Louis AUBERT

La forêt bleue

Louis AUBERT
Louis Aubert
( photo X..., Le Guide du concert, 9 mars 1956 )

 

Mince, le profil aigu, vif et léger, homme de toutes les virtuosités au piano, des déchiffrages les plus périlleux, toujours prêt à d’abondantes dissertations sur la musique, orchestrateur hors pair, Louis Aubert est né près de Saint-Malo, à Paramé le 19 février 1877, la même année que Paul Ladmirault. Un Breton donc mais qui lui n’a rien retenu de sa région d’origine si ce n'est la forêt de Brocéliande habitée par les fées et les ogres !

Tout jeune enfant, il se fait connaître par ses aptitudes musicales. Il possède une adorable voix qui le fait engager comme soprano solo à l’église de la Madeleine ainsi qu’à celle de la Trinité. Pour lui permettre de remplir son double office, la riche paroisse de la Madeleine a d’ailleurs prévu dans son budget la voiture qui est mise à la disposition du jeune homme tous les dimanches matin, pour se rendre d’une église à l’autre et dans laquelle il déjeune !

C’est d’ailleurs à la Madeleine que Louis Aubert est amené à créer en 1888 le Pie Jesu du Requiem de Fauré. Pourvu d’une étendue vocale assez rare chez un enfant, il affronte sans peine les tessitures les plus tendues et atteint aisément le contre-ut de l’Inflammatus dans le Stabat Mater de Rossini. Edouard Colonne lui confie la partie de soprano solo dans la Messe de Weber lors de sa première audition au Châtelet puis à Notre Dame.

Au conservatoire, Aubert étudie le piano avec Diémer, l’harmonie avec Lavignac et la composition avec Fauré. Il écrit à 15 ans sa première mélodie, Sous bois. Le 17 novembre 1901, les concerts Colonne donnent la première audition de sa Fantaisie pour piano et orchestre. Louis Diémer interprète en personne la partie de piano. Pianiste de grand talent lui-même, Louis Aubert est choisi par Ravel pour créer Les valses nobles et sentimentales et Les chansons madécasses. Ayant adopté le pays basque comme seconde patrie, Aubert fait d’ailleurs preuve d’indéniables affinités artistiques avec Ravel, alors même qu’une prédilection plus marquée pour les effets de fondu et de flou impressionnistes trahissent sa fascination pour Debussy. Son art, comme celui de Ravel, est à la fois populaire et raffiné, enjoué et passionné.

Il collabore comme critique musical à différents journaux (Chantecler, Paris-Soir, Opéra…) En 1956, il est élu membre de l’Institut. Il succède à Florent Schmitt en 1958 à la présidence de la Société Nationale de Musique.

Officier de l'ordre des Arts et des Lettres, ce grand artiste meurt à Paris en 1968 dans une indifférence presque totale.

De la nombreuse production de Louis Aubert, nous ne citerons que les Six poèmes arabes (1917) pour voix et orchestre, le ballet La nuit ensorcelée, prestigieuse orchestration de la musique de Chopin, et surtout son chef d’œuvre symphonique La habanera (1919) dont les concerts du monde entier ont popularisé le thème.

Un tempérament aristocratique porté vers un extrême raffinement harmonique perce au travers de son premier chef d’œuvre, La forêt bleue, dont le début de la composition date de 1904. Transposant à la scène la féerie des légendes enfantines de Perrault, ce conte lyrique est créé à Boston en décembre 1911 sous la direction d'André Caplet. Le succès est immédiat : douze rappels le soir de la première ! Ce spectacle sera d’ailleurs repris sur la même scène en mars 1913. Il est toutefois juste de mentionner une première lecture publique à Genève quelques mois avant les représentations américaines. Il faut pourtant patienter jusqu’au 9 juin 1924 pour que petit Poucet et Chaperon rouge posent le pied sur le plateau de l’Opéra-Comique. Une reprise a lieu sur cette même scène en 1935. La radiodiffusion française en offre plusieurs versions à ses auditeurs entre 1945 et 1967. En 1960, une série de représentations en est donnée au théâtre Graslin en coproduction avec l'opéra de Lille avec, entre autres, Jane Berbié et Irma Kolassi.

L'admiration du compositeur pour Debussy et Ravel est particulièrement manifeste dans cet ouvrage. Comment en effet ne pas penser à Pelléas et Mélisande qu’Aubert avait vraisemblablement entendu lors de sa création en 1902 ? Plus étonnant est la similitude avec Ma mère l’Oye que Ravel n’écrira pourtant que vers la fin de l’année 1911, année pendant laquelle Aubert met la touche finale à la composition de La forêt bleue… Même inspiration des contes de Perrault, même bruissement d’où émerge le monde merveilleux des fées, même atmosphère étrange et féerique, mêmes personnages (Belle au bois dormant, Prince charmant, Petit Poucet, fées…)

Il suffit d'écouter les quatre premières notes de la partition, le thème primesautier du petit Poucet, la fraîcheur ingénue du thème de Chaperon rouge pour entendre toute la féerie de cette musique. Louis Aubert se met avec la plus discrète émotion à hauteur de poitrine de ses petits héros. Il écoute battre leur cœur minuscule, il croit en eux, il les aime. Son art délicat peint leurs gestes menus, leur rire léger, leur terreur fugace, leurs larmes vite séchées, leur éternelle chanson. Pour eux, il fait briller une goutte de rosée, battre l'aile d'un papillon, broder la robe d'une fée, vocaliser un rossignol, tinter un angélus, scintiller une étoile, bourdonner un rouet, hurler un grand méchant loup, rythmer un refrain bachique d'un ogre grand croqueur de marmaille…

Une œuvre à découvrir d'urgence pour garder un cœur d'enfant.

Patrick Marie Aubert

 


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