Louise-Rosalie Dugazon (1755-1821), célèbre cantatrice, mère de Gustave Dugazon. Portrait peint par Elisabeth Vigée-Lebrun, en 1787.
( Reproduction: photo X... )" Quelle femme étonnante ! on dit qu’elle ne sait pas la musique, et pourtant je n’ai jamais entendu chanter avec autant de goût, d’expression, de naturel et de vérité. " Ainsi s’exprimait Grétry1 parlant de la Dugazon. On disait même, au sujet de sa plus célèbre création en 1786, Nina, ou la folle par amour: " Les paroles sont de Marsollier, la musique est de Dalayrac, et la pièce est de Dugazon. "2 Il faut dire que cette soprano, plus actrice que musicienne, très célèbre à son époque, qui parut comme danseuse à la Comédie-Italienne à l’âge de 12 ans, prit une place prépondérante dans l’opéra-comique et donna même son nom aux rôles qu’elle créa. C’est ainsi qu’on appelle " Dugazon " les rôles d’amoureuses et de soubrettes. Actrice adulée à la Comédie-Italienne, puis à l’Opéra-Comique, elle créa de nombreuses partitions de Grétry et Dalayrac. C’est ce dernier d’ailleurs qui la fit débuter en 1769, dans son opéra Lucile. Fétis3 rapporte que " les personnes qu’il ont entendue dans sa jeunesse parlent encore avec admiration de son jeu et même de son chant dans les rôles de Babet (de Blaise et Babet), de Justine (dans Alexis et Justine) et surtout de Nina ", car " actrice douée d’instinct, de finesse et de sensibilité, elle savait émouvoir, faisait verser des larmes ou provoquait à son gré la gaieté. " Son attachement à la famille royale et son refus de jouer des pièces issues de la Révolution l’éloigna du théâtre. Elle réapparut cependant en 1795 et durant une dizaine d’années joua des rôles de mères, ne pouvant plus interpréter ceux de jeunes amoureuses en raison d’un embonpoint incongru ! Elle mourut quelque temps plus tard à Paris, le 22 septembre 1821, enlevée par une hydropisie de poitrine et fut inhumée au cimetière du Père Lachaise, à côté de Grétry. Elisabeth Vigée-Lebrun , brillante portraitiste, a immortalisé cette actrice en 1787, qu’elle a peinte dans le rôle de Nina.4
Née à Berlin le 18 juin 1755, son père François-Jacques Lefèbvre était danseur et maître de ballet. L’un de ses frères, Joseph Lefèbvre était, quant à lui violoniste et compositeur. Arrivée à Paris à l’âge de 8 ans, Louise-Rosalie, dite Rose Lefèbvre épousait en 1776 Henry Gourgaud, dit Dugazon. Originaire de Marseille, où il était né en 1746, mort près d’Orléans en 1809, Dugazon était un acteur de théâtre connu appartenant à la Comédie-Française, spécialisé dans les rôles de valet de comédie. Il deviendra en 1786 professeur à l’Ecole de déclamation, puis plus tard au Conservatoire. Lors de la Révolution il prit part à tous les excès, notamment en se mettant au service, comme aide de camp, du général Santerre, un ancien maître brasseur du faubourg Saint-Antoine. On connaît le plan de campagne de ce dernier contre les Vendéens qu’il dressa le 1er juin 1793 à la tête de 14000 hommes mais qui échoua et lui valut cette épitaphe, alors qu’on le croyait mort :
Ci-git le général Santerre,
Qui n’avait de Mars, que la bière.L’une des sœurs de Dugazon, Françoise-Marie-Rosette Gourgaud (1743-1804) avait épousé Angélo Vestris, sociétaire de la Comédie-Italienne, qui n’était autre que le frère du célèbre danseur italien Gaetano Vestris (1729-1808). Installé en France en 1740, ce dernier était engagé à l’Opéra de Paris, où il restera premier danseur jusque 1781. D’une liaison avec la danseuse française Marie Allard (1742-1802), célèbre interprète du Devin du village de Jean-Jacques Rousseau et d’Armide de Lully, Gaetano Vestris eut en 1760 un fils, Augustin, également danseur à l’Opéra de Paris à partir de 1772.5
Affiche de l'exposition consacrée au chevalier de Saint-George, du 19 janvier au 30 mars 2001 aux Archives départementales de la Guadeloupe.
( Peinture de M. Brown, d'après un tableau original de Mr Angelo's Fencing Academy, Londres, 1788 )C’est à Paris, le 1er février 1781, que Rose Dugazon donna naissance à un fils prénommé Gustave. Certains prétendent, en raison d’une réelle mésentente au sein du couple Dugazon, qui aboutira à un divorce, que le véritable père de cet enfant n’est autre que le chevalier de Saint-George, personnage romanesque à la vie aventureuse et violoniste brillant. Le fait n’est pas impossible, d’autant plus qu’à cette époque le chevalier de Saint-George se trouvait bien à Paris où il avait en charge le théâtre et les concerts privés de Madame de Montesson. Or, la Dugazon était une fervente admiratrice de la famille royale ! Né le 25 décembre 1745 à la Guadeloupe (Antilles), d’une liaison de Guillaume-Pierre de Boulogne-Tavernier, contrôleur général, avec une esclave noire, Joseph de Boulogne, dit le chevalier de Saint-George, passa son enfance à Saint-Domingue et se rendit à Paris à l’âge de 13 ans. Extraordinairement doué pour tous les sports, il entra dans les Mousquetaires du roi et devint l’une des plus fines épées de toute l’Europe. Ecuyer de madame de Montesson, capitaine des gardes du Duc de Chartres, surnommé " L’Inimitable " en raison de ses dons multiples pour les sports, mais également les échecs et la musique, il se consacra en fin de compte à son unique passion : la musique. Elève de François Gossec pour la composition et de Jean-Marie Leclair pour le violon, il succéda à Gossec en 1773 comme chef d’orchestre du Concert des Amateurs. A sa fermeture en 1781, il fondait le Concert de la Loge Olympique. Le chevalier de Saint-George, Franc-Maçon lui même (L ... Les Neuf Sœurs "), s’était en effet associé avec le F... Gossec et également le F... Choderlos de Laclos qui lui écrira le livret de son premier opéra, Ernestine. Capitaine dans la Garde nationale à Lille en 1791, il se verra confier la mission de fonder un régiment de noirs : la Légion franche des Américains et du Midi, qui servit sous Dumouriez. A la tête de ce régiment, composé d’un millier de soldats, fut placé le lieutenant-colonel Alexandre Dumas-Davy de la Pailleterie 6, le père du célèbre romancier Alexandre Dumas. Emprisonné durant 18 mois, il réintégra la vie civile en 1797 pour ne plus s’occuper que de musique, jusqu'à sa mort arrivée le 12 juin 1799 à Paris, d’un ulcère vésical négligé.7
Joseph Boulogne “le Chevalier de Saint-George”, 1er mouvement de la Sonate pour la harpe avec accompagnement de flûte, fichier audio Max Méreaux (DR.)Quoiqu’il en soit, Dugazon fils, avec une telle hérédité, ne pouvait qu’être doué pour l’apprentissage de la musique et c’est ainsi que dès l'âge de 9 ans il entrait en mai 1790 à l'Ecole royale de chant, qui avait précédé la formation en 1796 du Conservatoire de Paris. Il rejoignit alors cet établissement, admis dans les classes de violon de Pierre Blasius et d’harmonie de Berton, avant d'entrer dans celle de composition de Gossec. Entre temps, en octobre 1802, il avait été nommé répétiteur de la classe de solfège-hommes. En 1806 il se présentait au Concours de Rome et obtint un premier Second Grand Prix avec sa cantate Héro, écrite sur des paroles de Saint-Victor. Il fit ensuite à Paris une carrière de professeur de piano et de compositeur. Son premier ouvrage Noémi fut un ballet donné au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, puis ce fut un opéra en trois actes : Marguerite de Waldemar (Théâtre Feydeau, 1812), suivi d’un autre opéra en un acte la Noce écossaise (1814). Avec Louis-Barthélémy Pradher8, professeur de piano au CNSM, il écrivit le Chevalier d’industrie en 1818 qui n’eut aucun succès. Ses ballets composés pour l’Opéra plurent davantage : Les Fiancés de Caserte (1817), Alfred le Grand (1822) et Aline (1823). Ses airs, mélodies, romances, nocturnes, fantaisies et autres quadrilles de contredanse rencontrèrent plus de popularité à une époque où ces genres de musique étaient très la mode.
Gustave Dugazon aurait peut-être pu connaître la notoriété si la mort de l’avait pas surpris à Paris, le 12 septembre 1829, à l’âge de 48 ans. Célibataire, il résidait alors 74 bis rue Saint-Lazare. Ses compositions sont retombées dans l’oubli, mais son nom restera à tout jamais inscrit sur le grand livre d’honneur des lauréats du Concours de composition de l’Institut de France.
Denis HAVARD DE LA MONTAGNE
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(2004, mise à jour: avril 2018)1) Rapporté par Jules Combarieu dans son Histoire de la musique, des origines au début du XXe siècle (Paris, A. Colin, 2ème édition, 1928). [ Retour ]
2) Id., tome III, p. 193. [ Retour ]
3) Biographie universelle des musiciens..., Paris,Didot, 1860-1881, 10 vol. [ Retour ]
4) Collection privée, Suisse. [ Retour ]
5) Marie-Jean-Augustin Vestris (1760-1842), créateur de ballets de Noverre (Les Petits Riens) et de Gardel (Ninette à la Cour), qui eut notamment pour élèves, dans la classe qu'il assumait à l'Opéra, Bournonville, Didelot et Perrot, eut à son tour un fils. Celui-ci ,Auguste-Armand Vestris (1788-1825), également danseur comme son père et son grand-père, fut le premier mari de l'actrice et directrice de théâtre anglaise, Lucia-Elisabeth Bartolozzi (1797-1856). [ Retour ]
6) Né à Jérémie (Saint-Domingue) le 25 mars 1762, mort à Villers-Cotterets (Aisne) le 26 février 1806, Alexandre Dumas père était le fils naturel du marquis Davy de la Pailleterie, un riche colon, et de Marie-Césette Dumas, une esclave noire. Il débuta une brillante carrière militaire en servant sous Dumouriez, qu'il termina comme général de division. [ Retour ]
7) Le chevalier de Saint-George est l'auteur de symphonies, concertos, quatuors, sonates pour violon et clavier, de près de 120 mélodies et de plusieurs opéras : Ernestine, la Chasse, L'Amant anonyme, Le Droit du seigneur, La Fille-Garçon, Le Marchand de marrons, Guillaume tout cœur. [ Retour ]
8) Pradher (1781-1834), élève de Gobert et de Berton, avait épousé en 1801 une fille de Philidor. L'année suivante, il succédait à Jadin dans sa classe de piano au Conservatoire de Paris et quelque temps plus tard épousait en secondes noces Félicité More (1800-1876), une cantatrice de l'Opéra-Comique. Il fut également pianiste de la Chapelle du Roi et enseigna son instrument aux enfants de Charles X. On lui doit des opéras et de la musique pour piano. [ Retour ]