____________Ce musicien tient une place importante dans l’histoire du hautbois1 au dix-neuvième siècle. Il assura en effet la transition entre Gustave Vogt (1781-1870)2 et Georges Gillet3, père de l’école de hautbois du début du vingtième siècle. Successeur en 1868 de Félix Berthélémy dans la classe de hautbois du Conservatoire de Paris, qui lui-même avait prit la suite de Charles Triébert quelques années auparavant, Colin a consacré toute sa vie à l’enseignement de cet instrument. Il aurait pu également mener une brillante carrière de compositeur ou d’interprète mais il a préféré se vouer entièrement à ses élèves, parvenant même à hisser sa classe parmi les meilleurs du Conservatoire. C’était aussi un organiste distingué qui aura une influence certaine sur la carrière de Louis Vierne, son neveu.
Né le 2 juin 1832 à Cherbourg (Manche), du légitime mariage de Charles-Louis, alors chef de musique au 50e Régiment d’Infanterie de ligne en garnison dans cette ville, et d’Eulalie Pichonneau, Charles-Joseph Colin fut initié très tôt à la musique par son père. Devenu plus tard professeur d’harmonie et chef d’orchestre du Grand Théâtre de Bordeaux, celui-ci a notamment enseigné son art à Melle Eugènie de Santa-Coloma4, célèbre compositeur et cantatrice française qui obtint un certain succès en 1847 à Paris. Entré par la suite au Conservatoire de Paris, dans les classes de hautbois de Gustave Vogt, d’orgue de François Benoist et d’harmonie avec Adolphe Adam et Ambroise Thomas, il obtenait un brillant palmarès : 1er prix de hautbois en 1852, d’harmonie et accompagnement en 1853, d’orgue l’année suivante, et enfin, 1er accessit de fugue en 1854. Trois ans plus tard, au concours de composition de l’Institut, il remportait un deuxième Premier Grand Prix de Rome, juste derrière Bizet, avec sa cantate Clovis et Clotilde, écrite sur des paroles d’Amédée Burion. Fétis5 rapporte que durant son séjour à Rome (1857-1860), qu’il effectuait en même temps que Bizet, Colin envoyait notamment une Messe solennelle et un opéra-comique en un acte qui dénotaient déjà " de sérieuses et solides qualités. " Ses envois de Rome lui valurent le prix Trémont, attribué par l'Académie des Beaux-Arts, qui le lui remit lors de sa séance publique annuelle du 3 octobre 1863.
Église Saint-Denis-du-Saint-Sacrement à Paris IIIe, au début du XXe siècle
( photo X... ) DREn février 1868, il succédait à Félix Berthélémy dans la classe de hautbois au Conservatoire de Paris. Celui-ci, qui faisait partie des orchestres de l’Opéra et de celui de la Société des concerts, n’était à ce poste que depuis juillet 1867, époque où le précédent titulaire Charles Triébert était décédé d’une fluxion de poitrine. Berthélémy mourut à son tour subitement, le 14 février 1868, alors qu’il était train de donner un cours de musique au collège Louis-le-Grand où il enseignait également. L’année suivante, Charles Colin était également nommé au grand orgue Daublaine-Callinet (1839) de l’église Saint-Denis du Saint-Sacrement, située rue de Turenne dans le troisième arrondissement parisien. Cet instrument, inauguré en 1839 par Séjan, Simon et Fessy, comportant à l’origine 31 jeux répartis sur 3 claviers et pédaliers, venait tout juste d’être reconstruit (1867) par Cavaillé-Coll qui le modifia sérieusement en supprimant ou en adjoignant plusieurs jeux. Marius Gueit en avait été le premier titulaire, avant de laisser les claviers à P. Serrier. C’est au décès de ce dernier, arrivé en 1869, que Charles Colin obtenait cette tribune. Il y restera jusqu'à sa mort et sera remplacé par Gaston Choisnel auquel on doit notamment des transcriptions pour orgue de certaines pages de Debussy. En 1871, lors du concours ouvert pour la succession d’Alexis Chauvet à l’orgue Cavaillé-Coll de l’église de la Sainte-Trinité, Colin, aux côtés de Gabiel Fauré, figure parmi la douzaine de candidats qui s’était présentée. C’est Alexandre Guilmant qui fut retenu !
Il est incontestable que Charles Colin a joué un rôle essentiel dans l’orientation de la carrière de Louis Vierne. C’est tout d’abord lui qui encouragea très tôt son jeune neveu6 à étudier la musique, c’est ensuite lui qui lui fit découvrir son orgue à Saint-Denis du Saint-Sacrement et c’est enfin lui qui l’emmena le premier écouter César Franck à Sainte-Clotilde. Le futur organiste de Notre-Dame n’était alors âgé que d’une dizaine d’années ! Hélas, quelques mois plus tard, cet oncle adulé disparaissait prématurément à l’âge de 49 ans. Ce fut un moment particulièrement douloureux pour le jeune Vierne, qui rejoindra alors l’Institution Nationale des Jeunes Aveugles de Paris, où il se livrera avec passion à l’étude de la musique et plus particulièrement de l’orgue et du violon.
Charles Colin a laissé peu d’œuvres de concert, puisque, comme nous l’avons déjà souligné, c’est surtout dans le domaine scolaire qu’il a excellé. C’est ainsi qu’il apporta toujours un très grand soin dans la composition des solos de concours qu’il devait écrire chaque année pour ses élèves de hautbois et qui restèrent longtemps au programme des conservatoires. Sa notoriété a même franchi nos frontières pour arriver jusqu’aux Etats-Unis. Notamment la classe de hautbois de l’Ecole de Musique de l’Université de Washington a présenté en mars 1983 " The concours solos of Charles Colin " au cours duquel les élèves interprétaient uniquement des pages de notre Prix de Rome, avec ses Solo de Concours n° 1 à 8, édités chez Leduc.
Son dévouement à l’enseignement lui valut les palmes d’Officier d’Académie en 1877 et la Légion d’honneur avec le grade de chevalier en 1881, qu’il reçut d’ailleurs douze jours avant sa mort. Il fut également, et ce durant longtemps, membre de la Commission d'examen des candidats aux emplois de chef et de sous-chef de musique dans l'armée. On lui doit d'ailleurs une Marche impériale et une Marche religieuse pour orchestre d'harmonie.
Parmi ses pièces non scolaires, citons sa Grande Fantaisie concertante op. 47 (pour hautbois et orchestre) et une Messe interprétée à l’église Saint-Maurice de Lille en 1879, ainsi que quelques pièces religieuses destinées à la liturgie catholique qu’il eut l’occasion de composer au fil de ses années passées à l’église Saint-Denis du Saint Sacrement, notamment un O Salutaris pour ténor ou soprano, un Ave Verum pour chœur à 4 voix mixtes et un Andante religioso pour harmonium. N'omettons pas encore de mentionner plusieurs pages profanes pour harmonium : Grande valse, 3 Morceaux de salon, Nocturne, Rêverie..., et pour piano : Andante, Brise pastorale, Feux follets, Le Chant du souvenir, Les Batteurs de blé...
Charles Colin est mort d’une double pneumonie le 26 juillet 1881. Il laissera longtemps le souvenir d’un excellent professeur, doublé d’un musicien élégant. Le Journal de Musique du 13 août 1881 annonçait sa disparition en ces termes : "Charles Colin a formé des élèves qui sont devenus des maîtres. Décoré à l'occasion du 14 juillet, il n'a joué que peu de temps d'un honneur si mérité. Atteint subitement au milieu des concours publics [du Conservatoire], il se désespérait à l'idée d'abandonner ses élèves, et sa dernière pensée a été pour eux."
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
Charles Colin, extrait de la Grande Fantaisie concertante, op. 47 (fichier audio par Max Méreaux) DR.
1) La classe de hautbois du Conservatoire de Paris existe dépuis la fondation de cet établissement le 16 thermidor an III (3 août 1795). Au cours du dix-neuvième siècle elle a été tenue successivement par : François Sallantin (1795-1815), Gustave Vogt (1816-1853), Stanislas Verroust (1853-1860), Charles Triébert (1860-1867), Félix Berthélémy (1867-1868), Charles Colin (1868-1881) et Georges Gillet (1881-1920).
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2) Gustave Vogt, originaire de Strasbourg, élève de Sallantin au Conservatoire de Paris dès 1798, fut hautboïste à l'Opéra-Italien, à la Musique de la Garde impériale de Napoléon et enfin au Théâtre Feydeau. Professeur adjoint au Conservatoire dès 1808, il devint titulaire de la classe de hautbois lors de la réorganisation de cet établissement en 1816. C'est là qu'il a formé tous les hautboïstes français distingués du XIXe siècle : Henri Brod, Louis Verroust, Antoine Lavigne, Apollon Barret et Charles Colin.
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3) Georges Gillet (1854-1934), élève de Triébert et de Colin pour le hautbois, a appartenu aux orchestres du Gymnase, du Théâtre-Italien, de l'Opéra-Comique, de l'Opéra et de la Société des concerts du Conservatoire. On lui doit la rénovation du hautbois, notamment du hautbois d'amour et du hautbois-baryton. Avec son frère, Ernest (1856-1940), violoncelliste, il a été l'un des fondateurs des Concerts Colonne (1873). Il a formé dans sa classe de hautbois au Conservatoire de Paris la plupart des hautboïstes de la première moitié du XXe siècle parmi lesquels figure Marcel Tabuteau.
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4) Née à Bordeaux le 8 février 1827, fille du consul général d'Argentine, Eugènie de Santa-Coloma, devenue en 1849 Madame Sourget, débuta à l'Opéra de Paris grâce à Halévy qui l'avait remarquée On lui doit notamment un opéra l'Image, des mélodies et surtout un grand trio instrumental édité en 1872. C'est vers 1841, à Bordeaux, qu'elle reçut des leçons d'harmonie de Colin père.
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5) Biographie universelle des musiciens, supplément par Pougin (2 tomes, Paris, 1878), tome I, pp. 191-192.
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6) Charles Colin avait épousé, au début de l'année 1861, Marie Vierne, une tante de Louis Vierne (1870-1937).
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