Camille CHEVILLARD
(1859-1923)
Camille Chevillard ( Musica, 1903. Coll. DHM ) DR |
Caricature de Camille Chevillard ( Musica, 1904 ) DR |
Lamoureux avait besoin, dans une certaine mesure, d’être dirigé lui-même, soit dans la tradition vivante de Bayreuth, soit par la pensée d'auteurs vivants et présents ; et le plus grand service qu'il rendit à la musique française fut de créer, grâce à son souci extrême de la perfection matérielle, un orchestre qui fut un merveilleux instrument symphonique.
Ce souci de la perfection a été gardé par son successeur, M. Camille Chevillard, et son orchestre s'est encore affiné. On peut dire qu'il est aujourd'hui le meilleur de Paris. M. Chevillard se sentait plus attiré que Lamoureux par la musique pure ; il trouvait avec raison que la musique dramatique tenait une trop grande place dans les concerts parisiens. Dans une lettre, publiée par le Mercure de France en janvier 1903, il reproche aux éducateurs du goût français d'avoir trop cultivé la prédilection du public pour l'opéra, et de n'avoir pas éveillé son attention pour la supériorité de la pure musique : « Quatre mesures au hasard d'un quatuor de Mozart ont, dit-il, une plus grande valeur éducative qu'une fastueuse scène d'opéra ». — Nul ne dirige mieux à Paris les œuvres classiques, surtout celles de pure beauté plastique ; même en Allemagne, il serait difficile de trouver une interprétation aussi délicate de certaines œuvres symphoniques de Mozart ou de Haendel. Son orchestre a d'ailleurs conservé la supériorité qu'il avait déjà acquise dans le répertoire wagnérien. Mais M. Chevillard lui a communiqué une chaleur et une vigueur de rythme qu'il n'avait pas avant lui. Ses interprétations beethovéniennes, encore que superficielles, sont vivantes. Comme Lamoureux, M. Chevillard a peu le sens des œuvres romantiques françaises, de Berlioz, et encore moins de Franck et de son école ; il semble n'avoir qu'une sympathie mitigée pour les courants les plus récents de la musique française. Mais il comprend bien les romantiques allemands, surtout Schumann, pour qui il a une prédilection ; il s'est efforcé, sans y très bien réussir, de faire pénétrer en France Liszt et Brahms ; il a été le premier chez nous à attirer vraiment l'attention sur la musique russe, dont il excelle à rendre le coloris brillant et fin. Et, comme M. Colonne, il a su faire appel aux grands Kapellmeister allemands : à Weingartner, à Nikisch, à Richard Strauss, qui dirigea chez lui les premières exécutions à Paris de plusieurs de ses poèmes symphoniques : Zarathustrâ, Don Quixote, Heldenleben.
Rien n'a été plus efficace pour achever l'éducation musicale du public que ce continuel défilé dans nos concerts, depuis dix ans, des Kapellmeister et des virtuoses étrangers, et que la comparaison de leurs styles et de leurs interprétations diverses. Rien n'a plus contribué au perfectionnement des orchestres parisiens, par l’émulation que cette sorte de concours instituait entre leurs chefs et ceux des autres pays. A présent, ils peuvent rivaliser avec les meilleurs de 1'Allemagne.
Romain Rolland (1866-1944)
Ecrivain, Prix Nobel de littérature (1915)
in Musiciens d’aujourd’hui
Librairie Hachette, Paris, 1908
(saisie et numérisation Max Méreaux)
Camille Chevillard (à droite) en compagnie de Charles Levadé, à Chatou, en 1903 ( Musica, 1903. Coll. DHM ) DR |
par Albert Vernaelde
Charles Lamoureux, beau-père de Camille Chevillard ( Musica, 1903. Coll. DHM ) DR |
Nul mieux que M. Camille Chevillard, son gendre, ne pouvait être désigné pour recueillir la lourde tâche sous laquelle Lamoureux ne faiblit pas un seul instant. Déjà en 1897, Camille Chevillard avait suppléé Lamoureux, alors que celui-ci, remplissant des engagements pris, faisait une tournée triomphale à l’étranger. Tout de suite, il s’avéra, par sa haute compréhension des Ecoles et des styles, par son sang froid, comme un des premiers chefs d’orchestre de notre époque.
Respectueux de la pensée de celui dont il recueillit l’héritage, il continua, en l’élargissant encore, de marcher dans la voie que Lamoureux avait ouverte. Nous lui devons notamment, d’avoir initié le public parisien à une grande partie des œuvres de Liszt, dont il a fait jouer la Faust-Symphonie pour la première fois en 1900, le Rheingold, le 3e acte de Siegfried, le 3e acte de Götterdammerung, plus de cent cinquante œuvres de compositeurs français, et enfin de nous avoir, en quelque sorte, révélé le génie profondément musical et très personnel de l’Ecole Russe moderne.
Cette courte étude consacrée aux Concerts Lamoureux ayant été écrite en 1914, quelques mois avant la guerre, nous n’avions pas cru devoir l’élargir par des notes biographiques consacrées à Camille Chevillard. Elles s’imposent aujourd’hui, par suite de la disparition de ce grand et pur artiste, survenue le 29 mai 1923.
Ajoutons que, depuis 1920, il s’était adjoint comme collaborateur, M. Paul Paray, grand prix de Rome et « chef d’orchestre de premier ordre », ainsi que Camille Chevillard avait tenu à le préciser, dans une note qu’il avait bien voulu m’adresser quelques mois avant sa mort.
Camille Chevillard était né à Paris, le 14 octobre 1859. Tout contribua à l’heureux développement de ses aptitudes musicales, son père, Alexandre Chevillard, virtuose de premier ordre et professeur au Conservatoire, s’étant institué le maître attentif de cette jeune intelligence si richement douée pour l’art. Au Conservatoire, Camille Chevillard fut, pour le piano, un des plus remarquables élèves de Mathias. Ses œuvres comprennent : Quintette pour cordes et piano, Quatuor pour cordes et piano, Quatuor pour cordes, Trio pour violon, violoncelle et piano, et encore différentes œuvres pour piano et violon, piano et violoncelle : Thème et variations, Etude chromatique pour piano, Ballade symphonique, Le Chêne et le roseau (poème symphonique), Fantaisie symphonique, auxquelles s’ajoutent nombre de mélodies pour chant et piano.
Toutes ces œuvres portent la marque d’un tempérament d’autant plus personnel que Camille Chevillard se forma absolument seul, échappant, ainsi, à l’influence librement acceptée ou subie d’un maître.
Si Camille Chevillard fut un chef d’orchestre hors de pair, il fut aussi « le chef » dans toute l’acception du mot. Très absolu, il entendait, pour la plus grande gloire de son art, que ses conseils fussent acceptés sans réplique. Mais la sévérité avec laquelle il présidait aux répétitions était plus apparente que réelle. Dès qu’il avait quitté lé bâton, - nous allions écrire : le sceptre, - il redevenait aussitôt l’artiste sensible et généreux dont le cœur s’ouvrait largement à toutes les infortunes. Nous nous faisons un pieux devoir de rendre ce dernier hommage à une mémoire qui restera chère à tous ceux qui veulent, avant tout, que l’art soit fait de probité et de sincérité.
Albert Vernaelde (1859-1928)
Ancien professeur au Conservatoire et
ancien secrétaire de la Société des Concerts
in Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire
article "Association des Concerts Lamoureux"
Fondé par Albert Lavignac
(Paris, Librairie Delagrave, 1931)
(saisie et numérisation Max Méreaux)
NDLR : En 1888 à Paris, Camille Chevillard avait épousé Marguerite Lamoureux (1861- ?), professeur de chant, fille de Charles (1834-1899) et de Marie Pauline Mussot. C'est en 1881 que Charles Lamoureux avait fondé la "Société des Nouveaux Concerts" qui deviendra en 1894 la "Société des Concerts Lamoureux". Après son décès, Chevillard lui succédera à la tête de cette prestigieuse formation, puis, à la mort de celui-ci (1923), ce sera au tour de Paul Paray. De nos jours, la direction en est assurée par le chef d'orchestre Fayçal Karoui depuis 2011.
Camille Chevillard, Feuille d'album pour piano, partition autographe, 1904 ( fac-simile in Musica, supplément, 1904 ) DR Numérisation et fichier audio par Max Méreaux (DR.) |