François-Joseph GOSSEC
(1735 - 1829)
Gossec, lithographie par Jules Boilly, 1825 ( BNF, département de la musique ) |
par François-Joseph Fétis (1866)
Biographie universelle des musiciens
et bibliographie générale de la musique
Paris, Firmin Didot, t. IV, pp. 60-63 (1866)
GOSSEC (FranÇOIS-JOSEPH), né à Vergnies, village du Hainaut (Belgique), le 17 janvier 1735, mort à Passy, le 16 février 1829. Cet habile artiste, dont les heureuses dispositions pour la musique s’étaient manifestées de bonne heure, fut placé, à l’age de sept ans, comme enfant de chœur à la cathédrale d'Anvers. Après y avoir passé huit années, il en sortit pour se livrer à l’étude du violon et de ce qu'on nommait alors l'art de la composition. Ses progrès furent rapides, et bientôt ses amis jugèrent que le séjour de Paris était le seul qui convînt à ses talents. Il y arriva à l’âge de dix-huit ans, en 1751, et n'eut d'abord d'autre ressource que d'entrer chez le fermier général La Popelinière, pour diriger l’orchestre que ce financier entretenait à ses frais. Alors Rameau était dans toute sa gloire, C’est sous ses yeux que Gossec fit son début dans la capitale de la France, et ce fut dès ce moment que celui-ci comprit tout ce qu'il y avait à faire pour réformer la musique française. Le style instrumental lui parut surtout mériter son attention. En effet, si l’on excepte quelques sonates de violon, et les pièces de clavecin de Couperin et de Rameau, il n'existait rien en ce genre qui méritât quelque estime parmi les productions françaises ; la symphonie proprement dite y était absolument inconnue. Les premières furent publiées par Gossec, en 1754 ; c'était une chose nouvelle ; on n'en sentit pas d'abord tout le prix ; mais, après les avoir entendues au Concert spirituel plusieurs années consécutives, le public commença à goûter ces formes vigoureuses d'harmonie et d'instrumentation, et les ouvertures de Lulli ou de Rameau ne purent plus soutenir la comparaison dans un concert. Il est assez remarquable que ce fut dans l’année même où Gossec tentait cette innovation en France, que la première symphonie de Haydn fut écrite.
Devenu vieux, Rameau cessa d’écrire pour le théâtre ; et La Popelinière, qui n'avait établi son orchestre que pour essayer ses ouvrages, le réforma. Alors Gossec entra chez le prince de Conti, comme directeur de sa musique. Cette situation était avantageuse ; il profita des loisirs que lui laissait sa place, pour se livrer au travail, et des compositions de tout genre en furent le fruit. Ses premiers quatuors parurent en 1750, et eurent tant de succès, que l’édition de Paris fut contrefaite, dans l'espace de deux ans, à Amsterdam, à Liège et à Mannheim. Mais l'ouvrage qui fit le plus d'honneur à Gossec, et qui fonda sa réputation, fut sa messe des Morts, qu'il fit graver en 1750, et qui fut exécutée à Saint-Roch avec un effet prodigieux. Philidor, qui était alors le musicien le plus en réputation, dit en sortant de l’église qu'il donnerait tous ses ouvrages pour avoir fait celui-là.
Ce ne fut qu'en 1764 que Gossec s'essaya dans le style dramatique par le petit opéra du Faux Lord, qui fut représenté à la Comédie-Italienne, et qui ne se soutint que par la musique. Mais les Pêcheurs, qui furent joués le 8 avril 1766, eurent tant de succès, que ce fut presque le seul opéra qui occupa la scène pendant le reste de l’année. Le Double Déguisement, Toinon et Toinette, au même théâtre ; et à l’Opéra : Sabinus, Alexis et Daphné, Philémon et Baucis, Hilas et Sylvie, la Fête du village, Thésée, Rosine, etc., ont achevé de classer Gossec parmi les compositeurs dramatiques les plus distingués de l'école française.
En 1770, il fonda le concert des amateurs, dont l’orchestre était dirigé par le fameux chevalier de Saint-Georges. C'est de cette institution que date la première impulsion donnée au perfectionnement de l'exécution instrumentale en France, et Gossec peut être considéré comme y ayant eu la plus grande part. Jusqu'alors les partitions les plus chargées d'instruments n'avaient renfermé que deux parties de violon, viole, basse, deux hautbois et deux cors. Gossec sentit qu'avec de nouveaux instruments on parviendrait à varier les effets, et il écrivit pour le concert des amateurs sa vingt-unième symphonie, en ré, dont l'orchestre se composait de deux parties de violon, viole, violoncelle, contrebasse, deux hautbois, deux clarinettes, flûte, deux bassons, deux cors, deux trompettes et timbales. L'effet en fut très-remarquable. Dans le même temps, Gossec écrivit sa symphonie de la chasse, qui depuis a servi de modèle à Méhul pour son Ouverture du Jeune Henri.
L'entreprise du Concert spirituel était devenue vacante, en 1775 ; Gossec s'en chargea en société avec Gaviniès et Leduc aîné. Pendant les quatre années de sa direction, cet établissement prospéra, et le goût s'améliora par le bon choix des ouvrages qu'on y exécuta, et par le grand nombre des talents étrangers qui y furent attirés. Mais le service le plus essentiel que Gossec rendit à la musique française fut l'institution de l’Ecole royale de chant, première origine du Conservatoire. La direction de cette école, fondée en 1784, fut confiée à ce savant musicien, qui en avait conçu le plan, par le baron de Breteuil. C'est là que furent formés quelques-uns des acteurs qui ont brillé depuis lors sur les principaux théâtres de Paris. Gossec y donnait des leçons d'harmonie et de contrepoint : il commença ainsi l’édifice de l’école française, qui, depuis lors, s'est placée très-haut dans l'opinion des artistes de toute l'Europe pendant une période d'environ quarante ans.
Les fêtes nationales de la Révolution française ouvrirent un nouveau champ aux talents de Gossec. La plupart de ces fêtes ayant lieu en plein air, il était difficile d'y faire usage des instruments à cordes : Gossec imagina d'accompagner les hymnes et les chœurs avec des orchestres d'instruments à vent, et il écrivit dans ce système un grand nombre de morceaux, et même plusieurs symphonies qui se distinguent par une rare énergie. Toute cette musique excitait alors le plus vif enthousiasme. Ses opéras du Camp de Grandpré et de la Reprise de Toulon se firent aussi remarquer, dans le même temps, par les mêmes qualités. Ce fut dans le premier de ces ouvrages qu’il arrangea en chœur et à grand orchestre l’Hymne des Marseillais, avec une harmonie remarquable par son élégance et sa vigueur.
Lors de l'établissement du Conservatoire, en 1795, Gossec fut nommé l’un des inspecteurs de cet établissement, et concourut activement à son organisation, ainsi qu'à la formation de plusieurs ouvrages élémentaires destinés à l’enseignement des élèves. Quoique déjà fort âgé, il ne montrait pas moins d'ardeur et d'activité que ses jeunes confrères Méhul et Cherubini ; et même ce fut lui qui eut la plus grande part à la rédaction et à la confection des diverses parties du volumineux solfège que les professeurs du Conservatoire ont publié. Il ne se borna point à ce travail ; car, lorsque l'on crut les études assez avancées pour pouvoir joindre une chaire de composition à celles qui existaient déjà, ce fut lui qui se chargea des fonctions de professeur, et pendant plus de douze ans, c'est-à-dire jusqu'en 1814, il remplit ces fonctions avec zèle. Ainsi, il enseigna les principes de son art jusqu'à l'âge de quatre-vingt-un ans. Au nombre des élèves qu'il a formés, on distingue Catel, mort à Paris, en 1831; Androt, qui mourut jeune à Rome ; Dourlen, Gasse et Panseron.
A l’époque de la formation de l’Institut, Gossec y fut appelé comme membre de la section de musique, dans la classe des beaux-arts, et Napoléon lui accorda la décoration de la Légion d'honneur, lorsqu'il institua cet ordre. Après la dissolution du Conservatoire de musique, en 1815, il fut admis à la pension, et cessa de s'occuper de son art, pour goûter le repos qui lui était nécessaire après tant de travaux. Toutefois, il continua de fréquenter les séances de l'Académie des beaux-arts jusqu'en 1825 ; mais alors, ayant atteint l’âge de quatre-vingt-dix ans, ses facultés s'affaiblirent, et il se retira à Passy, où le reste de ses jours s’écoula paisiblement.
Gossec est un exemple remarquable de ce que peuvent produire le travail et l’étude. Fils d'un laboureur, dénué des avantages de la fortune et du secours des maîtres, il s'est formé seul, et s'est acheminé vers une route pure et classique, dont il semblait devoir être écarté par tout ce qui l'environnait. Placé dans une école imbue des préjugés les plus nuisibles, il a su se préserver de ses erreurs, et a jeté les bases de la splendeur où la musique française est parvenue. L'étude des modèles classiques et je ne sais quel pressentiment de la science, qui en est le génie, lui avaient fait devancer l’époque où cette science devait s'organiser et prendre de la consistance en France ; et lorsque les circonstances vinrent seconder ses vœux et ses efforts, on le vit, bravant les atteintes de l’âge, prodiguer à une jeunesse studieuse l'instruction qu'il ne devait qu'à lui-même, et qui était le fruit d'un travail constant.
Voici la liste des ouvrages les plus connus de ce musicien laborieux :
1° MUSIQUES DRAMATIQUES : à l’Opéra, 1773, Sabinus, trois actes ; 1775, Alexis et Daphné, un acte ; Philémon et Baucis, un acte ; 1776, Hylas et Sylvie, un acte ; 1778, la Fête du village, un acte ; 1789, Thésée de Quinault, remis en musique, trois actes ; 1796, la Reprise de Toulon. A la Comédie-Italienne : 1764, le Faux Lord, un acte ; 1766, les Pêcheurs, un acte ; 1767, Toinon et Toinette, un acte; le Double Déguisement, un acte. Cet ouvrage n'eut qu'une représentation. A la Comédie-Française, les chœurs d’Athalie. Gossec avait en portefeuille quelques opéras non achevés, parmi lesquels se trouvait une Nitocris, à laquelle il travaillait encore à l’âge de soixante-dix-neuf ans.
2° MUSIQUE D’ÉGLISE. Plusieurs messes avec orchestre ; plusieurs motets pour le Concert spirituel, entre autres, un Exaudiat, qui fut redemandé plusieurs fois ; la célèbre messe des Morts qui a été gravée en 1760, et dont les planches ont été volées et fondues ; un Te Deum, qui eut beaucoup de réputation ; O Salutaris hostia, à trois voix, sans accompagnement, qui fut écrit à un déjeuner chez M. de la Salle, secrétaire de l'Opéra, au village de Chenevières, et chanté à l’église du lieu, deux heures après, par Rousseau, Laïs et Chéron. Ce morceau, devenu célèbre, a été intercalé dans l'oratorio de Saül. Quelques oratorios exécutés au Concert spirituel, parmi lesquels on distinguait celui de la Nativité. Il y avait dans cet ouvrage un chœur d'anges très-remarquable, qui se chantait au-dessus de la voûte de la salle.
3° MUSIQUE À L’USAGE DES FÊTES PATRIOTIQUES : 1° Chant du 14 juillet (Dieu du peuple et des rois). 2° Chant martial (Si vous voulez trouver la gloire). 3° Hymne à l'Être Suprême (Père de l'univers). 4° Hymne à la liberté (Vive à jamais la liberté). 5° Autre (Auguste et constante image). 6° Hymne à l’humanité (O mère des vertus). 7° Hymne à l’égalité (Divinité tutélaire). 8° Hymne funèbre aux mânes des députés de la Gironde. 9° Hymne patriotique (Peuple, reveille-toi). 10° Hymne à trois voix pour la fête de la Réunion. 11° Chant funèbre sur la mort de Ferrand. 12° Serment républicain (Dieu puissant). 13° Chœurs et chant pour l’apothéose de Voltaire. 14° Idem pour l'apothéose de J.-J. Rousseau. 15° Musique pour l'enterrement de Mirabeau, qui fut depuis employée pour les obsèques du duc de Montebello, etc.
4° MUSIQUE INSTRUMENTALE. Vingt-neuf symphonies à grand orchestre, dont trois pour instruments à vent ; trois œuvres de six quatuors pour deux violons, alto et basse ; une œuvre de quatuors pour flûte, vlolon, alto et basse ; deux œuvres de trios pour deux violons et basse; deux œuvres de duos pour deux violons. Six sérénades pour violon, flûte, cor, basson, alto et basse ; une symphonie concertante pour onze instruments obligés ; plusieurs ouvertures détachées, etc., etc. Toute cette musique a été publiée à Paris, chez Venier, Bailleux, La Chevardière, Sieber, etc.
5° LITTÉRATURE MUSICALE. 1° Exposition des principes de la musique, servant d'introduction aux solfèges du Conservatoire. 2° Deux rapports lus à l’Institut sur le progrès des études musicales et sur les travaux des élèves pensionnaires à Rome. 3° Divers rapports sur des instruments ou des méthodes soumis à l’examen de l'Institut ou du Conservatoire.
6° MUSIQUE ÉLÉMENTAIRE. Beaucoup de morceaux à deux, trois et quatre parties dans les solfèges du Conservatoire.
Une récapitulation si considérable, bien qu'abrégée, doit frapper d’étonnement, si l’on fait attention aux nombreuses occupations qui ont rempli la vie de Gossec, soit comme professeur, soit comme directeur de divers établissements de musique, soit enfin comme inspecteur du Conservatoire. M. Pierre Hédouin, amateur distingué, a publié une notice sur cet artiste, sous le titre : Gossec, sa vie et ses ouvrages, Valenciennes, 1852, in-8°, avec le portrait de Gossec.
par Henri Radiguer (1914)
professeur au Conservatoire de Paris
extrait de "La musique française de 1789 à 1815"
in Encyclopédie de la musique et Dictionnaire du Conservatoire
Fondé par Albert Lavignac
(Paris, Librairie Delagrave, 1931)
François-Joseph Gossec, de son vrai nom Gossé, est né le 17 janvier 1734 à Vergnies, village de la prévôté de Maubeuge, que Louis XIV avait fait français, et qui est redevenu belge depuis 1815.
Fils d'un laboureur très pauvre, il fut occupé, dès la tendre enfance, à garder les vaches. Poussé par l’instinct musical qui l'animait, il remplit les longues heures vécues dans les champs, en écoutant chanter les oiseaux et en improvisant de naïves mélodies qui leur répondaient. Puis, après avoir entendu le ménétrier, il se fit, avec un sabot, une espèce de violon, sur lequel il s'efforça de reproduire les sons qui chantaient en lui. Bientôt tout le village s'intéressa au petit pâtre musicien, et un oncle plus fortuné prit soin d'aider au développement de son intelligence et de ses dispositions musicales si précoces
On le mit à l’école et à l'eglise, pour qu'il chantât, au lutrin avec les enfants de chœur. Quelques mois plus tard, Gossec était admis à la maîtrise de la cathédrale d'Anvers, où, pendant huit années, il étudia la musique. Lorsqu'il en sortit, à l’âge de dix-sept ans, il savait jouer du violon, et ses connaissances en contrepoint et en fugue étaient suffisantes pour lui permettre de composer correctement. De riches amateurs de musique réunirent alors les ressources nécessaires à la réalisation du désir ardent qui lui vint de se rendre à Paris.
Il y arriva en 1751, avec une lettre de recommandation pour Rameau. Le maître accueillit paternellement son jeune confrère, reconnut en lui un talent et une énergie dignes d'être encouragés, et lui procura l'emploi de directeur de la musique, chez le fermier général La Popelinière.
L'orchestre du célèbre financier avait été formé pour l’exécution des œuvres nouvelles de Rameau. Gossec, en dirigeant avec une consciencieuse reconnaissance l'étude et l'interprétation des ouvrages de son protecteur, acquit rapidement une grande expérience de chef d'orchestre et compléta son éducation de compositeur. Dès l'année 1754 il fut en état de se produire à côté du maître glorieux ; et, pour l'orchestre dont il avait la direction, il écrivit ses premières symphonies. Leur apparition attira sur lui l'attention de tous les musiciens. Il inaugurait en effet un genre que personne n'avait encore essayé en France, et qui ne devait fleurir en Allemagne que cinq ans plus tard, avec Haydn. Le répertoire des concerts se bornait jusque-là à des pièces pour le clavecin, à des sonates pour violon ou viole avec clavecin, à des ouvertures pour orchestre. Les symphonies de Gossec assurèrent à l'art musical tout entier une extension féconde, qui s'étendit au développement des formes et au perfectionnement de l'instrumentation. La place de Gossec était désormais marquée dans l'histoire de la musique. Ses contemporains lui ont rendu justice, en ne sacrifiant pas sa gloire à celle d'Haydn. Parlant de la « Symphonie », au livre premier de ses Essais sur la musique, Grétry écrira : « Quoi qu'en ait dit Fontenelle, nous savons ce que nous veut une bonne sonate, et surtout une symphonie de Haydn ou de Gossec. »
Le fermier général La Popelinière ayant licencié son orchestre, Gossec devint directeur de la musique chez le prince de Conti. Il y fit exécuter de nouvelles symphonies, puis ses premiers quatuors, qui parurent en 1759. A la même époque, il donna son premier essai dramatique, la Périgourdine, opéra-comique en un acte, représenté chez le prince de Conti. Une Messe des Morts, solennellement interprétée à Saint-Roch en 1762, lui valut des témoignages d'admiration particulièrement précieux, comme celui de Philidor, déclarant, après l’audition, qu'il « donnerait tous ses ouvrages pour avoir fait celui-là ». Tous les théâtres s'ouvrirent alors à Gossec, et, sans interrompre la publication de ses symphonies, quatuors et trios, il donna :
Le Faux Lord, en 1764 ; les Pêcheurs, en 1766 ; le Double Déguisement, Toinon et Toinette, deux actes représentés à la Comédie italienne, en 1767; puis Sabinus, cinq actes, à l'Académie royale de musique, en 1774 ; et, sur diverses scènes, Alexis et Daphné, Philémon et Baucis, en 1755 ; la Fête du village, en 1778 ; Thésée, trois actes, en 1782 ; Rosine, trois actes, en 1786; la musique des choeurs de la tragédie Electra, en 1783 ; celle des chœurs d'Athalie, de Racine, en 1786.
L'extraordinaire activité de Gossec se manifesta aussi en dehors de la composition. En 1770, il avait fondé, dans les salons de l'hôtel de Soubise, avec le chevalier de Saint-Georges, le Concert des Amateurs, pour l’exécution de la musique symphonique ; puis, en 1773, il prit la direction, avec Gaviniès et Leduc, du Concert spirituel, dont les séances, très suivies, étaient données pendant le carême, et pour lesquelles il écrivit deux oratorios, la Nativité ; l’Arche d'alliance, puis un 0 salutaris à trois voix sans accompagnement, devenu bientôt célèbre, et dont la musique, adaptée à d'autres paroles, devait être souvent chantée pendant la Révolution, pour célébrer la Liberté. Gossec fut aussi un professeur de grand talent et un organisateur de l'enseignement musical, ardemment dévoué au progrès de son art. La nécessité de créer une Ecole royale de chant était apparue depuis longtemps aux musiciens et aux fonctionnaires royaux chargés des rapports avec l’Opéra. Pendant l’année 1783, la création de l'école avait été décidée. Mais aucun des musiciens qualifiés pour en prendre la direction ne se décidait à assumer cette tâche. Le glorieux émule de Gluck, Piccinni, le surintendant de la musique du roi, Dauvergne, refusaient leur concours. L’énergie et l’abnégation de Gossec mirent fin aux incertitudes et aux attentes. Il donna à Louis XVI son concours le plus complet. Le 3 janvier 1764, un arrêt du Conseil d'Etat organisait l'Ecole royale de chant, qui ouvrait le 1er avril, sous la direction de Gossec. II y avait appelé les meilleurs professeurs. Son activité fut un stimulant pour tous, et d'heureux résultats se manifestèrent rapidement. Lorsque, vingt ans plus tard, la République décidera de développer considérablement l’œuvre d'éducation artistique commencée par la royauté, elle trouvera en Gossec le collaborateur nécessaire, formé par une longue expérience, et dont le dévouement se montrera alors encore plus ardent, parce qu'il ne s'agira plus de servir l'intérêt artistique de quelques privilégiés seulement, mais celui de la nation tout entière.
En 1789, Gossec avait acquis, par ses œuvres et par son zèle artistique, assez de gloire pour immortaliser son nom et mériter l'admiration reconnaissante des musiciens. Il avait ouvert la voie à ses successeurs, en donnant les premiers modèles de symphonie, en créant des concerts, en développant l'orchestre par l'introduction des clarinettes, des cors, des trombones à l'opéra, par la recherche d'effets, comme le chœur invisible de l'oratorio la Nativité, chantant dans la coupole, qu'on retrouve dans Parsifal de Richard Wagner, comme l'orchestre de trompettes, cors, trombones, clarinettes et bassons, placé dans une tribune élevée et répondant pour le « Tuba mirum » de la Messe des Morts, à l'orchestre occupant la place habituelle, exemple dont s'inspireront Lesueur et Berlioz.
On a oublié ses symphonies depuis Haydn, ses opéras depuis le triomphe de ceux de Gluck, la Messe des Morts, depuis le Requiem de Mozart, et toutes ses initiatives depuis les heureuses imitations qui en furent faites. Mais il reste à Gossec une gloire qui n'a point été éclipsée : celle d'avoir été le plus grand musicien de la Révolution.
Quand elle éclata, il avait cinquante-cinq ans, et sa renommée était faite. Cependant, il va s'affirmer le plus ardent parmi les jeunes musiciens qui se grouperont autour de son enthousiasme, et le plus actif parmi ceux qu'enflammera son ardeur. Il sera le compositeur des premières fêtes célébrées en 1790, à qui se joindront Catel, Pleyel, Rouget de Lisle, en 1791, Méhul, en 1793, Cherubini, Dalayrac, Devienne, Lesueur, en 1794, Berton, Gaveaux, en 1795 ; et, aux dernières fêtes célébrées en 1799, il paraîtra encore. Il prendra une part prépondérante dans la fondation du Conservatoire, en 1795, et collaborera à toutes les méthodes rédigées pour l'enseignement des élèves. Pendant dix années, il sera l’apôtre convaincu de la doctrine artistique, qui veut l’art en communion avec le peuple. Et, dans l'histoire, le nom de Gossec restera glorieusement représentatif, avec ceux de David et de J.-M. Chénier, de l'art né de la Révolution, du mouvement à la fois social, philosophique, artistique, qui institua les fêtes de la première République.
(saisie et numérisation : Max Méreaux)