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Antoine de Saint-Exupéry, bronze de Madeleine Tezenas du Moncel, Jardin Royal de Toulouse ( © photo France Ferran, 2005 )
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Antoine de Saint-Exupéry ( d'après une gravure de Pheulpin pour un timbre-poste de France, 1970 )
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Qui ne connaît pas Antoine de Saint-Exupéry, ce héros au destin tragique qui avait si bien su prendre conscience de la grandeur de l’homme? Même les enfants savent qu’il est l’auteur de ce merveilleux conte qu’est le Petit Prince, maintes fois publié en livre ou encore enregistré sur disque, immortalisé notamment par la voix de Gérard Philippe. Par contre bien des personnes ignorent que le grand-père maternel de cet " homme complet ", comme aimait l’appeler Léon-Paul Fargue, était un grand humaniste à l’instar d’un Fernand de la Tombelle1.
Né le 27 octobre 1810 à Aix-en-Provence et décédé dans cette même ville, le 21 mars 1875, le baron Emmanuel de FONSCOLOMBE était issu d’une vieille famille provençale. Son grand-père, prénommé également Emmanuel, seigneur de Fonscolombe (à Puy-Sainte-Réparade) et de la Mole (canton de Saint Tropez), conseiller au parlement de Provence acheta le château de la Mole en 1770 au frère du célèbre Bailli de Suffren. D’ailleurs ce château appartient toujours à la famille de Fonscolombe.
Emmanuel, le musicien, fit ses études au collège des Jésuites d’Aix. C’est là qu’il se lia d’amitié avec Félicien David, futur compositeur de musique, auteur de symphonies, de musique de chambre et d’opéras, l’un des représentants de l’exotisme musical et le successeur de Berlioz à l’Académie des Beaux-Arts en 1869. Sans doute celui-ci, qui se faisait remarquer par une mémoire extraordinaire et par ses talents de violoniste eut-il quelque influence sur son camarade d’école Emmanuel de Fonscolombe? Félicien David lui dédiera d’ailleurs plus tard sa grande ode-symphonie Désert, exécutée au Conservatoire de Paris en 1844 et qui fit le tour du monde. Quoiqu’il en soit son goût prononcé pour la musique, développé par un enseignement adéquat avec une fréquentation assidue de la cathédrale Saint-Sauveur d’Aix, ne le quitta plus, bien qu’il entreprit des études de droit. Au contraire, il se mit rapidement à composer. Il faut dire qu’ayant été siège du Parlement de Provence, de la sénéchaussée ainsi que résidence épiscopale, Aix-en-Provence s’était rapidement donné les moyens de propager l’art musical. La réputation de la Maîtrise de sa cathédrale, connue dès avant 1259, au fil des siècles ne s’était jamais démentie. Bien au contraire elle attira des maîtres de musique d’intérêt national et forma nombre de musiciens qui firent par la suite une brillante carrière dans toute la France.
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Château de la Mole (Var) appartenant à la famille Boyer de Fonscolombe depuis 1770.
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Par exemple André Campra et Jean Gilles n’ont-ils pas été formés par les chanoines de cette Maîtrise au cours de la seconde moitié du XVII° siècle? Félicien David, avant son départ pour Paris en 1830, a d’ailleurs été quelque temps second chef d’orchestre au théâtre d’Aix et maître de chapelle de la cathédrale d’Aix. Il est ainsi fort probable qu’Emmanuel de Fonscolombe eut parfois l’occasion de remplacer son ami Félicien David dans l’une de ses fonctions, au cours de cette période.
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Marie de Fonscolombe, mère d'Antoine de Saint-Exupéry et petite-fille d'Emmanuel de Fonscolombe.
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Notre musicien s’essaya d’abord à la composition de pièces pour salon, romances et autres mélodies vocales qui obtinrent un certain succès. Parmi celles-ci : la Danse des morts, le Forban et 20 Mélodies pour chant, avec accompagnement de piano (Paris, éditions Colombier). Alors il se mit à écrire de la musique de chambre, avec notamment un Trio pour violon, violoncelle et piano, de la musique théâtrale et beaucoup de musique religieuse. Il serait fastidieux de produire ici une liste de tout l’oeuvre de ce musicien. Cependant, citons les titres les plus marquants :
- un opéra-comique en 2 actes un Prisonnier en Crimée, représenté à Marseille. Cette oeuvre lui fut inspirée par l’expédition d’Orient en 1854 de son frère le colonel de cavalerie Ludovic de Fonscolombe. Elle semble se confondre avec l’opérette Hermance ou la Guerre et la Paix,
- une messe solennelle à grand orchestre : Messe en si bémol majeur pour 3 voix d’hommes (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus), créée le 26 mars 1856 à Marseille,
- une Messe brève en sol majeur pour soprano, ténor, baryton, 1er et 2e violon, alto, violoncelle, contrebasse et orgue,
- de nombreux motets : Justus ut palma florebit pour voix d’hommes et orchestre; Ave maria (3 voix de femmes); O Salutaris à 3 voix; Ave verum à 4 voix; Invocations à la Vierge; Panis angelicus à 3 voix; Séquence Notre Dame de la Sede; Stabat mater à 3 voix; Tout l’univers à 4 voix (Racine)...
On doit également à M. de Fonscolombe une édition critique du Miserere de Carissimi ainsi qu’une remarquable traduction de l’italien, en 1868, de l’ouvrage (2 volumes, Rome, 1828) de l’abbé G. Baini intitulé Mémoires historiques et critiques sur la vie et les oeuvres de Giovanni Pierluigi da Palestrina, dit le Prince de la Musique. Cette traduction, conservée précieusement sous forme de manuscrit dans les archives du château de la Mole, est composée d’un préambule et 36 chapitres.
Ajoutez à cela que Emmanuel de Fonscolombe, esprit brillant, juriste de formation, habile compositeur de musique, comme nous venons de le voir, était en outre féru de géologie, d’entomologie et de botanique, et vous aurez ainsi dressé le portrait d’un homme épris de belles choses, curieux de tout, généreux et doté d’une rare culture intellectuelle. Mais les français ayant ce curieux et étrange comportement de n’honorer que ce qui vient d’ailleurs, l’oeuvre musicale de M. de Fonscolombe était rapidement tombée dans l’oubli, quoiqu’elle soit ardemment conservée et défendue par ses descendants. Heureusement, voici quelques mois, le chef d’orchestre Henri GALLOIS, qui s’attache à mettre en valeur la musique des compositeurs provençaux a ressuscité la Messe brève en sol majeur nécessitant un choeur à 3 voix et un orchestre à cordes. C’est ainsi que l’Orchestre Symphonique Méditerranéen Mare Nostrum, avec l’Ensemble Choral de Lorgues (70 choristes dirigés par Benoît Sallé) placés sous sa direction, ont donné à 4 reprises, dans une magistrale interprétation, cette messe en première mondiale: le 2 décembre 1995 à la Collégiale du Luc-en-Provence, le 3 décembre à la Maison des Arts et de la Culture de Six-Fours, le 9 à l’église de Cogolin, et enfin le 23 décembre à l’église de Carcès. Le public venu nombreux, curieux de découvrir cette messe inédite, a été visiblement très heureux de pouvoir participer à la résurrection de cette musique de qualité. Il n’est qu’à souhaiter à présent que Henri Gallois puisse trouver, comme il le souhaite, les fonds nécessaires afin de l’enregistrer. En conséquence nous attendons avec beaucoup d’impatience la parution (?) de ce disque!