouissement des carrières de chanteurs belges, leur permettant d’intégrer une troupe, d’évoluer au sein d’un ensemble homogène et de forger leurs premières armes. Si parfois, la qualité musicale d’ensemble est de facture moyenne pour le grand opéra français ou italien du début du XIXème siècle (faiblesse des chœurs et parfois des cordes ou des solistes égarés dans des rôles aux antipodes de leurs tessitures), elle fait néanmoins preuve d’excellente tenue. Les artistes internationaux payés au cachet sont du reste heureux de pouvoir se produire à Gand: Vina Bovy, grâce à ses contacts, sait se montrer particulièrement persuasive.

La rencontre avec Vina Bovy est décisive pour Betty Verlooy et naturellement, sa mère fait état du cursus artistique de sa fille. Artiste, Vina Bovy est aussi femme du monde et si elle est séduite par le parcours de la fillette, elle est aussi frappée par sa parfaite éducation. Fait plus surprenant, Betty Verlooy montre une assurance qui séduit la directrice. La discussion se poursuit en s’orientant vers les études, les prix obtenus et les possibilités de carrière. Vina Bovy est une femme extrêmement occupée entre la direction de l’Opéra Royal et les rôles qu’elle chante à la scène. Sur le point de programmer une reprise en néerlandais des Contes d’Hoffmann pour janvier 1949, elle recherche une Olympia et en observant Betty Verlooy, elle réalise qu’elle tient là un petit prodige capable de faire sensation dans le rôle bref mais périlleux de la Poupée. La directrice propose alors à Marthe Verlooy de revenir au théâtre avec la jeune artiste pour une audition. L’opéra de Jacques Offenbach joue un rôle majeur dans la carrière de Vina Bovy, puisqu’elle chante d’abord les trois rôles (notamment au Metropolitan Opera), puis jusqu’en 1946, celui d’Antonia, qu’elle enregistre sous la baguette d’André Cluytens l’année même de sa rencontre avec la famille Verlooy, soit en 1948. La directrice tient donc tout particulièrement à ce que cette reprise soit une réussite et elle le sera.

L’audition qui se déroule sur la scène du théâtre est concluante: elle a lieu en présence de Vina Bovy et des deux régisseurs, Karl Locufier et Octave Dua. C’est ce dernier, ténor comprimario à la prestigieuse carrière internationale qui prend Betty Verlooy sous son aile et lui prodigue de précieux conseils de mise en scène et lui fait partager sa technique de maquillage, dont lui seul détient le secret. Au crépuscule de sa vie, Octave Dua est une figure tutélaire et respectée du Théâtre Royal de Gand. Après ses adieux dans ce théâtre, il enseigne le chant à Anvers et meurt dans la capitale belge le 8 mars 1952. En donnant sa chance à Betty Verlooy, Vina Bovy sait qu’elle court un certain risque, mais elle est rassurée en constatant que les répétions se déroulent bien. Le ténor Achiel Somers (Hoffmann dans cette production) se prend du reste d’affection pour sa jeune Olympia en lui apportant, à chaque répétition une petite attention. Betty Verlooy fait donc ses débuts au Théâtre Royal de Gand le 13 février 1949 dans Olympia, entourée des solistes de la troupe, sous la direction de Gerard Horens (pour cinq représentations au total, comprenant une supplémentaire vu le succès remporté et des reprises en Belgique.) Car en effet, le succès est au rendez-vous et la presse s’empresse de souligner  l’exploit réalisé par la talentueuse jeune fille qui doit maintenant parfaire son éducation musicale et surtout, effectuer les meilleurs choix possibles pour son avenir artistique. Après les représentations gantoises, quelques nouvelles représentations des Contes d’Hoffmann sont présentées dans la ville natale de Betty Verlooy et elle y est saluée en véritable vedette.

Vina Bovy, quant à elle, va féliciter la jeune Olympia et ne tarit pas d’éloges, mais prudemment, recommande au jeune élément de poursuivre ses études en se perfectionnant, de préférence à l’étranger. Le succès de cette reprise sera renouvelé à Louvain au Théâtre Communal les 15 et 16 mars 1950 avec une distribution quasi identique (Edward De Decker remplaçant Achiel Somers) à celle de Gand, ainsi qu’à Bruges et Courtrai. Après la représentation de gala organisée par le Handelaarsverbond du 15 mars 1950, le soprano reçoit un vibrant hommage officiel de la part du bourgmestre de la ville de Louvain.

Les années 1949 et 1950 sont principalement consacrées à l’achèvement des études au Conservatoire de Bruxelles et les prestations publiques sont réduites pour ménager la voix de Betty Verlooy. Elle participe néanmoins à deux autres concerts organisés par Ciné Revue et donne une prestation composée de mélodies flamandes pour la B.R.T. en juin et octobre 1949.)

Si ses cours de chant avec sa mère se poursuivent, elle se concentre avant tout sur l’étude du piano et parfait ses connaissances avec l’histoire de la musique, en se passionnant pour la musique ancienne, puis le répertoire mozartien.  Elle en profite pour passer de nouvelles auditions (notamment chez les Barons Carton de Wiart et d’autres personnalités influentes de la vie musicale belge).

A cette même époque, elle auditionne pour deux soprani et pédagogues belges dont la réputation est respectable en Belgique: Germaine Teugels et Nany Philippart, cette dernière portant le titre de «Cantatrice de la Cour de Belgique». Betty Verlooy la rencontre à Verviers lors de son audition au concours L’Echo des travailleurs.

Si Germaine Teugels fait quelques rares incursions dans l’opéra (Pelléas et Mélisande, La Damnation de Faust, etc.), elle est surtout une concertiste hors-pair, notamment dans de nombreuses créations (œuvres symphoniques, mélodies). Active dès 1920, elle chante notamment pendant la seconde guerre mondiale  pour la Société privée de Musique de chambre (créée par Paul Collaer). Propagatrice de musique contemporaine et l’une des interprètes préférées des Concerts Paul Collaer, elle est unanimement admirée pour sa musicalité et la finesse de ses interprétations. De nombreux compositeurs belges et français louent ses qualités, au rang desquels figure Francis Poulenc dont on figure le cinquantième anniversaire de la mort en cette année 2013 (Cf. Paul Collaer: Correspondance avec des amis musiciens, présentée et commentée par Robert Wangermée, Ed. Mardaga, ISBN: 2-87009-606-2). Quant à Nany Philippart, elle cantonne sa carrière au concert et sa réputation ne dépasse pas la Belgique. Musicienne émérite, son avis compte. Aujourd’hui, son nom est perpétué par la Fondation et la bourse d’études portant son nom, créée en 1985.

Les deux auditions organisées en décembre 1950 et janvier 1951 sont concluantes et ne manquent pas de séduire les deux artistes. Dans une lettre du 7 février 1951, Germaine Teugels écrit:

«Elle possède une voix naturelle de coloratura. Elle a chanté pour moi avec  charme et intelligence l’air de l’arrivée de ‘Manon’ de Massenet et avec une très grande facilité dans l’air du dernier acte de la Reine de la nuit dans ‘La Flûte enchantée’ de Mozart (vocalises jusqu’au contre-Fa). J’estime que ce jeune élément est particulièrement doué et devrait perfectionner par l’étude, ses qualités vocales exceptionnelles pour la carrière théâtrale  où elle a le grand désir de s’engager.»

Nany Philippart ne tarit pas d’éloges non plus dans son courrier du 8 février 1951:

«Mademoiselle Verlooy, que j’avais entendue il y a quelques années et qui alors m’était apparue comme une petite cantatrice prodige, n’a fait que progresser. Je puis certifier qu’en complétant ses études de chant, en les perfectionnant, elle fera honneur à notre pays. Sa voix, malgré sa jeunesse, est chaude, bien conduite, d’une grande tessiture, très claire, juste, vibrato excellent et sa technique bien développée. Elle a une intelligence éveillée souple, qui s’adapte facilement aux conseils qu’on lui donne. Son interprétation est bonne. Il est indispensable qu’on l’aide afin d’achever ses études musicales, d’art lyrique et de mimique.»

Le 28 février 1951, Vina Bovy s’adresse à Betty Verlooy dans une lettre soutenant sa décision de poursuivre ses études à l’étranger:

«J’ai appris avec plaisir que vous vous proposez de continuer vos études de chant à Milan, afin de vous perfectionner. J’estime qu’après votre début bien réussi chez nous, comme – sic – la Poupée Olympia dans ‘Les Contes d’Hoffmann’, des études poursuivies à l’excellente école italienne pourront vous ouvrir pour l’avenir une carrière pleine de promesses.»

Avec de tels résultats et déjà, un palmarès artistique impressionnant, un séjour académique de perfectionnement à l’étranger, va s’avérer bénéfique, puisqu’il lui ouvrira les portes de la carrière lyrique.  Avant son départ pour l’Autriche, le soprano se prête à deux émissions radiodiffusées avec l’I.N.R. dans un programme contenant une mélodie française, les Variations de Proch et les Frühlingstimmen de J. Strauss (mars et juin 1951.)  Egalement et surtout, elle travaille d’arrache-pied des airs de Mozart, embrassant peu à peu un large éventail de morceaux de bravoure totalisant près d’une vingtaine de pièces, au-delà d’airs de Zerlina, Despina, Cherubino, Arminda, Servilia ou Blondchen.


UN BRILLANT CURSUS ACADEMIQUE A L’ETRANGER


Suivant les conseils de Corneil de Thoran, de Vina Bovy et des autres personnalités musicales sollicitées, Marthe Verlooy contacte la direction de la réputée Internationale Sommer Akademie (Mozarteum) de Salzbourg. Sa fille est admise dans la classe de chant de Stoja von Millinkovic et d’art lyrique de Meinhard von Zallinger(du 1er au 31 août 1951): à nouveau, elle est remarquée pour ses dons musicaux innés et sa rapidité d’apprentissage. Elle y décroche deux certificats de stage en chant et art lyrique. Le 31 août 1951, elle prend part au concert de clôture en interprétant, première en ordre de passage, l’air de Blondchen (Die Entführung aus dem Serail), puis un duo Blonde-Osmin avec la basse Oswald Schloffer, sous la direction de Wolfgang Messer. Elle y retourne en 1952, travaillant avec ses mêmes professeurs et poursuit son perfectionnement avec une assiduité redoublée, donnant parallèlement deux récitals organisés par le Consulat général de Belgique.

La prochaine étape est désormais l’Italie. Marthe Verlooy se met en rapport avec le Consulat général d’Italie à Milan, la Commission des Relations culturelles avec l’Italie et le Ministère de l’Instruction publique pour l’obtention d’une bourse d’études au Conservatoire Giuseppe Verdi (Milan). Munie de ses diplômes et dans un premier temps et escortée de sa mère, Betty Verlooy part pour Milan en septembre 1951.  Elle s’installe alors dans une pension de famille, puis elle élit temporairement domicile auprès des Sœurs de la Paroisse de Saint Augustin. Ce premier séjour milanais n’est pas de tout repos, car même si elle peut se ménager des temps de loisirs, notamment en visitant la ville et la région, elle suit des cours d’italien, une langue qu’elle parvient à maîtriser très rapidement.  Le 14 janvier 1952, elle passe son examen d’admission à l’Ecole de chant du Conservatoire où elle est reçue.

Entretemps, grâce aux contacts noués par la famille, elle parvient à obtenir une substantielle bourse d’études qui lui est confirmée par une lettre du Consulat général de Belgique à Milan le 2 janvier [1952] d’un montant de 42'500 francs belges et de 5'000 francs belges pour frais de voyage. Cette même bourse sera renouvelée pour l’année académique suivante par une lettre du 12 août 1952.  Ses études musicales à Milan sont une expérience enrichissante, car elle peaufine sa technique vocale (auprès d’Ines Maria Ferraris) et sa culture musicale. Elle explore ainsi ce qui deviendra son répertoire lyrique et l’ambiance de travail, cosmopolite et studieuse, lui convient, même si une certaine pression se fait ressentir au vu du nombre d’heures dispensées hebdomadairement. Il faut dire que Betty Verlooy rejoint dès la première année académique l’ensemble du Piccolo Coro da Camera (le Petit Ensemble de Musique de chambre) et il s’agit-là, à l’instar d’un véritable opéra studio, d’un superbe tremplin professionnel. Ce sera le cas, puisque la jeune artiste donnera de nombreuses représentations en Italie (notamment à Venise – dont trois concerts conjoints avec le Conservatoire Benedetto Marcello), à Copenhague et Bâle.

Elle acquiert désormais une maturité vocale et fait preuve de sérieux dans le travail assidu qu’elle fournit. En outre, elle est particulièrement appréciée par le corps professoral, mais aussi par ses collègues, pour son amabilité, sa discrétion et sa parfaite éducation. Attestations et certificats intermédiaires sont tous élogieux:

«[…] dotata di mezzi vocali pregevoli, ha dimostrato, nello studio, serietà, disciplina e intelligenza non comune. Milano, 16 Maggio 1953.»
([…] dotée d’importants moyens vocaux, elle a démontré dans l’étude sérieux, discipline e une intelligence hors du commun.Milan, 16 mai 1953.», NDA.)

«[…] ha dimostrato di avere une pregevole voce di soprano, una superiore musicalità e cultura, sí da meritare l’elogio del sottoscritto – insegnante di tale corso (Musica vocale da camera, NDR), nonchè quello degli insegnanti che si occupano dei suoi studi musicali. Prof. Edoardo Boccardi, Milano, 24 maggio 1953.»
([…] a démontré de posséder une voix importante de soprano, une musicalité et une culture supérieures, justifiant les éloges du soussigné (professeur, cours de Musique vocale de chambre, NDR), ainsi que celles des enseignants en charge de ses études musicales. Prof. Edoardo Boccardi. Milan, 24 mai 1953.», NDA.)

«[…] ha tenuto con successo una serie di concerti in Danimarca, a Milano e a Venezia. La Signorina Verlooy, che è un elemento di primo ordine sotto ogni rapporto, ha riscosso i più lusinghieri consensi tanto in Danimarca, come in Italia, anche come solista in alcuni duetti di Monteverdi. M° Amarigo Bortone, Prof. Di Musica corale, Direttore del Piccolo Coro da camera. Milano, 29 maggio 1953».
([…] a participé avec succès à une série de concerts au Danemark, à Milan et à Venise. Mademoiselle Verlooy, qui est un élément de premier ordre sous tous rapports, a recueilli l’appréciation la plus élogieuse au Danemark comme en Italie, également en tant que soliste dans des duos de Monteverdi. M° Amarigo Bortone, Prof. De Musique chorale, Directeur du Petit Chœur de chambre. Milan, 29 mai 1953.», NDA.

Son séjour à Milan lui permet de donner des séries de récitals proposés par le Conservatoire. Elle affirme ainsi son talent et embrasse un répertoire de plus en plus large. Le récital qu’elle donne le 30 avril 1953 au Cercle culturel des Etudiants de l’Institut des Mères bénédictines de Milan en donne un aperçu: des airs et mélodies de Mozart, Vivaldi, Marcello, Haendel, Schubert, Duparc, Ryelandt, Fiume, Jongen et De Falla.


Le 31 mai 1953, Betty Verlooy participe au concert des élèves du Conservatoire se tient dans la Petite Salle: elle y chante l’air du Ier acte de Lucia di Lammermoor «Regnava nel silenzio», accompagnée au piano par Francesco Rossi. Parmi les pianistes, un certain Claudio Abbado. Enfin, Betty Verlooy obtient son Diplôme de chant (9.15 points sur 10) à la session d’automne 1954.


RETOUR EN BELGIQUEAVANT UN NOUVEAU GRAND DEPART


La formation académique de Betty Verlooy en Italie et les fréquents récitals auxquels elle participe dans la Péninsule et à l’étranger la préparent désormais activement à la carrière lyrique.  En abordant l’oratorio, la musique ancienne, la musique de chambre, l’opéra comique, l’opéra et le Lied, elle affirme de manière évidente la versatilité de son talent, affrontant ces genres et répertoires musicaux avec une musicalité instinctive rare.

De retour en Belgique, elle reprend la route des concerts et en profite pour prêter son concours à de nouvelles émissions radiophoniques où désormais la qualité de son chant atteint un degré très élevé et lui vaut de constantes éloges. Elle interprète un large éventail d’œuvres rarement jouées à la radio, à l’instar de la version française d’une petite composition de Domenico Scarlatti: Vénus et l’Amour, sous la direction de Georges Béthune (I.N.R., 14 et 16 octobre 1954).  

Outre l’I.N.R. puis la R.T.B./B.R.T., elle prête aussi son concours à des émissions radiodiffusées pour la B.B.C., R.T.R. (Luxembourg), Radio Hilversum (Pays-Bas), D.R.S., R.T.S.R. (Suisse), N.D.R., SWF(Allemagne), etc., une collaboration avec les studios radiophoniques qui se poursuivra tout au long de sa carrière internationale.

Forte de son expérience italienne, Betty Verlooy est désormais régulièrement sollicitée pour chanter dans le cadre de concerts scellant l’amitié belgo-italienne (où elle retrouve Claudio Abbado, déjà rencontré à Milan et son père Michelangelo, violoniste et chef d’orchestre de talent.  Elle retrouve les salons musicaux bruxellois, comme celui de la famille Carton de Wiart et participe à des galas de charité, prête à défendre de bonnes causes (Société des aveugles, Croix-Rouge de Belgique, L’Oeuvre Nationale d’Aide aux enfants anormaux, le Sanatorium Universitaire de Belgique, le Club de la Fondation universitaire, la Société protectrice des animaux, la Société Royale des Fanfares L’Amitié, et tant d’autres). Elle chante également pour les œuvres caritatives catholiques.  

Entre 1953 et 1956, elle est soliste de l’Ensemble Pro Musica Antiqua, sous la direction de Safford Cape, années exclusivement consacrées au concert, aux prestations radiodiffusées et comprenant de nombreuses tournées internationales.  Son répertoire inclut alors un nombre important d’airs et motets tirés de la musique médiévale et de l’époque de la Renaissance. Pendant cette collaboration, elle prend part à plusieurs créations (notamment d’arie oubliées et de cantates italiennes.) Elle chante en Allemagne, Autriche, France (notamment au Festival de Besançon en 1954), Luxembourg,  Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse, etc. Le 12 juillet 1955, elle est à Gand pour un concert de l’ensemble au Musée des Beaux-Arts.

Si les concerts sont une activité musicale enrichissante, Betty Verlooy risque, en s’y  cantonnant trop longtemps, d’exclure de sa carrière les rôles à la scène. Certes, depuis son enfance, elle est habituée au récital et au concert. Toutefois, son perfectionnement en Autriche et en Italie lui permet de réaliser qu’une carrière lyrique  lui offrira un plus large éventail de possibilités, en dépit d’une concurrence féroce dans des rôles de coloratura.

Elisabeth Verlooy après un concert donné en 1956 au Mozarteum de Salzbourg.
Elisabeth Verlooy (3ème à droite) après un concert donné en 1956 au Mozarteum de Salzbourg. A sa droite, il s’agit certainement de son professeur, le soprano Stoja von Millinkovic. A gauche (2ème), le rayonnant soprano belge Marie-Jeanne Marchal aux côtés de son professeur, le soprano Lotte Schöne.
( photo H. Hagen, Salzburg, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Eté 1956, elle prend quelques jours de repos en Autriche, dans la région de Salzbourg. Fermement résolue au repos, Betty Verlooy assiste, en spectatrice, avec sa mère et des amis, aux représentations du Festival de Salzbourg. Elle en profite pour participer à une nouvelle classe d’été (opéra studio, art lyrique et interprétation) organisée par la Internationale Sommer Akademiequi la consacre meilleure interprète de œuvres de Mozart. Elle participe ensuite au prestigieux concert de clôture en interprétant un Lied, un air de concert puis un air d’opéra, tous extraits du répertoire mozartien bien entendu et le succès est retentissant.  Après le concert, entourée de ses professeurs Meinhard von Zallinger et Stoja von Millinkovic, elle est présentée à Karl Böhm qui vient d’achever son deuxième mandat à la tête du Staatsoper de Vienne. Impressionné par la prestation de la jeune femme, il propose d’organiser une rencontre avec Georg Solti, directeur de l’Opéra de Francfort et président du Jury du Concours International Mozart de 1956 au Mozarteum. Cette rencontre joue un rôle important dans la carrière de Betty Verlooy, car il scelle sa longue collaboration avec l’Allemagne, pays où elle axera la majeure partie de sa carrière. Le lendemain, Georg Solti convoque le soprano et lui propose de débuter à l’Opéra de Francfort avec un premier contrat de trois ans. Un nouveau début, une chance de tout premier ordre. Elisabeth Verlooy informera ses proches et ses partenaires de scène de son départ pour l’Allemagne et dans une émouvante lettre du 12 mars 1957, de son écriture tourmentée, Safford Cape écrit:

«Vous ne savez pas à quel point j’ai été ému par votre lettre du 16 janvier 1957. Vous avez été vous-même émue en l’écrivant. J’ai parfaitement bien senti l’amitié et l’affection que vous avez pour le Groupe et la chose me touche vivement. Ma chère Betty, votre collaboration a été l’une des plus belles dans [celles] que j’aurai connues dans ma vie. Votre don parfait: ce naturel, cette liberté, cette perfection fondée dans la nature même et perfectionnée encore par la science et le travail! Cette fraîcheur, cette authenticité enfin, est même, je crois, unique dans mon expérience. A ces qualités d’artiste, je joins votre bonté, votre claire camaraderie, votre sérieux, votre sens du juste et du bien. Tout cela fait que j’ai attaché à notre collaboration le plus haut prix et que probablement, je n’aurai plus jamais quelqu’un qui vous ressemble. Safford Cape.»


L’ALLEMAGNE AU CŒUR DE LA CARRIERE LYRIQUE D’ELISABETH VERLOOY

Elisabeth Verlooy dans le rôle de la Reine de la nuit (La flûte enchantée)
Elisabeth Verlooy dans le rôle de la Königin der Nacht (Die Zauberflöte),
Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Elisabeth Verlooy est désormais rattachée à l’Opéra de Francfort, saisons 1956-1959, avant sa longue association artistique avec Hanovre.  La proposition de Georg Solti relève de la providence car elle permet à l’artiste d’alterner le concert et l’opéra, lui évitant ainsi de se museler dans un seul registre musical. Cette offre tombe à point nommé, puisque les théâtres belges s’avèrent dans l’impossibilité  d’offrir à l’artiste une collaboration sur le long terme. La fin de la troupe et l’arrivée de directeurs aux compétences et au discernement artistique plus que discutable vont rendre la situation de nombreux talents précaire, ces derniers préférant, à raison, s’exiler à l’étranger là où, souvent, ils bénéficieront de conditions meilleures et pourront explorer un plus ample répertoire lyrique. A la Monnaie, des soprani de premier plan tels que la brillante et très musicienne Marie-Jeanne Marchal (qui fera elle aussi carrière en Allemagne et qu’Elisabeth Verlooy retrouvera au Mozarteum en 1956), Marie-Thérèse Pascal et, dans une moindre mesure, Micheline Sanders, sont en tête d’affiche. Il n’y a donc guère de place à prendre, la proposition de Georg Solti tombe à point nommé. Les efforts fournis depuis l’enfance, sous la férule de sa mère, vont payer en lui ouvrant les portes d’une carrière lyrique. La séparation entre la mère et la fille est certes difficile et Marthe Verlooy peut désormais redoubler d’efforts dans l’enseignement prodigué à ses élèves à Louvain et voyager, passant de nombreux séjours à Francfort.  Le pédagogue ressent alors une certaine fierté, bien compréhensible …

Les trois premières années sous contrat à Francfort établissent une partie du répertoire du soprano. Elle y chante tour à tour : Gilda (Rigoletto), Zerbinetta (Ariane auf Naxos), Konstanze et Blondchen (Die Entführung aus dem Serail), Die Königin der Nacht (Die Zauberflöte), Olympia, Oskar, Amor (Orfeo ed Euridice), etc… A partir de la saison 1959-1960 et jusqu’en 1963,  Elisabeth Verlooy est membre de l’Opéra d’Hanovre. Puis, c’est à l’Opéra de Wiesbaden que le soprano poursuit sa carrière (1963-1968), pour revenir à Hanovre en 1968 et y séjourner jusqu’à ses adieux à la scène en 1993 lors d’une représentation de gala des Contes d’Hoffmann. Etrange hasard, c’est dans cette ville que décède son père en 1968. Et ce sera également à Hanovre que l’artiste reçoit le titre de Kammersängerin le 7 avril 1989. En 1986, Elisabeth Verlooy est nommée Citoyenne d’honneur de Louvain.

Elisabeth Verlooy dans le rôle de Zerbinetta
Elisabeth Verlooy dans le rôle de Zerbinetta
(
Ariane auf Naxos) Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Tout au long de son long séjour en Allemagne, le soprano se produit dans des villes telles que Bamberg, Berlin, Coblence, Cologne, Düsseldorf, Essen, Göttingen, Hagen, Hambourg, Hanau, Hildesheim, Kronach (dans le cadre d’un Festival Johann Strauss), Lüdenscheid, Ludwigshafen, Mannheim, Mayence, Stuttgart et Wiesbaden. Elle donne également de nombreux concerts, des séries de Liederabends et des représentations lyriques à Berne, Dublin, Genève, Lausanne, Lucerne, Meisen, Mulhouse, Vienne, Zürich, etc. Pendant son long séjour en Allemagne, elle chante avec les solistes de la troupe, mais également aux côtés d’une pléiade d’artistes invités aussi connus que Nicole Buloze, Gloria Davy, Lisa Della Casa, Brigitte Fassbaender, Christel Goltz, Grace Hoffman, Sena Jurinac, Edda Moser, Dame Elisabeth Schwarzkopf, Claire Watson, Franco Bonisolli, Piero Cappuccilli, James McCracken, Kurt Equiluz (qu’elle retrouvera au concert), Nicolaï Gedda, Peter Glossop, Alfred Jerger, Waldemar Kmentt, Hermann Prey, Rudolf Schock, Fritz Wunderlich, etc.

Les critiques sont unanimes: l’ineffable musicalité du soprano, conjuguée à la fraîcheur de sa voix en font une interprète hors-pair. Ses interprétations de la Königin der Nacht, Oskar, Gilda, Olympia, Philine, Manon, Martha, Sophie et Zerbinetta lui valent des triomphes incontestés, notamment à Hanovre. Sur la page de garde d’un programme d’une représentation de Rigoletto dirigée par Ernst Richter (29 août 1960), Elisabeth Verlooy – une artiste reconnue pour son humilité et sa grande modestie - a écrit: «Enorme succès, interminables applaudissements d’une durée de 30 minutes. La salle a été mise dans l’obscurité pour obliger le public de l’évacuer.» Mais bien qu’elle soit désormais pleinement consacrée premier soprano d’opéra, l’artiste poursuit ses activités au concert et au récital: à son actif, plus d’un millier d’airs et de Lieder anciens et classiques. A cela, il convient d’ajouter des airs extraits du répertoire contemporain: un impressionnant palmarès s’échelonnant sur près d’un demi-siècle fait de succès ininterrompus.

Parmi les autres rôles abordés par Elisabeth Verlooy(comprenant des créations absolues ou locales): la Contessa (La Diavolessa: un dramma giocoso de Baldassare Galuppi), Zelmira (Armida de Joseph Haydn), Susanna (Le Nozze di Figaro), Fraulein Silberklang (Der Schauspieldirektor), Zerlina (Don Giovanni), Klingsors Zaubermädchen (Parsifal), Titiana (Oberon), Mercédès (Carmen), Lucette (Cendrillon), le rôle-titre de Lucia di Lammermoor, Rosina (Il Barbiere di Siviglia), Gräfin Marianne de Formoutiers (Der Graf Ory), Angelina (La Cenerentola), Bertha (Die Nürnberger Puppe, l’opéra comique d’Adolphe Adam), Norina (Don Pasquale), Adina (L’Elisir d’amore), Page der Königin et Stimme vom Himmel (Don Carlos), Adele (Die Fledermaus), le rôle-titre de Manon, celui de Martha, Philine (Mignon), Kate Pinkerton (Madama Butterfly), Sophie (Der Rosenkavalier), Fiakermilli (Arabella),  Eine Dienerin et Eine Stimme der Ungeborenen (Die Frau ohne Schatten), Clarice (Il Mondo della luna), le Rossignol (d’Igor Strawinski), Lucietta (I Quattro rusteghi), Felice (Die vier Grobiane), Die erste Elfe (Rusalka), Eine Engelstimme (Palestrina: légende musicale en 3 actes de Hanz Pfitzner), Minette (Die englische Katze: opéra bouffe de Hans Werner Henze, créé à Schwetzingen par la troupe du Staatsoper de Stuttgart en 1983),  Buckliges Mädchen (Der Prozess: opéra en deux actes et huit tableaux de Gottfried von Einem, Opéra de Francfort, 1958), Dumka (Sorotchinskaya yarmarka ou La Foire de Sorotchintzi: opéra comique de Modest Musorgsky), Frau Fluth (Die lustigen Weiber von Windsor), Ruth Putnam (Die Hexenjagd: opéra en trois actes d’après la pièce d’Arthur Miller sur une musique de Robert Ward), le rôle-titre de Yolimba (Yolimba oder Die Grenzen der Magie: une farce musicale en un acte et quatre hymnes de Wilhelm Killmayer, Der Engel Hesekiel (Genoveva oder Die weise Hirchkuh): drame musical en quatre tableaux et un interlude de Detlev Müller-Siemens).  Elisabeth Verlooy chante également occasionnellement l’opérette, entre autre Franziska Cagliari (Wiener Blut), Lisa (Das Land des Lächelns,  le rôle-titre de Gräfin Maritza, etc. Elle prend également part à la création de Ein Ehemann vor der Tür (Rosine), la délicieuse opérette en un acte de Jacques Offenbach Un Mari à la porte. Cette liste n’est pas exhaustive et ne comprend pas les airs et mélodies dont Elisabeth Verlooy assure la création lors de récitals ou concerts, notamment de compositeurs allemands tels que Hans-Werner Henze, Werner Egk, Wolfgang Fortner, Bernd A. Zimmermann, etc.

Bien qu’étant rattachée à la troupe, Elisabeth Verlooy chante régulièrement en Belgique au concert et pour la radio. Elle participe ainsi à des festivals, notamment le Festival des Flandres et le Festival de Stavelot. On l’applaudit notamment à Louvain (où elle sera fêtée en enfant du pays): elle y chante notamment l’Exultate jubilate et Davide penitente de Mozart en présence du Bourgmestre de la Ville en 1953 puis en 1955. Elle se produit aussi à Gand, Ostende, Spa, Tournai, Anvers et bien sûr Bruxelles, où elle est active en assurant des prestations radiophoniques, à l’instar d’un concert pour la B.R.T. avec le ténor  Louis De Vos et le soprano Maria Ceuppens (1956). Elle embrasse un ample répertoire en interprétant autant de la musique ancienne comme la rare Alcide al bivio de Johann Adolph Hasse chantée pour la radio flamande en 1965),  que le répertoire contemporain, notamment de compositeurs allemands, à l’instar du rôle-titre de Die Kluge (de Carl Orff) ou encore, la partie de soprano solo dans Carmina Burana du même compositeur.  Fin janvier 1968, elle participe à Bruges à une soirée entièrement consacrée aux compositions de Carl Orff et en septembre de la même année, on retrouve le nom d’Elisabeth Verlooy à l’affiche d’un important concert au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, soirée toujours consacrée à Carl Orff. Elle y chante Le Triomphe d’Aphrodite et à nouveau, Carmina Burana, sous la direction de Léonce Gras (gala de clôture du 10ème Festival des Flandres.) L’artiste ne néglige pas non plus les compositeurs belges, qu’elle s’attache à interpréter autant souvent que possible. Elle aime spécialement
Jean Absil, Ernest d’Agrèves, Jean-Joseph Fiocco, César Franck, Jules Gohy, Gustave Huberti, Léon Jongen, Désiré Pâque, Marcel Quinet, François Rasse, etc. dont on retrouve régulièrement les compositions à l’affiche de ses concerts ou récitals. Egalement, son interprétation d’œuvres telles que Die Schöpfung, Die Jahreszeiten, Schöpfungsmesse, Die Welt des Mondes ou encore, la Cäcilienmesse de Joseph Haydn est très remarquée. Elle interprète ces oeuvres régulièrement, surtout en Allemagne, Autriche et en Suisse, aux côtés de prestigieux solistes. Son répertoire comprend aussi des cantates, motets et les Passions de Johann-Sebastian Bach qu’elle défend avec véhémence tout au long de sa carrière.   

Elisabeth Verlooy (Gilda) et Gilbert Dubuc (Rigoletto)
Elisabeth Verlooy (Gilda) et Gilbert Dubuc (Rigoletto), deux artistes belges qui feront les beaux soirs du Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Après la disparition de sa mère en 1970, le soprano doit assumer le deuil d’une mère dont la présence tutélaire laisse un vide inégalé. Elle doit désormais vivre sans leur complicité musicale unique, caractérisée par un duo mère-fille ou plutôt maître-élève fermement soudé. Car Elisabeth Verlooy avait pour habitude de tenir régulièrement informée sa mère de ses succès à la scène: nul ne doute que leurs conversations téléphoniques et leurs échanges épistolaires ont laissé un grand vide dans l’existence de l’artiste.

En avril 1976, Elisabeth Verlooy se voit décerner le prestigieux Theaterpreis par les autorités culturelles de la ville d’Hanovre et en 1981, elle reçoit l’Insigne d’argent de l’Association des Scènes allemandes pour ses 25 ans de carrière en Allemagne (Hambourg). Un article paru dans l’édition du 6 mai 1976 du quotidien Neue Hannoversche, sous la plume de Reimar Hollmann, fait état de l’attribution du Theaterpreis au soprano et lui rend un hommage particulièrement élogieux et sans complaisance. En substance, il loue les qualités vocales et dramatiques d’Elisabeth Verlooy en soulignant combien, près de 30 ans après ses débuts, sa voix est intacte. Il poursuit en indiquant que: «Ce qui frappe dans son interprétation de l’automate Olympia, c’est la fusion entre le chant et l’action dramatique, dont l’apparence et les gestes sont ‘réellement’ ceux d’une poupée de porcelaine. Elle confère au rôle chanté, dansé, mimé et vécu, la grâce d’une miniature Rococo: c’est là toute la magie du surnaturel. Plus de 14 rappels pour Olympia prouvent, s’il en était encore besoin, le talent extraordinaire de cette brillante musicienne.» Puis, en septembre 1982, un gala est organisé au Staatsoper d’Hanovre honorant la carrière du soprano et Reimar Hollmann, dans son article intitulé «‘Nachtigal aus Belgien’ gefeiert» (Le Rossignol belge fêté, NDR), rend un nouveau vibrant hommage à l’artiste. Egalement, un article, publié sous la signature de «H.S.» dans le quotidien Hannoversche Allgemeine Zeitung du 1er octobre 1982 retrace avec élégance et une plume experte la carrière de celle qui sera nommée Kammersängerin sept années plus tard. C’est ainsi que le 27 septembre 1982, Elisabeth Verlooy se prête volontiers à l’exercice de la conférence-débat intitulée «Das Sängerportrait» dans la Marschnersaal, suivie d’un récital. Jusqu’en 1993, la carrière d’Elisabeth Verlooy se poursuit, de succès en succès et pour preuve de sa versatilité artistique, elle accepte volontiers de chanter à titre occasionnel des deuxièmes plans, élargissant ainsi son répertoire. Depuis le début des années quatre-vingts et jusqu’à ses adieux à la scène, elle ralentit quelque peu ses activités, chantant son répertoire et poursuivant une activité plus discrète au concert ou au récital.

Elisabeth Verlooy en gondole des Contes d'Hoffmann
Elisabeth Verlooy en gondole des Contes d’Hoffmann sur la scène du Staatsoper de Hanovre.
Cliché réalisé lors de sa soirée d’adieux, le 16 juin 1993 après sa toute dernière Olympia.
L’ovation face à une salle debout durera plus d’un quart d’heure.

( photo Studio Joachim Gieser, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® ) DR

UNE EMOUVANTE SOIREE D’ADIEUX DANS LE ROLE DE SES DEBUTS

C’est le 16 juin 1993, le jour de son soixantième anniversaire, que la Kammersängerin Elisabeth Verlooy fait ses adieux à la carrière sur la scène du Staatsoper d’Hanovre, après 30 années d’une exemplaire association artistique avec ce théâtre.  Elle choisit le rôle d’Olympia, soit 44 ans après ses débuts au Théâtre Royal de Gand, avec une voix n’ayant rien perdu de son assurance et de sa brillance! A la fin de la représentation – après avoir revêtu une robe de ville -,l’artiste est transportée sur la scène du théâtre dans la gondole gorgée de fleurs ayant servi à la Barcarolle du IIIème acte des Contes d’Hoffmann … La compagnie au grand complet, solistes, personnel administratif et technique, petites mains et le public debout accueillent Elisabeth Verlooy sous un tonnerre d’applaudissements dans une ovation qui durera plus d’un quart d’heure. Le directeur général Hans-Peter Lehmann et l’ex-directeur musical Georg-Alexander Albrecht lui rendent hommage dans un discours entrecoupé d’applaudissements et d’une grande émotion  … Ainsi s’achève cette longue et exemplaire carrière lyrique: une page se tourne pour Elisabeth Verlooy et pour le Staatsoper.


L’HEURE DES BILANS


Les débuts précoces d’artistes, quels qu’ils soient, entraînent avec eux leur lot de pression, d’espérance et parfois, de déceptions.  Débuter à l’âge de 13 ans avec une voix n’ayant évidemment pas atteint son niveau de maturité est une prouesse risquée et les espoirs n’en sont que plus grands. Si le talent musical inné de l’enfant a pu éclore harmonieusement, soutenu par une mère brillante musicienne offrant un encadrement pédagogique strict, plus d’une jeune artiste en herbe aurait pu se décourager, mais il n’en sera rien. Une fois la voie musicale tracée, Betty Verlooy la suivra avec une farouche volonté de réussite.

Lors de ses débuts remarqués dans Olympia au Théâtre Royal de Gand en 1949, la voix est certes étonnante de facilité dans l’aigu et le suraigu, avec une coloratura magnifiquement assurée, mais le medium et le grave sont ténus: comment pourrait-il en être autrement? C’est donc par un travail technique continu, puis par des formations musicales complémentaires que la voix trouvera son assise définitive en gagnant davantage de souplesse, l’édifice étant dès le départ soutenu par une impeccable musicalité.  Peu après les débuts gantois, Vina Bovy écrit à la jeune artiste et l’encourage à poursuivre son perfectionnement à l’étranger, tout en reconnaissant les éminentes qualités musicales du soprano. Il s’avérera qu’une fois rattachée aux ensembles allemands, l’artiste ne chantera plus d’opéra au Théâtre Royal de Gand, à l’exception du rôle-titre de Martha en avril 1968.  Des négociations pour des représentations de Die Zauberflöte et de Carmina Burana sont engagées avec la direction, mais finalement n’aboutiront pas, faute d’avoir reçu les autorisations nécessaires de la part des théâtres allemands.

Si à l’origine, Elisabeth Verlooy est dotée d’un instrument réellement exceptionnel grâce à son étendue (du Do3 et au-delà du contre-Sol), au-delà même de la beauté intrinsèque du timbre, c’est sa virtuosité confondante et sa musicalité instinctive qui la caractérisent. Que ce soit au récital ou au concert, au studio d’enregistrement ou à la scène, les critiques saluent non seulement sa technique, mais surtout, son élégance interprétative hors du commun, précieuse qualité qui demeurera intacte jusqu’à sa toute dernière Olympia. Si le succès précoce recueilli en 1949 – le phénomène Betty d’Ardenne ou Betty Verlooy, «La nouvelle Malibran» ou encore «La Deanna Durbin belge» - ne se démentira pas, le phénomène, quant à lui, s’estompera de manière naturelle avec le temps. Et il s’avérera parfois difficile, notamment avec la presse, de gommer l’image d’enfant prodige et de «Betty Verlooy la Poupée Olympia» qui, bon gré mal gré, lui collera à la peau…

En effet, une fois la vocalité d’Elisabeth Verlooy établie dans le registre de soprano coloratura puis de lyrique-coloratura, la concurrence sera rude, autant en Europe, qu’aux Etats-Unis ou au Canada, là où des agents artistiques ou des sociétés radiophoniques avaient été approchées. Non seulement au théâtre, mais également, au disque,la voix de soprano est la plus répandue parmi la voix humaine et il y a pléthore de soprani essaimant aux quatre coins de la planète. Réussir dans cette jungle artistique très concurrentielle est une gageure qui, au tournant de la seconde guerre mondiale décourage plus d’une artiste, même parmi les plus talentueuses.  Mais souvent, la chance peut devenir providentielle et après l’enseignement maternel, puis la formation complète prodiguée par ses pédagogues salzbourgeois et milanais, c’est Georg Solti qui marque le destin artistique d’Elisabeth Verlooy, en l’admettant au sein de la compagnie de l’Opéra de Francfort. Dans cette ville, elle développe son répertoire en devenant un précieux élément de la troupe en y débutant dans Gilda, rôle proposé par Georg Solti. Consciente qu’un départ vers les Etats-Unis ou le Canada pourrait s’avérer un risqué dans le contexte de l’époque, elle axe avec discernement sa carrière en Allemagne, abordant un ample répertoire tout en poursuivant ses activités au concert. Surtout, elle est déterminée à incarner des héroïnes à la scène et à ne pas se cantonner, comme elle l’aurait fait en restant en Belgique, au concert. Rapidement, elle parvient à un judicieux équilibre en s’illustrant dans des rôles brillants (Blondchen, Rosina, Norina, Oskar, Philine, Olympia, Zerbinetta, etc.), puis lyriques-coloratura (Konstanze - qui s’avère être un des rôles les plus dramatiques chantés par le soprano -, Lucia, Gilda, le rôle-titre de Martha, celui de Manon, etc.) La voix, de volume relativement modeste, et rondement menée et se fait entendre sans le moindre problème dans les plus grandes salles: c’est ce que les Italiens nomment très justement le voci che corrono (les voix qui courent, NDR). Après des décennies de carrière, la voix d’Elisabeth Verlooy est intacte.

Dans un enregistrement public des deux airs de la Königin der Nacht, captés par les micros de RTL (concert en 1986), la voix est plus belle que jamais. Projection, brillance, assurance des aigus, perfection de la ligne et pertinence de la caractérisation, à la fois virtuose mais dramatique. Surtout, le soprano évite le piège habituel et trop facile des canaris épris de suraigus, mais sans medium ni grave! L’artiste a alors 56 ans et si le timbre sera tout au plus occasionnellement voilé dans des représentations ultérieures, l’instrument est inaltéré et le chant plus souverain que jamais. Ce jour-là pourtant, une rage de dents plombe la bonne humeur de la cantatrice: il n’en transparaîtra rien, bien au contraire. La maîtrise opère.

Une fois la carrière achevée en 1993, Elisabeth Verlooy se consacre à ses loisirs, en amatrice des Arts éclairée, maintenant sa résidence à Hanovre. Elle dispense quelques cours de chant, mais vite découragée, ne trouvant aucun bon élément à faire éclore, elle abandonne, estimant ne pas avoir suffisamment de patience pour persévérer.  Elle se rend fréquemment aux concerts, à l’opéra et au théâtre tout en s’adonnant avec plaisir aux voyages, retournant régulièrement dans sa Belgique natale, où elle rend visite à sa famille. Avec l’arrivée intempestive de metteurs en scène régnant tels des dieux omnipuissants sur les scènes lyriques face à une administration publique trop complaisante, la Kammersängerin est de plus en plus offusquée par des spectacles de facture  discutable qu’elle condamne avec virulence. Finalement, elle ne renouvelle plus son abonnement à l’opéra, boudant avec obstination son théâtre, celui où elle aura régné pendant trois décennies.  Occasionnellement, elle prête encore sa voix à des ensembles choraux, tout en s’intéressant de près à la vie musicale et artistique de sa ville d’adoption.  D’une parfaite élégance, sobre mais originale, aimant les tailleurs bien coupés et surtout, les fourrures, si elle n’est guère emblématique de la diva au sens strict, elle caractérise la cantatrice dans toute sa splendeur, femme résolument moderne et d’une humilité rare. Sa petite taille et ses grands yeux bleus lui confèrent, même à un âge avancé, une allure de jeune fille et il est vrai, nous rappellent Olympia, celle-là même avec laquelle elle bouclera la boucle de sa carrière lyrique.

Elisabeth Verlooy dans le salon de musique de son appartement d’Hanovre.
( photo Studio Gerhard Stoletzki, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR

Jamais mariée, le seul véritable amour de sa vie sera le chant, le leitmotiv de son existence tout entière. Si sa mère jouera un rôle déterminant dans l’éclosion de la carrière, il est à parier qu’elle n’aurait certainement pas vu d’un bon œil l’arrivée d’un fiancé au bras de sa talentueuse fille. Finalement, Elisabeth Verlooy, désirant se rapprocher de sa famille, quitte l’appartement qu’elle occupe au centre d’Hanovre au printemps 2011et retourne vivre dans un premier temps dans la maison familiale d’Heverlee puis s’installe dans une luxueuse résidence de la capitale belge où elle décède le 22 novembre 2012.

Sa prodigieuse musicalité aura transcendé ses débuts précoces, sa voix hors-pair et son talent inné. Au-delà même du don, il faut saluer son assiduité dans sa volonté de réussir, à une époque particulièrement bousculée et dans un environnement familial placé sous la houlette d’une mère pédagogue éclairée mais dominatrice. Une enfance, puis une adolescence placées sous la protection de Sainte Cécile, mais une vie de dur labeur artistique avec son lot de sacrifices. Face à des défis de taille et de légitimes interrogations, l’artiste prendra des décisions importantes au croisement de sa vie de femme et d’artiste. Elle les prendra seule, optant pour la carrière, tout en les assumant avec sérénité. D’une courtoisie exemplaire, chaleureuse sans excès, le soprano restera, une fois la carrière terminée, une figure artistique importante de la ville d’Hanovre, une silhouette élégante et racée, que l’on salue en lui donnant volontiers du Kammersängerin Verlooy comme on le ferait aujourd’hui encore à Vienne … Humble et peu avide de flatteries, cela la fera sourire, mais il est à parier qu’intérieurement, elle verra ce titre, ainsi que les prix et récompenses qui jalonneront son parcours artistique, comme une récompense digne d’une exemplaire carrière et d’une vie tout entière consacrée à la musique.  Personnalité attachante et artiste émérite hors du commun, la Kammersängerin Verlooy a marqué les esprits de ceux qui l’ont connue et écoutée : dans leurs cœurs, elle est désormais cruellement irremplaçable.


QUELQUES ENREGISTREMENTS D’ELISABETH VERLOOY


Les archives radiophoniques regorgent d’enregistrements (studio et live): souhaitons que ces trésors puissent faire l’objet de rééditions accessibles au grand public. Parmi la discographie officielle du soprano figurent: Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) - Giovanni Castoldi et Clément Jannequin, Archiv Produktion (DG) APM 14042 (1954), Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) - La Messe de Notre Dame de Guillaume de Machaut, Archiv Produktion (DG) APM 14063 (1956),  Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) – John Dunstable et Johannes Okeghem, Archiv Produktion (DG) APM 14069 (1957), Elisabeth Verlooy sings Russian Opera Arias – Wiener Symphoniker (dir. Helmut Froschauer), RCA RL30779 (1980),  Elisabeth Verlooy sings Catalani, Donizetti, Verdi (avec le puissant Gilbert Dubuc, sous la direction de Piero Bellugi), Pavane ADW 7128 (1983). Toujours avec l’ensemble de Stafford Cape, elle grave The first book of Ayres (de John Dowland). Elle enregistre également plusieurs cantates de Jean-Philippe Rameau (dont un, publié par DGA, comprenant L’Impatience et Orphée, couplé avec des œuvres de Joseph Bodin de Boismortier (Diane et Actéon), DGA-14116 ST 198001) et des airs de son répertoire pour différents labels.

Les archives sonores privées de la Famille Verlooy et du Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® complètent cette liste. Des extraits (dont certains sont frappés du droit d’auteur et ne sont réservés qu’à l’usage privé) sont disponibles sur demande (adresser un courriel à la Rédaction de Musica et Memoria)

Claude-Pascal PERNA
tous droits réservésã
SABAM, CAE 620435975
avril 2013

 


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