Le virtuose ne sert pas la musique, il s'en sert!
Jean Cocteau
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Requiem de Cherubini, église de La Madeleine, 25 novembre 1983, "Les Chœurs et l'Ensemble instrumental de La Madeleine" sous la direction de Joachim Havard de la Montagne ( photo DHM ) |
I - INTERPRÉTATION ET VEDETTARIAT
De tout temps, mais de plus en plus à notre époque, l'interprétation d'une œuvre musicale peut sensiblement modifier l'œuvre elle même. Est-ce un bien, est-ce un mal? C'est bien toute la question.
Ce qui est certain, c'est que l'interprète acquiert une importance disproportionnée avec l'œuvre interprétée, celle-ci passant presque au second plan. Les disques, les émissions radiophoniques, quelques concerts, grâce à une publicité démesurée et une tournure d'esprit abusive concourent à déplacer l'intérêt de l'œuvre vers son interprète dont les mérites et les qualités sont bientôt vantées et louées au point d'en faire oublier le génie du compositeur. Or c'est tout de même le compositeur qui a permis à l'interprète de briller et de se faire valoir, ce qui, au reste, ne diminue en rien ce talent qu'il met au service de l'œuvre.
Certes, le vedettariat a toujours existé, surtout au théâtre (à l'opéra) où la pièce programmée dépendait des caprices d'une diva qui exigeait parfois du compositeur des modifications destinées à la faire briller davantage devant "son public". A titre d'exemple on peut citer aussi de grandes vedettes de la musique au siècle dernier telles que Liszt ou Paganini devenus "vedettes" plus encore comme interprètes que comme compositeurs. En revanche, faut-il rappeler le cas de Fauré et l'histoire de ce Secrétaire d'Etat à qui l'on demandait d'envisager des funérailles nationales pour le compositeur et qui répondit: "Fauré, qui est-ce?" Plus récemment quelle place fit-on dans l'actualité à la mort de Maurice Duruflé? Ne parlons pas des journalistes ridicules affichant pourtant des connaissances universelles mais ignorant la valeur d'un Wladimir Horowitz et faisant une monstrueuse publicité à un Coluche!
Le vedettariat s'est incontestablement et considérablement étendu en raison des moyens énormes de la publicité moderne, des pouvoirs médiatiques et des intérêts commerciaux et financiers qui rentrent en jeu. A titre d'exemple, qui peut honnêtement soutenir que R.T.L. dans ses annonces publicitaires ou de nombreuses revues spécialisées dans des présentations très artistiques cherchent à faire connaître et aimer Bach, Beethoven ou Mahler et non pas davantage à promouvoir Karajan, Barenboim ou Fischer-Dieskau? Et si l'on utilise de tels moyens pour promouvoir ces interprètes prestigieux, n'est-ce pas pour, grâce à eux, gagner beaucoup d'argent en leur en faisant aussi beaucoup gagner! Certes, la musique ainsi est finalement servie et propagée et c'est là l'essentiel pouvons-nous penser... Mais on est loin de toute pureté d'intention. Il faut néanmoins reconnaître que grâce à ces formidables moyens publicitaires et commerciaux, quelques personnes pourront peut-être faire connaissance avec la musique qu'elles auraient continué d'ignorer sans cela.
L'interprétation est aussi une affaire de mode et non pas seulement d'évolution ni de connaissances historiques et musicologiques, sans vouloir nier évidemment les progrès considérables accomplis dans ce domaine. A la différence de la peinture ou de l'architecture qui n'ont pas besoin d'intermédiaire pour être goûtée ou jugée, la musique, pour celui qui ne peut la pratiquer nécessite un interprète et souvent plusieurs. Bonne ou mauvaise, l'interprétation peut donc servir ou desservir ou déformer l'œuvre. Mais peut-il y avoir une seule interprétation réellement valable d'une même œuvre? Cela paraît difficile, impossible et même peu souhaitable. Plusieurs influences interviennent; la personnalité de l'exécutant, la fidélité plus ou moins scrupuleuse à l'auteur, les connaissances musicologiques, les modes du temps parfois teintées d'un certain snobisme et aussi, hélas, le désir de briller même si c'est au détriment de la pensée du compositeur.
Il faudrait préférer l'interprète qui, à travers sa propre personnalité, s'appuie sur des fondements solides: musicologie, pensée et sentiments du compositeur, circonstances historiques, destination éventuelle de l'œuvre etc...
L'énumération de ces exigences nous amène à parler de l'interprétation de la musique dite "baroque" et particulièrement de celle de Jean-Sébastien Bach.
Jean-Sébastien Bach, gravure de Maurin aîné, lithographie d'après Haussmann
II - LES ORGANISTES ET JEAN-SEBASTIEN BACH
Oserai-je aller à contre courant des modes actuelles qui règnent parmi les organistes depuis environ une vingtaine d'années dans l'interprétation de la musique de Jean-Sébastien Bach? Pendant longtemps, je me souviens, Marcel Dupré représentait le modèle absolu. Ses performances extraordinaires d'exécutant et d'improvisateur l'avaient à juste titre placé au premier rang. N'oublions pas qu'il fut le premier à exécuter par cœur l'œuvre d'orgue complète et pourtant monumentale de Bach. Il en fit lui-même une nouvelle édition en 12 volumes qui longtemps demeurèrent sur tous les pupitres. Il se fit connaître et applaudir dans le monde entier plus encore que ses prédécesseurs les plus prestigieux et fonda une véritable école d'orgue en France comme à l'étranger.
Or, quel était l'enseignement de Dupré dans l'interprétation de Bach? Legato, tempo, registration? En matière de registration certaines recommandations ont pu à juste titre être contestées par la suite, tenant compte d'une certaine influence "romantique". Mais en ce qui concerne le toucher, le legato, le tempo et même le phrasé, il semble que l'on ait, un beau jour, pris un peu à la légère le contre-pied systématique de cet enseignement en généralisant avec un engouement pas toujours réfléchi le "détaché" d'un Marchal. Car, tout de même, sur qui s'appuyait Dupré dans son enseignement? Sur une tradition qui lui avait été léguée très directement et qui est difficilement contestable dans sa rigueur: Dupré, comme plusieurs de ses contemporains (Bonnet, Vierne, Tournemire, Cellier) a été élève de Alexandre Guilmant et de Charles Marie Widor.
Guilmant et Widor furent élèves de Nicolas Lemmens (1823-1881),
Lemmens fut élève de Adolph Hesse (1809-1863),
Hesse reçut les conseils de Friedrich Wilhelm Berner (1780-1827) et de Ernest Koehler (1799-1847).
Berner et Koehler fréquentèrent l'Abbé Vogler (1749-1814), ainsi que Johann Nikolaus Forkel (1749-1818) et Christian Kittel (1732-1809) organiste à Erfurt, tous deux amis de Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) et Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) et surtout élèves de Jean-Sébastien Bach.
"Généalogie" musicale magnifique qui remonte donc à Jean-Sébastien lui-même et que Dupré aimait rappeler non sans émotion ni sans fierté! Il faut ici rappeler que l'œuvre d'orgue de Bach n'a jamais cessé d'être jouée à la différence de sa musique vocale révélée par Mendelssohn notamment, près :d'un siècle après un long silence qui suivit la mort du Cantor.
Mais un vent de contestation souffla vers les années 1960; peu à peu chacun voulut démontrer son génie et ses trouvailles d'interprétation même parmi les héritiers de Dupré, allant précisément à l'encontre des recommandations de leur ancien maître. On ne parla plus de cet "héritage", de cette "filiation" Bach-Hesse-Lemmens-Guilmant-Dupré que j'ose à peine rappeler ici au risque de paraître incongru!
Il est évident que cette tradition avait pu se modifier légèrement au cours des années, que les transformations dans la facture d'orgue ont pu également déformer quelque peu le jeu de certains, que quelques défauts ont pu se glisser dans cette "descendance". Il faut aussi se féliciter que les redécouvertes en facture d'orgue et les nombreuses restaurations d'instruments nous aient rapprochés de l'orgue de Bach. Mais il est non moins évident que cette contestation systématique et ce contre-courant absolu ne nous ont pas révélé le jeu authentique de Jean-Sébastien. D'ailleurs, dans cette dernière évolution, où est la vérité parmi les organistes? Qu'y a-t-il de commun dans l'interprétation de Bach entre celle de Marie-Claire Alain et celle d'un Jean Guillou, d'un Michel Chapuis pourtant tous trois élèves de Dupré. Ceci n'indique-t-il pas que, en s'éloignant de cette tradition léguée par Dupré les chemins se sont multipliés dans différentes directions fort éloignées les unes des autres. Mais où mènent-ils? Vers quelle vérité?
A force d'abolir systématiquement le legato et certains phrasés, confondant orgue et clavecin, on en arriva à une suite de hoquets ridicules ravalant l'orgue au rang d'un instrument asthmatique et faisant fi de cette particularité de l'orgue, instrument au souffle inépuisable.
Dieu merci, on peut constater qu'un certain équilibre est réapparu; le détaché systématique se fait plus rare, le legato n'est plus proscrit; moins de sectarisme dans les registrations, moins de prétention dans la "vérité" de chacun. Un regret demeure: beaucoup d'organistes de nos jours n'ont pas connu la liturgie vivante, artistique, traditionnelle qui a imprégné leurs aînés. Même si la Foi de ceux-ci a subi des éclipses, ils la vivaient encore dans leurs interprétations imprégnées souvent d'un mysticisme ambiant. Trop souvent on interprète aujourd'hui un choral de Bach comme l'un de ses préludes ou l'une de ses sonates c'est à dire en s'attachant surtout à une reconstitution, selon ses goûts personnels, avec une technique parfaite, une registration intéressante mais avec un manque de sentiments, une absence de mystère et de profondeur dont Bach pourtant -nous le savons- était imprégné par sa Foi.
Parallèlement, et en sortant de notre sujet, on peut souligner que ces mêmes organistes ne peuvent pas toujours imaginer tout ce que peut représenter tel thème grégorien utilisé et développé dans de nombreuses pages d'orgue; ces thèmes qui, chez les organistes ayant pratiqué les offices liturgiques d'avant les bouleversements inconsidérés de Vatican II, provoquaient un déclic sublime, une compréhension de la liturgie, un sens profond des festivités et du mystère. Il n'est qu’à comparer le caractère des improvisations de cette époque et de ces artistes avec celles des organistes actuels beaucoup plus "extérieures" et superficielles. On peut plaindre ces organistes pleins de talent pour qui ces thèmes représentent peut-être une beauté intrinsèque mais n'évoquent pas grand chose de particulier parce qu'ils ne les ont pas entendus chantés à l'office, parce qu'ils n'ont, bien souvent, pas même pratiqué leur religion, parce qu'ils n'ont pas appris, comme on le faisait autrefois, la "grammaire" du grégorien ni à harmoniser le grégorien.
Comparativement, et plus facilement encore que pour Bach, on peut démontrer que certaines fantaisies vraiment trop personnelles dans l'interprétation de l'œuvre d'orgue de Franck n'ont rien à voir avec ce que Franck a souhaité: là, la tradition remonte moins loin. On possède des enregistrements de Charles Tournemire, disciple et successeur de l'organiste de Sainte-Clotilde auquel il vouait une admiration sans bornes. Tournemire a lui-même déclaré qu'il jouait l'œuvre de son maître exactement comme celui-ci le lui avait enseigné. N'avons-nous pas aussi, entre autres, les enregistrements de Maurice Duruflé disciple à son tour de Tournemire.
III - LES "BAROQUEUX", BACH, LA MUSIQUE BAROQUE
II y a quelques années, une vague nouvelle d'interprétation inonda peu à peu les ondes, le marché du disque et les concerts. On nous assura que l'on avait enfin découvert la façon de jouer et de chanter la musique telle qu'elle se pratiquait à l'époque baroque et les "instruments anciens'' proliférèrent. Ce fut l'arrivée et le règne des "baroqueux".
Le désir de restituer les interprétations de naguère et la certitude d'y être parvenu passant avant tout donnèrent à cette musique une impression de sécheresse, de monotonie de parti pris généralisé. Ces défauts paraissent encore plus insupportables dans la musique française des XVIIème et XVIIIème siècles : plus de grandeur, plus d'émotion, plus d'éclat, plus de sentiment mais une musique étriquée, avec une respiration haletante, un phrasé automatique, des ornements sans grâce.
La restitution absolument authentique, techniquement parlant est d'ailleurs impossible. Un Philippe Herreweghe ne s'est-il pas résolu à enregistrer les cantates de Bach avec un chœur d'adultes alors que Bach les faisait chanter par des enfants, plus ou moins dociles. Croit-on que l'on pouvait soutenir des mouvements aussi rapides que ceux que nous entendons aujourd'hui avec les instruments d'alors beaucoup moins maniables que ceux que l'on a reconstitués avec un éclairage défectueux, une température parfois glaciale, une préparation souvent insuffisante en raison de la fréquence des exécutions due à la succession rapide des offices, avec des effectifs incomplets et des partitions hâtivement copiées. On peut se demander pourquoi ces fanatiques de ces reconstitutions actuelles veulent tout de même bénéficier du confort, des avantages et des facilités modernes, pourquoi les organistes et organiers qui veulent revenir à une facture "à l'ancienne" acceptent tout de même les avantages du moteur électrique et le chauffage ambiant.
Prenons, à titre d'exemple, une manie de ces musiciens si sûrs d'avoir retrouvé l'interprétation authentique de nos classiques français : les croches inégales! Ils ne peuvent plus jouer ou chanter cette suite de croches:
(André Raison, 1er Livre d'orgue) : sans l'interpréter ainsi : Je lis pourtant ceci dans le 1er Livre d'orgue de André Raison : L'auteur a donc écrit le rythme qu’il désirait.
S’il s’en remettait à l’interprète il aurait écrit ainsi :François Couperin écrit ceci dans la Messe des Couvents : et non pas : ailleurs il sait très bien alterner croches égales et inégales :
Plusieurs musiciens ayant consacré depuis plusieurs années une bonne partie de leur carrière à l'œuvre de Jean-Sébastien Bach se contredisent pourtant. Mais tour à tour, que ce soit par le disque ou par la radio, des présentateurs qui veulent se faire passer pour d'érudits musicologues proposent un Nikolaus Harnoncourt, un Philippe Herreweghe, un Gustav Leonhardt, un William Christie comme les seuls tenants de la vérité, non sans un certain mépris pour tout ce qui a pu se faire avant eux et en dehors d'eux...
Certes, il fallait que disparaissent de la musique baroque un certain lyrisme, un goût romantique tout à fait déplacés; il fallait retrouver la vraie pureté et la simplicité, mais les "baroqueux" dans la musique religieuse qui représente la plus grande proportion de la production de cette époque semblent oublier certains faits essentiels.
Cette musique s'intégrait dans un déroulement liturgique; elle exprimait réellement des sentiments religieux profonds: profonds chez le compositeur, profonds chez l'auditeur, pratiquant fidèle. Dieu était partout et constamment cité et invoqué. De nos jours il n'est plus nulle part en dehors de l'église et, en France il est devenu soigneusement banni et moqué. Cette musique religieuse, on l'écoute généralement sans se préoccuper de son sens véritable ni de sa destination : on écoute une cantate de Bach dans les mêmes dispositions que l'un de ses Concertos. N'en est-il pas de même de ces interprètes qui font figure de prophètes et qui semblent si attentifs à leurs procédés que toute véritable émotion est abolie, tout sentiment religieux disparaît au profit d'une certaine perfection. C'est de la musique "aseptisée" ou tout au moins "profanisée".
Croit-on vraiment ainsi se mettre à la place d'un Jean-Sébastien Bach, d'un Michel-Richard De Lalande? On a des écrits de Bach, des lettres, des dédicaces: qu'y découvre-t-on? Un style chaleureux, courtois, passionné, imagé; il en est de même chez ses contemporains français. Que l'on se reporte aussi aux textes religieux français, aux prières de l'époque. Quel lyrisme pour s'adresser à Dieu. En voici un exemple sur une musique de Bacilly (1682):
Ha! qu'il est doux, Seigneur, d'être dans vos liens!
C'est vous qui nous comblez de biens,
Un cœur qui vous possède a tout ce qu'il désire
...
Quand on met son bonheur à ne chercher que vous,
On sent les plaisirs les plus doux .Les textes allemands des Cantates ou des Passions de Bach sont tout aussi débordants de sentiments. Citons un arioso de la Passion selon Saint-Jean:
Mon cœur, vois-tu frémir le monde à l'heure où ton Jésus expire? Le clair soleil se voile d'ombre, le rideau se fend, les rocs se brisent…car tout a vu mourir ton Dieu.
Et plus loin, l'air de soprano:
Eclate en sanglots, triste cœur, fonds en larmes ; hélas! il n'est plus, ton doux Maître! ...Ah! pleure, il est mort ; ah! pleure ton Dieu.
Comment imaginer alors que ces compositeurs ne ressentent pas le besoin de traduire dans leur musique cette même façon de s'exprimer et de la calquer sur ces textes dont ils étaient imprégnés. Ils s'efforçaient certainement d'en traduire dans leurs interprétations tout le lyrisme, toute la passion pour communiquer ces sentiments à leurs auditeurs.
Bien sûr, les enregistrements ne sont guère favorables à cette disponibilité, la froideur d'un studio ou même d'une église transformée en studio d'enregistrement, les multiples recommencements de chaque passage de l'œuvre, les recherches minutieuses de sonorité la plus favorable aux micros, tout cela ne favorise pas particulièrement une ambiance de piété et de prière dans laquelle baignaient les exécutants de l'époque. C'est ainsi que l'on aboutit à une interprétation techniquement parfaite mais souvent "déshumanisée".
Pour ma part, j'ai fait l'expérience de certaines exécutions replacées dans leur contexte liturgique : l'effet ressenti, l'inspiration, la compréhension sont tout autres, même si l'exécution pèche par quelques défaillances. J'ai eu aussi le privilège de diriger la Passion selon Saint-Jean de Bach dans des conditions telles que cette exécution devenait une cérémonie para-liturgique, préparée comme telle dans une atmosphère de piété intensifiée grâce à une présentation et une lecture d'un texte sacré dignes du récit-même de cette Passion et de la profondeur de l'œuvre de Bach. Les imperfections techniques dont je suis conscient passent alors au second plan car l'esprit et la sincérité en occupent le premier et touchent davantage les auditeurs devenus presque participants comme cela se passait avec Jean-Sébastien Bach.
On en arrive à une évidence primordiale : la recherche de la vérité historique sur le plan de la technique et de l'interprétation ne suffit pas ; il faut être soi-même imprégné de ces textes religieux, les avoir chantés dans la liturgie, croire à cette liturgie sacrée comme l'expression de la Foi, avoir pratiqué les fonctions de Cantor, de Maître de Chapelle, de "Kapellmeister". La liturgie luthérienne au temps de Bach n'était pas loin de la liturgie catholique mise à part la place primordiale de l'Eucharistie. On sait quelle importance revêtent dans chacune de ces liturgies les Passions, les Psaumes ; les Kyrie, Gloria, etc, les Cantiques bibliques, que sais-je encore. Sur un plan plus précis, et particulier au culte catholique, un motet composé en l'honneur de l'Eucharistie, tel que Ave Verum de Mozart, O sacrum convivium de Marc-Antoine Charpentier ou Ego sum Panis vivus de Palestrina n'aura-t-il pas plus de signification et de portée quand il est exécuté devant le Saint-Sacrement? Et qui donc acquiert cette expérience et cette sensibilité si ce n'est le maître de chapelle. Lorsque l'on a assisté et participé à des offices de Ténèbres aux soirs du Mercredi-Saint, du Jeudi-Saint, du Vendredi-Saint, avec ces psaumes où le grégorien alterne avec les faux-bourdons de la Renaissance et les répons avec ceux de Vittoria ou de Palestrina, où l'on s'est laissé prendre par le chant sublime des Leçons des IIe ou IIIe Nocturnes, ou par celui des Lamentations de Jérémie tandis que luisent les cierges du chandelier à sept branches que l'on souffle au fur et à mesure que s'écoulent les heures et les jours de la Semaine-Sainte, n'est-on pas alors plus à même de comprendre et de faire comprendre par exemple les Leçons de Ténèbres d'un François Couperin ou d'un Charpentier dont on semble ne retenir de nos jours que le seul intérêt musicologique !
Malheureusement, très rares sont maintenant les maîtres de chapelle ayant la faculté de donner à tant de chefs d'œuvre leur véritable rôle liturgique. Très rares sont les occasions pour les fidèles de pouvoir les écouter au cours des offices. En conclusion, il faut se féliciter de pouvoir admirer, grâce aux disques ou aux concerts, tant de musique menacée de disparaître dans l'oubli. A nous de choisir les interprétations qui nous conviennent !
Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE (1990)