Elisabeth (Betty) VERLOOY
Kammersängerin, soprano belge
(Louvain, 16 juin 1933 Bruxelles, 22 novembre 2012)
"La finesse doit se produire avec tant de simplicité qu'on la sente sans la remarquer."
Marquis de Vauvenargues (1715-1747)
Réflexions et Maximes (1746)
(photo Studio Joachim Giesel, Hannover.)
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR
«Cest ainsi notamment que la Poupée trouva en Betty Verlooy une interprète en ayant le physique et lâge. Cette chanteuse est si jeune même à peine 16 ans que la voix nest pas complètement formée, mais elle est d'une qualité rare et dune pureté cristalline, permettant tous les espoirs, dautant plus que la justesse et les notes piquées sont irréprochables. Aussi, cette délicieuse Olympia se fit-elle bisser denthousiasme.»
Gaston Hebbelynck, La Flandre libérale, 13/02/1949
«Nous sommes ici en présence dun cas exceptionnel. Non seulement notre toute jeune cantatrice dispose dune voix remarquable, aux vocalises aisées, mais elle joue admirablement son délicieux et trop court rôle de la Poupée. Rien détonnant à ce que le succès triomphal que cette interprétation lui vaut à chaque fois à Gand ait trouvé son pareil dans sa ville natale»
Les Contes dHoffmann
Journal des Petites affiches, Louvain, 19 mars 1950
«Elisabeth Verlooy a accompagné ma longue association artistique à Hanovre. Entre 1959 et 1993, elle y a été LE soprano coloratura (avec une interruption entre 1963 et 1968,marquant son association avec lOpéra de Wiesbaden, NDA). Le souvenir de sa voix magique, presque enfantine est encore intensément gravé dans ma mémoire. Elle possédait une grande maîtrise de tous ses rôles, en particulier ceux de Zerbinetta, Konstanze et Gilda qui demeurent inoubliables. Le contre-Mi couronnant lair de Gilda, en quittant la scène, était impeccable de beauté, sans vibrato et semblait interminable, porté vers lEternité. Quil nous soit permis de penser que maintenant, elle chante pour la Joie des Anges et des Saints.!»
(Lettre autographe signée du 9 avril 2013 traduite de lallemand, NDA.)
Pr. George Alexander Albrecht
Chef dorchestre, Directeur musical Staatsoper (Hanovre)
Directeur musical Deutschen Nationaltheaters/Staatskapelle (Weimar)
«Jai chanté le rôle de la Mère lors dune reprise des Contes dHoffmann au Théâtre Royal de Gand en février 1949. Ces représentations ont propulsé Elisabeth Verlooy sur les scènes lyriques. Ses débuts dans Olympia ont marqué les esprits. Cest Vina Bovy qui, grâce à son discernement artistique, a osé ce que dautres auraient peut-être refusé dentreprendre: donner sa chance à un soprano de 16 ans! Elle ne sest pas trompée, puisque le succès de cette musicienne dans lâme ne sest pas démenti, ni Belgique, ni à létranger.»
Lucienne Delvaux
Mezzo-soprano belge de lOpéra
«Je nourrissais une vive admiration pour Elisabeth Verlooy. Jaimais sa voix, son talent et son naturel à la scène; je peux dire que notre admiration était réciproque. Je me souviens dune Olympia au Grand-Théâtre de Verviers, rôle dans lequel je lai retrouvée à lOpéra d Hanovre. Elle y était extraordinaire de facilité, de fraîcheur et dassurance technique: pour moi, elle fut la meilleure Poupée de sa génération. Nous avons chanté ensemble à plusieurs reprises à lOpéra, notamment Lucia di Lammermoor, Ein Maskenball, Rigoletto, Lakmé, Manon ou encore, Ariadne auf Naxos. Dans Rigoletto, sa prestation fut à chaque fois magnifique, détaillant le rôle de Gilda avec une sensibilité à fleur de peau. Jai pourtant souvent chanté cet opéra dans ma carrière, donc mes partenaires furent nombreuses: Elisabeth Verlooy fut pour moi la meilleure en tous points. Nous avons aussi interprété Der feurige Engel de Sergueï Prokofiev dans un registre plus moderne. Nous étions deux artistes belges émigrés en Allemagne, pensionnaires de la troupe: chanter ensemble nous permettait de pallier au mal du pays! En outre, elle était une brillante comédienne, naturelle et spontanée. Charmante, chaleureuse et attachante, elle va nous manquer. Mon épouse Sigrid la également bien connue et appréciée à la scène comme à la ville: elle se joint à moi pour saluer sa mémoire.»
Gilbert Dubuc
Baryton belge de lOpéra
«Je me souviens bien dElisabeth Verlooy, une surprenante et talentueuse Olympia dans Les Contes dHoffmann en 1949. Jétais alors première danseuse au Théâtre Royal de Gand et si les années amenuisent le souvenir, sa présence lumineuse et si particulière est encore ancrée dans mon esprit. Toute jeune virtuose, brillante et sympathique, son Olympia a été le clou de ces représentations. Chaque semaine, nous donnions plusieurs opéras et le rythme de travail était soutenu. Je suis donc incapable de vous fournir de plus amples souvenirs ou anecdotes, car je ne lai pas connue personnellement. Cependant, jai vite compris quelle serait promise à une grande carrière et heureusement, ce fut le cas. Je massocie volontiers à votre hommage, heureuse également de savoir que le baryton Gilbert Dubuc y contribue, car je nourris la plus vive admiration pour son talent que jai admiré lors de ses saisons gantoises.» (traduit de lallemand, NDA.)
Greta Lintz
Première danseuse, maîtresse de ballet et chorégraphe néerlandaise
Théâtre Royal de Gand
«Jai découvert Elisabeth Verlooy en 1950 à Courtrai, ma ville natale. Agée de 17 ans, elle y donnait un concert, peu après sa fabuleuse prestation dans Olympia dans Les Contes dHoffmann à Gand. Ce fut pour moi une expérience extraordinaireet jen fus impressionnée. En 1956, nous avons réussi le Concours Mozart au Mozarteum de Salzbourg où Sir Georg Solti était présent et avec lequel nous avons collaboré par la suite. Nous avons notamment travaillé avec Lotte Schöne, pour laquelle nous nourrissions une véritable admiration. Jai alors dit à Elisabeth combien javais apprécié sa prestation et sa fabuleuse technique, tout cela couplé à une musicalité prodigieuse. Des années plus tard, nous nous sommes retrouvées à Kassel, où je venais dêtre recrutée en 1959 comme premier soprano coloratura de la troupe du Staatsoper, dans le cadre dun concours dinterprétation consacré à Mozart. Bien que nous ayons eu un contact chaleureux et des plus agréables, nous ne nous sommes plus revues, étant respectivement en carrière dans nos troupes respectives: deux soprani belges au répertoire finalement assez proches, toutes deux établies en Allemagne! Nous aurions dû maintenir un contact et je regrette aujourdhui de ne pas lavoir fait. Je suis émue dapprendre son décès: elle me laisse le souvenir dune magnifique artiste tout à fait hors du commun.»
Kammersängerin Marie-Jeanne Marchal
Soprano belge de lOpéra
«Un soir, au terme dun concert au Conservatoire de Bruxelles, le soprano Germaine Teugels et le ténor Maurice Weynandt mont présenté une toute jeune fille accompagnée de sa mère et dun ami violoniste: Betty Verlooy. Elle devait avoir huit ou neuf ans et pourtant, son nom ne métait pas inconnu. Plus tard, invitée à lun de ses récitals, jai été subjuguée par son chant: un miracle de facilité, une voix longue et sonore, extrêmement souple. Elle était déjà capable de magnifiques staccati et arpèges. Ensuite, je lai retrouvée une dizaine dannées plus tard, nous avons donné quelques concerts sous la direction de Safford Cap. Elle avait atteint un haut niveau de maturité artistique et ses prestations étaient réellement exceptionnelles, notamment dans des airs de Monteverdi et Caccini. Jai souvent chanté avec le Groupe Pro Musica Antiqua. Nous donnions des concerts en Belgique et à létranger et nous travaillions beaucoup. Parallèlement à la carrière lyrique, jai collaboré avec Safford Cape avec plaisir, car jaimais chanter la musique ancienne. Finalement, jai appris que Betty Verlooy avait été recrutée en Allemagne et promise à une belle carrière lyrique. Elle a marqué mon esprit et ma fait indéniablement penser à lâge dor des Maria Malibran, Jenny Lind et autres prodiges.»
Yetty Martens
Mezzo-soprano belge de lOpéra (1915-2004) extraits dune interview consentie à lauteur (1997)
«Après des milliers de représentations, tant en Allemagne quà létranger, il mest difficile de me souvenir danecdotes particulières concernant Elisabeth Verlooy, mais son nom est bien présent dans mon esprit. Nous avons partagé laffiche dans Rigoletto et certainement dans dautres œuvres. Je ne puis que massocier de tout cœur à votre hommage, car elle était une superbe artiste; je conserve delle le souvenir dune musicienne et dune concertiste hors-pair, de ses débuts précoces jusquà sa longue carrière en Allemagne et en Europe. «
Kammersänger Pr. Jean Petit
Ténor belge de lOpéra
«Jai chanté avec Elisabeth Verlooy à mes débuts: jai été ravi de pouvoir collaborer avec elle. En vérité, ce fut pour moi un réel émerveillement de chanter à ses côtés. Je fus impressionné par sa musicalité sans failles et sa voix parfaitement maîtrisée. Chanter avec cette artiste de grande classe maura permis den retirer une forme de motivation supplémentaire et un bel encouragement artistique. Je conserve delle le souvenir radieux dune magnifique soliste, humble et parfaitement agréable.»
Ludovic de San
Baryton, concertiste, pédagogue belge, fondateur et directeur artistique du Festival de lEté Mosan
«Jai donné quelques concerts avec Elisabeth Verlooy et je conserve delle un excellent souvenir. Je me souviens dun Stabat Mater de Pergolesi que nous avons interprété à lAbbaye du Parc à Heverlee, près de Louvain, sa ville natale. Chanter à ses côtés fut une expérience des plus agréables: nous étions en totale fusion, particulièrement dans nos duos. Extrêmement musicienne, technicienne accomplie, elle possédait une voix parfaitement homogène et brillantesoutenue par une impeccable musicalité. Une excellente partenaire, humble, souriante et sympathique. Je conserve delle un beau souvenir ému.»
Lucienne Van Deyck
Mezzo-soprano et pédagogue belge
«Une grande effervescence dans la salle pour les débuts de la toute jeune Olympia, âgée de 16 ans à peine: haute comme trois pommes, elle est adorable, une ravissante petite poupée. Et quelle voix! Ses aigus sont assurés et claironnants, beaucoup plus beaux que ceux de [nom retiré par lauteur], qui ferait mieux de chanter Antonia ou Giulietta! Elle a magnifiquement et habilement exécuté les gestes mécaniques de lautomate, avec un beau contrôle. Achille Sommers, au rideau, la serrera dans ses bras en lembrassant. Près de dix rappels avec le vétéran Octave Dua embrassant tendrement Olympia! Jai déjà trouvé un autre billet pour la représentation supplémentaire, hors abonnement. Betty Verlooy: cest un nom qui va compter.»
Extrait du Journal dune abonnée et protectrice du Théâtre Royal de Gand,
Elsa de Villa de Castillo
Betty Verlooy dans sa loge au Théâtre Royal de Gand en compagnie de Vina Bovy
Cliché dédicacé au ténor et metteur en scène belge Octave Dua.
( photo Géo Pieters, Gand, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR
UNE OLYMPIA PLUS VRAIE QUE NATURE A LOPERA ROYAL DE GAND
Opéra Royal de Gand, le 13 février 1949: une agitation des grands soirs marque cette reprise des Contes dHoffmann voulue par Vina Bovy dans leur traduction néerlandaise (Hoffmanns Vertellingen), dirigés par Gérard Horens. Ce début dannée 1949 marque les débuts dune toute jeune artiste âgée de 16 ans, le soprano Elisabeth Verlooy dans le rôle de la poupée Olympia. La salle est bondée: amateurs dopéra, critiques musicaux, représentants de la presse, personnalités politiques locales, autorités de la ville, personnel du théâtre, membres et amis de la famille Verlooy guettent avec anxiété la prise de rôle de la talentueuse enfant du pays surnommée «Le Rossignol de Louvain» ou «La nouvelle Maria Malibran».
Il est vrai que les bonnes fées se sont penchées sur le berceau de celle que lon appelle affectueusement Betty. Clin dœil du destin: la créatrice du rôle dOlympia (et des trois autres féminins), le soprano français Adèle Isaac (1854-1915) avait précisément 16 ans lorsquelle débuta à la scène dans Jeannette (Les Noces de Jeannette), soit lâge de Betty Verlooy. Haute comme trois pommes, le visage poupin aux grands yeux bleus, espiègle mais pas trop, cette Olympia semble tout droit sortie dun conte pour enfants des frères Grimm …
Achiel Somers ("Hoffmann") à Betty Verlooy ("Olympia"): A ma chère Olympia, une pensée cordiale, 1949.
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR
Lorsque le rideau se lève sur le 2ème acte des Contes dHoffmann, la salle émerveillée découvre une interprète ayant effectivement le physique et lâge du rôle. Son air «Les oiseaux dans la charmille» est salué par un tonnerre dapplaudissements: la voix est déconcertante de facilité dans laigu, agile et brillante. Quant au jeu de scène, bien que volontairement mécanique, il est déjà habilement maîtrisé. Du reste, elle doit bisser son air: ce succès lui vaut plus de 12 minutes de rappels à la fin de lacte dOlympia. Certes, si lassurance vocale est frappante, la voix na naturellement pas encore atteint son degré optimal de maturité, elle en est bien consciente, raison pour laquelle ce début se cantonne au rôle dOlympia, quelle reprendra quatre fois à Gand à quelques jours dintervalle. En quelques jours, Betty Verlooy passe du rang denfant prodige à celui de valeur déjà sûre dun ensemble qui voit dabord dun œil curieux larrivée de cette jeune fille étourdissante musicienne. Après la première, elle reçoit maintes marques daffection et des témoignages de soutien de la part de ses collègues.
Programme dédicacé en souvenir de la première des Contes dHoffmann à Gand.
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® )
UNE ENFANCE BERCEE PAR LA MUSIQUE ET PAR UNE MERE TRES PRESENTE
Elisabeth Verlooy est née à Louvain, issue dune famille bourgeoise de la ville, où la musique, particulièrement le piano et le chant, font partie intégrante de la culture générale que lon réserve traditionnellement aux jeunes filles. Avec un père, Lucien Verlooy (1896-1968) actif dans le monde bancaire et peu présent, cest la mère, Marthe Verlooy-Hayette (1898-1970), qui est appelée à jouer un rôle essentiel dans la formation musicale et la carrière de la jeune fille que lon surnomme affectueusement Betty. Pianiste émérite dorigine française et excellent pédagogue, Marthe Verlooy dispense des cours de piano et de chant dans le salon familial qui acquiert ainsi une notoriété locale. Son milieu social conservateur et un frère consacré prêtre vont restreindre ce professorat au cercle strictement privé et uniquement à la gente féminine, fermant ainsi les portes des conservatoires où certainement, cette musicienne passionnée aurait pu sépanouir.
Betty Verlooy au piano dans le salon de la maison familiale, âgé denviron 12 ans.
/span>( photo Studio G. De Ryck, Louvain, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DR
Betty Verlooy voit son enfance bercée par la musique mais surtout, par la voix qui exerce sur elle une véritable fascination. Les notes égrenées sur le piano résonnent dans le grand salon et les vocalises, gammes, arpèges et airs dopéra que les élèves viennent répéter chaque après-midi, forgent loreille de lenfant. Dès lâge de trois ans, elle reproduit aisément des vocalises, mais aussi et de manière plus surprenante, des extraits de bravoure, comme lair des Clochettes (Lakmé), les Variations de Proch, les Couplets du Mysoli «Charmant oiseau» (La Perle du Brésil) ou encore, la Villanelle (dEva DellAcqua), etc. Un premier répertoire surprenant rappelant, dans une certaine mesure, les débuts précoces dune autre chanteuse prodige: Maria Malibran (1806-1836).
Même si les rapprochements et autres comparaisons nont pas de fondement ici, des similitudes rapprochent ces deux vocations précoces. Tout comme sa légendaire devancière, Betty Verlooy chante en public avant lâge de six ans, dominée par une présence maternelle tutélaire très forte (Maria Malibran, quant à elle, évoluera sous la double férule parentale, principalement régentée par son père, le ténor espagnol Manuel Garcia Sr). Toutefois, à la différence de lenvironnement socio-culturel des Verlooy, chez les Garcia (Malibran étant le patronyme de lépoux de Maria Garcia, Eugène), on est artistes de père en fils, une génération de chanteurs qui essaimera sur les principales scènes lyriques dEurope et aux Etats-Unis. Cest principalement lemblématique figure paternelle de Manuel Garcia Sr. qui domine cette famille dartistes réputés dont les figures de proue sont, outre le père, Manuel Garcia Jr. et surtout, Pauline Viardot.) En outre, le clan très soudé des Garcia entretient des liens privilégiés avec le Théâtre des Italiens (lOpéra Comique) et une partie influente de lintelligentsia artistique européenne, ce qui dans le contexte de lépoque, sert dindéniable catalyseur aux carrières respectives de ses illustres membres. Enfin, même si Maria Malibran chante autant des rôles de soprano brillant ou sfogato, grâce à une inhabituelle et prodigieuse extension vers le registre aigu, son instrument est celui dun mezzo-soprano. La comparaison entre les deux artistes est toutefois consentie, dès lors que lon évoque leurs débuts précoces. Plus proche de nous et dans le répertoire lyrique, le soprano italien Margherita Carosio (1908-2005)marquera les esprits en débutant au concert à lâge de 14 ans et à lopéra, deux ans plus tard, dans le rôle-titre de Lucia di Lammermoor puis dans celui dAdina (Don Pasquale).
A compter de 1939, le premier apprentissage musical de Betty Verlooy est placé sous la houlette férue et attentive de sa mère qui veillera à lui prodiguer ses premiers cours de solfège, de piano, puis de chant. Elle développe sa propre méthode quelle recopie scrupuleusement sur des feuillets, déposés en évidence sur la bibliothèque du salon, à côté du piano: chaque élève devra faire siens ces préceptes et Marthe Verlooy sait se montrer, à loccasion, intransigeante avec ses artistes en herbe. Elle offre à sa fille sa propre méthode de chant («De lArt de bien chanter, à ma chère fille Elisabeth»), qui sans être innovatrice, est riche de bon sens, de conseils et dorientations techniques et interprétatives. A propos des points darrêt dune partition, Marthe Verlooy écrit: «En revanche, le point darrêt est souvent sacrifié. Cependant, il peut être dun effet impressionnant. Il y a des silences lourds déloquence (na-t-elle point raison?). Le professeur enthousiaste et convaincu, saura éveiller et remuer les sentiments à létat latent dans lâme de lélève, si celle-ci a quelque don musical naturel.» Aucune méthode de chant nest certes universelle (bien que les noms de Porpora, Garcia, Vaccai, Marchesi ou Concone survivent à loubli.) Or, il semblerait que lenseignement initial de Marthe Verlooy ait porté des fruits ou en tout cas, quil nait pas altéré le précieux instrument. La formation musicale ultérieure de Betty Verlooy au Conservatoire de Bruxelles, puis en Italie et en Autriche lui offrira le cursus académique complet nécessaire pour affronter larène lyrique, le concert et le répertoire du Lied.
UN ENVIRONNEMENT FAMILIAL PROTEGE ET PROPICE A LA CARRIERE
La seconde guerre mondiale éclate et la Belgique nest pas épargnée. Linvasion par loccupant et les restrictions touchant la population civile apporteront leur lot de drames pour la famille Verlooy avec la perte du frère de Betty Verlooy, Alphonse, mort au front. Dans des circonstances aussi éprouvantes, Marthe Verlooy trouve dans léducation musicale de sa fille un Ersatz gratifiant, dans lequel elle peut non seulement puiser du réconfort, mais aussi et surtout, assumer un rôle-clé qui savérera décisif dans le cursus musical de la jeune fille. Elle simplique également de manière active dans lorganisation de concerts de charité et récitals de bienfaisance, ne ménageant jamais ses efforts. Parallèlement à sa scolarité, Betty Verlooy ne tarde pas à progresser rapidement dans lapprentissage du solfège, du chantet du piano, puisque dès lâge de sept ans, elle est capable de jouer des petites sonates. Sa mère devra se montrer très stricte afin déviter que lenfant ne soit pas tentée de sacrifier ses études primaires au seul bénéfice de la musique et du chant. Ce qui nempêche pas le professeur de promouvoir les talents précoces de sa fille en lui proposant de participer à des après-midis ou soirées musicales, la propulsant au rang de petit prodige. Tout dabord, cest à Louvain que Betty Verlooy, souvent accompagnée par sa mère au piano, donne ses premières prestations: dans le contexte socio-économique particulier de lépoque, ce sont surtout des concerts de bienfaisance, habituellement au bénéfice dœuvres de charité, permettant à de nombreux artistes dassoir leur notoriété naissante. Elle donne également des premières prestations à Malines, Gand, Courtrai puis Bruxelles.
Programme du gala du 24 janvier 1946 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. Elisabeth Verlooy, enfant prodige, est alors âgée de 13 ans
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRLe 24 janvier 1946, au Palais des Beaux-Arts (Bruxelles), haut lieu culturel de la capitale belge et à peine âgée de 13 ans, elle aborde avec aplomb les Variations de Proch et lair extrait de lopéra comique de Nicolo Isouard, Le Billet de loterie «Non, je ne veux pas chanter!» lors dune soirée de gala organisée au profit du Foyer des orphelins.
Un article du quotidien belge Le Soir (sans date) rapporte que «La Belgique et notamment Louvain, qui a déjà produit tant dartistes renommés et dont Betty Verlooy est originaire, peuvent être fiers de ce virtuose du belcanto, dont la technique vocale peut se mesurer avec celle de cantatrices renommées. Tous ceux qui sintéressent à lart du chant seront heureux dassister à laudition de ce phénomène belge dont la réputation sera bientôt mondiale.» Le magazine belge Ciné-Revue (1946) la surnomme «la Deanna Durbin belge», la comparant ainsi à lactrice et chanteuse canadienne de comédies musicales.
Progressivement, des propositions dengagement se font plus pressantes et Marthe Verlooy doit faire preuve de sagesse, refusant certaines offres fantaisistes et peu sérieuses. Elle évite ainsi de transformer sa fille en une bête de foire instrumentalisée digne dun Phineas Barnum. Cest à cette époque que dun commun accord, mère et fille choisissent de recourir parfois au nom de scène Betty dArdenne. Ce tour de passe-passe leur permet de présenter la jeune artiste à différents recruteurs potentiels en évitant de compromettre ses chances de carrière et en maximisant ses chances de réussite. Prenant part à de nombreuses après-midi musicales, souvent au bénéfice de nobles causes que la famille Verlooy sattache à embrasser, Betty dArdenne se forge déjà une belle réputation locale, puis nationale.
UNE EVOLUTION ARTISTIQUE PRECOCE ET PRUDENTE
Lapprentissage de Betty Verlooy évolue et ce faisant, son répertoire. En 1945-1946, le jeune soprano aborde lAlleluia tiré de lExultate jubilate (Mozart), lair du Rossignol dans LAllegro e il pensieroso ed il moderato (Haendel), lair de Parysatis (Le Rossignol et la rose, Saint-Saëns), la valse de Mireille (Gounod), la valse de Dinorah (Le Pardon de Ploërmel, Meyerbeer), lair des Clochettes (Lakmé), lair du page Urbain (Les Huguenots, Meyerbeer), Frühlingstimmen (J. Strauss II), lair du Berger (La Bernoise, Mathieu), lair Ma Poupée chérie (de Séverac), lair LOiseleur (Delune).
Si ce répertoire, déjà impressionnant, est relativement sage, il est sporadiquement plus discutable dy retrouver le grand air de Violetta du Ier acte de La Traviata ou encore, celui de Mimi dans le Ier acte de La Bohème, sans parler de mélodies de Mendelssohn, Schubert et Schumann … Personne de censé ne pourrait accorder une quelconque légitimité à un tel répertoire défendu par une fillette dà peine 12 ans, Marthe Verlooy non plus. Certainement veut-elle avant toute chose mettre en exergue la diversité du talent musical de sa fille, désir légitime et, dans une certaine mesure, compréhensible.
Marthe Verlooy sapproprie naturellement le rôle dagent artistique et redouble defforts pour présenter sa fille à des recruteurs potentiels. La tactique fonctionne, car même si aucun théâtre ne peut proposer une association artistique à un si jeune élément, les auditions se succèdent en affirmant le talent et la confiance de Betty Verlooy. Et puis, Bruxelles nest finalement quune grande ville de province, même si indéniablement, elle est un centre musical de premier plan, voire stratégique.
Voyant des propositions affluer et trop soucieuse de garantir un avenir serein à sa fille, Marthe Verlooy redouble de prudence et sollicite des avis, quelle écoute avec attention. En 1946, elle tente de se mettre en rapport avec lindomptable Blanche Marchesi, pour solliciter un avis et des conseilsquant à lorientation à donner à sa carrière (grâce à un ami, sergent dans larmée britannique rencontré lors dun mini-récital de Betty Verlooy chez les Barons Rolin à Bruxelles.) Dans une lettre à la grande prêtresse du chant, cest une mère déterminée et fière qui assume son rôle dambassadrice:
«As a matter of fact, I have been a teacher of singing for years and I have followed your method all the time with the most amazing success. But, there is one result, which particularly surprised me and which is my own daughter, Betty, now aged 13 years old, who, already some years ago, proved herself to be a singing genius.
(En fait, jai enseigné le chant pendant des années et jai toujours appliqué votre méthode avec grand succès. Mais un résultat ma particulièrement étonnée: ma propre fille Betty, âgée aujourdhui de 13 ans et qui depuis quelques années déjà, prouve quelle est un génie du chant. NDA.)
Elle clôt sa lettre à Blanche Marchesi en sollicitant une audition: celle-ci naura jamais lieupuisque la célèbre artiste, qui avait résidé à Londres dans le quartier de Saint Johns Wood, avait tiré sa toute dernière révérence le 15 décembre 1940 …
Le 5 mai 1946, Betty dArdenne, accompagnée par sa mère, se rend au Théâtre Royal de Liège et participe à un concert de Radio Jeunesse, organisé par la radio belge (I.N.R.): elle y chante les Variations de Proch, devenues lun de ses chevaux de bataille. Le contrat est adressé à «Monsieur Verlooy» et signé par sa mère, à côté des signatures de Gaston Brenta et de Théo Fleischmann. Le concert est un succès, car la captation en direct contribue à propulser le nom de Betty dArdenne dans toute la Belgique. Elle prend part à dautres émissions, notamment à Bruxelles et les critiques sont unanimes pour saluer son talent. Dans une lettre du 13 novembre 1946 adressée à Marthe Verlooy, G. Coune, chef du Servicedes auditions musicales à lI.N.R. indique:
Jai appris avec le plus vif plaisir le succès croissant de votre petite Betty. Soyez rassurée: elle a beaucoup plu à la Radio. Et je suis convaincu que M. Kammans, pour ses séances de Radio Jeunesse ou M. Colwaert, pour ses concerts publics de lOrchestre Radio, feront encore appel à son concours. Ecrivez-leur donc un mot et de mon côté, je leur rappellerai lexcellente impression que nous a laissé laudition de votre mignonne sopraninette.»
LES CONCOURS ET LE CONSERVATOIRE ROYAL DE BRUXELLES
Le 16 juillet 1943, elle remporte une Mention spéciale (hors concours, étant trop jeune pour concourir) au Jury Supérieur de Belgique (chant): document signé par Ernest Closson, Marguerite Thys et Maurice Weynandt. Toujours en 1943, elle décroche un Premier prix dhonneur hors concours -, avec les félicitations du Jury au Concours International de Bruxelles. Puis, le 3 avril 1944, elle obtient un Diplôme (chant, degré supérieur) avec la plus Grande Distinction et les félicitations du Jury au concours du Jury Musical de Belgique.
Lannée 1946 est également importante, puisquelle marque des étapes importantes dans lévolution de ce talent prodige, à peine âgé, rappelons-le, de 13 ans. Betty Verlooy se présente sur linsistance de deux membres de la commission dévaluation - au Jury Supérieur de Belgique, section piano (degré primaire): elle y décroche une Grande distinction le 10 juillet 1946: document signé par Ernest Closson et Alfred Mahy. Elle est lune des plus jeunes élèves inscrites. Le 16 juillet 1946, elle se voit décerner un Diplôme avec Grande distinction du Jury Musical de Belgique (piano, degré moyen.) Lors des sessions des mois davril et mai 1946 du 7ème Concours International de Chant Individuel de Verviers, elle remporte un Diplôme avec Premier prix spécial (hors concours, 3ème catégorie chant, enfants) avec les félicitations du Jury. Le 1er septembre 1946, elle prend part aux Fêtes du 50ème anniversaire du Cercle Choral de LEcho des Travailleurs en y chantant deux airs (elle y retrouve le baryton belge Gilbert Dubuc, qui avait obtenu un Grand Prix dhonneur et un Prix de «Sa Majesté britannique»: il y chante un air de La Favorite, un extrait de Le Pardon de Ploërmel et un air composé par le célèbre baryton et pédagogue belge Armand Crabbé intitulé Chanson du Gaucho.
Betty Verlooy nest désormais plus quune seule enfant prodige dont les progrès se cantonnent à Louvain ou à la capitale belge, car sa notoriété ne cesse de croître. Pourtant, cest finalement la voix de la sagesse qui guideles pas de Betty Verlooy vers le Conservatoire Royal de Bruxelles, avant des études musicales plus approfondies en Autriche et en Italie. Elle y poursuit son cursus académique du 1er octobre 1946 au 15 juillet 1951 (classe de solfège avancé et théorie musicale de Simone Renard). Le 7 mai 1950, elle remporte un Diplôme de Premier prix au IXème Concours de Chant solistes organisé par lUnion Belge des Chefs de chant: document signé par un impressionnant aréopage de personnalités du monde musical et lyrique, puisque lon relève (entre autre) les signatures du baryton Raoul De Lay (Président), du compositeur Joseph Jongen (Président honoraire qui a fait précéder sa signature de «Maître», du baryton Francis Andrien, du mezzo-soprano Dora Claeys-Nordier, des soprani Betty Dasnoy et Mariette Martin-Mettens et du ténor Joseph Rogatchewsky. Et parmi les autres membres du Jury: Nany Philippart, René Barbier (directeur du Conservatoire de Namur), Maurice Coune, Georges Villier (baryton et pédagogue belge), etc. Parmi les autres concurrents, un certain Michel Trempont et son frère Pol, baryton et ténor ou encore, Micheline Cortois, mezzo-soprano qui fera carrière au Théâtre Royal de la Monnaie.
Le corps professoral du Conservatoire de Bruxelles est à lépoque un vivier de noms illustres issus du monde musical, et ses concerts jouissent dune réputation européenne. Il nest alors pas rare dy croiser au détour dun récital (ou dun concert au Palais des Beaux-Arts, à proche distance du Conservatoire),dun concours ou entre deux classes - des célébrités telles que Francis Andrien, Fernand Ansseau, Frédéric Anspach, Alain Malbrecq, Albert Huberty, Lucien Van Obbergh, Maurice Weynandt, Lucienne Despy, Ysel Poliart, Germaine Teugels, Marguerite Thys et tant dautres. Pour certains artistes, le Conservatoire et lenseignement sont lantichambre de loubli. Pour Betty Verlooy, cette nouvelle structure pédagogique est idéale car elle lui permet dassister aux manifestations qui y ont organisées et son nom circule de plus en plus dans lenceinte de la vénérable institution. Germaine Teugels et Nany Philippart joueront dailleurs un rôle important dans leur soutien à ce brillant jeune élément.
Quelques signatures autographes : Albert Huberty, basse belge (1881-1955). Après une prestigieuse carrière internationale en Europe, aux Etats-Unis et au Canada, il enseigne lart lyrique au Conservatoire de Bruxelles ; X… (signature non identifiée) ; Joseph Jongen, compositeur et organiste belge (1873-1953), puis directeur du Conservatoire de Bruxelles (1925-1939) et Lucien Van Obbergh, basse belge (1887-1959, membre fondateur de lUnion des Artistes (Belgique, 1927) ; 3 soprani de renommée internationale au Conservatoire et au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles: Germaine Teugels (-), Marcelle Bunlet (1900-1981) et Suzanne Danco (1911-2000).
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® )Betty Verlooy fréquente les cours de piano du pédagogue espagnol Eduardo Del Pueyo, se montrant brillante et progressant rapidement dans lapprentissage des exercices toujours plus ardus imposés par le maître. Un Premier prix de solfège est également décroché au Conservatoire en 1951: document signé par Marcel Poot et le Lt.-Gén. Vicomte Buffin de Chosal.
En janvier 1948, Marthe Verlooy, par lintermédiaire dun ami de la famille, Jean Albert, contacte Corneil de Thoran, directeur de la Monnaie (Cf. http://www.musimem.com/thoran.htm) pour lui présenter la jeune fille et obtenir ses conseils. Elles sont reçues au théâtre à la fin janvier: il nest pas avéré quune audition en bonne et due forme ait eu lieu devant le directeur, mais en tout état de cause, elle semblerait peu plausible. Cest un avis judicieux et comme il fallait sy attendre, éclairé, qui est donné à Betty Verlooy, lencourageant à poursuivre sa formation musicale, dans un premier temps, au Conservatoire. Toujours en janvier, la jeune fille participe à un concert à Gand (dans les salons de lHôtel Britannia qui, à lépoque, organisait des séries de concerts, notamment en matinée le dimanche) où sa prestation est remarquée. A ses côtés, on retrouve un jeune mezzo-soprano belge promis à une grande carrière internationale: Rita Gorr, quelle retrouvera à Verviers dans le cadre du Concours de lEcho des Travailleurs.
Le 30 mai 1948, Betty Verlooy est invitée à nouveau par le Concours de lEcho des Travailleurs, dans le cadre de sa 8ème édition. Elle y décroche un Diplôme avec Mention spéciale (hors catégorie, chant, enfants.) En audition hors concours, elle chante deux airs de son répertoire. Parmi les concurrents, des noms marquants le panorama lyrique international: Leonie Rysanek, Marcelle Croisier, Rita Gorr, Germain Ghislain, Bruno Wyzuj et José Denisty.
Cest ainsi que la direction du Concours de Verviers, contacte Marthe Verlooy pour lui proposer la participation de sa fille au gala commémorant le 50ème anniversaire du concours le 1er septembre de la même année. Parmi les membres dhonneur, Emile Laurent qui, plus tard, se souviendra de Betty Verlooy en lui proposant Olympia au Grand-Théâtre de Verviers le 15 janvier 1950 aux côtés de chanteurs de premier plan tels que Marthe Luccioni, Suzanne Herman, Albert Delhaye et René Bianco/Roger Rico. Nullement intimidée, elle se voit contrainte de bisser son air «Les Oiseaux dans la charmille».
Si les études musicales et la scolarité obligatoire font de Betty Verlooy une jeune fille occupée, elle ne ménage pas ses efforts pour se produire en public, tout en limitant ses prestations, pour ne pas fatiguer linstrument et compromettre son épanouissement. Sollicitée pour des récitals ou concerts de musique de chambre, elle se produit principalement à Bruxelles, là où les chances de se faire connaître sont plus nombreuses quà Louvain. Par exemple, elle participe avec succès au Gala Ciné Revue, un concert couru par des personnalités du monde des arts, un autre tremplin pour le soprano.
Vina Bovy dans le rôle de Marguerite (Faust)
( photo J.M. Mertens, Anvers, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRUNE RENCONTRE DECISIVE AVEC VINA BOVY
Toujours en 1948, Betty Verlooy assiste avec sa mère et des amis à une représentation de La Bohème au Théâtre Royal de Gand. A lentracte, elle est présentée à Vina Bovy, directrice du théâtre depuis 1947.
Vina (Malvina) Bovy débute le 21 janvier 1918 dans Argentine (Les Deux billets, un opéra comique de Ferdinand Poise) au Théâtre Flamand (le Théâtre Royal est temporairement fermé pendant les hostilités). Elle y chante également Kerlien (De Bruid der Zee), Hänsel (Hänsel und Gretel), Musette (La Bohème) et Frasquita (Carmen), avant daffronter les premiers plans. Dès 1920, sa carrière de soprano lyrique-coloratura prend son envol, la conduisant sur les principales scènes lyriques mondiales. Elle partage laffiche avec de prestigieux solistes (chanteurs et chefs dorchestre) de son époque. Cest en avril 1955 quelle met un terme à sa carrière lyrique à Gand, dans le rôle de Madeleine de Coigny (André Chénier), aux côtés dun ardent Jan Verbeeck (Cf. http://www.musimem.com/verbeeck.htm) avec une voix à peine ternie par le poids des ans.
Lors de sa session du 19 mai 1947, lAdministration de la Ville de Gand nomme Vina Bovy directrice du Théâtre Royal (la dénomination officielle est Opéra Royal de Gand), décision confirmée le 23 juin 1947 par le Conseil municipal de la Ville, suivie par une notification qui lui est adressée le 28 juin 1947 (Cf. Fonds musical de lauteur: Archives Vina Bovy/Théâtre Royal de Gand). La première saison (du 1er octobre 1947 au 30 avril 1948) doit prévoir 91 représentations (trois par semaines), dont 67 dopéras comiques (30 en néerlandais et 37 dans dautres langues) et 24 opérettes (en néerlandais exclusivement.) On la prie notamment de présenter De Bruid der Zee, du compositeur belge Jan Blockx (le mezzo-soprano belge Lucienne Delvaux débutera au Théâtre Royal de Gand dans le rôle de Guduul aux côtés de Vina Bovy reprenant le rôle de Kerlien, en néerlandais pour la première œuvre de sa saison inaugurale.) Elle devra proposer une autre œuvre de ce compositeur: Herbergprinses (Princesse dauberge). Parmi les autres opéras: Der Freischütz, Mârouf savetier du Caire, Samson et Dalila, Rigoletto et La Traviata (ces deux dernières devant être présentées avec une «bonne distribution italienne»). En complément au répertoire lyrique, la nouvelle direction sera tenue de proposer quatre concerts dhiver avec lOrchestre National de Belgique avec «des solistes connus». Enfin, elle devra offrir six comédies (dont trois destinées aux écoles) avec le Théâtre National de Belgique, dix avec les Tournées Karsenty et une avec la compagnie de la Comédie Française. Vina Bovy revêt ainsi la double casquette de soprano et de directrice jusquau terme de la saison 1954-1955. Elle joue un rôle important dans léclosion ou lépanouissement des carrières de chanteurs belges, leur permettant dintégrer une troupe, dévoluer au sein dun ensemble homogène et de forger leurs premières armes. Si parfois, la qualité musicale densemble est de facture moyenne pour le grand opéra français ou italien du début du XIXème siècle (faiblesse des chœurs et parfois des cordes ou des solistes égarés dans des rôles aux antipodes de leurs tessitures), elle fait néanmoins preuve dexcellente tenue. Les artistes internationaux payés au cachet sont du reste heureux de pouvoir se produire à Gand: Vina Bovy, grâce à ses contacts, sait se montrer particulièrement persuasive.
La rencontre avec Vina Bovy est décisive pour Betty Verlooy et naturellement, sa mère fait état du cursus artistique de sa fille. Artiste, Vina Bovy est aussi femme du monde et si elle est séduite par le parcours de la fillette, elle est aussi frappée par sa parfaite éducation. Fait plus surprenant, Betty Verlooy montre une assurance qui séduit la directrice. La discussion se poursuit en sorientant vers les études, les prix obtenus et les possibilités de carrière. Vina Bovy est une femme extrêmement occupée entre la direction de lOpéra Royal et les rôles quelle chante à la scène. Sur le point de programmer une reprise en néerlandais des Contes dHoffmann pour janvier 1949, elle recherche une Olympia et en observant Betty Verlooy, elle réalise quelle tient là un petit prodige capable de faire sensation dans le rôle bref mais périlleux de la Poupée. La directrice propose alors à Marthe Verlooy de revenir au théâtre avec la jeune artiste pour une audition. Lopéra de Jacques Offenbach joue un rôle majeur dans la carrière de Vina Bovy, puisquelle chante dabord les trois rôles (notamment au Metropolitan Opera), puis jusquen 1946, celui dAntonia, quelle enregistre sous la baguette dAndré Cluytens lannée même de sa rencontre avec la famille Verlooy, soit en 1948. La directrice tient donc tout particulièrement à ce que cette reprise soit une réussite et elle le sera.
Laudition qui se déroule sur la scène du théâtre est concluante: elle a lieu en présence de Vina Bovy et des deux régisseurs, Karl Locufier et Octave Dua. Cest ce dernier, ténor comprimario à la prestigieuse carrière internationale qui prend Betty Verlooy sous son aile et lui prodigue de précieux conseils de mise en scène et lui fait partager sa technique de maquillage, dont lui seul détient le secret. Au crépuscule de sa vie, Octave Dua est une figure tutélaire et respectée du Théâtre Royal de Gand. Après ses adieux dans ce théâtre, il enseigne le chant à Anvers et meurt dans la capitale belge le 8 mars 1952. En donnant sa chance à Betty Verlooy, Vina Bovy sait quelle court un certain risque, mais elle est rassurée en constatant que les répétions se déroulent bien. Le ténor Achiel Somers (Hoffmann dans cette production) se prend du reste daffection pour sa jeune Olympia en lui apportant, à chaque répétition une petite attention. Betty Verlooy fait donc ses débuts au Théâtre Royal de Gand le 13 février 1949 dans Olympia, entourée des solistes de la troupe, sous la direction de Gerard Horens (pour cinq représentations au total, comprenant une supplémentaire vu le succès remporté et des reprises en Belgique.) Car en effet, le succès est au rendez-vous et la presse sempresse de souligner lexploit réalisé par la talentueuse jeune fille qui doit maintenant parfaire son éducation musicale et surtout, effectuer les meilleurs choix possibles pour son avenir artistique. Après les représentations gantoises, quelques nouvelles représentations des Contes dHoffmann sont présentées dans la ville natale de Betty Verlooy et elle y est saluée en véritable vedette.
Vina Bovy, quant à elle, va féliciter la jeune Olympia et ne tarit pas déloges, mais prudemment, recommande au jeune élément de poursuivre ses études en se perfectionnant, de préférence à létranger. Le succès de cette reprise sera renouvelé à Louvain au Théâtre Communal les 15 et 16 mars 1950 avec une distribution quasi identique (Edward De Decker remplaçant Achiel Somers) à celle de Gand, ainsi quà Bruges et Courtrai. Après la représentation de gala organisée par le Handelaarsverbond du 15 mars 1950, le soprano reçoit un vibrant hommage officiel de la part du bourgmestre de la ville de Louvain.
Les années 1949 et 1950 sont principalement consacrées à lachèvement des études au Conservatoire de Bruxelles et les prestations publiques sont réduites pour ménager la voix de Betty Verlooy. Elle participe néanmoins à deux autres concerts organisés par Ciné Revue et donne une prestation composée de mélodies flamandes pour la B.R.T. en juin et octobre 1949.)
Si ses cours de chant avec sa mère se poursuivent, elle se concentre avant tout sur létude du piano et parfait ses connaissances avec lhistoire de la musique, en se passionnant pour la musique ancienne, puis le répertoire mozartien. Elle en profite pour passer de nouvelles auditions (notamment chez les Barons Carton de Wiart et dautres personnalités influentes de la vie musicale belge).
A cette même époque, elle auditionne pour deux soprani et pédagogues belges dont la réputation est respectable en Belgique: Germaine Teugels et Nany Philippart, cette dernière portant le titre de «Cantatrice de la Cour de Belgique». Betty Verlooy la rencontre à Verviers lors de son audition au concours LEcho des travailleurs.
Si Germaine Teugels fait quelques rares incursions dans lopéra (Pelléas et Mélisande, La Damnation de Faust, etc.), elle est surtout une concertiste hors-pair, notamment dans de nombreuses créations (œuvres symphoniques, mélodies). Active dès 1920, elle chante notamment pendant la seconde guerre mondiale pour la Société privée de Musique de chambre (créée par Paul Collaer). Propagatrice de musique contemporaine et lune des interprètes préférées des Concerts Paul Collaer, elle est unanimement admirée pour sa musicalité et la finesse de ses interprétations. De nombreux compositeurs belges et français louent ses qualités, au rang desquels figure Francis Poulenc dont on figure le cinquantième anniversaire de la mort en cette année 2013 (Cf. Paul Collaer: Correspondance avec des amis musiciens, présentée et commentée par Robert Wangermée, Ed. Mardaga, ISBN: 2-87009-606-2). Quant à Nany Philippart, elle cantonne sa carrière au concert et sa réputation ne dépasse pas la Belgique. Musicienne émérite, son avis compte. Aujourdhui, son nom est perpétué par la Fondation et la bourse détudes portant son nom, créée en 1985.
Les deux auditions organisées en décembre 1950 et janvier 1951 sont concluantes et ne manquent pas de séduire les deux artistes. Dans une lettre du 7 février 1951, Germaine Teugels écrit:
«Elle possède une voix naturelle de coloratura. Elle a chanté pour moi avec charme et intelligence lair de larrivée de Manon de Massenet et avec une très grande facilité dans lair du dernier acte de la Reine de la nuit dans La Flûte enchantée de Mozart (vocalises jusquau contre-Fa). Jestime que ce jeune élément est particulièrement doué et devrait perfectionner par létude, ses qualités vocales exceptionnelles pour la carrière théâtrale où elle a le grand désir de sengager.»
Nany Philippart ne tarit pas déloges non plus dans son courrier du 8 février 1951:
«Mademoiselle Verlooy, que javais entendue il y a quelques années et qui alors métait apparue comme une petite cantatrice prodige, na fait que progresser. Je puis certifier quen complétant ses études de chant, en les perfectionnant, elle fera honneur à notre pays. Sa voix, malgré sa jeunesse, est chaude, bien conduite, dune grande tessiture, très claire, juste, vibrato excellent et sa technique bien développée. Elle a une intelligence éveillée souple, qui sadapte facilement aux conseils quon lui donne. Son interprétation est bonne. Il est indispensable quon laide afin dachever ses études musicales, dart lyrique et de mimique.»
Le 28 février 1951, Vina Bovy sadresse à Betty Verlooy dans une lettre soutenant sa décision de poursuivre ses études à létranger:
«Jai appris avec plaisir que vous vous proposez de continuer vos études de chant à Milan, afin de vous perfectionner. Jestime quaprès votre début bien réussi chez nous, comme sic la Poupée Olympia dans Les Contes dHoffmann, des études poursuivies à lexcellente école italienne pourront vous ouvrir pour lavenir une carrière pleine de promesses.»
Avec de tels résultats et déjà, un palmarès artistique impressionnant, un séjour académique de perfectionnement à létranger, va savérer bénéfique, puisquil lui ouvrira les portes de la carrière lyrique. Avant son départ pour lAutriche, le soprano se prête à deux émissions radiodiffusées avec lI.N.R. dans un programme contenant une mélodie française, les Variations de Proch et les Frühlingstimmen de J. Strauss (mars et juin 1951.) Egalement et surtout, elle travaille darrache-pied des airs de Mozart, embrassant peu à peu un large éventail de morceaux de bravoure totalisant près dune vingtaine de pièces, au-delà dairs de Zerlina, Despina, Cherubino, Arminda, Servilia ou Blondchen.
UN BRILLANT CURSUS ACADEMIQUE A LETRANGER
Suivant les conseils de Corneil de Thoran, de Vina Bovy et des autres personnalités musicales sollicitées, Marthe Verlooy contacte la direction de la réputée Internationale Sommer Akademie (Mozarteum) de Salzbourg. Sa fille est admise dans la classe de chant de Stoja von Millinkovic et dart lyrique de Meinhard von Zallinger(du 1er au 31 août 1951): à nouveau, elle est remarquée pour ses dons musicaux innés et sa rapidité dapprentissage. Elle y décroche deux certificats de stage en chant et art lyrique. Le 31 août 1951, elle prend part au concert de clôture en interprétant, première en ordre de passage, lair de Blondchen (Die Entführung aus dem Serail), puis un duo Blonde-Osmin avec la basse Oswald Schloffer, sous la direction de Wolfgang Messer. Elle y retourne en 1952, travaillant avec ses mêmes professeurs et poursuit son perfectionnement avec une assiduité redoublée, donnant parallèlement deux récitals organisés par le Consulat général de Belgique.
La prochaine étape est désormais lItalie. Marthe Verlooy se met en rapport avec le Consulat général dItalie à Milan, la Commission des Relations culturelles avec lItalie et le Ministère de lInstruction publique pour lobtention dune bourse détudes au Conservatoire Giuseppe Verdi (Milan). Munie de ses diplômes et dans un premier temps et escortée de sa mère, Betty Verlooy part pour Milan en septembre 1951. Elle sinstalle alors dans une pension de famille, puis elle élit temporairement domicile auprès des Sœurs de la Paroisse de Saint Augustin. Ce premier séjour milanais nest pas de tout repos, car même si elle peut se ménager des temps de loisirs, notamment en visitant la ville et la région, elle suit des cours ditalien, une langue quelle parvient à maîtriser très rapidement. Le 14 janvier 1952, elle passe son examen dadmission à lEcole de chant du Conservatoire où elle est reçue.
Entretemps, grâce aux contacts noués par la famille, elle parvient à obtenir une substantielle bourse détudes qui lui est confirmée par une lettre du Consulat général de Belgique à Milan le 2 janvier [1952] dun montant de 42'500 francs belges et de 5'000 francs belges pour frais de voyage. Cette même bourse sera renouvelée pour lannée académique suivante par une lettre du 12 août 1952. Ses études musicales à Milan sont une expérience enrichissante, car elle peaufine sa technique vocale (auprès dInes Maria Ferraris) et sa culture musicale. Elle explore ainsi ce qui deviendra son répertoire lyrique et lambiance de travail, cosmopolite et studieuse, lui convient, même si une certaine pression se fait ressentir au vu du nombre dheures dispensées hebdomadairement. Il faut dire que Betty Verlooy rejoint dès la première année académique lensemble du Piccolo Coro da Camera (le Petit Ensemble de Musique de chambre) et il sagit-là, à linstar dun véritable opéra studio, dun superbe tremplin professionnel. Ce sera le cas, puisque la jeune artiste donnera de nombreuses représentations en Italie (notamment à Venise dont trois concerts conjoints avec le Conservatoire Benedetto Marcello), à Copenhague et Bâle.
Elle acquiert désormais une maturité vocale et fait preuve de sérieux dans le travail assidu quelle fournit. En outre, elle est particulièrement appréciée par le corps professoral, mais aussi par ses collègues, pour son amabilité, sa discrétion et sa parfaite éducation. Attestations et certificats intermédiaires sont tous élogieux:
«[…] dotata di mezzi vocali pregevoli, ha dimostrato, nello studio, serietà, disciplina e intelligenza non comune. Milano, 16 Maggio 1953.»
([…] dotée dimportants moyens vocaux, elle a démontré dans létude sérieux, discipline e une intelligence hors du commun.Milan, 16 mai 1953.», NDA.)
«[…] ha dimostrato di avere une pregevole voce di soprano, una superiore musicalità e cultura, sí da meritare lelogio del sottoscritto insegnante di tale corso (Musica vocale da camera, NDR), nonchè quello degli insegnanti che si occupano dei suoi studi musicali. Prof. Edoardo Boccardi, Milano, 24 maggio 1953.»
([…] a démontré de posséder une voix importante de soprano, une musicalité et une culture supérieures, justifiant les éloges du soussigné (professeur, cours de Musique vocale de chambre, NDR), ainsi que celles des enseignants en charge de ses études musicales. Prof. Edoardo Boccardi. Milan, 24 mai 1953.», NDA.)
«[…] ha tenuto con successo una serie di concerti in Danimarca, a Milano e a Venezia. La Signorina Verlooy, che è un elemento di primo ordine sotto ogni rapporto, ha riscosso i più lusinghieri consensi tanto in Danimarca, come in Italia, anche come solista in alcuni duetti di Monteverdi. M° Amarigo Bortone, Prof. Di Musica corale, Direttore del Piccolo Coro da camera. Milano, 29 maggio 1953».
([…] a participé avec succès à une série de concerts au Danemark, à Milan et à Venise. Mademoiselle Verlooy, qui est un élément de premier ordre sous tous rapports, a recueilli lappréciation la plus élogieuse au Danemark comme en Italie, également en tant que soliste dans des duos de Monteverdi. M° Amarigo Bortone, Prof. De Musique chorale, Directeur du Petit Chœur de chambre. Milan, 29 mai 1953.», NDA.
Son séjour à Milan lui permet de donner des séries de récitals proposés par le Conservatoire. Elle affirme ainsi son talent et embrasse un répertoire de plus en plus large. Le récital quelle donne le 30 avril 1953 au Cercle culturel des Etudiants de lInstitut des Mères bénédictines de Milan en donne un aperçu: des airs et mélodies de Mozart, Vivaldi, Marcello, Haendel, Schubert, Duparc, Ryelandt, Fiume, Jongen et De Falla.
Le 31 mai 1953, Betty Verlooy participe au concert des élèves du Conservatoire se tient dans la Petite Salle: elle y chante lair du Ier acte de Lucia di Lammermoor «Regnava nel silenzio», accompagnée au piano par Francesco Rossi. Parmi les pianistes, un certain Claudio Abbado. Enfin, Betty Verlooy obtient son Diplôme de chant (9.15 points sur 10) à la session dautomne 1954.
RETOUR EN BELGIQUEAVANT UN NOUVEAU GRAND DEPART
La formation académique de Betty Verlooy en Italie et les fréquents récitals auxquels elle participe dans la Péninsule et à létranger la préparent désormais activement à la carrière lyrique. En abordant loratorio, la musique ancienne, la musique de chambre, lopéra comique, lopéra et le Lied, elle affirme de manière évidente la versatilité de son talent, affrontant ces genres et répertoires musicaux avec une musicalité instinctive rare.
De retour en Belgique, elle reprend la route des concerts et en profite pour prêter son concours à de nouvelles émissions radiophoniques où désormais la qualité de son chant atteint un degré très élevé et lui vaut de constantes éloges. Elle interprète un large éventail dœuvres rarement jouées à la radio, à linstar de la version française dune petite composition de Domenico Scarlatti: Vénus et lAmour, sous la direction de Georges Béthune (I.N.R., 14 et 16 octobre 1954).
Outre lI.N.R. puis la R.T.B./B.R.T., elle prête aussi son concours à des émissions radiodiffusées pour la B.B.C., R.T.R. (Luxembourg), Radio Hilversum (Pays-Bas), D.R.S., R.T.S.R. (Suisse), N.D.R., SWF(Allemagne), etc., une collaboration avec les studios radiophoniques qui se poursuivra tout au long de sa carrière internationale.
Forte de son expérience italienne, Betty Verlooy est désormais régulièrement sollicitée pour chanter dans le cadre de concerts scellant lamitié belgo-italienne (où elle retrouve Claudio Abbado, déjà rencontré à Milan et son père Michelangelo, violoniste et chef dorchestre de talent. Elle retrouve les salons musicaux bruxellois, comme celui de la famille Carton de Wiart et participe à des galas de charité, prête à défendre de bonnes causes (Société des aveugles, Croix-Rouge de Belgique, LOeuvre Nationale dAide aux enfants anormaux, le Sanatorium Universitaire de Belgique, le Club de la Fondation universitaire, la Société protectrice des animaux, la Société Royale des Fanfares LAmitié, et tant dautres). Elle chante également pour les œuvres caritatives catholiques.
Entre 1953 et 1956, elle est soliste de lEnsemble Pro Musica Antiqua, sous la direction de Safford Cape, années exclusivement consacrées au concert, aux prestations radiodiffusées et comprenant de nombreuses tournées internationales. Son répertoire inclut alors un nombre important dairs et motets tirés de la musique médiévale et de lépoque de la Renaissance. Pendant cette collaboration, elle prend part à plusieurs créations (notamment darie oubliées et de cantates italiennes.) Elle chante en Allemagne, Autriche, France (notamment au Festival de Besançon en 1954), Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Suède, Suisse, etc. Le 12 juillet 1955, elle est à Gand pour un concert de lensemble au Musée des Beaux-Arts.
Si les concerts sont une activité musicale enrichissante, Betty Verlooy risque, en sy cantonnant trop longtemps, dexclure de sa carrière les rôles à la scène. Certes, depuis son enfance, elle est habituée au récital et au concert. Toutefois, son perfectionnement en Autriche et en Italie lui permet de réaliser quune carrière lyrique lui offrira un plus large éventail de possibilités, en dépit dune concurrence féroce dans des rôles de coloratura.
Elisabeth Verlooy (3ème à droite) après un concert donné en 1956 au Mozarteum de Salzbourg. A sa droite, il sagit certainement de son professeur, le soprano Stoja von Millinkovic. A gauche (2ème), le rayonnant soprano belge Marie-Jeanne Marchal aux côtés de son professeur, le soprano Lotte Schöne.
( photo H. Hagen, Salzburg, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DREté 1956, elle prend quelques jours de repos en Autriche, dans la région de Salzbourg. Fermement résolue au repos, Betty Verlooy assiste, en spectatrice, avec sa mère et des amis, aux représentations du Festival de Salzbourg. Elle en profite pour participer à une nouvelle classe dété (opéra studio, art lyrique et interprétation) organisée par la Internationale Sommer Akademiequi la consacre meilleure interprète de œuvres de Mozart. Elle participe ensuite au prestigieux concert de clôture en interprétant un Lied, un air de concert puis un air dopéra, tous extraits du répertoire mozartien bien entendu et le succès est retentissant. Après le concert, entourée de ses professeurs Meinhard von Zallinger et Stoja von Millinkovic, elle est présentée à Karl Böhm qui vient dachever son deuxième mandat à la tête du Staatsoper de Vienne. Impressionné par la prestation de la jeune femme, il propose dorganiser une rencontre avec Georg Solti, directeur de lOpéra de Francfort et président du Jury du Concours International Mozart de 1956 au Mozarteum. Cette rencontre joue un rôle important dans la carrière de Betty Verlooy, car il scelle sa longue collaboration avec lAllemagne, pays où elle axera la majeure partie de sa carrière. Le lendemain, Georg Solti convoque le soprano et lui propose de débuter à lOpéra de Francfort avec un premier contrat de trois ans. Un nouveau début, une chance de tout premier ordre. Elisabeth Verlooy informera ses proches et ses partenaires de scène de son départ pour lAllemagne et dans une émouvante lettre du 12 mars 1957, de son écriture tourmentée, Safford Cape écrit:
«Vous ne savez pas à quel point jai été ému par votre lettre du 16 janvier 1957. Vous avez été vous-même émue en lécrivant. Jai parfaitement bien senti lamitié et laffection que vous avez pour le Groupe et la chose me touche vivement. Ma chère Betty, votre collaboration a été lune des plus belles dans [celles] que jaurai connues dans ma vie. Votre don parfait: ce naturel, cette liberté, cette perfection fondée dans la nature même et perfectionnée encore par la science et le travail! Cette fraîcheur, cette authenticité enfin, est même, je crois, unique dans mon expérience. A ces qualités dartiste, je joins votre bonté, votre claire camaraderie, votre sérieux, votre sens du juste et du bien. Tout cela fait que jai attaché à notre collaboration le plus haut prix et que probablement, je naurai plus jamais quelquun qui vous ressemble. Safford Cape.»
LALLEMAGNE AU CŒUR DE LA CARRIERE LYRIQUE DELISABETH VERLOOY
Elisabeth Verlooy dans le rôle de la Königin der Nacht (Die Zauberflöte),
Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRElisabeth Verlooy est désormais rattachée à lOpéra de Francfort, saisons 1956-1959, avant sa longue association artistique avec Hanovre. La proposition de Georg Solti relève de la providence car elle permet à lartiste dalterner le concert et lopéra, lui évitant ainsi de se museler dans un seul registre musical. Cette offre tombe à point nommé, puisque les théâtres belges savèrent dans limpossibilité doffrir à lartiste une collaboration sur le long terme. La fin de la troupe et larrivée de directeurs aux compétences et au discernement artistique plus que discutable vont rendre la situation de nombreux talents précaire, ces derniers préférant, à raison, sexiler à létranger là où, souvent, ils bénéficieront de conditions meilleures et pourront explorer un plus ample répertoire lyrique. A la Monnaie, des soprani de premier plan tels que la brillante et très musicienne Marie-Jeanne Marchal (qui fera elle aussi carrière en Allemagne et quElisabeth Verlooy retrouvera au Mozarteum en 1956), Marie-Thérèse Pascal et, dans une moindre mesure, Micheline Sanders, sont en tête daffiche. Il ny a donc guère de place à prendre, la proposition de Georg Solti tombe à point nommé. Les efforts fournis depuis lenfance, sous la férule de sa mère, vont payer en lui ouvrant les portes dune carrière lyrique. La séparation entre la mère et la fille est certes difficile et Marthe Verlooy peut désormais redoubler defforts dans lenseignement prodigué à ses élèves à Louvain et voyager, passant de nombreux séjours à Francfort. Le pédagogue ressent alors une certaine fierté, bien compréhensible …
Les trois premières années sous contrat à Francfort établissent une partie du répertoire du soprano. Elle y chante tour à tour : Gilda (Rigoletto), Zerbinetta (Ariane auf Naxos), Konstanze et Blondchen (Die Entführung aus dem Serail), Die Königin der Nacht (Die Zauberflöte), Olympia, Oskar, Amor (Orfeo ed Euridice), etc… A partir de la saison 1959-1960 et jusquen 1963, Elisabeth Verlooy est membre de lOpéra dHanovre. Puis, cest à lOpéra de Wiesbaden que le soprano poursuit sa carrière (1963-1968), pour revenir à Hanovre en 1968 et y séjourner jusquà ses adieux à la scène en 1993 lors dune représentation de gala des Contes dHoffmann. Etrange hasard, cest dans cette ville que décède son père en 1968. Et ce sera également à Hanovre que lartiste reçoit le titre de Kammersängerin le 7 avril 1989. En 1986, Elisabeth Verlooy est nommée Citoyenne dhonneur de Louvain.
Elisabeth Verlooy dans le rôle de Zerbinetta
(Ariane auf Naxos) Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRTout au long de son long séjour en Allemagne, le soprano se produit dans des villes telles que Bamberg, Berlin, Coblence, Cologne, Düsseldorf, Essen, Göttingen, Hagen, Hambourg, Hanau, Hildesheim, Kronach (dans le cadre dun Festival Johann Strauss), Lüdenscheid, Ludwigshafen, Mannheim, Mayence, Stuttgart et Wiesbaden. Elle donne également de nombreux concerts, des séries de Liederabends et des représentations lyriques à Berne, Dublin, Genève, Lausanne, Lucerne, Meisen, Mulhouse, Vienne, Zürich, etc. Pendant son long séjour en Allemagne, elle chante avec les solistes de la troupe, mais également aux côtés dune pléiade dartistes invités aussi connus que Nicole Buloze, Gloria Davy, Lisa Della Casa, Brigitte Fassbaender, Christel Goltz, Grace Hoffman, Sena Jurinac, Edda Moser, Dame Elisabeth Schwarzkopf, Claire Watson, Franco Bonisolli, Piero Cappuccilli, James McCracken, Kurt Equiluz (quelle retrouvera au concert), Nicolaï Gedda, Peter Glossop, Alfred Jerger, Waldemar Kmentt, Hermann Prey, Rudolf Schock, Fritz Wunderlich, etc.
Les critiques sont unanimes: lineffable musicalité du soprano, conjuguée à la fraîcheur de sa voix en font une interprète hors-pair. Ses interprétations de la Königin der Nacht, Oskar, Gilda, Olympia, Philine, Manon, Martha, Sophie et Zerbinetta lui valent des triomphes incontestés, notamment à Hanovre. Sur la page de garde dun programme dune représentation de Rigoletto dirigée par Ernst Richter (29 août 1960), Elisabeth Verlooy une artiste reconnue pour son humilité et sa grande modestie - a écrit: «Enorme succès, interminables applaudissements dune durée de 30 minutes. La salle a été mise dans lobscurité pour obliger le public de lévacuer.» Mais bien quelle soit désormais pleinement consacrée premier soprano dopéra, lartiste poursuit ses activités au concert et au récital: à son actif, plus dun millier dairs et de Lieder anciens et classiques. A cela, il convient dajouter des airs extraits du répertoire contemporain: un impressionnant palmarès séchelonnant sur près dun demi-siècle fait de succès ininterrompus.
Parmi les autres rôles abordés par Elisabeth Verlooy(comprenant des créations absolues ou locales): la Contessa (La Diavolessa: un dramma giocoso de Baldassare Galuppi), Zelmira (Armida de Joseph Haydn), Susanna (Le Nozze di Figaro), Fraulein Silberklang (Der Schauspieldirektor), Zerlina (Don Giovanni), Klingsors Zaubermädchen (Parsifal), Titiana (Oberon), Mercédès (Carmen), Lucette (Cendrillon), le rôle-titre de Lucia di Lammermoor, Rosina (Il Barbiere di Siviglia), Gräfin Marianne de Formoutiers (Der Graf Ory), Angelina (La Cenerentola), Bertha (Die Nürnberger Puppe, lopéra comique dAdolphe Adam), Norina (Don Pasquale), Adina (LElisir damore), Page der Königin et Stimme vom Himmel (Don Carlos), Adele (Die Fledermaus), le rôle-titre de Manon, celui de Martha, Philine (Mignon), Kate Pinkerton (Madama Butterfly), Sophie (Der Rosenkavalier), Fiakermilli (Arabella), Eine Dienerin et Eine Stimme der Ungeborenen (Die Frau ohne Schatten), Clarice (Il Mondo della luna), le Rossignol (dIgor Strawinski), Lucietta (I Quattro rusteghi), Felice (Die vier Grobiane), Die erste Elfe (Rusalka), Eine Engelstimme (Palestrina: légende musicale en 3 actes de Hanz Pfitzner), Minette (Die englische Katze: opéra bouffe de Hans Werner Henze, créé à Schwetzingen par la troupe du Staatsoper de Stuttgart en 1983), Buckliges Mädchen (Der Prozess: opéra en deux actes et huit tableaux de Gottfried von Einem, Opéra de Francfort, 1958), Dumka (Sorotchinskaya yarmarka ou La Foire de Sorotchintzi: opéra comique de Modest Musorgsky), Frau Fluth (Die lustigen Weiber von Windsor), Ruth Putnam (Die Hexenjagd: opéra en trois actes daprès la pièce dArthur Miller sur une musique de Robert Ward), le rôle-titre de Yolimba (Yolimba oder Die Grenzen der Magie: une farce musicale en un acte et quatre hymnes de Wilhelm Killmayer, Der Engel Hesekiel (Genoveva oder Die weise Hirchkuh): drame musical en quatre tableaux et un interlude de Detlev Müller-Siemens). Elisabeth Verlooy chante également occasionnellement lopérette, entre autre Franziska Cagliari (Wiener Blut), Lisa (Das Land des Lächelns, le rôle-titre de Gräfin Maritza, etc. Elle prend également part à la création de Ein Ehemann vor der Tür (Rosine), la délicieuse opérette en un acte de Jacques Offenbach Un Mari à la porte. Cette liste nest pas exhaustive et ne comprend pas les airs et mélodies dont Elisabeth Verlooy assure la création lors de récitals ou concerts, notamment de compositeurs allemands tels que Hans-Werner Henze, Werner Egk, Wolfgang Fortner, Bernd A. Zimmermann, etc.
Bien quétant rattachée à la troupe, Elisabeth Verlooy chante régulièrement en Belgique au concert et pour la radio. Elle participe ainsi à des festivals, notamment le Festival des Flandres et le Festival de Stavelot. On lapplaudit notamment à Louvain (où elle sera fêtée en enfant du pays): elle y chante notamment lExultate jubilate et Davide penitente de Mozart en présence du Bourgmestre de la Ville en 1953 puis en 1955. Elle se produit aussi à Gand, Ostende, Spa, Tournai, Anvers et bien sûr Bruxelles, où elle est active en assurant des prestations radiophoniques, à linstar dun concert pour la B.R.T. avec le ténor Louis De Vos et le soprano Maria Ceuppens (1956). Elle embrasse un ample répertoire en interprétant autant de la musique ancienne comme la rare Alcide al bivio de Johann Adolph Hasse chantée pour la radio flamande en 1965), que le répertoire contemporain, notamment de compositeurs allemands, à linstar du rôle-titre de Die Kluge (de Carl Orff) ou encore, la partie de soprano solo dans Carmina Burana du même compositeur. Fin janvier 1968, elle participe à Bruges à une soirée entièrement consacrée aux compositions de Carl Orff et en septembre de la même année, on retrouve le nom dElisabeth Verlooy à laffiche dun important concert au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, soirée toujours consacrée à Carl Orff. Elle y chante Le Triomphe dAphrodite et à nouveau, Carmina Burana, sous la direction de Léonce Gras (gala de clôture du 10ème Festival des Flandres.) Lartiste ne néglige pas non plus les compositeurs belges, quelle sattache à interpréter autant souvent que possible. Elle aime spécialement
Jean Absil, Ernest dAgrèves, Jean-Joseph Fiocco, César Franck, Jules Gohy, Gustave Huberti, Léon Jongen, Désiré Pâque, Marcel Quinet, François Rasse, etc. dont on retrouve régulièrement les compositions à laffiche de ses concerts ou récitals. Egalement, son interprétation dœuvres telles que Die Schöpfung, Die Jahreszeiten, Schöpfungsmesse, Die Welt des Mondes ou encore, la Cäcilienmesse de Joseph Haydn est très remarquée. Elle interprète ces oeuvres régulièrement, surtout en Allemagne, Autriche et en Suisse, aux côtés de prestigieux solistes. Son répertoire comprend aussi des cantates, motets et les Passions de Johann-Sebastian Bach quelle défend avec véhémence tout au long de sa carrière.
Elisabeth Verlooy (Gilda) et Gilbert Dubuc (Rigoletto), deux artistes belges qui feront les beaux soirs du Staatsoper, Hanovre.
( photo Studio Kurt Julius, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRAprès la disparition de sa mère en 1970, le soprano doit assumer le deuil dune mère dont la présence tutélaire laisse un vide inégalé. Elle doit désormais vivre sans leur complicité musicale unique, caractérisée par un duo mère-fille ou plutôt maître-élève fermement soudé. Car Elisabeth Verlooy avait pour habitude de tenir régulièrement informée sa mère de ses succès à la scène: nul ne doute que leurs conversations téléphoniques et leurs échanges épistolaires ont laissé un grand vide dans lexistence de lartiste.
En avril 1976, Elisabeth Verlooy se voit décerner le prestigieux Theaterpreis par les autorités culturelles de la ville dHanovre et en 1981, elle reçoit lInsigne dargent de lAssociation des Scènes allemandes pour ses 25 ans de carrière en Allemagne (Hambourg). Un article paru dans lédition du 6 mai 1976 du quotidien Neue Hannoversche, sous la plume de Reimar Hollmann, fait état de lattribution du Theaterpreis au soprano et lui rend un hommage particulièrement élogieux et sans complaisance. En substance, il loue les qualités vocales et dramatiques dElisabeth Verlooy en soulignant combien, près de 30 ans après ses débuts, sa voix est intacte. Il poursuit en indiquant que: «Ce qui frappe dans son interprétation de lautomate Olympia, cest la fusion entre le chant et laction dramatique, dont lapparence et les gestes sont réellement ceux dune poupée de porcelaine. Elle confère au rôle chanté, dansé, mimé et vécu, la grâce dune miniature Rococo: cest là toute la magie du surnaturel. Plus de 14 rappels pour Olympia prouvent, sil en était encore besoin, le talent extraordinaire de cette brillante musicienne.» Puis, en septembre 1982, un gala est organisé au Staatsoper dHanovre honorant la carrière du soprano et Reimar Hollmann, dans son article intitulé «Nachtigal aus Belgien gefeiert» (Le Rossignol belge fêté, NDR), rend un nouveau vibrant hommage à lartiste. Egalement, un article, publié sous la signature de «H.S.» dans le quotidien Hannoversche Allgemeine Zeitung du 1er octobre 1982 retrace avec élégance et une plume experte la carrière de celle qui sera nommée Kammersängerin sept années plus tard. Cest ainsi que le 27 septembre 1982, Elisabeth Verlooy se prête volontiers à lexercice de la conférence-débat intitulée «Das Sängerportrait» dans la Marschnersaal, suivie dun récital. Jusquen 1993, la carrière dElisabeth Verlooy se poursuit, de succès en succès et pour preuve de sa versatilité artistique, elle accepte volontiers de chanter à titre occasionnel des deuxièmes plans, élargissant ainsi son répertoire. Depuis le début des années quatre-vingts et jusquà ses adieux à la scène, elle ralentit quelque peu ses activités, chantant son répertoire et poursuivant une activité plus discrète au concert ou au récital.
Elisabeth Verlooy en gondole des Contes dHoffmann sur la scène du Staatsoper de Hanovre.
Cliché réalisé lors de sa soirée dadieux, le 16 juin 1993 après sa toute dernière Olympia.
Lovation face à une salle debout durera plus dun quart dheure.
( photo Studio Joachim Gieser, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® ) DR
UNE EMOUVANTE SOIREE DADIEUX DANS LE ROLE DE SES DEBUTS
Cest le 16 juin 1993, le jour de son soixantième anniversaire, que la Kammersängerin Elisabeth Verlooy fait ses adieux à la carrière sur la scène du Staatsoper dHanovre, après 30 années dune exemplaire association artistique avec ce théâtre. Elle choisit le rôle dOlympia, soit 44 ans après ses débuts au Théâtre Royal de Gand, avec une voix nayant rien perdu de son assurance et de sa brillance! A la fin de la représentation après avoir revêtu une robe de ville -,lartiste est transportée sur la scène du théâtre dans la gondole gorgée de fleurs ayant servi à la Barcarolle du IIIème acte des Contes dHoffmann … La compagnie au grand complet, solistes, personnel administratif et technique, petites mains et le public debout accueillent Elisabeth Verlooy sous un tonnerre dapplaudissements dans une ovation qui durera plus dun quart dheure. Le directeur général Hans-Peter Lehmann et lex-directeur musical Georg-Alexander Albrecht lui rendent hommage dans un discours entrecoupé dapplaudissements et dune grande émotion … Ainsi sachève cette longue et exemplaire carrière lyrique: une page se tourne pour Elisabeth Verlooy et pour le Staatsoper.
LHEURE DES BILANS
Les débuts précoces dartistes, quels quils soient, entraînent avec eux leur lot de pression, despérance et parfois, de déceptions. Débuter à lâge de 13 ans avec une voix nayant évidemment pas atteint son niveau de maturité est une prouesse risquée et les espoirs nen sont que plus grands. Si le talent musical inné de lenfant a pu éclore harmonieusement, soutenu par une mère brillante musicienne offrant un encadrement pédagogique strict, plus dune jeune artiste en herbe aurait pu se décourager, mais il nen sera rien. Une fois la voie musicale tracée, Betty Verlooy la suivra avec une farouche volonté de réussite.
Lors de ses débuts remarqués dans Olympia au Théâtre Royal de Gand en 1949, la voix est certes étonnante de facilité dans laigu et le suraigu, avec une coloratura magnifiquement assurée, mais le medium et le grave sont ténus: comment pourrait-il en être autrement? Cest donc par un travail technique continu, puis par des formations musicales complémentaires que la voix trouvera son assise définitive en gagnant davantage de souplesse, lédifice étant dès le départ soutenu par une impeccable musicalité. Peu après les débuts gantois, Vina Bovy écrit à la jeune artiste et lencourage à poursuivre son perfectionnement à létranger, tout en reconnaissant les éminentes qualités musicales du soprano. Il savérera quune fois rattachée aux ensembles allemands, lartiste ne chantera plus dopéra au Théâtre Royal de Gand, à lexception du rôle-titre de Martha en avril 1968. Des négociations pour des représentations de Die Zauberflöte et de Carmina Burana sont engagées avec la direction, mais finalement naboutiront pas, faute davoir reçu les autorisations nécessaires de la part des théâtres allemands.
Si à lorigine, Elisabeth Verlooy est dotée dun instrument réellement exceptionnel grâce à son étendue (du Do3 et au-delà du contre-Sol), au-delà même de la beauté intrinsèque du timbre, cest sa virtuosité confondante et sa musicalité instinctive qui la caractérisent. Que ce soit au récital ou au concert, au studio denregistrement ou à la scène, les critiques saluent non seulement sa technique, mais surtout, son élégance interprétative hors du commun, précieuse qualité qui demeurera intacte jusquà sa toute dernière Olympia. Si le succès précoce recueilli en 1949 le phénomène Betty dArdenne ou Betty Verlooy, «La nouvelle Malibran» ou encore «La Deanna Durbin belge» - ne se démentira pas, le phénomène, quant à lui, sestompera de manière naturelle avec le temps. Et il savérera parfois difficile, notamment avec la presse, de gommer limage denfant prodige et de «Betty Verlooy la Poupée Olympia» qui, bon gré mal gré, lui collera à la peau…
En effet, une fois la vocalité dElisabeth Verlooy établie dans le registre de soprano coloratura puis de lyrique-coloratura, la concurrence sera rude, autant en Europe, quaux Etats-Unis ou au Canada, là où des agents artistiques ou des sociétés radiophoniques avaient été approchées. Non seulement au théâtre, mais également, au disque,la voix de soprano est la plus répandue parmi la voix humaine et il y a pléthore de soprani essaimant aux quatre coins de la planète. Réussir dans cette jungle artistique très concurrentielle est une gageure qui, au tournant de la seconde guerre mondiale décourage plus dune artiste, même parmi les plus talentueuses. Mais souvent, la chance peut devenir providentielle et après lenseignement maternel, puis la formation complète prodiguée par ses pédagogues salzbourgeois et milanais, cest Georg Solti qui marque le destin artistique dElisabeth Verlooy, en ladmettant au sein de la compagnie de lOpéra de Francfort. Dans cette ville, elle développe son répertoire en devenant un précieux élément de la troupe en y débutant dans Gilda, rôle proposé par Georg Solti. Consciente quun départ vers les Etats-Unis ou le Canada pourrait savérer un risqué dans le contexte de lépoque, elle axe avec discernement sa carrière en Allemagne, abordant un ample répertoire tout en poursuivant ses activités au concert. Surtout, elle est déterminée à incarner des héroïnes à la scène et à ne pas se cantonner, comme elle laurait fait en restant en Belgique, au concert. Rapidement, elle parvient à un judicieux équilibre en sillustrant dans des rôles brillants (Blondchen, Rosina, Norina, Oskar, Philine, Olympia, Zerbinetta, etc.), puis lyriques-coloratura (Konstanze - qui savère être un des rôles les plus dramatiques chantés par le soprano -, Lucia, Gilda, le rôle-titre de Martha, celui de Manon, etc.) La voix, de volume relativement modeste, et rondement menée et se fait entendre sans le moindre problème dans les plus grandes salles: cest ce que les Italiens nomment très justement le voci che corrono (les voix qui courent, NDR). Après des décennies de carrière, la voix dElisabeth Verlooy est intacte.
Dans un enregistrement public des deux airs de la Königin der Nacht, captés par les micros de RTL (concert en 1986), la voix est plus belle que jamais. Projection, brillance, assurance des aigus, perfection de la ligne et pertinence de la caractérisation, à la fois virtuose mais dramatique. Surtout, le soprano évite le piège habituel et trop facile des canaris épris de suraigus, mais sans medium ni grave! Lartiste a alors 56 ans et si le timbre sera tout au plus occasionnellement voilé dans des représentations ultérieures, linstrument est inaltéré et le chant plus souverain que jamais. Ce jour-là pourtant, une rage de dents plombe la bonne humeur de la cantatrice: il nen transparaîtra rien, bien au contraire. La maîtrise opère.
Une fois la carrière achevée en 1993, Elisabeth Verlooy se consacre à ses loisirs, en amatrice des Arts éclairée, maintenant sa résidence à Hanovre. Elle dispense quelques cours de chant, mais vite découragée, ne trouvant aucun bon élément à faire éclore, elle abandonne, estimant ne pas avoir suffisamment de patience pour persévérer. Elle se rend fréquemment aux concerts, à lopéra et au théâtre tout en sadonnant avec plaisir aux voyages, retournant régulièrement dans sa Belgique natale, où elle rend visite à sa famille. Avec larrivée intempestive de metteurs en scène régnant tels des dieux omnipuissants sur les scènes lyriques face à une administration publique trop complaisante, la Kammersängerin est de plus en plus offusquée par des spectacles de facture discutable quelle condamne avec virulence. Finalement, elle ne renouvelle plus son abonnement à lopéra, boudant avec obstination son théâtre, celui où elle aura régné pendant trois décennies. Occasionnellement, elle prête encore sa voix à des ensembles choraux, tout en sintéressant de près à la vie musicale et artistique de sa ville dadoption. Dune parfaite élégance, sobre mais originale, aimant les tailleurs bien coupés et surtout, les fourrures, si elle nest guère emblématique de la diva au sens strict, elle caractérise la cantatrice dans toute sa splendeur, femme résolument moderne et dune humilité rare. Sa petite taille et ses grands yeux bleus lui confèrent, même à un âge avancé, une allure de jeune fille et il est vrai, nous rappellent Olympia, celle-là même avec laquelle elle bouclera la boucle de sa carrière lyrique.
Elisabeth Verlooy dans le salon de musique de son appartement dHanovre.
( photo Studio Gerhard Stoletzki, Hannover, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ® ) DRJamais mariée, le seul véritable amour de sa vie sera le chant, le leitmotiv de son existence tout entière. Si sa mère jouera un rôle déterminant dans léclosion de la carrière, il est à parier quelle naurait certainement pas vu dun bon œil larrivée dun fiancé au bras de sa talentueuse fille. Finalement, Elisabeth Verlooy, désirant se rapprocher de sa famille, quitte lappartement quelle occupe au centre dHanovre au printemps 2011et retourne vivre dans un premier temps dans la maison familiale dHeverlee puis sinstalle dans une luxueuse résidence de la capitale belge où elle décède le 22 novembre 2012.
Sa prodigieuse musicalité aura transcendé ses débuts précoces, sa voix hors-pair et son talent inné. Au-delà même du don, il faut saluer son assiduité dans sa volonté de réussir, à une époque particulièrement bousculée et dans un environnement familial placé sous la houlette dune mère pédagogue éclairée mais dominatrice. Une enfance, puis une adolescence placées sous la protection de Sainte Cécile, mais une vie de dur labeur artistique avec son lot de sacrifices. Face à des défis de taille et de légitimes interrogations, lartiste prendra des décisions importantes au croisement de sa vie de femme et dartiste. Elle les prendra seule, optant pour la carrière, tout en les assumant avec sérénité. Dune courtoisie exemplaire, chaleureuse sans excès, le soprano restera, une fois la carrière terminée, une figure artistique importante de la ville dHanovre, une silhouette élégante et racée, que lon salue en lui donnant volontiers du Kammersängerin Verlooy comme on le ferait aujourdhui encore à Vienne … Humble et peu avide de flatteries, cela la fera sourire, mais il est à parier quintérieurement, elle verra ce titre, ainsi que les prix et récompenses qui jalonneront son parcours artistique, comme une récompense digne dune exemplaire carrière et dune vie tout entière consacrée à la musique. Personnalité attachante et artiste émérite hors du commun, la Kammersängerin Verlooy a marqué les esprits de ceux qui lont connue et écoutée : dans leurs cœurs, elle est désormais cruellement irremplaçable.
QUELQUES ENREGISTREMENTS DELISABETH VERLOOY
Les archives radiophoniques regorgent denregistrements (studio et live): souhaitons que ces trésors puissent faire lobjet de rééditions accessibles au grand public. Parmi la discographie officielle du soprano figurent: Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) - Giovanni Castoldi et Clément Jannequin, Archiv Produktion (DG) APM 14042 (1954), Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) - La Messe de Notre Dame de Guillaume de Machaut, Archiv Produktion (DG) APM 14063 (1956), Pro Musica Antica (dir. Safford Cape) John Dunstable et Johannes Okeghem, Archiv Produktion (DG) APM 14069 (1957), Elisabeth Verlooy sings Russian Opera Arias Wiener Symphoniker (dir. Helmut Froschauer), RCA RL30779 (1980), Elisabeth Verlooy sings Catalani, Donizetti, Verdi (avec le puissant Gilbert Dubuc, sous la direction de Piero Bellugi), Pavane ADW 7128 (1983). Toujours avec lensemble de Stafford Cape, elle grave The first book of Ayres (de John Dowland). Elle enregistre également plusieurs cantates de Jean-Philippe Rameau (dont un, publié par DGA, comprenant LImpatience et Orphée, couplé avec des œuvres de Joseph Bodin de Boismortier (Diane et Actéon), DGA-14116 ST 198001) et des airs de son répertoire pour différents labels.
Les archives sonores privées de la Famille Verlooy et du Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles® complètent cette liste. Des extraits (dont certains sont frappés du droit dauteur et ne sont réservés quà lusage privé) sont disponibles sur demande (adresser un courriel à la Rédaction de Musica et Memoria)
Claude-Pascal PERNA
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SABAM, CAE 620435975
avril 2013