Emmanuel BONDEVILLE (1898 - 1987)

Emmanuel Bondeville
Emmanuel Bondeville,
Secrétaire perpétuel de
l'Académie des Beaux-Arts.

Photographie aimablement communiquée
par le secrétariat de l'Académie des Beaux-Arts,
Institut de France.

Le 26 novembre 1987, à Paris, s’est éteint Emmanuel Bondeville. Elu le 14 mai 1964, en remplacement de Louis Hautecoeur, secrétaire perpétuel de l’Académie des Beaux-Arts, il avait inauguré ses fonctions en félicitant Henri Sauguet pour son remarquable exposé sur la situation préoccupante des compositeurs d’opéra devenus les parents pauvres de la vie musicale. Il faut dire que ce musicien avait un véritable sens inné du théâtre lyrique.

Normand de naissance, tout comme Paul Paray et Marcel Dupré, Emmanuel Bondeville a vu le jour à Rouen, le 29 octobre 1898. Il dégageait, comme le soulignaient si justement Bernard Gavoty et Daniel Lesur "une bonhomie de grand gars costaud, une large face épanouie". C'est par l'étude de l'orgue, avec Jules Haëlling, organiste de la cathédrale de Rouen, qu'il vint à la musique, ce qui est un peu curieux pour cet homme de théâtre-né qu'il deviendra plus tard. Il sera même, durant quelques années, organiste de l'église Saint-Nicaise de Rouen et de Notre-Dame de Caen. Une fois la guerre terminée, au cours de laquelle il obtint la Croix de Guerre, il poursuivit ses études musicales au Conservatoire de Paris, avec Jean Déré. C'est dans les années 1920 qu'il commença à écrire de la musique avec notamment Les Pochades (1923), œuvre pour piano, et Le Bal des pendus (1929), poème symphonique d'après A. Rimbaud, dont la 1ére audition eut lieu, avec grand succès, aux Concerts Lamoureux sous la direction d'Albert Wolff. Il ajoutera plus tard deux suites Ophélie (1931) et Marine (1933) : l'ensemble de cette œuvre portera alors le titre de Les Illuminations, triptyque symphonique.

Homme de communication, "habile, mais conciliant; volontaire, mais souple; obstiné, mais patient", Emmanuel Bondeville débute comme directeur musical à Radio Tour Eiffel en 1935, puis passe à Radio Paris et à la Radiodiffusion française jusque 1945. C'est d'ailleurs grâce à lui que l'on put enfin entendre pour la première fois dans son intégralité les œuvres de Fauré, de Debussy et de Ravel. Par la suite il occupa les fonctions de directeur artistique de Radio Monte-Carlo durant 4 ans. Il était également l’un des fondateurs d’une société de musique contemporaine, " Triton ", qui eut une grande influence au cours de la période d’avant-guerre.

A cette époque, il a déjà composé un opéra-comique L'Ecole des maris (1932-35), sur un livret de Jacques Laurent, d'après Molière, et un drame lyrique Madame Bovary (1942-50), sur un livret de René Fauchois, d'après Flaubert. Ses dons d'homme de théâtre, son sens profond de l'orchestration1 et ses qualités exceptionnelles de compositeur lui valurent cette réflexion flatteuse de Florent Schmitt lors de la première représentation de L'Ecole des maris en 1935 à l'Opéra-comique : "Pochade quasi géniale !..." Bondeville ignorait alors que, 24 ans plus tard (1959), il serait élu membre de l'Académie des Beaux-Arts, au fauteuil même de son célèbre critique !

Enfin, en octobre 1949, il parvenait à obtenir un poste dans le théâtre avec sa nomination de directeur de l'Opéra-comique. Quelques temps plus tard, le 1er janvier 1952, il prendra la direction de l'Opéra de Paris qu'il conservera durant de nombreuses années, jusque 1969. Grand Prix de la SACD en 1964, il a été aussi un président très actif à la tête de la Fondation Maurice Ravel.

Que pensait notre homme du théâtre lyrique et plus généralement de la musique ? En fait, il aimait les œuvres aussi diverses que Les Indes Galantes, Boris Goudounov, Faust, Carmen, Othello, Parsifal, Le Martyre de St-Sébastien... Comme l’a si bien souligné Marc Honegger dans la trop courte notice qu’il lui consacre (Dictionnaire de la musique, Bordas) Emmanuel Bondeville avait l'instinct d'une musique vivante, dramatique et surtout sincère. Exaspéré par le fait de vouloir à tout prix que toute œuvre nouvelle apporte du nouveau, il déclarait "la maladie de notre temps est de rechercher à tout prix l'originalité. La musique pâtit particulièrement de cette manie." Cependant, il aimait la remise en question dans les formes traditionnelles, mais seulement lorsqu'elle provenait d'un génie, et non d'une simple décision prise par des quidams réunis autour d'une table de travail !

Avec ses Illustrations pour Faust, pour soli, chœur, récitant et orchestre (1942) à propos desquelles Paul Paray avait dit " Je vous ai découvert dans vos Illustrations; c'est là que vous êtes vous-même.", et ses autres œuvres citées précédemment, Emmanuel Bondeville a composé principalement pour le concert. On lui doit en effet également un poème-symhonique : Gaultier-Garguille (1951), une Symphonie lyrique (1956), une Symphonie chorégraphique (1961) et un opéra en 3 actes d’après Shakespeare : Antoine et Cléopâtre (1972). Il est aussi l'auteur de plusieurs mélodies (La Cloche fêlée, sur des paroles de Baudelaire, pour soprano ou ténor ; Soleils couchants, paroles de Verlaine...) et de musique instrumentale avec, par exemple, sa Sonate pour piano datée de 1934, ou encore ses Cheveux au vent, pochade pour piano également. A sa formation première auprès de l’organiste de la cathédrale de Rouen, à propos de laquelle il déclarait un jour à Claude Chamfray : " Je suis convaincu que l’étude et la pratique de l’orgue m’ont orienté vers le goût des formes constructives. ", nous lui devons enfin quelques motets : un Tantum ergo , un Noël sur un texte de René Herval, un Ecce Panis (chœur a capella) et un Psaume pour soprano ou ténor

Humain et conciliant, il fut le conseiller compétent et écouté de bien des personnes. D'un avis éclairé, ayant toujours exercé ses activités dans le respect de la tradition, sa nature très sociable le faisait apprécier. En 1970, il avait eu l'immense chagrin de perdre son épouse qui l'aidait dans ses tâches en animant, sous le nom de " Dominique Plessis ", une émission hebdomadaire à France-Inter qui s'intitulait "Une saison d'opéra".

C'est Emmanuel Bondeville, alors Commandeur de la Légion d'honneur et Grand Officier de l'Ordre national du Mérite, qui avait remis, en 1971, la médaille de Chevalier de l’Ordre national du Mérite, au titre des Arts et des Lettres, à M. Joachim Havard de la Montagne pour ses nombreuses années d'activités musicales.

Terminons ce survol qui a au moins le mérite de rendre hommage à ce grand musicien un peu trop délaissé par le public, en citant l'une de ses pensées que chacun pourra méditer profondément. Elle résume admirablement bien, en seulement quelques mots, les méfaits de la mode, notamment le choix des œuvres de concerts et l’attitude du public :

" Par crainte de méconnaître un chef-d’œuvre, on porte tout aux nues, et l’auditeur applaudit de ce que, dans son for intérieur, il déteste. "

Denis HAVARD DE LA MONTAGNE

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1) Notre ami Michel Baron, professeur d'écriture musicale au Conservatoire du Québec (Canada), nous racontait dernièrement un souvenir d'étudiant à Paris dans les années soixante : Emmanuel Bondeville, venu au Lycée la Fontaine pour présenter l'une de ses œuvres, Madame Bovary, évoquait la phtisie de la malade par une mesure irrégulière, du genre 7/8, un rythme haletant et une pléthore de septièmes d'espèces ! [ Retour ]

 


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