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Georges Dandelot (coll. Alexandre Dandelot) DR. |
Le nom de Georges Dandelot est bien connu par tous les élèves de musique de par ses nombreux ouvrages pédagogiques. Mais peu d’entre eux connaissent la biographie de cet ancien sportif devenu un compositeur fécond et un pédagogue remarquable ?
Né à Paris le 2 décembre 1895, son père, Arthur Dandelot1 était le fondateur du "Bureau de concerts Dandelot", l’un des premiers du genre, qui accueilli les plus grands artistes : Saint-Saëns, Messager, Rubinstein, Monteux, Ysaÿe, Prokofiev2... Sa mère était née Madeleine Mangeot ; fille du facteur de pianos Edouard Mangeot3 et sœur d'Auguste Mangeot, le créateur avec Alfred Cortot, en 1919, de l'École Normale de Musique , était une bonne pianiste qui aimait improviser à son instrument des heures durant.
Le Guide du concert, 20 décembre 1946 (coll. DHM) DR.
Georges Dandelot, comme il l'a dit lui-même lors d'une interview en 19464, après avoir reçu des premières leçons de solfège de ses parents, a fait toutes ses études musicales au Conservatoire national supérieur de musique de Paris où il est entré à l'âge de 10 ans. C’est ainsi qu’il recueillit le précieux enseignement d'Émile Schwartz5 (solfège), Louis Diémer (piano), Xavier Leroux et Jean Gallon (harmonie), Georges Caussade (fugue), Charles-Marie Widor (composition), Vincent d'Indy (orchestre), Maurice Emmanuel (histoire de la musique), et plus tard Paul Dukas et Albert Roussel. La première guerre mondiale arrivée il s’engagea et sa conduite héroïque lui valut la croix de guerre. Il s'engagera d’ailleurs à nouveau lors de celle de 39/45 avec le grade de maréchal des logis.
Sportif accompli, il gagna les épreuves des 400 et 800 mètres au championnat du Stade Français avant de représenter la France aux Jeux Interalliés de 1919! C’est probablement cet esprit sportif qui lui donna cette aisance dans l’écriture musicale où l’on retrouve une construction claire, une démarche volontaire et beaucoup d’esprit, le tout avec un souci constant du travail bien fait.
Professeur d'harmonie à l'École Normale de Musique dès sa création en 1919, il occupera plus tard, à partir de 1942, les mêmes fonctions au Conservatoire de Paris. Remarquable théoricien, durant ses cinquante années d’enseignement ses nombreux solfèges et autres recueils de dictées musicales ont aidé à former plus d’un musicien en herbe.
Georges Dandelot au piano de l'École Normale de Musique, à Paris, vers 1925.
( BNF Richelieu )Son œuvre majeure, l’oratorio Pax pour soli, chœurs et orchestre, est inspirée par l’horreur de la guerre. Ecrit en 1935, au moment où Mussolini partait dans une guerre de conquête, il fut donné en première audition deux ans plus tard et lui valut un Grand Prix à l’Exposition de 1937. C’est une œuvre en trois parties comportant chacune de plusieurs épisodes , qui débute par un Prélude orchestral (le calme avant l’action), se termine par un Hymne à la nature en passant par des phases plus agitées comme cet Appel aux armes ou Le Combat : " Frappe, frappe ! " où apparaît le maximum de la violence. Il récidivera quelques années plus tard avec son opéra en 3 actes, L’Ennemi.
Georges Dandelot est également l’auteur de bien d’autres compositions musicales : une Symphonie en ré, un Concerto pour piano et orchestre, un Concerto romantique pour violon et orchestre, un Quatuor à cordes, Trois valses à 2 pianos, une Sonatine pour flûte et piano, une autre Sonatine pour piano et violon, des ballets : Le Souper de famine, Le Jardin merveilleux, La Création...; des opéras : Midas (opéra-comique bouffe en 3 actes), Apolline (opérette en 3 actes)...; sans oublier des chansons et autres mélodies. Admirateur de Schubert et Mendelssohn mais également de Fauré, il s'efforcera parfois de faire planer leur ombre tel par exemple dans son Concerto Romantique pour violon et orchestre où l'on retrouve l'âme des deux compositeurs allemands. La Société Nationale a révélé la plupart de ses pages de musique de chambre et ses mélodies. Le Pont Mirabeau, l’Honneur de souffrir ou encore ses Quinze chansons de Bilitis étaient bien connues des amateurs de musique de l’époque.
Georges Dandelot fustigeait souvent le désintérêt du public français pour les œuvres modernes, ne daignant se déplacer uniquement que pour les œuvres archi-connues et estimait que ce devait être aux pouvoirs publics de favoriser la création de telles œuvres nouvelles. Il est mort le 17 août 1975 à Vaux-sur-Mer, près de Royan (Charente-Maritime), laissant un fils, Gérard Dandelot, de son union en 1920 avec Mariquita Baldy.
Denis Havard de la Montagne
____________1) Arthur Dandelot est né le 27 février 1864 à Paris et est mort dans cette même ville le 12 août 1943. En 1882 il devenait critique de la revue Piano soleil, puis fondait quelques temps plus tard la revue Le Monde musical. Mais c'est surtout à partir de 1896, après la création de son bureau d'administration de concerts à Paris qu'il devint incontournable dans toutes les grandes manifestations musicales de la capitale. [ Retour ]
2) A partir de 1920 c'est son autre fils, Maurice Dandelot (1897-1964) qui travaille avec son père avant de lui succéder quelques années plus tard. On lui doit notamment la fondation du Mai musical de Bordeaux. Son fils, Yves Dandelot (1924-2002), lui a succédé à son tour en 1964. Il est l'auteur d'un livre d'anecdotes paru en 1990 intitulé Les Gaietés de la musique classique. [ Retour ]
3) Edouard Mangeot, né à Nancy le 24 avril 1835 [note de M. Jean-Marc Stussi] et mort à Paris le 31 mai 1898, fabricant de pianos, se révéla au public lors de l'Exposition Universelle de 1878. Il avait inventé un piano à double clavier renversé. Il fonda la revue Le Monde musical avec Arthur Dandelot. [ Retour ]
4) Le Guide du Concert, 25 octobre 1946, p.52. Voir supra. [ Retour ]
5) Quelques années plus tard Émile Schwartz comptera également parmi ses élèves de solfège un tout jeune garçon âgé de 11 ans, un certain Daniel Lesur. Cela se passait en 1919! [ Retour ]
Document au format PDF: Georges Dandelot, vie sociale, vie privée d'un compositeur oublié, par Alexandre Dandelot (2017) DR.
Entretien de Gabriel Bender avec Georges Dandelot
en 1946
Une charrette-tonneau attelée d'une jument anglo-Tarbes au nom voltairien : Nanine, roule à toute allure dans les allées ombreuses de la forêt d'Halatte. Elle emprunte la Chaussée Romaine, traverse le haut Pont-St-Maxence et s'arrête devant le perron d'une maison, une chère vieille maison ! Deux garçonnets sautent de voiture et gagnent le parc (pour y faire un cent mètres. Les reconnaissez-vous ?
— Sans doute : mon frère Maurice et moi. C'était en 1901-1902. J'avais six ans.
— Oui. Vieux souvenirs. Bien des artistes fréquentaient cette chère maison : le violoniste André Mangeot, votre oncle, l'altiste Gaston Marchet, Joseph Boulnois surtout qui devait disparaître si brutalement la veille de l'armistice de 1918...
— Après m'avoir recueilli lorsque je fus blessé pour la deuxième fois en septembre 1916 et, je puis le dire, après m'avoir sauvé la vie.
— … et son jeune frère aussi, Lucien Boulnois, actuellement professeur de violoncelle au Conservatoire de Clermont-Ferrand, et même Jacques Thibaud venu certain jour d'été, en compagnie de Lucien Wurmser, sans doute plus attirés, tous deux, par la salle de billard que par le Pleyel familial... J'ai ouï dire que vous aviez gardé cette ardeur sportive qu'alors vous manifestiez.
— Certes. J'ai gagné le championnat du Stade français (400 et 800 mètres) et, en 1919, j'ai représenté la France aux Jeux Interalliés.
— Fort bien. Mais j'ai ouï dire aussi que vous étiez professeur d'harmonie au Conservatoire et à l'Ecole Normale de Musique et que, à cette époque lointaine que nous évoquions, vous faisiez déjà des dictées musicales.
— Tout était, en effet, pour mon père, matière à leçons de solfège : la sirène d'un bateau passant sur l'Oise, les cloches de la vieille église, le bruissement des feuilles dans la forêt. Il était passionné de musique. Comme ma mère, d'ailleurs, qui improvisait des heures entières sur son piano.
— Et, après l'éducation familiale ?
— Le Conservatoire, dés l'âge de dix ans. Schwartz : solfège ; Diémer : piano ; X. Leroux et Jean Gallon : harmonie ; Caussade : fugue ; Widor : composition ; d'Indy : orchestre ; M. Emmanuel : histoire. Et puis, Paul Dukas et Albert Roussel.
— Il y eut aussi la guerre.
— Les deux guerres. Celle de 14 me valut les galons de sergent et celle de 39, ceux de maréchal des logis.
— Un bel avancement, dirait un artilleur. Mais vous oubliez deux citations et la Légion d'Honneur ?
— Non. La Légion d'Honneur, ce n'est pas la guerre, c'est la paix, c'est mon oratorio Pax qui me rapporta 35 fr. 70 de droits d'auteur et le ruban rouge, un an après. Pax qui eut sa première audition en 1937 et aura probablement sa deuxième audition en 1947.
— Sauf complications diplomatiques, car vous y exprimez votre horreur de la guerre.
— Oui, je l'ai écrit en 1936, outré de voir Mussolini partir dans une guerre de conquête. C'est une œuvre contre la guerre, comme mon nouvel opéra L'Ennemi dont j'ai aussi écrit les paroles.
Georges Dandelot dans les années 1930
(coll. Alexandre Dandelot) DR.
— « Quelle fureur vous tient de vous entre-tuer
Et devant votre temps aux enfers vous ruer
A grands coups de canons, de piques et de lances ?»
disait déjà Ronsard, qui concluait :
«... que le nom de Mars, ses crimes et ses faits
Ne soient plus entendus, mais le beau nom de paix. »
Hélas ! quels « progrès » n'a-t-on pas faits depuis quatre siècles !
— Raison de plus pour combattre la guerre. Personnellement, je n'admets pas que lorsque mon pays est attaqué, on hésite à le servir ou qu'on discute seulement le bien-fondé de cette intervention. Mais, la guerre finie, je réclame le droit de lui dire toute mon horreur et d'essayer, par tous les moyens, d'en éviter le retour.
— Ceux qui prétendent que la guerre est inévitable ou qu'elle existera toujours, parce qu'elle a toujours existé, ne sont donc pas de vos amis.
— Non, ils créent ainsi une psychose de guerre ou, tout au moins, ils inclinent le peuple vers une fatalité inéluctable qui lui enlève une partie de son pouvoir de résistance. Je ne crois pas que les conflits, quels qu'ils soient, ne puissent se régler qu'à coups de bombes dont les victimes ne sont pas forcément les responsables. Ces idées sont à l'origine de mon oratorio.
— Alors elles ont ici droit de cité puisque les « conditions d'origine », si j'en crois Anatole France, doivent aider le public à aimer l'œuvre d'un « amour intelligent ». Votre opéra L'Ennemi procède, disiez-vous, d'un même esprit.
— L'Ennemi, contrairement à ce que l'on pourrait croire, n'est pas celui qui se bat, mais celui qui, descendant de sa montagne, reproche aux Princes leurs luttes stériles et fratricides, et entraîne le peuple vers un idéal de justice et de bonté. Il est violemment pris à parti, mais sa cause triomphe finalement.
— C'est un dénouement plus facile à obtenir sur le plateau de l'Opéra que dans la réalité de la vie.
— J'en conviens. D'ailleurs, je ne voudrais pas laisser penser que toutes mes œuvres lyriques sont bâties sur des sujets aussi... scabreux. Midas, par exemple, est un opéra-comique bouffe auquel je travaille encore, sur un livret que je qualifierai d'adorable puisqu'il n'est pas de moi et que, de surcroît, l'auteur souhaite de rester, pour le moment, anonyme. En vers très purs, très souples, il conte l'histoire de ce Roi trop riche à qui Apollon inflige le châtiment de porter des oreilles d'âne, pour le punir de sa stupidité et de son arrogance. Cette infirmité, toutefois, qu'il essaie en vain de dissimuler, finit par lui rendre « l'humanité », laquelle lui faisait défaut et, quand on le lui proposera, il refusera de quitter ces longuets oreilles qui, d'abord, firent sa honte et ensuite son bonheur.
— Votre opérette toute récente, Apolline, est-elle de la même veine ?
— Le livret est de Yvette Prince et Lucien Filleul. C'est un délassement. Et, en même temps, un retour à l'opérette française qui a fait la gloire de Lecocq et de Messager, mais qui, trop souvent à mon gré, a tourné le dos à ses maîtres pour suivre le jazz et l'opérette viennoise.
— Quels sont donc vos auteurs préférés ?
— Schubert et Fauré.
— La spontanéité du premier autorise-t-elle à croire que vous écrivez d'un premier jet, rapidement ?
— Oui, mais la langue merveilleusement châtiée du second m'incite à soigner la « finition », comme disent les artisans consciencieux, et j'y passe souvent beaucoup de temps.
— Ce souci du travail bien fait s'applique-t-il uniquement à la pureté du langage ?
— Non pas. A l'expression aussi. Et pour ne vous rien celer, je déplore l'abandon actuel du lyrisme.
— Voilà qui nous amène à ce qui aurait dû être notre point de départ : votre Concerto Romantique qui sera joué dimanche prochain.
— C'est un Concerto de violon, donc de virtuosité. On y retrouvera l'ombre de Schumann ou de Mendelssohn. Je l'ai voulu ainsi. Le violon, en effet, ne peut se permettre, comme le piano, par exemple, de lutter contre la masse orchestrale moderne.
Nous étions au terme de l'Entretien avec... Demeuré seul, je notais mes impressions. Chez Georges Dandelot, les facultés s'équilibrent à la française, c'est-à-dire avec une prédominance de l'énergie lucide. Jamais, au cours des circonstances les plus graves, il n'a perdu le self contrôle, même quand il s'amusait à contrarier l'indiscrète curiosité des Allemands à l'égard de leurs ennemis politiques — entre autres le violoniste Cyroulnik. Toutefois, quand il me parlait de son horreur de la guerre, il me semblait reconnaître cette conviction « lyrique» que manifestait son oncle maternel Auguste Mangeot, directeur du « Monde Musical », qui, toute sa vie, chercha, et crut trouver, le moyen d'empêcher les peuples de se battre. Et puis, ce fugitif clignement de l'œil, n'était-ce pas celui de son père, Arthur Dandelot, où l'on pouvait voir une sorte de compromis entre la foi musicale, l'expérience de la vie et le goût du bon mot.
Mais à quoi bon chercher dans une physionomie les traces de l'ascendance. La Nature qui est une grande artiste, ne refait jamais la même œuvre. « Chaque jour pour moi, disait Goethe, se lève une nouvelle lumière. »
Gabriel Bender
Guide du concert, 25 octobre 1946)
coll. et transcription DHM
Œuvres principales de Georges Dandelot [en 1946] - CHANT : 15 Chansons de Bilitis ; 6 Fabliaux ; 8 Poèmes précieux dont 3 avec quatuor à cordes ; L'honneur de souffrir ; Duos, 2 voix de femmes. — ORCHESTRE : Pax, oratorio, soli, chœurs et orchestre ; Symphonie en ré ; Concerto piano et orch. ; Concerto Romantique, violon et orch. — MUSIQUE DE CHAMBRE : Quatuor à cordes ; 3 Valses à 2 pianos, dont 2 orchestrées ; Sonatine, flûte et piano ; Sonatine, piano et violon ; 3 Pièces, violon et piano ; Suite, piano — BALLETS : Le Souper de Famine ; Le Jardin Merveilleux ; La Création. — THEATRE : L'Ennemi, opéra en 3 actes ; Midas, opéra-comique bouffe en 3 actes ; Apoline, opérette en 3 actes.
En tant que pédagogue George Dandelot est l’auteur de nombreux ouvrages de solfège, dont certains sont toujours d’actualité dans des conservatoires et autres écoles de musique, tant en France qu'à l'étranger (Canada) : 2 Cahiers de textes pour l'analyse harmonique (Lemoine), 30 Alternés (Eschig), 100 Dictées musicales à 2 voix (Lemoine), 100 Dictées musicales à une voix classées par ordre progressif (Eschig), 100 Nouvelles dictées musicales à une voix classées par ordre progressif, de moyenne force à très difficile (Eschig), 80 Dictées musicales (Eschig), 20 Leçons d’harmonie (Billaudot), 4 livres de Leçons de solfège à 2, 5, 7 clés (Lemoine), 60 Leçons de solfège avec accompagnement (Eschig), 60 Leçons de solfège sans accompagnement (Eschig), 20 Leçons de solfège en clé de sol (Lemoine), un Nouveau solfège moderne (Eschig), 3 cahiers d’Etude des intonations (Eschig), 5 cahiers d’Etude du rythme (Leduc), 5 cahiers d’Etude de l’audition (Lemoine) et un Manuel pratique pour l'étude des clés (Eschig).
(Coll. Michel Baron)
(coll. Max Méreaux)
(coll. Michel Baron)