Georges Auric, 1940
( © BnF/Gallica )GEORGES AURIC (1899-1983)
Qu’évoque aujourd’hui le nom de Georges Auric : le compositeur de la valse du film Moulin-Rouge, fredonnée dans le monde entier ? le directeur de l’Opéra de Paris ? le défenseur des droits des " auteurs de musique " en tant que Président de la S.A.C.E.M ?
Eté 74 : accompagné de son épouse Nora, je le revois à La Rochelle, penchant sa haute silhouette pour me dire sa confiance envers les jeunes créateurs de musique contemporaine que réunissait le festival des Rencontres Internationales. Et aussi avec quel bonheur il continuait à consacrer toute son énergie à la composition. Je le retrouverai pour quelques heures en 1977 à Toulouse où il présidait le jury du 23ème Concours International de Chant.
Ce dernier survivant du Groupe des Six, dont il avait été le " meneur ", était resté le jeune homme enthousiaste qui voulait " faire du neuf " et offrir aux autres " une musique de tous les jours ". Dans le Paris des Années Folles, n’avait-il pas collaboré aux manifestations les plus marquantes de son temps avant d’écrire de somptueuses musiques de scène pour des pièces de Shakespeare ou Jules Romains, et se lancer avec grand talent dans la production de musiques de films sous l’impulsion de Jean Cocteau, l’inspirateur des Six ?
Né à Lodève en 1899, après des études musicales aux Conservatoires de Montpellier et de Paris, Georges Auric parachève sa formation à la Schola Cantorum, devenant l’élève privilégié de Vincent d’Indy. A 20 ans, premier rayon de gloire : il est membre fondateur du Groupe des Six. A la fois pudique et impertinente, la musique d’Auric incarne parfaitement l’esprit du Groupe qui prône l’abandon du romantisme, la réhabilitation de l’harmonie diatonique, la simplicité chassée par Wagner…
Séduit par la vitalité et la magie de la danse, il donnera quatre œuvres aux Ballets Russes de Diaghilev, dont Les Fâcheux, comédie-ballet d’après Molière que préface Cocteau. A 29 ans, il voit son ballet Les Enchantements de la Fée Alcine entrer à l’Opéra de Paris qu’il sera appelé à administrer de 1962 à 1968.
Cocteau va signer l’argument de la musique de son ballet Phèdre d’après Euripide, créé au Palais Garnier le 14 juin 1950. Eclatant succès pour cette partition à la forte trame dramatique dont le néo-classicisme s’allie à merveille au style du chorégraphe Serge Lifar.
Dans sa vaste production de musique pour le cinéma, c’est le film de Cocteau Le Sang du Poète qui recevra sa première partition1. Du même auteur, Le Testament d’Orphée lui vaut le Prix de la Musique du Festival de Punta del Este (1950).
En 1963, au cimetière de Milly-la-Forêt, Georges Auric, son épouse Nora à ses côtés, sera au pied de la sépulture fleurie de roses rouges et de blanches orchidées de Jean Cocteau, l’ami de jeunesse impliqué si fortement dans sa propre aventure artistique qui allait s’achever à Paris, le 23 juillet 1983.
... de l’Ecole d’Arcueil à En Calcat
MAXIME JACOB devenu DOM CLEMENT JACOB (1906-1977)
Prenant aussitôt le relais du " Groupe des Six ", il y aura leurs épigones, regroupés sous le vocable de l’Ecole d’Arcueil – lieu de résidence d’Eric Satie, qui allait être amené à constater très lucidement la " mort naturelle " du mouvement dont il avait été l’inspirateur.
Les objectifs de ces jeunes compositeurs sont semblables : devenir les chantres d’un art musical français actualisé. Henri Sauguet et Maxime Jacob en seront les animateurs, œuvrant plutôt dans la retenue et la modération.
Au catalogue tout neuf de ses créations musicales, Maxime Jacob inscrit des pièces courtes dont Six Poèmes et Cartes Postales d’après des textes de Cocteau. 2
Revoici donc l’écrivain dans cette nouvelle aventure. Le philosophe Jacques Maritain3 va entraîner Cocteau vers une spectaculaire conversion comme il le fera pour Maxime Jacob. En effet, c’est sous l’influence de Maritain, lui-même protestant converti, que l’israélite Maxime Jacob se débarrassera de son étiquette d’artiste mondain, choyé du Tout-Paris, pour devenir Dom Clément Jacob, organiste et compositeur, attaché à l’Abbaye bénédictine d’En Calcat.4
Compte-rendu concert du dimanche 16 décembre 1973 en l'église Notre-Dame de la Dalbade à Toulouse, au cours duquel fut créée la cantate "La Voix" de Dom Clément Jacob par la Chorale de l'Université et l'Ensemble Instrumental de Louis Massot
( La Dépêche du Midi, édition de Toulouse, 19 décembre 1973, document aimablement communiqué par l'auteur France Ferran )
Dom Clément Jacob au piano et à l'orgue de l'abbaye d'En Calcat
( © abbaye En Calcat )
Carte autographe de Dom Clément Jacob adressée le 2 janvier 1974 à France Ferran, la remerciant de son article sur la cantate "La Voix" [paru dans La Dépêche du Midi du 19 décembre 1973]
( coll. France Ferran )En dehors de ses œuvres pour l’orgue, Dom Clément Jacob se révèle un mélodiste prolixe. Conduit de part son appartenance à un ordre à suivre les consignes du Concile Vatican II, il prend une part active au nouveau répertoire liturgique francophone.
La cantate La Voix, constitue une illustration de ses efforts pour la reconversion du latin au français dans la liturgie. Au mois de décembre 1973, préparant la création de sa cantate à Toulouse en l’église Notre-Dame de la Dalbade, Dom Clément Jacob me confiait ses espoirs d’une reprise parisienne au printemps suivant, ce qui, à ma connaissance, ne devait pas se produire.
Un moment servies par le talent de son amie, la pianiste Marie-Louise Clouzot-Pissaro, ses compositions, réparties sur une trentaine d’années, demeurent à ce jour presque totalement inexploitées. Par contre, bon nombre de communautés religieuses francophones rythment leurs offices au chant de ses antiennes et de ses hymnes.
Il est plaisant de noter que Cocteau – décidément le pivot de ces Années Folles, se soit trouvé pris dans une cascade de conversions : ses amis Jacob et Maritain lui ayant montré la voie. Sa très longue correspondance avec Maritain fait la preuve que, sous des dehors frivoles, le poète savait se mettre en question et ne considérait pas l’écriture comme un vain dérivatif mondain.
Peut-on rappeler qu’au même moment, une autre grande figure artistique contemporaine se sera trouvée en relation avec le poète, comme du reste avec Maxime Jacob ? Il s’agit de Guy de Chaunac-Lanzac, devenu Dom Robert qui s’affirmera comme le maître du renouveau dans l’art de la tapisserie. Et l’on retrouvera Dom Robert à En Calcat où il avait suivi son ami le musicien Jacob.
Fascinante constatation que de voir ces créateurs, alors de jeunes hommes, bien que profondément imprégnés du climat d’une époque dite légère, se mettre en quête de valeurs spirituelles plus enrichissantes. Ce que le meilleur de leurs œuvres, à y regarder de près, sait nous dire implicitement.
France FERRAN
____________1) On doit à Georges Auric bien d'autres musiques de films, notamment L'éternel Retour et La Belle et la Bête, réalisés par Cocteau et Delannoy, et pour Cocteau seul Le Sang d'un Poète et L'Aigle à Deux Têtes. Il a également mis en musique sur des textes de Cocteau Huit Poèmes et Les Mariés de la Tour Eiffel, unique œuvre collective du Groupe des Six. [ Retour ]
2) Il est à souligner que Jean Cocteau tenta l'impossible pour faire libérer le cousin du musicien, le poète Max Jacob - alors que l'on fustigea l'attitude de Cocteau pendant l'Occupation allemande parce qu'il avait bien accueilli les œuvres d'un sculpteur allemand ! De confession juive, bien que converti très tôt au catholicisme, Max Jacob fut arrêté et mourut au camp de Drancy (1944). [ Retour ]
3) Jacques Maritain (1882-1973) est considéré comme un penseur universel. Ce grand spécialiste de la Somme de Saint-Thomas d'Aquin, animateur du courant de pensée " néo-thomiste ", finit ses jours au sein de la Fraternité des Petits Frères de Jésus à Ramonville-Saint-Agne, tout près de Toulouse où l'église des Jacobins a l'honneur de conserver les reliques du " Docteur angélique " Thomas. [ Retour ]
4) L'Abbaye Saint-Benoît d'En Calcat - hameau de Dourgne dans le Tarn : une communauté de moines s'y établit dès 1889. Au retour de l'exil en Espagne (1902-1919), la construction des bâtiments conventuels fut menée à son terme. L'église abbatiale de vastes dimensions sera inaugurée en 1935. [ Retour ]
A propos d'œuvres religieuses ou profanes de Dom Clément Jacob : trois articles de périodiques
« Dom Clément Jacob, musicien religieux.
Quand Maxime Jacob quitta le monde un poète écrivit qu'il mettait un point final à son oeuvre musicale.
Il croyait peut-être, comme beaucoup d'autres, qu'en entrant en religion on perd cette liberté sans-laquelle un artiste ne peut créer.
Bientôt pourtant Maxime Jacob, maintenant dom Clément, moine bénédictin à l'abbaye d'En-Calcat, écrivait une musique d'accompagnement pour un film tiré du « Grand Meaulnes » où l'on retrouvait immédiatement cette atmosphère unique du romain d'Alain Fournier, ce charme fait de mystère et de clarté comme des yeux d'enfants grand ouverts. La mélodie claire et abondante et cette manière de rendre exquises les choses les plus, communes : une légère inflexion, une harmonie soudaine glissée juste à point comme la petite touche de couleur exactement placée, accompagnent la belle histoire comme l'amitié discrète de François Seurel.
Au bout de quelques années de vie monastique, le jeune musicien n'a donc oublié aucun de ses secrets, auxquels d'ailleurs l'ambiance grégorienne n'a pas été nuisible : il emprunte des thèmes aux chants liturgiques et surtout il revient souvent aux vieux modes grégoriens, avec une aisance qui révèle combien il en est imprégné. D'ailleurs n'y retrouve-t-il pas, comme un écho, des leçons de son ancien maître Erik Satie, qui en avait lui-même subi profondément le charme ?
Les mélodies très pures de deux poèmes de Charles d'Orléans (Priez pour la paix et Complainte de France) qu'il écrivit ensuite, ainsi que Six Promenades ou poèmes de M. l'abbé Georges Duret, se développent et s'épanouissent sous cette même influence. La vive sensibilité de ses œuvres de jeunesse alors dissimulée sous la gaieté, est maintenant doucement contenue et ordonnée dans la paix.
Rien n'y faisait prévoir la suite de neuf psaumes en latin : Petites Heures, dont plusieurs furent chantés l'hiver dernier en première audition à la Sérénade, au milieu d'oeuvres de Milhaud, Auric et Poulenc. Un mot de Boris de Schlœzer nous fera comprendre l'émotion du public qui n'était pourtant pas préparé à l'audition d'une œuvre de ce genre. « On a eu l'impression d'entendre une chose vraie ». Dom Clément Jacob, en effet, n'avait cherché qu'à traduire simplement en musique les psaumes graduels si familiers aux moines, mais dont il était peut-être mieux à même que tout autre de comprendre le sens originel. Le déchirement de l'attente et l'espérance pleine de confiance, cette âpreté des terres orientales à côté de la vision paisible, sont évoqués avec une force, une souplesse et une variété de ressources presque infinies. Il trouve même dans le psaume Nisi quia Dominus... des effets d'une puissance qui n'était annoncée dans son œuvre passée que par l'Allégro de sa sonate pour piano. Partout se révèle la volonté d'être objectif, de disparaître pour faire chanter le texte seul : bienfaisante Humilité qui le garde de toute influence autre que celle de la psalmodie dont les formes reparaissent ici et là. Mais ce qu'il a traduit à son insu, c'est la résonance dans son âme que des années de louange divine quotidienne ont donné à chaque mot, avec son poids de vie et de grâce. Cela lui a suggéré des expressions si humaines que Gabriel Marcel pourrait se dire en les entendant : « Toi, tu seras mon ami », comme il l'a écrit depuis. Voilà d'où viennent cet accent de vérité dont on a parlé, son caractère profondément chrétien et même son caractère hébraïque. C'est ainsi qu'en lui se rejoignent d'une manière sensible l'Ancien et le Nouveau Testament.
Depuis un an, dom Clément Jacob a beaucoup écrit. Nous ne parlerons que des œuvres qui seront exécutées à Paris cet hiver en première audition ; mais surtout de Quatre poèmes, de Lope de Véga, Retour à Dieu, A Jésus, Berceuse, La Vierge à l'Enfant Jésus. Les poèmes eux-mêmes invitent à la contemplation. Les mélodies paraissent comme retenues ici par la crainte d'être indignes de Dieu, là, par un tendre respect pour l'Enfant Jésus, et se font simples, douces, jusqu'à vouloir n'être qu'un souffle. Mais elles parlent à l'âme en secret. Leur vertu est intérieure. Si ces mélodies sont religieuses, ce n’est pas l'effet d'un style convenu. Dom Clément Jacob reste lui-même. Il y garde une liberté qui va parfois jusqu'à la fantaisie, par exemple, dans l'accompagnement de La Vierge à l'Enfant Jésus qui est fait d'une pluie de notes piquées douces et lumineuses comme des étoiles filantes. Cette trouvaille est peut-être due à cette légèreté qu'on retrouve chez les vieux musiciens français : Couperin, Rameau, Daquin, etc... et même chez nos artistes du Moyen-Age, qui, les uns comme les autres n’ont jamais l’air d'être tout à fait sérieux. Jusque dans le psaume Nisi quia Dominus... qui est plein d'une âpre grandeur, on trouve tout à coup au verset : Anima nosta sicut passer erepta est de laqueo venantium, une vocalise qui fuse comme le chant d'un petit oiseau avec une fantaisie d'autant plus savoureuse qu'elle est inattendue. Au fond, cette liberté par laquelle il ressemble à nos vieux maîtres français est peut-être un trait commun à la plupart des musiciens catholiques.
En face de l'imperturbable dignité des génies protestants, nous avons la spontanéité de Vittoria, de Haydn, de Mozart. Avec Dieu, ils se sentent enfants ; ils se conduisent envers lui avec confiance et naturel. Et cette disposition produit suivant les tempéraments de chacun, en même temps que la gravité exceptionnelle de César Franck et de Palestrina, ce qu'on peut appeler sans irrévérence la légèreté des autres. Il semble qu'on trouverait aisément jusque dans les mélodies grégoriennes les signes de cette même liberté. Faudrait-il chasser le naturel pour exprimer le surnaturel ? Le secret de l'art vraiment religieux se résume ainsi : Ama et fac quod vis.
On entendra aussi Rêves, suite de cinq pièces pour piano à quatre mains. On dirait les bruits du monde parvenant jusqu'au moine, mais filtrés et purifiés par le mur de clôture : une chanson de route, les sonneries d'une chasse... C'est ainsi qu'ils font leur partie dans la louange divine des monastères.
On voit que la vie monastique, loin d'étouffer les dons de dom Clément Jacob et de rendre stérile son expérience passée, les a enrichis et renouvelés. La gaieté de ses œuvres de jeunesse aurait pu, avec le temps, tourner à la frivolité. Mais une vie nouvelle, en favorisant le regard intérieur, a permis à dom Clément Jacob de trouver au fond de lui-même les résonances d'une joie beaucoup plus profonde et sonore, dans les demeures les plus intimes du château de l'âme.
Claude Veyrier-Montagnères in L'Art sacré, 1937, p. 167 sq.
« Oeuvres de Dom Clément Jacob.
Le festival des œuvres de Dom Clément Jacob avait attiré la foule des grands soirs. Est-ce curiosité ? Les anciens amis de Maxime Jacob voulaient-ils se rendre compte si le père Clément Jacob avait tenu les promesses du jeune compositeur ? Maxime Jacob faisait partie de la petite phalange d'élèves d'Erik Satie, connue sous le nom d’« Ecole d'Arcueil » et qui comptait, outre Maxime Jacob, Sauguet, Desormière et Cliquet-Pleyel ; génération qui suivait celle des « Six » et que Satie, toujours désireux d'être avec les plus jeunes, avait pris sous son égide. Maxime Jacob, comme Sauguet, écrivait alors de la musique claire, dépouillée (mot de l'époque).
Avouons que sa conversion, sa grande solitude ont développé en lui des qualités plus profondes : sa dernière Symphonie pour cordes dédiée à la mémoire de ses parents déportés est grande et émouvante. Elle fut conduite avec ferveur par le copain de jadis, Désormière.
La Sonate de piano (1941), plus linéaire, fort bien construite, fut remarquablement mise en valeur par l'animatrice de la soirée, Marie-Rose Clouzot qui accompagna aussi Marg. Piffeau dans de très belles mélodies. J'ai goûté particulièrement l'âpre grandeur de celles écrites sur des poèmes d'Aragon dont : Il n'y a pas d'amour heureux. Le poème est si beau qu'il entraîne la musique dans son sillage lumineux. Mme Piffeau est l'interprète rêvée des poètes, sa diction est savoureuse. Monique Haas et André Lévy ciselèrent, comme ils savent le faire une sonate piano-cello. Le Marc-Hadour, merveilleusement accompagné par sa femme, nous réchauffa de sa belle voix de baryton et Gisèle Peyron étonna par son timbre un peu trop angélique. Artistes choisis qui donnèrent toute sa signification à la très vivante musique de Dom Clément Jacob. »
Hélène Jourdan-Morhange in Ce soir, 29 avril 1948, p. 4.
« Vendredi 4 mai 1951- Samedi 5 mai 1951
CHERBOURG BASILIQUE DE LA SAINTE-TRINITÉ
Les Compagnons du Parvis
JEANNE D'ARC
poème dramatique de CHARLES PÉGUY avec récitations chorales et interludes
partition musicale de DOM CLÉMENT JACOB
L'oeuvre était présentée par M. l'abbé Cabrol. Point de décor, cela va de soi, mais un fond pourpre avec un vitrail imaginé par un artiste local, M. Le Moult.
Tout le monde connaît la Jeanne d'Arc de Péguy, non l'accompagnement musical de Dom Clément Jacob. Nous empruntons à un journal local, la Presse Cherbourgeoise, le compte rendu qu'il en donne. « Cette partition fait alterner les clartés pastorales, l'immense tendresse terrienne, avec les chauds et stridents appels d'alarme de l'instinct patriotique en pleine révélation, l'apaisante mélopée mystique aux accents éclatants et le cliquetis des chevauchées animées par le « chef de guerre » que le pays s'est donné.
« L'art du musicien vêt d'un manteau médiéval évocateur le vivant poème de Jeanne d'Arc. Il emprunte parfois au folklore, voire à la chanson (En passant par la Lorraine). Et lorsque Jeanne est trahie et condamnée par des juges iniques, il exprime les tourments de l'héroïne, son consentement, indiqué par un thème grave et berceur que domine l'âme du violon. Quand l'abandonnée « morte vivante dans l'éternité » subit l'assaut de l'injustice et de la haine, l'orchestre se déchaîne furieusement. Alors c'est le terrible et rauque Dies irae, auquel succède la plainte dolente des violons préludant au final grandiose où l'on sent la prière ouvrir ses larges ailes. Amis » était jouée par Mademoiselle Paulette Roux. Le groupe local des Amis de la Musique, sous la direction de Madame Leconte, assumait la partie musicale.
Un cher ami cherbourgeois, compagnon de Joseph Lotte, nous écrit : « Ce n'est tout de même pas sans émotion que je voyais cette foule remplissant notre vieille basilique où s'inscrit au transept le vœu des habitants de Cherbourg pour leur délivrance des Anglais, le 15 août 1450. Je pensais aussi au vieux Lotte, au cher Riby, aux fidèles des Cahiers. »
(Feuillets mensuel ; L'Amitié Charles Péguy, n° 22, juillet 1951, p. 29).
Documentation recueillie par Olivier Geoffroy
(septembre 2020)
(journal Ce soir, 27 avril 1951) DR.
Les compositeurs du « Groupe des Six » dans leurs relations avec l'orgue
Le Groupe des Six se composait de Georges Auric (1899-1983), Louis Durey (1888-1979), Arthur Honegger (1892-1955), Darius Milhaud (1892-1974), Francis Poulenc (1899-1963) et Germaine Tailleferre (1892-1983). Bien qu'aucun ne fut organiste de formation, plusieurs de ces musiciens ont tissé des liens avec l'instrument à tuyaux et ont enrichi son répertoire, souvent de façon heureuse.
Arthur Honegger : Ce compositeur de nationalité suisse a été au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris l'élève de Charles-Marie Widor (1844-1937), organiste de Saint-Sulpice. En 1917, Arthur Honegger a composé deux pièces pour orgue : Fugue et Choral.
Voici ce qu'en dit François Sabatier (« Histoire de l'orgue en France au XXè siècle, première partie (1900-1925) » in L'Orgue, n° 301, 2013-I, p. 150) : « Ces deux pièces reflètent [...] ses meilleures aspirations : archétypes sérieux de la musique d'orgue, contrepoint aisé mais teinté de douloureux chromatismes, tradition germanique mais traitement du choral « à la française », souple et chantant. Ecrites à Carantec (Bretagne) où il séjournait avec Andrée Varabourg, ces deux pièces séparées […] ne recherchent néanmoins aucun effet de couleur ou de force et se limitent à des demi-teintes auxquelles les fonds neutres répondent. »
L'orgue a aussi fait partie de l'effectif instrumental et vocal nécessaire à l'exécution de sa Cantate de Noël, pour baryton solo, voix d'enfants, chœur mixte et orchestre de 1953.
Darius Milhaud : Egalement élève de la classe de composition de Charles-Marie Widor, organiste de Saint-Sulpice, au Conservatoire de Paris, Darius Milhaud appréciait beaucoup l'orgue. Il a donc laissé plusieurs oeuvres pour cet instrument : une Sonate (op. 112, trois mouvements : Etude, Rêverie, Final) écrite en 1931 et créée par André Fleury, une Pastorale (op. 229) composée en 1941 : « Cette oeuvre écrite aux Etats-Unis (Mills College) sonne dans une atmosphère de paix et de bonheur tout à fait contraire à la situation que le compositeur devait alors affronter comme exilé. » ( François Sabatier : « Histoire de l'orgue en France au XXè siècle, deuxième partie (1926-1970) » in L'Orgue, n° 307-308, 2014-III-IV, p. 250).
Un recueil de Neuf préludes (op. 231b) a été écrit en 1942 : « Edités par Heugel en 1946 et créés par Marie-Louise Girod deux ans plus tard, ils exploitent certaines pièces instrumentales composées pour L'Annonce faite à Marie de Paul Claudel d'où leur tournure parfois modale et l'aspect « médiéval » de certaines inventions […]. (François Sabatier : « Histoire de l'orgue en France au XXè siècle, deuxième partie (1926-1970) » in L'Orgue, n° 307-308, 2014-III-IV, p. 254).
Enfin, une Petite suite (op. 348, trois mouvements : Entrée, Prière, Cortège) a été spécifiquement élaborée pour le mariage de son fils Daniel en 1955. Dans le domaine de la musique vocale, l'orgue fut souvent sollicité en tant que partie d'accompagnement, notamment pour plusieurs cantates (Cantate pour louer le Seigneur, 1928, Cantate de l'initiation, 1960, Cantate de Job, 1965) ainsi que pour divers chants juifs, ses Prières (1942) ou le Service pour la veille du sabbat de 1955.
Francis Poulenc : Même s'il lui arrivait fréquemment de monter à la tribune de différentes églises parisiennes afin d'entendre les meilleurs organistes de son temps (Louis Vierne, Joseph Bonnet, Marcel Dupré, Charles Tournemire, Maurice Duruflé...), cet excellent pianiste et compositeur n'a pas laissé d'oeuvre pour orgue seul, en dépit de velléités rapportées par plusieurs témoins. En revanche, le Concerto en sol mineur pour orgue, cordes et timbales de 1938 accorde une grande place à cet instrument. Sa création a eu lieu le 21 juin 1939 à la salle Gaveau de Paris. Une première audition en avait été donnée le 16 décembre 1938 dans le salon de la princesse de Polignac qui possédait un orgue Cavaillé-Coll et qui avait passé commande de l'oeuvre à Poulenc quelques années auparavant.
« Comme souvent chez Poulenc, la construction se fait par plages successives (cf. Concerto champêtre avec clavecin) et les développements par des changements de couleurs et des modulations plus que par un travail thématique très poussé. Il s'agit sans nul doute d'un des meilleurs concertos pour orgue composés en France durant l'Entre-deux-guerres. » (François Sabatier : « Histoire de l'orgue en France au XXè siècle, deuxième partie (1926-1970) » in L'Orgue, n° 307-308, 2014-III-IV, p. 239).
Précédemment, l'orgue avait également été utilisé en accompagnement dans les célèbres Litanies à la Vierge noire de Rocamadour, pour chœur de femmes de 1936. Pour la registration de la partie d'orgue de ces deux pièces, c'est à Nadia Boulanger et Maurice Duruflé que Poulenc avait fait appel : « […] Je compte absolument sur vous pour mettre au point la partie d'orgue très simple d'ailleurs. Je me tâte pour savoir si j'indiquerai une registration ou si je la laisserai au goût de l'instrumentiste, le priant par une petite notice de s'inspirer de mes indications précises : « un peu vert », « nasillard » etc. » (Lettre de Francis Poulenc à Nadia Boulanger (septembre 1936 ?) citée dans : Carl B. Schmidt, The music of Francis Poulenc, a catalog, Oxford University Press, 1995, repr. 2002, p. 257).
Germaine Tailleferre : Au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, la seule femme du Groupe des Six a reçu l'enseignement d'Henri Dallier (1849-1934), organiste de Saint-Eustache puis de La Madeleine et compositeur de belles pages pour différentes formations instrumentales dont beaucoup sont encore inédites (parmi ses pièces pour orgue publiées, on retient généralement ses Cinq Invocations - gravées par Lemoine en 1926 – comme étant les plus représentatives de son style et aussi les plus réussies). Germaine Tailleferre a d'ailleurs dédicacé à son maître une de ses premières compositions, sa Berceuse pour violon et piano (1913). Elle laisse un Prélude et Fugue, pour orgue, avec trompette et trombone ad lib. (1939) ainsi qu'un Nocturne pour orgue (1977).
A la lecture des titres des pièces citées, on peut constater un goût pour les formes classiques (choral, fugue, sonate, nocturne, prélude, pastorale) au moins dans l'appellation, mais les traitements structurels, thématiques, harmoniques n'en sont évidemment pas académiques. Les oeuvres pour orgue des compositeurs du Groupe des Six sont assez rarement jouées, mais écrites avec soin et bien adaptées aux contraintes de l'instrument, elles mériteraient une redécouverte et une diffusion plus large.
Olivier Geoffroy
NDLR : Louis Durey, quant à lui, n'a pas fait intervenir l'orgue dans ses compositions, bien qu'à la Schola Cantorum de Paris, il avait travaillé l'harmonie auprès de Léon Saint-Réquier (1872-1964), fondateur de la Société Palestrina (1913), successeur de Charles Bordes à la tête des Chanteurs de Saint-Gervais (1902), maître de chapelle de Saint-Charles-de-Monçeau et organiste de choeur de Saint-Gervais.