LINA DAUBY : L’ENVOL D’UN CYGNE …
CONTRALTO ET CONCERTISTE BELGE
(Bruxelles, 24 août 1912 – Bruxelles, 21 février 2010)

 

Lina Dauby
Lina Dauby chez elle
( coll. de l'auteur ) DR

 

Issue d’une famille de musiciens, le contralto, pianiste et pédagogue belge Lina Dauby vient de nous quitter au terme d’une longue existence consacrée tout entière à la musique.

Son cursus pédagogique débute à l’âge de sept ans, puis évolue de premier prix en premier prix, pour culminer par un Prix de virtuosité de chant - avec distinction - au Conservatoire Royal de musique de Bruxelles en 1933. Il faut dire que l’artiste était prédestinée à la musique, avec un père faisant partie du Quatuor Carpet, au titre de pianiste, organiste et ténor. A sept ans, Lina Dauby étudie le solfège et les bases musicales, montrant des prédispositions précoces, auprès de l’Ecole de Musique d’Etterbeek (Bruxelles), puis à 12 ans, elle passe une audition au Conservatoire Royal de Musique de Bruxelles devant l’éminent pianiste et pédagogue belge Emile Bosquet : elle y obtiendra un premier prix, puis elle remportera un autre premier prix : harmonie écrite et contrepoint .

L’artiste, dotée d’une voix profonde et chaude de contralto, étudie brièvement avec le ténor belge Maurice Weynandt (qui formera de nombreux artistes lyriques belges), puis avec le mezzo-soprano Lina Pollard et en perfectionnement à Paris, avec le baryton et maître de chant français Charles Panzera (grâce à la bourse obtenue de la Fondation Reine Elisabeth de Belgique.)

Egalement, un perfectionnement en Italie (Accademia Chigiana à Sienne et auprès de l’Accademia Santa Cecilia) seront les derniers sésames ouvrant la voie au début d’une belle et longue carrière de concertiste, qui débutera dès son retour d’Italie, grâce à Désiré Defauw pour un premier concert au Conservatoire, placé sous sa direction.

En 1949, lors de son passage au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le ténor italien Beniamino Gigli aura l’occasion d’entendre Lina Dauby. Il se montrera fort enthousiaste en découvrant son talent et il ne tarira guère d’éloges à son sujet, au point de lui proposer le rôle de Maddalena (Rigoletto) à ses côtés, au Théâtre Royal de la Monnaie, projet qui finalement, pour de multiples raisons – notamment de programmation – ne pourra se concrétiser.

Lina Dauby
Lina Dauby à son piano
( coll. de l'auteur ) DR

Lina Dauby se spécialisera dans l’oratorio et la musique de chambre : elle n’abordera jamais l’opéra (des pourparlers ont été abandonnés avec la première scène lyrique de Belgique.) Elle donnera ainsi d’innombrables concerts, tant en Belgique qu’à l’étranger, dans un vaste répertoire, allant de la musique ancienne, jusqu’à la création contemporaine, brassant près de quatre siècles.

C’est ainsi que l’artiste collaborera avec les meilleurs musiciens de son époque : Franz André, Henri Büsser, Maurice Carême, Ernest Closson, Paul Collaer, André Defossez, Issay Dobrowen, François Quinet, François Ruhlmann, Daniel Sternefeld, Louis De Vocht, Albert Wolff, François Rasse, André Souris, Marcel Quinet, et tant d’autres. C’est ainsi qu’elle sera soliste de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, de la Société Philharmonique, de l’I.N.R. et de la N.I.R., de la Société Bach (Anvers), de la Société Internationale de Musique Contemporaine, des Concerts Pasdeloup (Paris), du Conservatorio Santa Cecilia (Rome), de l’Institut Belge de Londres, de la Société des Concerts de Göteborg, etc.

Elle partagera l’affiche avec des interprètes de tout premier plan et se produira en France, aux Pays-Bas, au Danemark, en Grande-Bretagne, en Suisse, en Italie, en Suède, en Norvège, en Espagne et en Afrique (dans le cadre de concerts, récitals et tournées.) Lina Dauby déploiera également une intense activité radiodiffusée et enregistrera plusieurs œuvres, notamment de compositeurs belges et français (créations radiophoniques ou créations absolues.) Voici quelques extraits d’une interview consentie par Lina Dauby à Claude-Pascal Perna, en 2005 :

 

Q. Charles Panzera fut un brillant interprète lyrique et surtout, un excellent pédagogue …

R. Oui, je dois admettre qu’il fut un très bon pédagogue : j’en conserve un souvenir positif et reconnaissant. Ce fut grâce au prix et à la bourse que je remportai auprès de la Fondation Reine Elisabeth de Belgique que je pus travailler avec Panzera, dès 1952. Grâce à cette bourse, je fis plusieurs séjours en Italie, notamment à Rome, auprès de l’Accademia Santa Cecilia, ainsi qu’à Sienne, à l’Accademia Chigiana. A Rome, je retrouvai Robert Wangermée – alors Directeur de la Radio Belge (I.N.R.) - qui lui aussi accomplissait un séjour d’études. Je m’étais alors fixée pour objectif de m’approcher le plus possible de la méthode de chant traditionnelle belcantiste italienne : j’y travaillai ainsi les divers aspects de la "technique de l’émission dite italienne ».

Lina Dauby, extraits de son répertoire
Extrait du répertoire de Lina Dauby
( coll. de l'auteur ) DR

 

Q. Quel souvenir conservez-vous de ce perfectionnement au sein de ces deux prestigieuses académies?

R. Le souvenir d’une expérience enrichissante et particulièrement utile. Je voulus m’imprégner des préceptes du belcanto et en étudier la technique sur place. Le professeur m’a fait corriger un élément de mon émission. En effet, j’avais tendance à trop « sombrer » la voix - comme on le faisait habituellement ici -. Le fameux Arturo Toscanini, du reste, n’appréciait guère les voix « sombrées ». Ce professeur voulut alors me présenter au chef d’orchestre en chef du Teatro alla Scala de Milan et me conseilla « d’éclaircir » un peu ma voix, ce qui m’a beaucoup plu et servie. Grâce à cet éclaircissement de l’émission, je pouvais ainsi disposer d’une étendue de trois octaves, ce qui est très rare: du contre-Ut grave au contre-Ut aigu. La bourse que j’avais remportée me donna libre accès à tous les cours dispensés par la vénérable institution: c’est ainsi que je participai, en auditrice assidue, à toutes les classes musicales, avec le plus grand intérêt! Je rencontrai ainsi d’innombrables premières étoiles du Teatro alla Scala !

 

Q. Vous avez connu les meilleurs musiciens, compositeurs et chefs d’orchestre du moment. Quels souvenirs particuliers conservez-vous de figures emblématiques telles que Désiré Defauw, Franz André ou encore, Paul Collaer?

R. J’ai beaucoup chanté sous la direction de Franz André. Après la seconde guerre mondiale, ce chef d’orchestre est même venu me rendre visite en Italie, où je me trouvais avec ma petite-fille qui venait de naître : nous avions réellement un contact chaleureux. Quant à Désiré Defauw, il était particulièrement exigeant et … formidable ! Il était bien différent de Paul Collaer, brillant musicien et pianiste, avec lequel j’ai fait une multitude de premières auditions en Belgique, notamment dans des œuvres contemporaines d’Arnold Schoenberg, d’Alban Berg ou encore de Paul Hindemith, répertoire musicalement difficile à aborder! Il aimait tout particulièrement « Le Livre des jardins suspendus » de Schoenberg. Il avait cherché sans trouver une interprète jusqu’à ce qu’il enregistre avec moi pour la firme discographique L’Oiseau-Lyre. Ce fut réalisé à Londres, avec Paul Collaer m'accompagnant au piano merveilleusement Pour rendre justice à cette composition, il fallait réunir une combinaison subtile de qualités, tant vocales que musicales: sur le plan de la tessiture, il était indispensable de dominer le grave, l’aigu et surtout, de maîtriser une musicalité sans failles.

 

Le contralto, au-delà de l’image d’une intense interprète d’oratorio et de mélodies, laisse le souvenir d’une excellente pédagogue (chant et piano) au sein de diverses académies (dès 1932, soit un an avant l’obtention de son Prix de virtuosité et jusqu’en 1977, année de son départ à la retraite, pour ensuite enseigner en qualité de professeur particulier.) Elle formera des artistes tels que Luigi Capasso, Betty Dieudonné, Jeanne Francelle, Henriette Guermant de la Berg, Pablo Herrero, Anna Marsilio, Lisette Vertongen, Janine Virlée, etc.) Musicienne née, brillante technicienne (fugue, contrepoint, harmonie), passionnée par la voix humaine, Lina Dauby aura incarné l’âme musicienne dans toute son insolente splendeur. Jusqu’à un âge très avancé, elle fera preuve d’une soif de connaissance, de perfectionnement sans pareil et se montrera toujours prête à prodiguer des conseils à de jeunes artistes, en leur permettant de donner le meilleur d’eux-mêmes … le temps d’une audition et pour les plus doués d’entre eux, d’envisager une carrière. Enfin, elle sera membre du jury de concours de chant (conservatoires et académies de musique en Belgique.)

Avec la disparition de Lina Dauby, une page majeure de l’histoire de la musique en Belgique se referme et avec elle, une galerie composée de centaines de figures-clés de la scène musicale européenne.

Claude-Pascal PERNA
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