Daniel-François-Esprit AUBER
(1782 – 1871)



François-Esprit Auber
Auber, portrait gravé à l'eau forte par C. Deblois, 1867
( coll. DHM ) DR

par François-Joseph Fétis (1860)
in Biographie universelle des musiciens
et bibliographie générale de la musique
2e édition, tome I, 1860

 

AUBER ( DANIEL-FRANÇOIS-ESPRIT), né à Caen, le 29 janvier 17821 dans un voyage que ses parents firent en cette ville, est fils d'un marchand d'estampes de Paris, dont la situation était aisée. Sa famille était originaire de la Normandie. Doué des plus heureuses dispositions pour la musique, Auber étudia d'abord cet art comme un objet d'agrément. Après avoir appris à jouer du piano sous la direction de Ladurner, il fut envoyé à Londres pour y apprendre la profession du commerce ; mais bientôt dégoûté d'un état pour lequel il ne se sentait point né, il revint à Paris. Accueilli dans le monde avec plaisir à cause de son talent et de son esprit, il commença à se faire connaître par de petites compositions telles que des romances : quelques-unes de celles-ci eurent un succès de vogue. Un trio pour piano, violon et violoncelle, qu'il publia vers le même temps à Paris, fit voir qu’il pouvait traiter avec talent la musique instrumentale. D'autres ouvrages plus considérables vinrent bientôt augmenter sa réputation parmi les artistes. Il était lié d'amitié avec le célèbre violoncelliste Lamare. Celui-ci avait un style tout particulier dans sa manière de jouer de la basse, et il désirait le propager par un genre de musique qui lui fût propre ; mais, par une singularité qu'il serait difficile d’expliquer, il n'avait pas une idée mélodique ni un trait dans la tête qu'on pût employer dans un morceau de musique. A sa prière, Auber écrivit tous les concertos de basse qui ont paru sous le nom de ce virtuose, et même quelques autres qui sont restés en manuscrit. Le public croyait que ces concertos étaient de Lamare, mais tous les artistes savaient qu’ils étaient dus au talent d'Auber. Le caractère original de cette musique produisit une assez vive sensation dans le monde, et l’on prévit dès lors que le jeune compositeur à qui on la devait se ferait un jour une brillante réputation. Vers le même temps, Auber écrivit un concerto de violon qui fut exécuté au Conservatoire de musique de Paris par Mazas, et qui obtint un brillant succès.

Le désir de travailler pour le théâtre lui avait déjà fait remettre en musique l'ancien opéra comique intitulé Julie, avec accompagnement de deux violons, deux altos, violoncelle et contrebasse. Cet ouvrage, qui renfermait plusieurs morceaux charmants, fut représenté sur un théâtre d'amateurs à Paris, et reçut beaucoup d'applaudissements. Peu de temps après, Auber écrivit pour le petit théâtre de M. de Caraman, prince de Chimay, un autre opéra avec orchestre complet, dont il a tiré depuis lors plusieurs morceaux pour ses autres ouvrages.

Malgré ces succès, qui jusqu'alors avaient été renfermés dans le cercle d'un certain monde d'artistes et d'amateurs, Auber s'apercevait que ses études musicales avaient été incomplètes, et que le savoir lui manquait dans l'art d'écrire : il voulut achever son éducation sous ce rapport, et se livra à des travaux sérieux sous la direction de Cherubini. Ces études terminées, il écrivit une messe à quatre voix, dont il a tiré la prière de son opéra de la Muette de Portici. En 1813, il fit son début en public par un opéra en un acte qu'il fit représenter au théâtre Feydeau sous le titre du Séjour militaire. Cet ouvrage ne justifia pas les espérances que les premiers essais d'Auber avaient fait naître ; on n'y trouvait rien de la grâce et de l’originalité d'idées qui avaient fait applaudir ses premières productions, et qui plus tard lui ont acquis une si belle et si juste renommée. Un repos de plusieurs années suivit cet échec, et le compositeur semblait avoir renoncé à une carrière où l'attendaient de brillants succès, lorsqu'un dérangement de fortune et la mort du père d'Auber obligèrent celui-ci à chercher des ressources pour son existence dans l'exercice d'un art qui n'avait été pour lui jusqu'alors qu'un délassement. En 1819, il fit représenter à l'Opéra-Comique le Testament et les Billets doux, opéra en un acte. Cet ouvrage fut moins heureux encore que ne l'avait été le premier essai public des talents d'Auber. Déjà l'on accusait de partialité et de jugements de coterie les éloges qui lui avaient été prodigués ; mais bientôt le compositeur se releva par La Bergère châtelaine, opéra en trois actes qui fut joué au même théâtre dans les premiers mois de 1820. Des idées originales, de la mélodie, une instrumentation élégante et des intentions dramatiques distinguent cet ouvrage, qui obtint un succès complet, et qu'on peut considérer comme le premier fondement de la brillante réputation de son auteur. Emma, ou la Promesse imprudente, opéra en trois actes, joué en 1821, continua ce que la Bergère châtelaine avait commencé, et dès lors Auber ne connut plus que des succès.

Ce fut alors qu'il eut le bonheur de se lier d’amitié avec Scribe, et que tous deux unirent leurs esprits si parfaitement analogues, leur manière de sentir, et leur instinct de la scène, dans une multitude d'ouvrages charmants que le succès couronna. Jamais association d'auteurs ne fut plus heureuse. Leicester, la Neige, le Concert à la Cour, Léocadie, le Maçon, Florella, la Fiancée, Fra Diavolo, la Muette de Portici, le Philtre, et vingt autres ouvrages devenus populaires, ont été les fruits de cette association des deux talents les plus fins de la scène française, pendant l'espace de trente ans. Parmi ces ouvrages La Muette de Portici a été considérée comme le chef-d'œuvre du compositeur; la postérité sanctionnera sans doute ce jugement ; car la variété de style, le charme des mélodies et l’expression dramatique qui distinguent cet opéra en font une des plus belles productions musicales de notre époque. Membre de l'Institut de France, dans la section de musique de l'Académie des beaux-arts, et associé de plusieurs autres académies, Auber a été maître de chapelle du roi Louis-Philippe : il occupe aujourd'hui la même position à la cour de I'Empereur des Français. Après la retraite de Cherubini, il lui a succédé comme directeur du Conservatoire de musique de Paris. Commandeur de la légion d'honneur, officier de l'ordre belge de Léopold, et décoré de plusieurs autres ordres, Auber a vu récompenser par tous les honneurs qu'il pouvait désirer, ainsi que par les faveurs de la fortune, les succès obtenus par son talent. La liste des ouvrages dramatiques de ce compositeur se forme de cette manière: 1° Le Séjour militaire, 1 acte (1813). 2° Le Testament et les Billets doux, 1 acte (1819).— 3° La Bergère châtelaine, 3 actes (1820).— 4° Emma, ou la Promesse imprudente, 3 actes (1821).— 5° Leicester, 3 actes (1822).— 6° La Neige, ou le nouvel Eginhard 4 actes (l823), tous à l'Opéra-Comique.— 7° Vendôme en Espagne, en 1 acte, en collaboration avec Hérold, à l'Opéra, à l'occasion du retour du duc d'Angoulême à Paris, après la campagne d'Espagne, en 1823.— 8° Les Trois Genres, 1 acte en collaboration avec Boieldieu, pour l'ouverture du théâtre de l’Odéon (1824). — 9° Le Concert à la cour, 1 acte (l824) à l'Opéra-Comique. — 10° Léocadie, 3 actes (1824), idem.— 11° Le Maçon, 3 actcs (1825), idem. — 12° Le Timide, 1 acte (1826), idem. — 13° Fiorella, 3 actes (1826), idem.— 14° La Muette de Portici, 5 actes (1828), à l'Opéra.— 16° La Fiancée, 3 actes (1829), à l'Opéra-Comique. —18° Fra Diavolo, 3 actes (1830), idem. — 17° Le Dieu et la Bayadère, 2 actes (1830) à l'Opéra.— 18° La Marquise de Brinvilliers, 3 actes (l831), à l’Opéra-Comique, en collaboration avec Batton, Berton, Blangini, Boieldieu, Carafa, Cherubini, Hérold et Paër. — 19° Le Philtre, 2 actes (1831), à l'Opéra.— 20° Le Serment, 3 actes (1832), idem.— 21° Gustave III, 5 actes (1833), idem. — 22° Lestocq, 3 actes (1834), à l’Opéra-Comique.— 23° Le Cheval de bronze, 3 actes (1835), idem, — 24° Actéon, 1 acte (l836), idem.— 25° Les Chaperons blancs, 3 actes(1836), idem. — 26° L'Ambassadrice, 3 actes (1836), idem.— 27° Le Domino noir, 3 actes, (1837) idem — 28° Le Lac des Fées, 5 actes (1839) à l'Opéra. — 29° Zanetta, 3 actes (1840), à l'Opéra-Comique. — 30° Les Diamants de la couronne, 3 actes (1841), idem. — 31° Le Duc d’Olonne, 3 actes ( 1842), idem. — 32° La Part du Diable, 3 actes (1843), idem. — 33° La Sirène, 3 actes (1844), idem. — 34° La Barcarolle, 3 actcs (1845), idem.— 35° Haydée, 3 actes (1847), idem. — 36° L’Enfant prodigue, 5 actes (1850), à l'Opéra. — 37° Zerline, ou la Corbeille d'oranges, 3 actes (1851), idem. — 38° Marco-Spada, 3 actes (1852), à l'Opéra-Comique — 39° Jenny Bell, 3 actes (1855), idem. — 40° Manon Lescaut, 3 actes (1856), idem. Pour l'opéra intitulé La marquise de Brinvilliers, dont la musique était de plusieurs auteurs, Auber a écrit un duo au troisième acte qui est un chef-d'œuvre d'esprit scénique.

François-Joseph Fétis (1784-1871)
Organiste, chef d'orchestre, compositeur,
théoricien, professeur, critique musical



François-Esprit Auber: couplets Quant on est fille, du 2e acte de l'opéra-comique Le Cheval de bronze.François-Esprit Auber: couplets Quant on est fille, du 2e acte de l'opéra-comique Le Cheval de bronze.François-Esprit Auber: couplets Quant on est fille, du 2e acte de l'opéra-comique Le Cheval de bronze.François-Esprit Auber: couplets Quant on est fille, du 2e acte de l'opéra-comique Le Cheval de bronze.

Auber, couplets Quant on est fille, du 2e acte de l'opéra-comique Le Cheval de bronze, paroles de Scribe, créé le 28 mars 1835 à l'Opéra-Comique
(partition pour piano et chant parue aux Éditions E. Troupenas, Paris, coll. Max Méreaux)
Fichier MP3 Numérisation et fichier audio par Max Méreaux (DR.)

 

par Henri Lavoix fils (1891)
in La musique française
(Paris, 1891, librairies-imprimeries réunies
May & Motteroz, directeurs, 7, rue Saint-Benoît)

 

Hérold vivait encore, Halévy était dans tout son éclat, Berlioz et Félicien David créaient un art nouveau. Plus tard brillaient les musiciens jeunes alors et qui ont été la gloire de notre temps, et cependant ce ne fut pas un de ces poètes, de ces novateurs que le public proclama le premier entre tous, ce fut un musicien spirituel et charmant : Daniel-François-Esprit Auber. Auber resta surtout un compositeur fin, subtil, élégant et ne cherchant qu'à plaire ; un homme du monde en musique, mais du meilleur monde. Toute exagération, tout excès, même dans le bien, lui faisait horreur; horrible était pour lui la passion, mais plus horrible encore le rire ; s'il paraissait s'échauffer, c'était pour s'arrêter à temps, et la scène commencée dans les larmes s'achevait toujours dans un sourire. Nous l'avons vu plus haut jongler adroitement avec le poème de la Muette; son répertoire est plein de ces jolis escamotages.

Il ne faut demander à Auber ni le profond sentiment dramatique, ni les poétiques élans, ni les puissants effets, ni la douce sensibilité, ni la tendresse, ni surtout la passion ; de l’esprit dans la mélodie, de l’esprit dans le style général, de l'esprit dans l'harmonie qui est ingénieuse et distinguée, de l'esprit dans l'orchestre, malgré plus de brio que d'éclat, plus de son que de sonorité, de l'esprit dans les rythmes, bien qu'ils soient quelquefois vulgaires, de l'esprit surtout dans la disposition des scènes, de l'esprit toujours et partout, même lorsqu'il faudrait du cœur ; voilà le caractère dominant de son talent.

Si le mot n’était pas si gros, on pourrait dire d'Auber qu'il a eu trois manières dans l'opéra-comique : l'une délicate, et légère, mais sobre, procédant de l'ancienne école française de Monsigny, de Grétry, de Nicolo, de Boieldieu, c'est celle des premieres œuvres : la Bergère châtelaine (1820), Emma (1821), la Neige (1823), le Concert à la Cour (1824), le Maçon (1825), la Fiancée (1829), et plus tard, dans quelques passages, le Domino noir (1837), c'est, selon nous, la meilleure. L'autre, plus large, plus éclatante, d'une conception scénique (je n'ai pas dit dramatique) plus habile et plus forte, c'est celle de Fra Diavolo (1830), de l’Ambassadrice (1836), des Diamants de la Couronne (1841). Je passe sous silence les deux premiers opéras d'Auber, le Séjour militaire et le Billet de logement. Fervent adorateur de Rossini et connaissant bien le chemin du succès, Auber se jeta delibérément dans la musique à la mode et sut, en homme habile, s'inspirer du maître de Pesaro, sans le copier. Fra Diavolo, amusant, varié et éclatant, avec la jolie scène de Pâques fleuries, avec son finale mouvementé et bien scénique, avec le spirituel trio du second acte, peut passer pour le chef-d'œuvre d'Auber ; dans tous les cas, c'est le plus populaire. Le Domino noir procède un peu, comme nous l'avons dit, de la première manière ; mais c'est un prodige d'adresse d'avoir pu coudre ces gentils couplets sur un poème aussi antimusical. L’Ambassadrice (1836), Actéon (1836), les Diamants de la Couronne (1841), sont des partitions écrites pour faire briller des chanteuses ; aussi sont-elles hérissées de traits, de roulades, de vocalises, d'airs à effet. Enfin, dans sa troisième manière, celle d'Haydée (1847), Auber se fit plus dramatique ; il voulut exprimer la passion, et si ses accents ne sont pas bien profonds, du moins sont-ils suffisants pour faire illusion. Il voulut recommencer l'expérience avec Manon Lescaut (1856), mais il fut moins heureux. A la fin de sa carrière, en 1868, Auber, alors âgé de quatre-vingt-six ans, remporta son dernier succès : les dilettantes admirèrent beaucoup et applaudirent avec bruit le Premier jour de bonheur.

Chacune de ces partitions est précédée d'une ouverture généralement gaie, pimpante, s'adaptant bien au caractère de la comédie musicale dont elle est le résumé, et fort propre à être jouée par les musiques militaires ; aussi jouissent-elles d'une grande popularité. Elles rentrent dans le genre appelé pot-pourri, c'est-à-dire qu'elles se composent en général des principales mélodies de l'opéra ; seulement, au lieu de les développer, ainsi que l'ont fait Weber, Hérold dans Zampa, etc., Auber s'est contenté de les juxtaposer à la manière de Rossini. Comme l'auteur du Barbier, il les termine toutes par une strette bruyante et vigoureusement rythmée, ce qui contribue beaucoup à leur donner un air de ressemblance. Nous citerons les ouvertures de la Muette et de Fra Diavolo, selon nous, les meilleures du genre ; celle du Domino noir, celles des Diamants de la Couronne et du Serment, dont le début a comme une vague senteur de poésie rare chez le maître.

Par l'élégance et la finesse, Auber a su plaire aux artistes ; par la facilité, il a su charmer les amateurs ; on peut dire de lui que, de tous les musiciens, c'est celui qui a le mieux fait supporter la musique à ceux qui ne l'aimaient pas ; de là à être le chef de l'école française, comme on l'a écrit maintes fois, il y a loin. Mais s’il n'a pas eu d'élèves, Auber a eu des imitateurs et fort nombreux ; s'ils ne pouvaient lui emprunter ses qualités, il leur était facile de copier ses défauts ; de là ces opéras-comiques froids, conventionnels, d'une couleur criarde, aux rythmes vulgaires, aux mélodies banales, ou faussement élégantes, qui ont été en vogue jusqu'à une époque assez rapprochée de nous.

Henri Lavoix fils (1846-1897)
Administrateur de la Bibliothèque Sainte-Geneviève
Lauréat de l’Institut


 

par Victor Debay et Paul Locard (1914)
extrait de l'article "L’École romantique française"
in Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire
fondé par Albert Lavignac (Paris, Librairie Delagrave, 1931)

 

AUBER naquit à Caen. L'an 1782, le 29 janvier, l'abbé Debordeau, curé de l'église Saint-Julien, baptisa le fils, né la veille, du légitime mariage de Baptiste Auber, officier des chasses du roi, et de Françoise-Adélaide-Esprit Vincent. L'enfant fut nommé Daniel-François-Esprit par Daniel Auber, peintre du roi. Issu d'une famille d'origine normande, c'est cependant par accident qu'il vint au monde à Caen, où ses parents ne faisaient qu'un court séjour. Fixés à Paris depuis deux générations, les Auber avaient transmis à leur héritier le goût le plus vif pour la capitale, et il est remarquable qu'Auber, qui a d'ailleurs fort peu voyagé, ait préféré, en 1871, braver les rigueurs du siège plutôt que de s'éloigner de sa ville de prédilection. C'était le type du parfait Parisien. Le grand-père d'Auber avait été peintre du roi ; son père joignait à cette qualité celles d'officier des chasses royales, de chanteur et de violoniste amateur. Après la Révolution, il se fit marchand d’estampes. Auber avait donc grandi dans une atmosphère d'art, et les dons qu'il tenait de son hérédité ne pouvaient que s'y épanouir. Il manifeste en effet dès ses premières années les dispositions les plus heureuses pour la musique. Le chanteur Martin lui apprit ses notes, et il était à peine sorti de l'enfance qu'il publia plusieurs romances, entre autres le Bonjour, qui eurent un succès inattendu et firent le tour des salons du Directoire. On l'avait surnommé le petit Auber, pour le distinguer de quelques autres musiciens, ses homonymes, et en particulier d'Olivier Auber, violoncelliste réputé à cette époque. Prudents à l'excès, les parents d'Auber craignirent d'être les dupes de ces succès faciles et le destinèrent au commerce. En 1802 on l'envoya en Angleterre afin qu'il se perfectionnât dans l'idiome des affaires, mais il ne s'adonna guère qu'à la musique, et ses compositions ne charmèrent pas moins la haute société londonienne que les dilettantes parisiens. Mais une certaine timidité, dont il ne se défit jamais, ne lui permit pas de recueillir le fruit de ses succès. La rupture du traité d'Amiens le ramena à Paris en 1804, et dès lors il ne fut plus question pour lui de négoce ni d'industrie. Ayant acquis un certain talent de violoniste, il ne tarda pas à jouir de la réputation d'un accompagnateur habile. Une circonstance particulière le fit connaître. Il était lié avec un violoncelliste célèbre nommé Lamare, qui recherchait avant tout l'effet propre à faire valoir sa virtuosité, mais qui était incapable d'écrire la musique qu'il rêvait d'exécuter. Auber publia alors sous le nom de Lamare un certain nombre de concertos pour violoncelle dont on ne tarda pas à savoir qu'il était l'auteur. Peu de temps après, un concerto pour violon de sa composition, joué au Conservatoire par Mazas, acheva de consacrer sa réputation. On trouve dans le livret de 1808 de la société académique des Enfants d'Apollon les deux mentions ci-jointes annexées à la liste de ses membres : « Auber père, amateur de chant et de violon, peintre, reçu en 1804, et Auber fils, compositeur, reçu en 1806. »

Les débuts d'Auber au théâtre furent des plus modestes. Sa première œuvre dramatique, Julie, est un opéra-comique assez menu, destiné à un groupe d'amateurs et où l'accompagnement était confié au seul quintette à cordes. Cette petite pièce reçut un accueil favorable et décida de la vocation d'Auber. Cherubini, qui se trouvait dans l'auditoire, eut la sagacité de discerner, sous l'inexpérience que cet essai révélait, un tempérament de musicien. « Votre fils, dit-il au père d'Auber, ne manque pas d'imagination, mais il lui faudra commencer par oublier tout ce qu'il sait, en admettant qu'il sache quelque chose. » Il offrit en outre au jeune homme de le prendre comme élève à titre privé. Auber n'appartint pas au Conservatoire, dont il devait devenir un jour directeur. Sous la direction de Cherubini, il eut vite fait de s'instruire dans la technique de son art. A cette époque, le prince de Chimay donnait périodiquement des représentations dans son château de Belgique ; Auber fut chargé de les diriger et d'en renouveler le répertoire. Il écrivit vers le même temps, sous l'influence de Cherubini, une messe à quatre voix qui est demeurée manuscrite et dont on ne connaît guère que l’Agnus Dei, devenu la prière du mariage au premier acte de la Muette.

Cependant, las de son rôle et de son titre de musicien amateur, il tentait d'affronter le véritable public. Dès lors l'histoire de la vie d'Auber se confond avec celle de ses ouvrages. Il va, jusqu'à l'âge de 75 ans environ, produire sans relâche, mais sans enthousiasme, à ce qu'il affirme, comme par une sorte d'instinct qu'il lui faut, bon gré, mal gré, satisfaire. Ses premières œuvres, le Séjour militaire (théâtre Feydeau, 1813), le Testament et les Billets doux (1819), ne se différencièrent point des œuvres de jeunesse de la plupart des compositeurs. Ce sont des pages inexpérimentées et un peu gauches, où l’on ne peut guère constater que des intentions et des promesses. Les louanges qu'elles lui valurent étaient fondées sur ce fait qu'il avait témoigné d'une méritoire abstention du bruit et de la recherche, mais ce fut avec une certaine surprise qu'on y remarqua « une sagesse inconcevable pour son âge ». Lavoix fils affirme, dans son Histoire de la musique, que ces partitions sont indignes de lui, et l'on peut lire dans le Feuilleton de l'Assemblée nationale du 5 juin 1835 cette déclaration d'Adam en parlant du Testament : « La partition est gravée, et il est très curieux de la consulter, ne fut-ce que pour se tenir en garde contre les jugements que l'on fait.» En 1820 Auber donna la Bergère Châtelaine, et en 1821 Emma. On remarqua dans la Bergère les mêmes qualités de sobriété que dans les œuvres précédentes, et il est difficile de voir dans cette remarque un vif éloge à l'égard d'un compositeur jeune encore et au début de sa carrière. Dans le Journal des Débats, cependant, Duvicquet2 lui reprocha l'éclat des finales des deux premiers actes, car il n'y voyait autre chose qu'une concession faite à l’italianisme alors très en vogue. Quant à la partition d'Emma, elle semblait accuser un petit progrès sur son aînée. Elle fut pour Castil- Blaze l'occasion de signaler la manière d'Auber comme étant celle de la bonne et grande école de musique, et de vanter l'excellence de son harmonie et la richesse de ses effets d'orchestre.

Le 25 janvier 1823 commença avec Leicester la longue série des ouvrages composés par Auber sur des livrets de Scribe. Le 8 octobre de la même année lui succéda la Neige, dont le livret avait été refusé par Boieldieu, sous le prétexte que Martin, son interprète préféré, n'y avait pas de rôle. Le reproche qu'Adam faisait à Auber de manquer d'idées se retrouve dans un article des Débats rédigé au lendemain de la représentation de la Neige (1822) : «  Le désir d'imitation se reproduit si souvent dans le cours de l'ouvrage, que M. Auber semble avouer son impuissance à créer, à être lui-même, et se faire l'écolier d'un maître dont il approcherait davantage en essayant de se faire son rival. » Le maître n'était autre que Rossini. Cet ouvrage, qui ne réussit guère, fut repris à l'Opéra-Comique en août 1840 pour permettre à une jeune cantatrice d'aborder le public avec succès. Auber, qui s'y entendait, avait en effet découvert une jeune Anglaise de grande beauté, Anna Thillon, laquelle tenait par sa méthode à la fois de Mme Cinti-Damoreau et de Mme Eugénie Garcia. Il intercala dans le dernier acte un air nouvellement composé en son honneur; mais ce fut la dernière fois que la Neige fut représentée en public. Il n'est d'aucun intérêt, sinon d'un intérêt de curiosité pure, de s'arrêter sur Un Concert à la Cour (1824), fâcheux produit d'une invraisemblable collaboration où figuraient les noms de Mozart, Méhul, Weber, et ceux de Donizetti, Boieldieu, Rossini et autres. Ce petit acte bâtard fut cependant repris en 1842, et il donna satisfaction à l'ironie vengeresse de plus d'un musicien, car l'un des personnages, Astuccio, incarnation de l'hypocrisie et de la perfidie, avait été, à ce que rapportent MM. Soubies et Malherbe, dessiné d'après nature et représentait le compositeur Paër. Cette petite vengeance était d'autant plus excusable, il faut le reconnaître, qu'elle s'appliquait à un homme qui avait la réputation de ne pas épargner ses confrères. Au Concert à la Cour succéda, la même année, Léocadie, tirée d'une nouvelle de Cervantès.

Le Maçon (3 mars 1825) fut le premier vrai succès d'Auber, et, en dépit de quelques critiques sévères, affirma sa gloire naissante. Dans cette œuvre il se débarrassait de l'influence rossinienne qu'il avait cru devoir subir pour attirer sur lui l'attention du public, tout à la dévotion du mæstro italien. La mélodie en était fraîche, joyeuse et facile, sans vains ornements susceptibles d'en alourdir l'aimable inspiration. L'interprétation en avait été confiée à Ponchard, Lafeuillade, Vizantini, Mme Rigaud et Boulanger. L'année 1826 vit éclore le Timide (30 juin) et Fiorella (28 novembre), qui semblent limiter la période des débuts d'Auber. L'ère des grands ouvrages, de ceux du moins qui ont consacré sa réputation, commence. Le 29 février 1828, la Muette de Portici parut et triompha sur la scène de l'Opéra. Nous parlerons de cette œuvre dans le chapitre consacré au grand opéra. Elle valut à son auteur d'être nommé par l'Académie des Beaux-Arts pour remplacer Gossec.

Le 28 janvier 1830, Fra Diavolo déchaîna l'enthousiasme de l'auditoire et la fureur de la critique, pour ne pas manquer à la tradition. La représentation de cet opéra-comique eut lieu un an avant celle de Zampa, avec lequel elle n'était pas sans avoir des analogies, au moins en ce qui concerne le livret, et quoiqu'il ne présentât en rien les qualités romantiques et byroniennes de la partition d'Hérold, il ne fut pas sans recevoir un accueil bienveillant. Le livret lui-même, sorti de la plume de Scribe, avait, grâce à la célèbre habileté de son auteur, contribué au succès, et cela en introduisant une légère nouveauté scénique : le déshabillé de l'héroïne. Théophile Gautier salua dans ce moyen une trouvaille remarquable, et beaucoup pensèrent comme lui. Fra Diavolo est une œuvre inégale où l’on trouve à la fois des pages charmantes et des passages médiocres. L'entrée de milady, le quintette et le duo du 1er acte, le trio du 2e, « Allons, Milord, allons dormir, » comptent parmi les meilleures choses de la partition. Un critique allemand on ne peut plus bienveillant, M. Hanslick3, prétendait que « l'excellent livret de Scribe, ou le romantisme de la vie des brigands se mêle au plus fin comique, a trouvé dans la musique d'Auber la plus heureuse illustration », Le 13 octobre 1830 Auber donna à l’Opéra le Dieu et la Bayadère, qui, comme la Muette, avait un personnage mimé dont la Taglioni fut l'interprète. Le 20 juin 1831 fut chanté à l'Opéra le Philtre, qui inspira à Donizetti une parodie, l'Elixir d'Amour. Après la première représentation du Serment (1er octobre 1832), la presse sonna le glas de la musique d'Auber, qui ne ressuscitait pas moins quelques mois après avec Gustave III ou le Bal masqué, dont les principaux rôles avaient été confiés à Nourrit, Levasseur et à la Falcon. En 1834 venait Lestocq, et en 1835, le Cheval de Bronze. Ecrit sur un livret de Scribe et donné à l'Opéra, le Cheval de Bronze souleva des critiques très diverses. Toutefois l'opinion dominante fut défavorable à Auber. On lui reprochait et sa musique et l'idée d'avoir choisi un livret aussi dénué d'intérêt que l'était ce conte chinois arrangé pour la scène. Scudo formula avec une grande vivacité ses griefs contre la pièce ; il lui déplaisait de voir l'Opéra envahi par le vaudeville, alors que les chefs-d'œuvre de Gluck en étaient écartés. « Trente théâtres, disait-il, ne suffisent pas à rassasier le public de gaudrioles, il faut que l'Opéra se mette aussi de la partie... J'avoue que puisqu'il existe un théâtre exclusivement consacré à ce genre trop national, je ne vois pas la nécessité de faire de l'Opéra une succursale de l'Opéra-Comique. » Une autre critique adressée par Scudo à l'auteur, c'était que la moitié, et la plus belle moitié de la partition revenait à Rossini. Le Cheval de Bronze fut, en 1857, transformé en grand ballet. L'année 1836 fut très productive et vit paraître Actéon, les Chaperons blancs et l’Ambassadrice, œuvre légère pleine de motifs frais et gracieux, à propos de laquelle on pouvait dire en parlant d'Auber : « C'est toujours son faire tourmenté, ses petites pensées harmoniques assez élégantes dans les parties intermédiaires. Mais rien de largement musical. C'est un compositeur luttant avec son poète et qui est souvent vaincu. »

Les compositeurs dramatiques en 1844. De gauche à droite, assis : Fromental Halévy, Giacomo Meyerbeer, Gaspare Spontini, Gioachino Rossini. - Debout : Hector Berlioz, Gaetano Donizetti, Georges Onslow, François Auber, Félix Mendelssohn, Henri Berton.
(gravure in Revue et Gazette musicale, 7 juillet 1844) DR.
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En décembre 1837 fut créé le Domino noir par Mmes Damoreau, Boulanger, Julie Berthaud et par Couderc. Cet opéra-comique est non seulement le plus remarquable qui soit dans l'œuvre d'Auber, c'est de plus le type de l'opéra-comique tel qu'il l'imposa pour longtemps et le rendit populaire. Au lendemain de la première, Berlioz écrivait : « On a trouvé la musique de M. Auber, comme toujours, vive, légère et piquante. Quelques personnes d'un goût sévère lui reprochent, il est vrai, ses formes un peu étroites, ses mélodies courtes, sa tendance vaudevillesque. » Quoi qu'il en soit, le Domino noir obtint le succès le plus vif. Une verve pleine de vie animait les idées légères de la musique ; des rythmes caractéristiques, pimpants et faciles, donnaient du mouvement à la partition. M. Camille Bellaigue fait remarquer combien la mesure vive à trois temps est fréquente dans ces pages et quelle allure preste elle lui donne. « Quelle folle aventure que celle de ces deux novices! Comme Auber a sauvé de la vulgarité cette aventure de carnaval, ce bal masqué, ce souper de garçons, et ce tableau finement satirique d'un couvent de religieuses! Il s'est gardé, comme il le fallait dans une œuvre aussi mince, de la lourdeur et de la caricature... Son tact exquis l'a préservé aussi d'un sentimentalisme fade... Cette justesse du sentiment et du ton donne au Domino noir un charme particulier. Il faut y ajouter l'attrait d'une facture musicale toujours ingénieuse, toujours coquette, d'un orchestre varié4. » Aussi M. Bellaigue ajoute-t-il avec raison qu'Auber usait vis-a-vis de lui-même d'une sévérité exagérée, quand, se comparant à Hérold, il prétendait n'avoir que la quantité, tandis que l'auteur de Zampa possédait la qualité. L'ouvrage qui suivit le Domino noir, le Lac des Fées, 1835, lui est très inférieur. Il en est de même de Zanetta (1840), qui ne demeura pas longtemps sur l'affiche. Un grand succès, au contraire, accueillit les Diamants de la Couronne (1841). Dans l'année même de leur apparition ils furent en effet donnés 81 fois en dix mois. Cependant les avis sur cette œuvre, comme sur les précédentes, furent loin de concorder, et, si quelques jugements prirent en cette occasion une forme plus vive, c'est qu'il y avait, pour parler de cette partition, non pas seulement un intérêt musical, mais un intérêt fondé sur des intrigues de coulisses. Auber l'avait écrite, en effet, pour Mme Cinti-Damoreau, qui avait conquis les faveurs du public tant à l'Opéra qu'à l'Opéra-Comique ; mais au dernier moment il confia le rôle à Mme Anna Thillon, qui jouissait d'un grand succès de beauté, et cela malgré les protestations et la défense qu'opposa la grande cantatrice. Au point de vue musical seul Berlioz formula de sévères critiques. L'année 1842, où parut le Duc d'Olonne, vit appeler Auber à succéder à Cherubini comme directeur du Conservatoire. La Part du Diable fut encore un succès. Mais la Sirène (1844) et la Barcarolle ou l'Amour de la musique (1845) révélèrent que l'inspiration faiblissait. Théophile Gautier ne se fit pas faute de porter sur le livret et sur la musique un jugement dépourvu d'aménité : « Sans nouveauté de conception, sans profondeur de pensée, sana sévérité de style, sans force comique, sans traits et sans mots, M. Scribe parvient à faire les ouvrages les plus agréables de tous ceux dont se compose la fourniture des théâtres. » Voici pour le livret. Quant à la partition : « M. Auber ne se souvient pas, et il est le seul, de tous les airs charmants qu'il a faits, et quelquefois ils lui reviennent involontairement sous la plume... Il est singulier que le compositeur qui a fait tant de charmantes barcarolles dans des pièces où elles n'étaient qu'accessoires, ait manqué celle-ci qui donne le titre à l'ouvrage et qui en était en quelque sorte la pensée musicale. »

Mais, juste au moment opportun, pour tromper une lassitude qui commençait à se manifester, Haydée (1847) vint révéler un effort inconnu chez son auteur. — La couleur locale n'y existe en aucune façon, bien que le pays où se déroule l'action, Venise, offre une abondante matière à exploiter à ce point de vue. En revanche, les personnages sont un peu mieux traités. Ce n'est pas que « l'infernal Malipiéri » soit beaucoup plus qu'un traître de mélodrame. Toute la partie guerrière de l'ouvrage est vulgaire et ridicule, mais le rôle de Lorédan n'est pas sans noblesse. On peut citer parmi les passages écrits dans un bon style et dans une note chaleureuse l'air : « Ah! que Venise est belle! » le nocturne: « C'est la file au Lido,» le début du 1er acte, où Raphaela s'entend murmurer par Lorédan une très jolie phrase de tendresse, et d'autres encore qu'on n'était pas habitué à voir figurer dans les œuvres du maître. Il faut distinguer encore l'Enfant prodigue (1850) et Marco Spada, (1852), qui méritèrent les éloges de Berlioz. De la première partition il déclarait qu'elle était « complètement pure de ces beautés terribles qu'accompagne l'ennui ». De la seconde il écrivait : « L'indomptable jeunesse de M. Auber s'est encore donné carrière dans cette nouvelle partition. Il y a partout de la verve, une fraîcheur d'idées incroyable, une originalité presque téméraire parfois, un coloris instrumental, qui n'ont jamais brillé d'un plus vif éclat dans les précédents ouvrages de l'auteur. » Citons seulement Zerline, qui en 1851 parut entre les deux œuvres dont nous venons de parler. N'insistons pas davantage sur Manon Lescaut (1854), Jenny Bell (1856), Magenta (1859), pour signaler la Circassienne (1861), écrite par Auber à l'âge de 80 ans et qui connut une certaine faveur grâce a un 1er acte, d'une composition habile et gracieuse. « Le petit finale, lisons-nous dans Scudo, est un chef-d'œuvre de gaieté musicale. Les exclamations de l'eunuque lancées dans le vide par sa voix glapissante (celle de Montaubry) forment un trait d'union des plus heureux entre les différentes parties du tissu harmonique qui se renoue plusieurs fois d'une manière habile. Ce finale et tout le 1er acte, dont il résume la situation, me paraissent à la hauteur de ce que M. Auber a écrit de plus heureux. » Il écrivit encore la Fiancée du roi de Garbe (1864), le Premier Jour de bonheur (1868) et Rêve d'amour (1869). Auber mourut à Paris le 12 mai 1871, pendant la Commune. Le spectacle des événements dont la capitale, qu'il n'avait pas voulu quitter, était le triste théâtre, et les privations hâtèrent la fin de ce musicien, qui, pendant les derniers jours de sa vie, composa plusieurs quatuors à cordes demeurés inédits. A son déclin, il revivait sans doute, comme le font tous les vieillards, les heures de sa jeunesse où il avait un culte d'admiration pour les œuvres d'Haydn, dont il relisait sans cesse la musique de chambre. Les anecdotes qu'on raconte à propos de ce compositeur sont trop nombreuses pour qu'elles trouvent ici leur place. Rappelons seulement que cet homme heureux et très spirituel était un timide qui n'a jamais assisté à la représentation de ses œuvres. Il surveillait les répétitions et ne revenait au théâtre que pour la préparation d'un nouvel ouvrage. Travailleur acharné, il n'avait pas besoin de plus de trois ou quatre heures de sommeil. Grand amateur de mouvement, il parcourait le bois de Boulogne à cheval ou en voiture, et, au retour, il écrivait sur des cahiers ce qui lui avait chanté dans l'imagination pendant la promenade, et c'était dans ces cahiers qu'il allait puiser les motifs de ses œuvres. Il prétendait que la composition était pour lui un ennui. Il disait: « On trouve ma musique gaie. J'ignore comment cela se fait et peut se faire. Il n'y a pas de motif, parmi ceux qu'on a la bonté de trouver bien, qui n'ait été écrit entre deux bâillements. » N'accordons à cette boutade que le crédit qu'elle mérite. Auber semble n'avoir visé qu'à la facilité, et ce devait lui être un plaisir de s'abandonner à la joie de créer sans effort des partitions spirituelles, amusantes et légères. On peut lui refuser l'émotion, la profondeur et la poésie, mais il faut reconnaître en lui la grâce, une grâce bien française, même plutôt parisienne, a dit M. de Solenière.

Cette facilité n'était pas dépourvue de science. «  Auber fait de la petite musique, disait Rossini, mais il la fait en grand musicien. » Il le prouva non seulement en maints passages de ses partitions où la mélodie aisée parvenait a déguiser le savoir du compositeur, mais en plusieurs autres occasions, notamment dans une séance à la Société des Concerts, qui fit entendre en 1850, sur un thème et fugue de Haendel, des variations pour orchestre écrites de sa main, et dont le public admira la délicatesse et le goût sans qu'on lui en eût fait connaître l'auteur. Les qualités prédominantes d'Auber étaient l'esprit et la clarté. Ses motifs étaient comme la source limpide de tant d'airs que la foule pouvait retenir sans difficulté. C'est en eux qu'il faut, selon Blaze de Bury, chercher le secret du génie d'Auber : « Toute idée est motif, et les artifices de l'instrumentation, dont il dispose avec tant de finesse et d'esprit, ne lui servent guère qu'après coup et lorsqu'il sent le besoin de donner à ses idées cette filiation naturelle qui leur manque. Les grandes lignes font défaut, mais les détails curieux abondent, et vous avez devant vous une jolie mosaïque faite avec toutes sortes de petits morceaux d'or et de fragments de pierres précieuses. »

Dans le discours que Jules Simon a prononcé au Conservatoire quelque temps après la mort du maître, se trouve très judicieusement résumée l'opinion de ses contemporains sur ce musicien, dont notre génération ignore l'œuvre, qu'on ne chante plus guère qu'en Allemagne : « Le nom d'Auber, disait-il, est facilité. Tout lui a réussi dans l'art et dans la vie. Les moins musiciens le comprenaient et l'aimaient à première vue, et l'on sentait que ses airs lui venaient tout seuls et ne lui coûtaient aucun effort. Il y a plus de travail dans la plus courte scène des Huguenots que dans toute la Muette, qui, pourtant, est un chef-d'œuvre. Oui, cet homme a plus produit que personne, et il est certain qu'il n'a jamais travaillé... La facilité le perdit parfois et le sauva toujours. Par l'abondance, par l'intarissable épanchement de sa mélodie, il fut en effet une exception magnifique. A 86 ans il composait un opéra-comique, le Premier Jour de bonheur. Ce titre seul à son âge ne fait-il pas sourire ? »

Victor Debay (1862- 1924)
homme de lettres, musicologue

Paul Locard (1871-1952)
musicologue, critique musical

saisie et numérisation : Max Méreaux

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1) Cette date m'a été donnée en 1810 par le père du célèbre compositeur, à l’époque de mes premières recherches pour la Biographie universelle des musiciens. Tous les recueils biographiques donnent celle du 29 janvier 1781. [ Retour ]

2) Duvicquet (Pierre), critique français, né à Clamecy en 1766, mort à Paris en 1835. Entra au barreau en 1790. Fut envoyé à Grenoble comme accusateur public et siégea en 1798 au Conseil des Cinq-Cents comme représentant du département de la Nièvre. Après le 18 brumaire, il occupa le poste d’avocat au tribunal de cassation et quitta le bu.reau pour enseigner au lycée Napoléon. A la mort du critique Geoffroy (1814), il fut appelé à le remplacer au Journal des Débats, où il défendit la tradition classique. Ses articles n'ont pas été réunis. [ Retour ]

3) Hanslick (Edouard), l’un des plus célèbres critiques musicaux de notre époque. Né à Prague le 11 septembre 1825. Reçu docteur en droit en 1849, il entra au service de l'Etat, tout en s'occupant de jouralisme. Il fut d'abord, jusqu'en 1879, critique musical de la Wiener Zeitung, où ses articles firent sensation. Son Traité d'Esthétique musicale, publié en 1854, a eu un grand retentissement et a suscité des discussions passionnées. Chargé en 1855 de la rédaction de la partie musicale de la Presse, il fut nommé en 1866 privat-docent d'esthétique et d'histoire de la musique à l'Université de Vienne. Il quitta en 1864 la Presse pour devenir critique musical à la Neue freie Presse. Il a publié de nombreux articles détachés sur la musique, les musiciens et l’esthétique musicale. [ Retour ]

4) Un Siècle de musique française.Retour ]

 


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