La fonction sacrée de l'orgue
au travers des discours de bénédiction


 

 

Toute personne qui a assisté à la bénédiction d'un orgue a pu entendre la litanie suivante :

 

Éveille-toi, orgue, instrument sacré,

entonne la louange de Dieu

notre créateur et notre Père.

 

Orgue, instrument sacré,

célèbre Jésus notre Seigneur,

mort et ressuscité pour nous.

 

Orgue, instrument sacré,

chante l'Esprit Saint qui anime nos vies

du souffle de Dieu.

 

Orgue, instrument sacré,

élève nos chants et nos supplications

vers Marie la mère de Jésus.

 

Orgue, instrument sacré,

fais entrer l'assemblée des fidèles

dans l'action de grâce du Christ.

 

Orgue, instrument sacré,

apporte le réconfort de la foi

à ceux qui sont dans la peine.

 

Orgue, instrument sacré,

soutiens la prière des Chrétiens,

 

Orgue, instrument sacré,

proclame gloire au Père, et au fils, et au Saint Esprit !

 

Entre chaque invocation, l'organiste chargé d'inaugurer l'instrument exécute une courte pièce ou une improvisation en rapport avec le texte qui vient d'être lu par le prêtre ou l'évêque qui bénit l'instrument, dans une sorte de dialogue entre l'homme et l'instrument.

 

Ce que peu de personnes savent, c'est que cette litanie n'a en réalité que quelques décennies d'existence. Elle fut pour ainsi dire inventée par le père Claude Duchesneau (1936-2003) pour le Livre des bénédictions de l'Eglise catholique. Il s'était, pour cela, inspiré de traditions diverses et les avait adaptées dans un langage accessible à tous les fidèles. Le Centre National de Pastorale Liturgique en avait transmis le texte à la Congrégation des rites et c'est ainsi que cette litanie écrite par un prêtre français a pris place dans un livre rituel à portée universelle.

 

Cela ne signifie pas qu'avant le Concile Vatican II, les orgues ne recevaient pas de bénédiction, bien au contraire, mais la forme en était différente. Aussi, examinons, au travers d'extraits d'articles de périodiques diocésains anciens relatant les bénédictions d'orgues, quel sens nos aïeux donnaient à la fonction liturgique et sacrée de l'instrument à tuyaux :

 

     « Inauguration et bénédiction des orgues à l’église Notre-Dame de Melun. - Après l'évangile, le R. P. Blot, des Frères prêcheurs, paraît dans la chaire. La musique, son origine, ses avantages, le but qu'elle doit se proposer, tel est le thème du savant religieux. […] L'homme sentit bientôt que sa voix était insuffisante. Il s'adresse à la matière et lui demande de lui venir en aide et de chanter avec lui. De là les divers instruments. Mais l'orgue les résume tous. 11 exprime et la voix des flots, et le bruit du tonnerre et la brise dans le feuillage, et l'ouragan dans la montagne, et la voix de l'homme dans la douleur, et la voix de l'enfant dans la joie. L'orgue prend l'âme et le coeur et pousse vers le Ciel de sublimes accents de foi, d'espérance et d'amour. »

(La Semaine religieuse du diocèse de Meaux, 3 octobre 1885, p. 480-481)

 

     « Bénédiction de l'orgue de Saint-Joseph d'Albi. - […] Parmi les harmonies qui montent du temps à l'éternité, celles de l'orgue occupent la première place parce qu'elles remuent l'âme le plus profondément. L'orgue n'est pas seulement une harmonie, c'est l'harmonie organisée, toutes les voix de la nature retentissent dans sa voix : la voix des cieux, la voix de la terre, la voix de la tempête, des vents et des flots. Quand l'orgue chante, c'est la Création tout entière qui chante. »

(La Semaine religieuse du diocèse d'Albi, 6 novembre 1885, p. 775-776)

 

     « Bénédiction des orgues de la paroisse de Saint-Georges. - […] Le R. P. Plantier, S. J., dans un langage élégant et élevé, a prononcé une allocution à la fois pleine de cœur et d'à-propos. Après avoir tout d'abord adressé des remerciements bien mérités au clergé paroissial, aux artistes et à l'excellent facteur d'orgues, il a rappelé l'origine, les développements et l'histoire de l'orgue, indiquant en passant sa part dans la vie du chrétien, il a montré que cet instrument sacré ne doit cependant être que l'écho et l'accompagnement des sentiments de l'âme. Et, en terminant, il ? souhaité à ses auditeurs cette harmonie et cet accord parfait plus nécessaires encore à la beauté de l'âme qu'à celle de l'orgue. »

(La Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 30 novembre 1894, p. 125-126)

 

     « La bénédiction de l'orgue du Petit Séminaire de Castres. - […]  Omnis spiritus laudet Dominum, que tout ce qui respire loue le Seigneur. Ces paroles, qui terminent l'énumération où le roi David fait appel à tous les instruments de musique, semblent à l'orateur un pressentiment de l'orgue qui les résume tous. Elles expriment son symbolisme religieux, car l'orgue est bien l'interprète de tout ce qui respire, écho de la nature, écho de l'âme humaine l'écho de la religion. […] De ces aperçus pleins d'élévation et marqués au coin de l'originalité, dont nous ne pouvons donner qu'une esquisse, l'orateur a su déduire de hautes leçons de morale à l'adresse de son jeune et intéressant auditoire. L'orgue, a-t-il dit, me semble enseigner les trois vertus principales de l'écolier et du séminariste : l'obéissance, vertu pratiquée de la nature entière, par la manière facile et prompte avec laquelle il obéit au doigt de l'artiste; le travail, vertu plus relevée qui suppose l'intervention d'une intelligence, par le concours actif de tous ses éléments, anches, languettes, tuyaux, et l'ordre admirable dans lequel ils sont disposés; la piété surtout, vertu chrétienne par excellence, par sa situation et sa destination: toujours en la présence de Dieu, il n'existe, ne parle, n'agit que pour lui. »

(La Semaine religieuse du diocèse d'Albi, 17 octobre 1896, p. 661-663)

 

     « Visite de Son Eminence à l'institution des Jeunes Aveugles. - […] Puis passant à la bénédiction des orgues, Son Eminence a exposé l'utilité du travail de la musique dans une institution d'aveugles : « Les orgues a-t-elle dit, doivent remplir ici un double but, servir au culte et préparer l'avenir de ces chères enfants. La divine Providence transformant souvent des aveugles en excellents organistes. Nous sommes heureux, quand Nous en rencontrons, de les placer dans les paroisses ou communautés de notre diocèse. »

(La Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 2 septembre 1897, p. 691-692)

 

     « Bénédiction des orgues de Saint-André. - Une foule énorme se pressait, le mercredi 22 décembre dernier, dans l'église Saint-André : c'était l'inauguration solennelle des grandes orgues. Son Éminence Mgr Langénieux, rentrée depuis peu de jours de son voyage à Rome, avait tenu à venir bénir elle-même ce magnifique instrument sorti des ateliers de M. Merklin. […]  Voici que monte en chaire un orateur bien connu et universellement apprécié à Reims, le R. P. Étienne. […] Après un délicat compliment à Mgr le Cardinal, il s'adresse à M. le Curé et le félicite du résultat de ses démarches : « Chateaubriand a dit que l'orgue était un bijou qui voulait une cathédrale comme écrin », sans égaler sa grande sœur, Saint-André est bien une vraie cathédrale, et c'est un merveilleux bijou que M. le curé a eu le grand bonheur, avec le généreux appui de ses paroissiens, de mettre dans ce bel écrin. Entrant ensuite dans son sujet, il nous montre que l'orgue est un instrument essentiellement chrétien, qui fait monter la prière de l'homme vers Dieu et descendre la parole de Dieu vers l'homme. L'instrument : « Orgue de Saint-André, fais entendre ta voix ; Salue l'Enfant-Dieu dans son berceau ; -Redis-nous de ta belle voix ce concert céleste : Pax hominibus bonae voluntatis ; Chante et réjouis-toi, voici un père et une mère qui apportent pleins d'allégresse un jeune enfant aux fonts du baptême ; Mets la joie au cœur de ces deux jeunes gens qui s'avancent souriant à la vie pour mettre leur union sous la protection de Dieu ;- Oh ! pleure avec ceux qui gémissent dans les sombres jours de deuil. »

(Bulletin du diocèse de Reims, décembre 1898, p. 629)

 

     « Inauguration et bénédiction des orgues de Saint-Etienne de Niort. - […] Il manquait cependant quelque chose à la décoration intérieure de la nouvelle église. […] il fallait cette autre voix plus complète qui synthétise toutes les autres voix de la création, qui donne au vague mysticisme de l'âme son expression la plus haute et la plus parfaite, cet instrument idéal dont le poète a dit :  L'orgue ! le seul concert, le seul gémissement, qui mêle aux cieux la terre. La seule voix qui puisse, avec le flot dormant, Et les forêts bénies, Murmurer ici-bas quelque commencement des choses infinies. »

(La Semaine religieuse du diocèse de Poitiers, 16 décembre 1902, p. 846-844)

 

     « Paroisse de Saint-Thomas. - Dimanche dernier 5 avril, eut lieu, dans l'église Saint-Thomas, la bénédiction et l'inauguration des orgues restaurées par la maison Fortin. […] Avant la bénédiction de l'orgue, le R. P. Jean Abelé dégagea la leçon de charité que donne au peuple chrétien « le roi des instruments ». Divers dans l'infinie variété de ses jeux et de ses timbres, il fond toutes ses voix en une voix unique, sous l'impulsion de l'artiste, dont les doigts glissent sur les claviers est la voix même de Dieu qui nous convie à la prière; et après de si longues années de silence, où, comme les Hébreux captifs, nous avions suspendu aux saules nos harpes et nos luths, il nous invite à la reconnaissance et à la joie. »

(Bulletin du diocèse de Reims, 11 avril 1925, p. 118-119)

 

     « Inauguration des Orgues du Grand Séminaire Saint-Irénée. - C'étaient de vieilles orgues en un grenier. Longtemps au Séminaire Saint-Irénée elles avaient soutenu la voix des lévites et bercé leurs prières. Puis les jours d'exil étaient venus et l'instrument pensif, triste comme les choses qui ne servent plus, avait l'air de regretter le temps où une âme chantait dans ses tuyaux d'étain. […] Les orgues du Grand Séminaire Saint-Irénée, silencieuses depuis quelque vingt ans, y reprennent aujourd'hui leur place. Elles s'offrent, non pour couvrir, mais pour accompagner, soutenir, suppléer, parfois, la voix humaine. Tibia et psalterium suavem faciunt melodiam et super utraque lingua suavis. Bien chez elles dans cette chapelle qu'elles meublent à souhait, comme dans nos vieilles cathédrales, comme dans nos belles églises, elles semblent si heureusement adaptées au saint lieu qu'elles interdisent presque de déceler quelque excès dans l'affirmation de Chateaubriand : le christianisme a inventé l'orgue. « Pour l'étendue, l'éclat, la puissance, il n'a point de rival. Il est la voix de l'église chrétienne, et comme l'écho du monde invisible qu'elle manifeste symboliquement. Ses proportions, sa forme ont un aspect architectural et, de ses profondeurs, sort un volume de son suffisant pour remplir l'édifice le plus vaste. Tantôt il provoque le recueillement, et la contemplation, par une harmonie voilée, mystérieuse, tantôt il émeut d'une tristesse sainte, ou enflamme les désirs d'une céleste ardeur. Quelquefois il gronde comme l'orage, mugit comme la tempête sous les voûtes tremblantes quelquefois on dirait le soupir des esprits devinés, plutôt qu'entendus, saisis seulement par l'ouïe interne. Que faut-il de plus pour en faire une création d'un ordre unique ? […] L'orgue de Saint-Irénée c'est la tradition, j'ose dire la tradition vivante. En lui-même, par sa matière, il relie le passé si profondément regretté de tous et le présent : il assure la continuité. Par sa voix, dans la splendeur de nos solennités, il redira ce qu'ont entendu nos aînés, les mêmes accents, les mêmes prières, les mêmes espérances, les mêmes conseils, le même enthousiasme, les mêmes triomphes, la même foi. Les vétérans du sacerdoce l'écouteront, rajeunis, dans le recueillement des retraites, et, pour la mémoire des défunts, il soutiendra les supplications ferventes des lévites. Pour ceux-ci nous souhaiterions qu'il remplît son rôle d'éducateur. Éducateur musical, sans doute, et pour tous en vue du ministère ; éducateur musical encore, pour quelques-unes en particulier, comme soutien d'une petite schola d'organistes ; mais d'une manière plus générale, dans le sens des pensées que j'exprimais tout à l'heure, éducateur des séminaristes, instrument capable d'apaiser, d'affiner, d'élever, de concourir à régulariser le rythme intérieur, à établir dans leurs âmes cette parfaite harmonie qui leur permettra de mieux entendre, de goûter davantage la suave et divine mélodie que leur chante à tout moment Jésus, Souverain Prêtre et Bon Pasteur. »

(La Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 5 juin 1927, p. 357-359)

 

     « Inauguration des Orgues de Fismes. - Le dimanche 8 janvier, à 15 heures, avait lieu la cérémonie de la bénédiction et de l'inauguration des orgues. M. l'abbé Leflon, directeur de l'Ecole Sainte-Macre, prononça l'allocution de circonstance. Il rappela comment l'orgue prêche l'harmonie avec Dieu, avec les autres, avec nous-mêmes et nous apprend à chanter, sous l'impulsion de la grâce, la gloire du Créateur. […] A la fin du salut qui suivit, M. le Doyen monta en chaire pour adresser ses remerciements à toutes les personnes auxquelles la paroisse est redevable de cet instrument. [...] Et il émit le vœu que l'orgue désormais, en traduisant et en renforçant les sentiments des cœurs chrétiens, contribue à élever vers Dieu les âmes des Paroissiens de Fismes. »

(Bulletin du diocèse de Reims, 29 janvier 1933, p.70)

 

Documentation rassemblée par Olivier Geoffroy

(août 2019)

 

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