Le 20 décembre 1791, le Directoire du Département de la Seine prenait un arrêté portant reconnaissance et mettant au rang des dettes de l’Etat une rente de 1008 livres constituée par les religieuses de l’abbaye de Panthémont, au profit du sieur Claude Balbastre, organiste, dont les arrérages avaient été payés, jusqu’au 1er janvier 1790, par les religieuses, et, jusqu’au 1er janvier 1791 par la Municipalité1.
L’abbaye de Panthémont, située 106 rue de Grenelle dans le septième arrondissement parisien, était à cette époque occupée par des religieuses Bernardines du Verbe Incarné, installées dans ce lieu depuis 1671. C’était une maison d’éducation de très grande renommée pour les jeunes filles nobles. Julie de Rohan et Catherine de Béthizy-Mézières en furent abbesses au XVIIIème siècle. La chapelle, construite au milieu de ce siècle par l’architecte du duc d’Orléans, Contant d’Ivry, sera affectée plus tard au culte protestant (église réformée) qui en prendra possession en 1846.
En 1765, Nicolas Somer construisait un orgue neuf avec reprise de l’ancien devenu hors d’usage2. Quelque quatre-vingt ans plus tard (1846), il était remplacé par un instrument neuf de 21 jeux répartis sur 2 claviers et un pédalier dû à Aristide Cavaillé-Coll. Bien qu’ayant subi quelques transformations au fil des années, c’est ce même instrument que l’on peut entendre de nos jours.
C’est au début des années 1760 que Balbastre devint titulaire de l’orgue de l’abbaye de Panthémont, succédant là à François-Henri Leboeuf3. Il touchera cet instrument jusqu'à la fermeture des bâtiments en 1791, Sœur Marguerite-Félicienne de Virieu étant alors la supérieure. Quelque huit années plus tard, il décédera pauvre et oublié de tous, après avoir été un célèbre improvisateur qui attirait les foules à Notre-Dame, au point d’être par deux fois interdit par l’archevêque de Paris, en raison des désordres causés dans l’église par une foule déchaînée !
Issu d’une famille de taillandiers dijonnais, Claude Balbastre est né dans cette ville le 8 décembre 1724. Le lendemain il était tenu sur les fonds baptismaux de l’église de Saint-Michel par Mgr Claude Fyot, correcteur en la Chambre des comptes à Dijon et par Mlle Pierrette Tortochaut, épouse de Pierre Ploffoin, conseiller et notaire du Roy. L'un de ses frères aînés, prénommé également Claude, né le 5 juin 1713, deviendra plus tard organiste de Saint-Jean-de-Losne (Côte-d’Or), greffier de la Châtellenie royale de Brazey et du bailliage du Marquisat de Laperrière, ainsi que greffier de la mairie de Saint-Jean-de-Losne. Il avait été quelque temps élève d’orgue et de clavecin de Claude Rameau, en même temps que son fils Jean-François Rameau immortalisé par Diderot dans Le Neveu de Rameau. Le 23 janvier 1727 à Notre-Dame de Dijon Claude Balbastre aîné était parrain d'un autre de ses frères Claude-Bénigne, né la veille. Ce dernier est d'ailleurs souvent confondu avec l'organiste de Notre-Dame de Paris. L'acte de sépulture de Claude (le cadet), le 21 floréal an VII (10 mai 1799) à St-Roch, mentionne bien son âge exact : 75 ans ; ce qui le fait bien naître non pas en 1727, mais bien en 1724 ! De récentes recherches entreprises par Eric Kocevar confirment ce fait.
Bénigne Balbastre (1670-1737), le père, était le premier membre de la famille à abandonner la taillanderie, pour s’adonner à la musique. Il fut très certainement influencé en ce sens par son oncle, le facteur d’orgue et organiste Claude Grantin4. Organiste de St-Etienne et de St-Médard, à Dijon, il se maria deux fois : tout d’abord le 7 janvier 1691 à Dijon (St-Philibert) avec Barbe Delapierre, la fille d’un maître chirurgien, puis une fois devenu veuf le 24 février 1712, avec la fille d’un marchand d’Argilly (Côte d’Or), Marie Millot le 22 septembre 1712 (Dijon, St-Philibert). De ses deux mariages Bénigne Balbastre eut 18 enfants, tous nés à Dijon entre 1693 et 1730. Les noms des parrains et marraines nous montrent que la famille Balbastre était alors bien introduite dans la bourgeoisie et la petite noblesse. C’est ainsi que Messire Philippe de La Mare, Conseiller au Parlement de Bourgogne est parrain de Thérèse5 ; Jeanne-Bernarde Lavocat, fille du sieur Pierre, Officier de Milice bourgeoise, est marraine de Jeanne-Bernarde6 ; Pierre Millot, "étant actuellement au service de sa Majesté", est parrain de Etienne-Pierre7... Mais également le père Balbastre avait de nombreuses relations dans le monde artistique : Simon Leblanc, maître à danser, est parrain de son fils Claude8, François Devaux, facteur d’orgue, est parrain de sa fille Marie-Anne9 et Elisabeth Somer, fille de Charles Somer10, facteur d’instruments, est marraine d’un autre de ses fils, Edmé11.
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Chanson de Marie Antoinette, par Myron Jacobson. ("La mélodie est censée avoir été transmise au compositeur par le Prince Felix Youssoupoff")
Fichier audio par Max Méreaux, avec transcription pour clarinette de la partie chant (DR.) Partition complète au format PDF.
(© 1927 Carl Fischer Inc., New York) DR. Coll. Hélène Poisson Dallaire.
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Claude reçut ses premières leçons de musique de la part de son père, mais celui-ci mourut hélas alors que notre jeune musicien venait tout juste d’avoir ses 13 ans. Il lui succédera quelque temps à l’orgue de l’église St-Etienne. Il devint alors l’élève, tout comme l’avait été auparavant son frère aîné Claude, de Claude Rameau, puis s’installa à Paris, en octobre 1750. Là il termina sa formation musicale auprès de Jean-Philippe Rameau, le célèbre frère aîné de Claude12 qui lui confia même quelques transcriptions pour clavecin, comme notamment l’ouverture de Pygmalion et Les Indes galantes. Le 21 mars 1755, devenu le premier organiste titulaire du Concert Spirituel des Tuileries13, il exécutait un Concerto en ré qui sera d’ailleurs suivi plus tard par treize autres compositions du même genre. Dès lors, une brillante carrière parisienne s’ouvrit à lui :
Le 26 mars 1756 il succède à Jean Landrin à St-Roch. Cet ancien organiste de la collégiale Ste-Opportune cumulait alors les tribunes avec St-Louis des Invalides et la Chapelle royale et avait même travaillé quelque temps à Ste-Madeleine de la Ville-l’Evêque, St-Thomas du Louvre et les Jacobins de la rue St-Honoré !
Le 1er octobre 1760, c’est à Notre-Dame qu’il est nommé, à la suite du décès de René Drouard de Bousset. Là, il se partage les claviers avec Armand-Louis Couperin, Louis-Claude Daquin et Charles-Alexandre Jolage14.
A la même époque, Balbastre occupe également le poste d’organiste de l’abbaye de Panthémont, comme nous l’avons vu au début de cet exposé.
En 1766, il devient l’organiste de Monsieur, frère du roi, futur Louis XVIII, puis maître de clavecin de la reine Marie-Antoinette et du duc de Chartres et enfin, à partir de 1776, organiste du comte de Provence. Il enseigne également le clavecin chez les Bernardines de Panthémont et chez celles de l’abbaye Notre-Dame-aux Bois15.
La Révolution lui fit perdre tous ses postes et il termina sa vie dans la gêne et la pauvreté, devant se résoudre, afin de trouver quelques subsides, à jouer des œuvres de circonstance telles ces variations sur le Chant de guerre pour l’armée du Rhin. Le 9 mai 1799, Claude Balbastre mourrait en son domicile, 181 rue d’Argenteuil, âgé de 75 ans. Les obsèques étaient célébrées le lendemain à St-Roch, sa paroisse. Il laissait une veuve, Marie-Antoinette Boileau, de laquelle il avait eu deux enfants : Anne-Louise, née en 1773 et Antoine, né l’année suivante. C’est à St-Germain-l’Auxerrois, le 17 novembre 1767, qu’il avait épousé la fille de Jacques Boileau, peintre du duc d’Orléans et directeur de l’Académie de Saint Luc.
En premières noces, le 2 janvier 1763, il s’était marié avec Marie-Geneviève Hotteterre16, tout juste âgée de 20 ans, fille de Jacques, hautbois de la Grande Ecurie, et d’Elisabeth Charpentier. Malheureusement, dix mois plus tard, la jeune épousée décédait. Le 1er novembre, à 6 heures du soir son convoi funèbre se déroulait à St-Roch.
En juin 1770, le compositeur et musicographe anglais Charles Burney, lors de ses voyages en Europe, rencontra Balbastre chez lui, en son domicile de la rue d’Argenteuil. Il put alors constater que notre musicien possédait un magnifique clavecin Rückers qu’il avait fait orner notamment d’un portrait de son maître, Jean-Philippe Rameau, ainsi qu’un orgue à pédales " trop grand et trop lourd pour une chambre, et les touches sont aussi bruyantes que celles de St Roch. "17.
Sa réputation était considérable. Ses célèbres Noëls en variations qu’il avait composés pour St-Roch et qu’il exécutait chaque année à la Messe de Minuit, lui valut les foudres de l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont du Repaire, qui lui interdisait en 1762 de toucher l’orgue " à cause de la multitude qui venoit pour entendre l’organiste, et qui ne conservoit pas le respect dû à la sainteté du lieu18. " Non moins grande était sa renommée au clavecin et au piano-forte. C’est ainsi qu’en novembre 1774 Madame du Deffand19 écrivait à Voltaire : " Tout Chanteloup soupera chez moi à Noël... Je me suis assurée de Balbastre qui jouera sur son forte-piano, une longue suite de Noëls. "20
L’œuvre de Claude Balbastre s’adresse principalement aux instruments de salon que sont le clavecin et le piano-forte. Il a écrit notamment un Premier Livre, édité à Paris en 1759, et un Recueil de Noëls formant quatre suites avec des variations destiné au piano-forte et dédié à Madame la duchesse de Choiseul (1770), ainsi que la Marche des Marseillais et l’air " Ca ira " (1793) arrangés pour le piano-forte, et Quatre sonates en quatuor pour le clavecin ou le forte-piano avec accompagnement de deux violons, une basse et deux cors ad libitum (vers 1780). On lui doit également des romances et des concerto pour orgue. Son style habile fit de lui un compositeur recherché et un interprète hors pair. De nos jours la musique de Balbastre est peu jouée et même tombée dans l’oubli. Seuls les Noëls, parmi lesquels on relève les thèmes tels que : A la venue de Noël, Joseph est bien marié, Où s’en vont ces gays bergers, Tous les bourgeois de Châtres, Joseph revenant un jour..., et qui font preuve d’originalité, sont encore joués actuellement, même si, comme le souligne si justement Brigitte François-Sappey21, la saveur des Noëls de Dandrieu, Daquin et Corrette ne s’y retrouve pas toujours !