Fusain de John Singer Sargent (collection Robert Cecil). |
Le samedi 8 novembre 1924, étaient célébrées en l'église de la Madeleine les obsèques de Gabriel Fauré qui s'était éteint quatre jours plus tôt à l'âge de soixante-dix-neuf ans. C'est ainsi que ce soixantième anniversaire de sa mort a été marqué, cette année, de plusieurs concerts consacrés à son oeuvre.
Rappelons le mot malheureux et incroyable qu'eut le Secrétaire d'Etat à l'Instruction Publique, Francis Albert, lorsqu'on lui demanda d'organiser pour Gabriel Fauré des obsèques nationales: "Fauré, qui est-ce?". Et pourtant Fauré avait été inspecteur des Beaux-Arts, professeur de composition puis directeur du Conservatoire National Supérieur, membre de l'Institut. Il semblerait inimaginable que, de nos jours, un ministre de la Culture puisse ignorer l’existence d'un Messiaen, d'un Dutilleux ou d'un Boulez. Fauré avait pourtant à son époque et surtout à la fin de sa vie une semblable notoriété! Gabriel Fauré eut néanmoins des obsèques grandioses en 1'église de la Madeleine ce 8 novembre à 10 heures, comme en avait eu, trente ans plus tôt, Charles Gounod, Fauré dirigeant la Maîtrise de la Madeleine, ou, trois ans auparavant, son grand ami et professeur Camille Saint-Saëns.
A l’église de la Madeleine, Gabriel Fauré y avait passé près de trente années comme maître de chapelle d'abord durant plus de dix neuf ans, puis comme organiste après Théodore Dubois, ses fonctions au Conservatoire ne lui laissant plus le temps d'assurer les charges alors très lourdes et très prenantes de maître de chapelle qui comprenaient, en plus des offices importants et des nombreuses cérémonies d'enterrement et de mariage, la direction de la Maîtrise d'enfants.
Nous nous proposons donc, en ce soixantième anniversaire, d'évoquer un aspect peut-être moins connu de Gabriel Fauré, musicien d'église et compositeur de musique religieuse.
On a souvent prétendu que Fauré n'avait pas la foi ou qu'il l'avait perdue. Il semble bien, au contraire, qu'il soit toujours demeuré très croyant comme le prouvent certains de ses écrits ainsi que la sincérité de sa musique religieuse. Encore élève à l'Ecole Niedermeyer, il compose le Cantique de Racine (1864); quelle sincérité dans cette oeuvre de jeunesse! Vingt quatre ans plus tard (1888), à propos de son Requiem, il écrit: "... c'est ainsi que je sens la mort; comme une délivrance heureuse, une aspiration au bonheur de l'au-delà, plutôt que comme un passage douloureux." Enfin, deux jours avant de mourir, il s'adresse à ses deux fils Emmanuel et Philippe : " Quand je n'y serai plus, vous entendrez dire de mon œuvre : après tout, ce n'était que ça! On s'en détachera peut-être [...] Il y a toujours un moment d'oubli! ...Tout cela n'a pas d'importance; j'ai fait ce que j'ai pu, et puis, jugez, mon Dieu." Voilà bien trois actes de foi profonde glanés sur soixante années d'existence! Alors, ne tirons pas de conclusions sur les périodes de tiédeur ou de doute que Fauré, comme tout un chacun, a pu connaître.
C'est dès l'âge de dix-neuf ans que Gabriel Fauré compose le Cantique de Racine, sa première oeuvre de musique religieuse, qui ne fut précédée que de quelques romances et quelques pièces pour piano. C'est son opus 11 et c'est aussi sa première oeuvre pour chœur à quatre voix qui, d'ailleurs, lui valut le premier prix de composition à l'Ecole Niedermeyer. Coup d'essai, coup de maître! Précisément l'Ecole Niedermeyer, du nom de son fondateur, s'appelait à l'origine Ecole de musique classique et religieuse. Fauré devait y demeurer durant plus de dix années comme élève, de 1854 (il a neuf ans) à 1865, car l'Ecole dispensait à la fois un enseignement général et l'enseignement de la musique à une trentaine d'élèves préparant la carrière de maître de chapelle. Il y eut pour compagnons, notamment, Eugène Gigout et Albert Périlhou et comme professeurs Niedermeyer, Lefebvre, Clément Loret, Dietsch, alors maître de chapelle de la Madeleine et surtout Camille Saint-Saëns avec qui il devait rester lié par une étonnante et profonde amitié de plus de soixante années.1 Dans cette Ecole où bien souvent les anciens élèves devenaient professeurs, on retrouve, par la suite, les plus grands noms de la musique : André Messager, Henri Büsser, Eugène Gigout, Alexandre Georges, Claude Delvincourt, Henri Dallier, Henri Expert. Comme Saint-Saëns, Fauré devait aussi y devenir président du Comité des études.
Jusqu'en 1905, Gabriel Fauré consacre une partie plus ou moins importante de sa vie à la carrière de musicien d'église, comme maître de chapelle ou comme organiste. Jusqu'en 1896, ce sera presque sa principale activité : il y est, le plus souvent, poussé et encouragé par Saint-Saëns lui-même régulièrement organiste jusqu'en 1877, l'année de son départ de la Madeleine. A vingt ans, sortant de l'Ecole Niedermeyer, il est nommé organiste à l'église Saint-Sauveur à Rennes, mais il ne s'y plaît guère; il y demeure jusqu'en 1870. L'année suivante il devient organiste à Paris successivement de Notre-Dame de Clignancourt, de Saint-Honoré d'EyIau puis de Saint-Sulpice comme organiste de chœur. Dans cette dernière église, il remplace parfois Widor au grand orgue. En 1877, son successeur sera André Messager, qui, lui-même, quelques années plus tard sera nommé à l'orgue de Sainte-Marie-des-Batignolles.
Dès 1874, Fauré tient également souvent les claviers du grand orgue de la Madeleine pour remplacer son ami Saint-Saëns fréquemment retenu par ses tournées de concertiste en province ou à l'étranger. Saint-Saëns était organiste de cette tribune depuis 1858 et devait y rester jusqu'en 1877. C'est en avril de cette même année que Fauré est nommé maître de chapelle de la Madeleine en remplacement de Théodore Dubois. Nous l'avons dit, ces fonctions de maître de chapelle étaient lourdes, les cérémonies nombreuses, avec une partie musicale importante. La direction de la Maîtrise d'enfants, les répétitions demandaient une grande dépense d'énergie et beaucoup de patience! En 1919 Fauré écrit à sa femme : "Je n'ai jamais été bon pour le travail le matin, sauf pour les besognes de mercenaire, maîtrise, orgue etc..."2 En 1894, préparant le concert du 17 octobre à la Madeleine où il devait diriger le Requiem de Gounod pour le premier anniversaire de la mort de l'auteur, il écrit déjà à Saint-Saëns : "Je meurs de fatigue sur le Requiem de Gounod avec les cruels enfants de la Maîtrise!"3
C'est durant cette longue période passée à la Madeleine que notre compositeur écrivit la majeure partie de sa musique religieuse, exception faite notamment du Cantique de Racine qui est bien antérieur, d'un Ave Maria pour trois voix d'homme et du Tu es Petrus datant de l'époque où Fauré était encore à Saint-Sulpice. En 1896, Fauré devient professeur de composition au Conservatoire de Paris, toujours grâce au rôle déterminant de Saint-Saëns alors membre du Conseil supérieur. Théodore Dubois devenu directeur du Conservatoire en cette même année abandonne ses fonctions d'organiste de la Madeleine. Fauré, ne pouvant cumuler ses tâches de maître de chapelle et sa classe de composition succède à Dubois à la tribune du grand orgue ; il devait donc rester encore à la Madeleine à ce titre jusqu'en 1905. Cette année là, il est nommé a son tour directeur du Conservatoire National; il abandonne alors définitivement la Madeleine et la composition de musique religieuse mais y revenant encore parfois pour des questions d'édition qui lui tenaient à cœur. En effet, en 1914, soit cinquante ans après avoir écrit le Cantique de Racine, il écrit à son Editeur Hamelle : " Pour le Cantique, je ne suis pas d'avis de changer le texte. Ce serait le rendre banal. Racine suffit puisque c'est Racine qui l'a inspiré." Notons au passage que, plusieurs années après, l'éditeur a dû passer outre, puisque l'on trouve dans son catalogue un Salve Regina à quatre voix "d'après le Cantique de Racine." Quelques jours après, dans une seconde lettre à Hamelle il revient sur ces questions et il écrit : " J'ai deux ou trois petits changements à faire au Cantique..." Ces lignes écrites par Fauré nous prouvent aussi que ce sont bien les textes choisis, latins ou français, qui inspiraient sa musique religieuse. Nous verrons grâce à une autre lettre comment il concevait sa propre musique religieuse.
La plupart des oeuvres religieuses de Gabriel Fauré sont, en fait, assez peu connues du public. Nous en avons fait l’expérience lors d'un concert tout récent4, mis à part le Requiem et le Cantique de Racine. Ces oeuvres sont jugées avec un certain mépris ou en tout cas avec condescendance par plusieurs biographes de Fauré. Il y a là une profonde erreur de jugement et, je pense, une incompréhension et une méconnaissance de cette musique qui semble avoir été lue superficiellement et trop rapidement par ces musicologues.
Bien sur, Fauré s'est surpassé dans bien d'autres oeuvres, profanes celles-là : des mélodies, la tragédie lyrique Prométhée, sa musique de chambre, ses pièces pour piano etc..., mais cette erreur de jugement est en fait une incompréhension totale de la pensée fauréenne lorsque notre compositeur écrit la plupart de ses motets. Il y a dans ces pages une recherche volontaire de très grande simplicité qu'un jugement hâtif assimile à de l'indigence, ce qui est profondément injuste. Cette musique est limpide, parfois naïve, pure et elle l'est à dessein, Fauré cherchant à exprimer les sentiments religieux des fidèles, sentiments à la fois simples et sincères qui ne se fondent pas toujours sur des connaissances théologiques compliquées, dans une assemblé le plus souvent peu musicienne.
Oui, musique qui touche, je viens de m'en rendre compte grâce aux réflexions de nombreux auditeurs entendues à l'issue de ce concert en l'église de la Madeleine auquel je faisais allusion. Cette musique religieuse a été vraiment conçue pour l’église et c'est donc bien dans l'église qu'elle nous touche, dans l'église que l'on y ressent son vrai caractère, sa véritable expression. Ce n'est pas à la simple lecture ni même à l'audition d'un enregistrement.
Pourtant, à titre d'exemple, l'admirable et pure mélodie En Prière si pleine d'émotion vraie et d'intériorité est expédiée en une phrase par Claude Rostand. " Cette mélodie, écrit-il n'est pas marquée du grand sceau fauréen mais se distingue par une inexplicable mièvrerie qui me dispense d'en parler davantage." On croit rêver ! Fauré lui-même attachait une certaine importance à cette page, se donnant la peine de l'orchestrer plusieurs années après sa composition bien qu'il fut ennemi de l'orchestre dans ces courtes pièces de chant, en général, car écrit-il, " elles y prennent une importance qu'elles n'ont pas par elle-mêmes." Fauré fit donc une exception pour En Prière comme pour quelques rares autres mélodies profanes.
Gabriel Fauré écrit sa musique religieuse en un style dépouillé qui, précisément, n'atteint pas ceux qui n'y cherchent que la musique et non pas, aussi, l'expression de la foi ou du sentiment religieux. Un autre reproche est fait parfois à la musique religieuse de Fauré; on lui trouve trop de sentimentalité romantique. Or, dans une lettre adressée en juin 1894 à la Princesse de Polignac, Fauré non seulement montre l'intérêt qu'il garde à ses compositions religieuses mais répond, par avance, à ce jugement : " J'ai composé quatre petits morceaux de musique religieuse, mais, (j'en suis désolé), pas dans l'esprit de la nouvelle Société de musique sacrée! J'y ai mis, si peu importants qu'ils soient, l'expression humaine qu'il m'a plu d'y mettre !"5 Ces quatre motets annoncés par Fauré sont peut-être l'Ave Verum, le Tantum ergo à trois voix, le Sancta Mater et l'Ave Maria pour solo. Cette Société que cite Fauré, recommandait de s'inspirer du chant grégorien et du style palestrinien pour composer de la musique religieuse afin de réagir contre un goût trop théâtral qui se répandait dans les églises et mettre en pratique le Motu Proprio de Pie X. Ses fondateurs étaient Vincent d'Indy, Alexandre Guilmant et Charles Bordes qui tous trois devaient donner naissance à la célèbre Schola Cantorum.
Si donc les pages religieuses de Fauré sont traitées par la plupart des musicographes sans aucune attention ni estime, une exception se remarque au sujet du Requiem qui, faisant appel à des moyens d'expression plus variés, plus importants, plus riches, toujours cependant dans le style fauréen, atteint même les plus endurcis. Rappelons toutefois que Fauré dut lui-même défendre son Requiem et se justifier auprès de ceux qui ne le comprenaient pas.
On oublie que Fauré était imprégné de liturgie et du style religieux par ses études musicales, par ses fonctions de maître de chapelle ou d'organiste. On oublie aussi que le compositeur doit s'imprégner lui-même des textes liturgiques, qu'il en connaît parfaitement la traduction, la destination, l'utilisation, le sens profond, et qu'il doit ainsi créer une atmosphère. Tout cela, beaucoup de musicologues l'ignorent ou ne le ressentent pas. Faute de connaître suffisamment ces textes, non seulement on en vient à faire des erreurs de jugement mais on confond les textes eux-mêmes. Ainsi l'un des meilleurs biographes de Fauré s'élève contre les critiques qui, analysant le Requiem, soulignent l'absence du Dies irae dans cette oeuvre. Il ajoute : " c'est à se demander si ces critiques ont vraiment des oreilles." C'est cet auteur qui se trompe car il cite comme argument le verset dies illa, dies irae qui fait partie du texte du Libera me, confondant ainsi ce verset :
Dies illa, dies irae, calamitatis et miseriae, dies magna et amara valde
avec le premier verset de la prose :
Dies irae, dies illa, solvet saeclum in favilla, teste David cum Sybilla
qui est suivi de dix-sept autres versets (dont le fameux Tuba mirum), prose qui a, en effet, inspiré tant de compositeurs tels Mozart, Saint-Saëns, Berlioz ou Verdi pour évoquer l'effroi de la mort et les trompettes du jugement dernier. On est loin de Fauré, de la délivrance heureuse et de l'aspiration au bonheur de l'au-delà qu'il a voulu exprimer dans sa musique mis à part ce très court passage du Libera me. C'est donc bien volontairement que Fauré n'a pas voulu utiliser le texte de cette prose Dies irae qui est tout à fait en dehors du Libera me.
En 1907, alors que ses occupations ne lui laissent plus le temps de composer de la musique religieuse, que ses fonctions vont bientôt l'éloigner de l'église et qu'il doit se consacrer à d'autres œuvres, mélodies, pièces pour piano, musique de chambre, Pénélope (drame myrique), Fauré se préoccupe encore de sa musique religieuse écrite bien des années avant comme il se préoccupera également en 1914, nous l'avons vu, de son Cantique de Racine. C'est ainsi qu'il écrit à son éditeur Hamelle : " Pour ce qui concerne le recueil de morceaux religieux, il faut y mettre tout : les pièces en solo, les duos, les chœurs. Le Tu es Petrus, très chanté dans presque toutes les maîtrises y sera on ne peut mieux à sa place, ainsi que le premier Tantum Ergo, solo et chœur. Inutile de faire deux tons. J'ai composé presque tous ces morceaux pour la Maîtrise de la Madeleine, et cela m'a entraîné à les écrire dans des tons pratiques, ni trop haut, ni trop bas." Et en post-scriptum, il ajoute : " J'en reviens à la question des chœurs qui sont précisément précieux actuellement dans les Maîtrises où on n'a plus de quoi payer les bons solistes."
Ce recueil ne parut, en fait, qu'en 1911, mais, contrairement à ce que demandait Fauré, il ne comporte que onze de ses morceaux religieux. On peut se rendre compte également que Fauré, alors directeur du Conservatoire, s’intéressait toujours à la musique d'église et se tenait au courant de ce qui se passait dans les Maîtrises.
II ne serait être question d'analyser ici toutes les œuvres religieuses de Gabriel Fauré; nous en donnons la liste complète ci-après, mais je pense que l'on peut signaler les plus belles d'entre elles :
Le Cantique de Racine, dont nous avons souligné plus haut l'inspiration merveilleuse, est devenu célèbre à juste titre. Nous avons insisté également sur la valeur de la mélodie En Prière et l'émotion qui s'en dégage. Le Tu es Petrus, même s’il apparaît moins "fauréen" est une page grandiose et majestueuse qui n'a pas vieilli. Le Tantum ergo op. 55, pour ténor ou soprano solo et chœur, reflète une émotion profonde devant le mystère de l'Eucharistie. II faut l'écouter dans sa version orchestrée, avec la harpe, l'orgue et les cordes. Le Tantum ergo op.65 n° 2, pour chœur à trois voix de femme et orgue, est plein d'une sensibilité bien dans la manière de son auteur. Le Sancta Mater mériterait incontestablement d'être plus connu : le texte est emprunté aux strophes 11, 13,et 16 du Stabat Mater. On n’en trouve même plus l'édition !
Le Salve Regina (op.67 n° 1) et l'Ave Maria sont aussi de petits chefs-d’œuvre où l'on retrouve l'inspiration de l'auteur de tant de mélodies inoubliables. Un Benedictus inédit est une courte page fort jolie que les " Chœurs de la Madeleine " sont les seuls à interpréter car j'ai eu la chance d'en découvrir le manuscrit de la main de Fauré, il y a une douzaine d'années, dans la bibliothèque musicale de l’église de la Madeleine.
La Messe basse a toute une histoire. En effet une première version de cette messe fut écrite pour le village de Villerville, en Normandie, en 1881, en collaboration avec André Messager. En 1907, lors de l'édition, le Gloria fut supprimé, le Kyrie de la plume de Messager fut remplacé par un Kyrie de Fauré lui-même. Celui-ci s'était montré tout heureux d'avoir mis sur pied cette messe avec une chorale d’adultes qui le changeait de la Maîtrise d'enfants dont il disposait à la Madeleine. Voici ce qu'il écrit en septembre 1882 : " J'ai fait un long et très agréable séjour à Villerville chez mes amis Clerc. J'ai trouvé là un groupe de très bons musiciens et quelques jolies voix [de femme], et de cet ensemble de bonne volonté est résultée l'exécution d'une petite Messe de ma composition avec accompagnement d'un petit orchestre. Malgré la gaîté des répétitions, ou peut-être à cause de la gaîté des répétitions, l'exécution a été excellente et cette maîtrise improvisée, aussi jolie à voir qu'agréable à entendre m'a un peu reposé de ma sévère Madeleine!"6
On voit donc par ces lignes charmantes que cette Messe basse peut être chantée par des voix de femmes et non pas, comme il a parfois été prétendu, uniquement par des voix d'enfants. D'autre part nous savons aussi que cette Messe avait été orchestrée par Fauré et Messager. Une autre lettre de Fauré donne des précisions : " Messager réclame la musique de la Messe pour écrire la partition de l’accompagnement; il se propose d'avoir un double quatuor (à cordes) qu'on trouverait à Trouville, plus une clarinette et un hautbois. "7 Il est regrettable que l'on ne puisse disposer ni de cette orchestration, ni de ce Gloria, ni du Kyrie primitivement écrit par Messager!
Enfin, un mot sur le Requiem. Jean-Michel Nectoux en a bien démontré la genèse. Ce Requiem fut écrit en plusieurs étapes. Ce fut d'abord le Libera me qui fut écrit en premier (1877), mais il ne figurait pas dans la première version du Requiem. Cette première version date de 1888. Fauré semble l'avoir écrite pour la mort de sa mère; elle comportait cinq parties : Introït et Kyrie, Sanctus, Pie Jesu, Agnus Dei, In Paradisum. Le Libera me figure dans la seconde version de 1892 avec l'Offertoire composé en 1889. L’orchestration fut elle-même transformée et étoffée au cours des années suivantes. Il n'est pas nécessaire de revenir sur la richesse mélodique de cette oeuvre, sur sa sobriété sur son caractère mystique et poignant. Nous avons cité plus haut le commentaire et l'explication qu'en donnait Fauré lui-même.
Pour conclure cet aperçu sur la musique religieuse de Gabriel Fauré et pour en résumer l'analyse, laissons la parole au compositeur : "...On a reproché à la musique de Gounod d'incliner trop à la tendresse humaine. Mais sa nature le prédisposait à sentir ainsi : l'émotion religieuse prend en lui cette forme. Ne faut-il pas accepter la nature de l'artiste?".8
Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE (1984)
____________
Maître de chapelle de l’église de la Madeleine, Paris VIIIe1) Lire Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré. Correspondance, soixante ans d'amitié, textes établis et présentés par Jean-Michel Nectoux, éditions Heugel, 1973 [ Retour ]
2) Fauré, Jean-Michel Nectoux, éditions du Seuil, 1972. [ Retour ]
3) Camille Saint-Saëns et Gabriel Fauré. Correspondance..., op. cit. [ Retour ]
4) Mardi 20 novembre 1984, église de la Madeleine, "Hommage à Gabriel Fauré pour le soixantième anniversaire de sa mort ", Les Chœurs et l'Ensemble Instrumental de la Madeleine sous la direction de Joachim Havard de la Montagne, avec Evelyne Madelon (soprano), Jean-Philippe Doubrère (basse), Eve Gilardoni (flûte), Michèle Gonzales (harpe), Philippe Brandeis (orgue) : Tu es Petrus, Benedictus (inédit), Tantum ergo op. 55, Salve Regina op. 67 n° 1, Sicilienne (extrait de Pelléas et Mélisande), Impromptu pour harpe op. 86, Madrigal op. 35 pour chœur et orchestre, Mélodie op. 7 n° 1 pour flûte et orgue, Ave Maria op. 67 n° 2, En Prière, Sancta Mater, Pavane op. 50 pour chœur et orchestre, Cantique de Jean Racine. [ Retour ]
5) Gabriel Fauré. Correspondance présentée et annotée par Jean-Michel Nectoux, édition Flammarion, 1980. [ Retour ]
6) Ibid. Gabriel Fauré. Correspondance... [ Retour ]
7) Ibid. Gabriel Fauré. Correspondance... [ Retour ]
8) Paris-Comoedia, juillet 1902, cité in Fauré par Jean-Michel Nectoux. [ Retour ]
LES ŒUVRES RELIGIEUSES DE GABRIEL FAURE
I – ŒUVRES EN FRANÇAIS- Cantique de Jean Racine op. 11 (1864), chœur à 4 voix mixtes et orgue (l’orchestration date de 1875). Fichier audio pour le lecteur Windows Media 9.
- Cantique à Saint Vincent de Paul ( 1868), pour voix et orgue (le manuscrit a été perdu).
- Noël op. 43 n° 1 (1885), pour une voix avec accompagnement de piano et harmonium.
- Il est né le Divin Enfant (1888), chœur d’enfants à l’unisson avec orgue, harpe, hautbois, violon, violoncelle et contrebasse (variation sur le thème populaire).
- En Prière (1890), cantique pour une voix et orgue ou orchestre.
II – MOTETS LATINS POUR CHŒUR- Super flumina " Psalmus CXXVI " (1863), pour chœur mixte et orchestre (inédit).
- Ave Maria (1871), 3 voix d’homme sans accompagnement.
- Tu es Petrus (1872), baryton solo, chœur à 4 voix mixtes et orgue.
- Benedictus (1880), chœur à 4 voix mixtes, orgue et contrebasse (inédit).
- Maria Mater gratiae op. 47 n° 2 (1888), chœur à 2 voix et orgue.
- Ecce fidelis servus op. 54 (1889), chœur à 3 voix (S. T. B.) et orgue.
- Tantum ergo op. 55 (1890), ténor ou soprano solo et chœur à 4 voix avec orgue et harpe (une orchestration existe à l’église de la Madeleine). Fichier audio pour le lecteur Windows Media 9.
- Sancta Mater (1894 ?), soli et chœur avec orgue.
- Ave verum op. 65 n° 1 (1894), duo ou chœur à 2 voix égales et orgue.
- Tantum ergo op. 65 n° 2 (1894), chœur à 3 voix de femme et orgue.
- Tantum ergo (1904), ténor solo et chœur à 4 voix mixtes avec orgue.
- Tantum ergo, inédit.
III – MOTETS LATINS POUR VOIX SEULE- O Salutaris op. 47 n° 1 (1887) avec orgue (une orchestration existe à l’église de la Madeleine).
- Salve Regina op. 67 n° 1 (1894) avec orgue et violon ou violoncelle.
- Ave Maria op. 67 n° 2 (1894) avec orgue et violon ou violoncelle.
On doit à Fauré encore un autre Ave Maria pour 2 voix (op. 93), duo pour 2 soprani avec orgue, dont il n’est pas facile d’en fixer la date de composition : 1906 probablement. Le compositeur écrit à son éditeur Heugel : " Cet Ave Maria est plus destiné, par son caractère, à la chapelle ou au salon qu’à une grande église." Un Ave Maria en duo également, mais pour ténor et baryton avec orgue, harpe, violon et violoncelle se trouve à la Bibliothèque de l’église de la Madeleine : seize mesures reproduisent le thème central du Salve Regina ! Mais nous n’avons pu vérifier s’il s’agit du même Ave Maria pour 2 soprani transposé.
IV – MESSES- Requiem op.48, pour soprano et baryton solo, chœur, orgue et orchestre.
- Messe basse (1881), pour solo et chœur à 2 voix de femmes.
J.H.M.