Jean Fellot à l'orgue de l'École Saint-Nicolas, rue de Vaugirard à Paris, dans les années 1930 ( coll. Dominique Fellot ) |
Jean Fellot par Luc Barbier
( coll. Dominique Fellot )L'année scolaire n'aura point passé sans que la mort ne frappe de nouveau notre Ecole1.
Jean Fellot2 nous a quittés, emporté en quelques semaines par un mal imprévu.
Il appartenait par sa nature et sa formation à cette race d'hommes dont la valeur se cache mais dont l'œuvre est féconde. Il avait reçu de ses maîtres le double don du talent et de l'oubli de soi. A l'exemple de Maurice Sergent, d'Abel Decaux, de Louis Vierne, il ne considérait dans l'art que son objet seul, sans aucun souci de paraître ou de dominer. Nous aimions trouver en lui la survivance de ces belles vertus, si caractéristiques de notre maison. Ce sont elles qui ont assuré la pureté de son sentiment musical, l'authenticité de son sens du style, et sa parfaite indépendance d'esprit. C'est grâce à elles qu'il sut être traditionaliste sans rigueur et moderniste sans engouement, s'ouvrir à toutes les influences sans être dupe d'aucune. Ceux qui le connaissaient savaient qu'il n'était pas facile de tromper son discernement ni de décourager sa fermeté. Ils en lisaient la preuve dans sa personne même : l'acuité du regard, le pli de la lèvre étaient en lui les signes vivants de la finesse et de la loyauté.
Il avait été, à la Schola, élève de Maurice Sergent et avait obtenu dans la classe de Louis Vierne le diplôme d'orgue supérieur. Nommé depuis professeur à l'Ecole César Franck, il communiqua aux élèves pendant vingt ans le sens le plus vrai de la tradition organistique, et tous ceux qui sont sortis de ses mains ont été marqués par cette empreinte. Notre enseignement de l'orgue lui doit une grande reconnaissance.
Gisèle Fellot-Mourguiart à l'orgue construit par Jean Fellot, 1978
( photo et coll. Dominique Fellot )Titulaire pendant trente-sept ans de la tribune de Notre-Dame du Rosaire [à Paris], il y avait laissé un profond souvenir. Quelques concerts qu'il y a donnés nous ont fait souvent regretter que son activité d'organiste n'ait pas dépassé davantage le cadre paroissial.
Mais une autre activité l'avait souvent retenu, celle des recherches sur la facture d'orgue3. Il publia il y a quelques années un opuscule sur le Plein-Jeu qui fut très remarqué. Cet ouvrage, où d'ailleurs il prit soin, avec sa courtoisie coutumière, de signaler les travaux de ses collègues, contribua beaucoup à éclairer la route des investigations en ce domaine qui commence seulement à être connu.
On sait aussi qu'il mit en pratique sa connaissance de la facture en construisant seul un orgue dans son appartement4. Cet instrument, sur lequel il donnait ses cours, reste le précieux héritage des siens, et, grâce à eux, quelquefois aussi de ses élèves, qui y trouvent, de surcroît, le souvenir parlant d'un maître qu'ils vénéraient et qu'ils aimaient.
Car Jean Fellot est mort entouré d'amitiés. Son talent et sa curieuse personnalité lui avaient attiré de nombreuses sympathies ignorées, qui se révélèrent de façon émouvante le jour de ses obsèques. En ces temps où les enterrements, même notoires, sont peu suivis, il y avait lieu d'être saisi par la multitude des assistants qui remplirent ce jour-là la nef entière de Notre-Dame du Rosaire. Le nombre et la ferveur des témoignages qui furent portés par des amis de toutes les catégories, depuis le plus humble de ses élèves ou de ses collaborateurs, jusqu'à Marcel Dupré qui avait demandé lui-même tenir l'orgue pendant la cérémonie, ont proclamé hautement la valeur de l'homme et de l'artiste que nous perdons.
En union profonde et respectueuse avec Madame Jean Fellot et sa famille, nous avons eu notre part dans ce bel hommage. Qu'il soit celui de toute notre Ecole, dont il représentait si fidèlement l'esprit, et qu'il a si longtemps et si bien servie.
Edouard SOUBERBIELLE 5
Lettre de Jean Fellot et programme de concert.____________
1) Il s'agit de l'Ecole supérieure de musique César-Franck où Jean Fellot enseignait l'orgue. Fondée en janvier 1935 par Guy de Lioncourt, Louis de Serres, Pierre de Bréville et Marcel Labey, issue d'une séparation d'avec la Schola Cantorum à la suite d'un désaccord au sujet du testament artistique de Vincent d'Indy, cette école a formé un grand nombre de musiciens de qualité, parmi lesquels Charles Brown, René Benedetti, Jean Pagot, Jeanne Joulain, Louis Aubeux, Eliane Lejeune-Bonnier, Antoinette Labye, Michel et Denise Chapuis, Joachim et Elisabeth Havard de la Montagne… et bien d'autres encore. Situé à Paris, 16 boulevard Quinet, puis 3 rue Jules-Chaplain et enfin 8 rue Gît-le-Cœur à partir de 1968, cet établissement a fermé ses portes à la fin des années 1980, après le départ de Charles Brown son dernier directeur. Ses directeurs furent successivement : Louis de Serres (1935-1942) , Marcel Labey et Guy de Lioncourt (1943-1955), René Alix (1955-1961), Olivier Alain (1961-1971) et Charles Brown (1971-vers 1985). Le présent article fut publié la première fois dans le bulletin de juin 1967 de l'Ecole César-Franck. [note D.H.M.] [ Retour ]
"L'Orgue classique français" par Jean Fellot, nouvelle édition revue et augmentée par Dominique Fellot, Edisud, 1993 2) Jean Fellot est mort le 2 mars 1967 à l'Hôpital Saint-Joseph (Paris XIV°). Né le 8 juin 1905 à Saint-Marcellin (Isère), il avait tout d'abord été élève du Conservatoire de Lyon, où il obtint un 1er prix d'orgue en 1928, avant d'aller se perfectionner à la Schola Cantorum, auprès de Maurice Sergent et de Louis Vierne. Par la suite il enseigna parallèlement l'orgue à l'Ecole César-Franck et le piano au collège Stanislas, tout en exercant des fonctions de maître de chapelle ou organiste dans les églises parisiennes de St-Louis-en-l'Ile, St-Augustin et surtout Notre-Dame-du-Rosaire de Plaisance. Le 2 mai 1937 lors du récital de Louis Vierne, Jean Fellot se trouvait à la tribune de Notre-Dame et c'est dans ses bras que Vierne s'écroula, victime d'une embolie.
Jean Fellot, fils de Stéphane Fellot et de Laure Caffarel, d’une fratrie de 12 enfants, était issu d’une vieille famille du Beaujolais. Son trisaïeul Joseph-Louis Fellot (1770-1837) était notaire à Lyon, son bisaïeul François Fellot (1797-1853), procureur du roi à Villefranche-sur-Saône et son grand-père, Louis Fellot (1828-1893), peintre-ornithologiste. C’est François Fellot qui fit l’acquisition de la propriété de Pierrefilant à Rivolet (Rhône) en 1829, toujours possédée de nos jours par la famille. Henri Fellot (1881-1944), cousin de Jean, fut un violoniste et musicologue renommé, auteur notamment d’articles sur Henri Duparc et Charles Bordes parus au début du XXème siècle dans la " Revue musicale de Lyon " (communications de Dominique Fellot et Jean-François Laroche).
Geneviève Halluitte (1897-1977), épouse de Jean Fellot, fut également organiste à Paris, notamment à St-Augustin, Notre-Dame-du-Rosaire et au Collège Stanislas, ainsi que leur belle-fille Gisèle Fellot-Mourguiart (née en 1936), 1er prix de solfège, déchiffrage, harmonie, piano et ensemble instrumental au CNSMP, qui exerça durant plus de 20 ans à l’église de St-Denys-du-St-Sacrement à Paris. [notes D.H.M.] [ Retour ]
3) On lui doit notamment un ouvrage " L'Orgue classique français ", paru en 1962, réédité chez Edisud en 1993, qui, comme le souligne Jean-Louis Coignet dans la préface de la réédition, " fit l'effet d'un pavé dans la marre. Ce n'est pas que l'ouvrage se présentât comme essentiellement polémique, mais le simple rappel des règles qui sont à la base du concept même d'orgue classique français comportait la condamnation des pratiques de la structure étatique qui dirige la restauration des orgues anciens. " [note D.H.M.] [ Retour ]
4) Cet instrument, construit par Jean Fellot entre 1950 et 1955, constitué de 10 jeux répartis sur 2 claviers de 56 notes et pédalier de 30 notes, est installé de nos jours en banlieue parisienne, chez son fils Dominique Fellot. [note D.H.M.] [ Retour ]
5) Edouard Souberbielle (1899-1986) a été considéré, durant plus de cinquante ans, comme l'un des maîtres de l'orgue contemporain. Elève à la Schola Cantorum (Abel Decaux, Maurice Sergent, Louis Vierne), puis brillant 1er prix d'harmonie et 1er Prix d'orgue au CNSM dans les classes de Jules Mouquet et Eugène Gigout, il enseigna ensuite l'orgue pendant de longues années à partir de 1928 : à la Schola Cantorum, à l'Ecole César-Franck et à l'Institut catholique de Paris. Parallèlement à ses activités pédagogiques, Edouard Souberbielle fut maître de chapelle ou organiste de plusieurs églises à Paris : Notre-Dame-de-la-Croix et St-Léon, puis St-Ambroise, et enfin St-Pierre-de-Chaillot et St-Joseph des Carmes. Par l'intermédiaire de Ricardo Vines, ami de la famille, il fit la connaissance de l'écrivain Léon Bloy, dont il épousera la fille Madeleine. Ce sont les parents de Léon Sourberbielle, décédé en 1991, organiste de St-Germain-l'Auxerrois et maître de chapelle de La Trinité, et les grands-parents de Jean-Christophe Souberbielle, actuel organiste de St-Joseph des Carmes, et du violoniste Alexis Galperine. [note D.H.M.] [ Retour ]