Marcel Labey ( photo Harcourt, coll. famille Labey ) |
Les prodigieuses initiatives de Charles Bordes et de Vincent d’Indy, pendant les dernières années du 19ème siècle ont suscité un mouvement musical si profond que nous en ressentons encore aujourd’hui les effets. La puissante personnalité de d’Indy s’était déjà affirmée avec d’authentiques chefs d’œuvre tels que la trilogie de Wallenstein, le Poème des montagnes, le Chant de la cloche, la Cévenole. Les représentations de Fervaal à l’Opéra-Comique en 1897 devaient étendre sa notoriété. Le grand public commençait à le connaître et, ce qui était dans l’ordre des choses, à le discuter. Il n’est pas surprenant qu’avec un mouvement d’une telle envergure et répondant si bien aux aspirations de toute une génération, un mouvement soutenu par une autorité aussi forte ait rassemblé une élite de musiciens jeunes, ardents et enthousiastes. Elite, le mot n’est pas trop fort pour désigner le groupe formé par les premiers disciples du Maître.
Quelques années plus tard, à l’époque où je suis moi-même entré à la Schola, ces jeunes compositeurs dont les études étaient fort avancées et qui étaient parvenus au cinquième, c’est-à-dire au dernier des cours de composition, avaient acquis un réel prestige auprès des nouveaux venus. Ce sentiment, chez moi, ne s’est nullement affaibli avec le temps et je me sens toujours une réelle déférence envers ceux qui furent mes aînés et qui n’ont pas cessé de représenter à mes yeux " Le cinquième Cours ".
L’un d’entre eux attirait particulièrement notre attention ; c’était Marcel Labey1. Il avait tout d’abord fait son droit et obtenu le grade de docteur, en soutenant une thèse sur les droits et les obligations des propriétaires riverains, thèse qu’il n’a pas dû souvent relire par la suite. Mais ses études juridiques ne l’avaient pas empêché de poursuivre ses études musicales et la musique qu’il aimait passionnément l’attirait d’une façon irrésistible. Il travaillait l’harmonie avec Lenormand et le piano avec Breitner et Delaborde, aussi possédait-il une solide formation musicale, aussi était-il déjà très bon pianiste, lorsqu’en 1898 il devint élève de d’Indy.
Tout en lui enseignant le contrepoint et la fugue, le Maître l’inscrivit au cours de composition. Bien qu’il n’ait jamais songé faire carrière d’organiste, Labey se mit à l’étude de l’orgue sous la direction d’Alexandre Guilmant. Le diplôme du cours supérieur d’orgue à la Schola, lui fut décerné en 1902.
En ces temps que depuis nous avons appelés " temps héroïques " on faisait à la Schola un genre de musique que l’on ne faisait guère ailleurs. Le chant grégorien était alors méconnu même dans les milieux ecclésiastiques et chez les musiciens d’église. La polyphonie de la renaissance se limitait à quelques pièces isolées, ainsi que la musique française des 17ème et 18ème siècle. Le nom de Rameau ne figurait pas souvent au programme des concerts, celui de Bach pas davantage. La plupart des cantates de Bach données par la Schola l’étaient en première audition. Tout cela est fort heureusement changé aujourd’hui. On ne méprise plus comme jadis le chant grégorien, on n’ignore plus la musique palestrinienne, ni cette admirable époque d’art français qui se concrétise dans les noms de Couperin et de Rameau. Le public est venu à Bach. Enfin les idées de d’Indy ont fait leur chemin, les campagnes de Bordes et de Guilmant ont porté leur fruit.
Marcel Labey arriva au bon moment, et fut ainsi à même de participer aux travaux de la Schola alors que l’école était vivifiée par l’extraordinaire animateur qu’était Charles Bordes. Il se trouva ainsi placé dans les conditions les plus favorables pour acquérir cette formation si complète et si parfaite qui fait maintenant sa force et lui assure tant à l’école César Franck que dans tout le monde musical une indéniable autorité.
Une fois qu’il sentait ses élèves bien formés, d’Indy ne les engageait pas à s’enfermer dans une tour d’ivoire et à se replier égoïstement sur leurs travaux personnels ; il les poussait au contraire à se dépenser pour servir la cause artistique. C’est ainsi qu’à la Schola même, il confia le premier cours de composition à Auguste Sérieyx, un cours de contrepoint à Albert Roussel, la direction artistique à René de Castéra, une classe supérieure de piano à Blanche Selva. A Marcel Labey échut la direction d’orchestre. Le Maître ne s’était pas trompé dans son choix et avait su merveilleusement discerner ce qui convenait à chacun d’entre eux.
Labey avait tout ce qu’il fallait pour devenir un chef d’orchestre. Ceux qui l’approchent et le connaissent peuvent aisément découvrir en lui une qualité infiniment précieuse : il est très maître de lui-même, ce qui est le meilleur moyen d’être maître des autres. Ce n’est pas en déplaçant de l’air qu’un chef acquiert de l’ascendant sur ses musiciens. La violence est un signe inéluctable de faiblesse. Malgré son jeune âge, Labey sut immédiatement se faire obéir.
Il était chargé de la classe d’orchestre, orchestre d’étude composé d’élèves où l ‘on mettait au point symphonies et ouvertures classiques. On le voyait au pupitre, les soirs de concert, lorsque d’INDY était appelé au dehors par quelqu’engagement, ce qui était fréquent. Il était enfin le remplaçant du Maître pour tout ce qui concernait la direction d’orchestre et les concerts.
Lorsque les premiers diplômes de composition furent décernés Labey figurait naturellement parmi les diplômés. Il s’y trouvait en bonne compagnie, ayant à ses cotés : Alquier, René de Castéra, Coindreau, Estienne, Roussel, Sérieyx et de Séverac.
Le fameux cinquième cours avait terminé le cycle des études. On ne devait jamais par la suite retrouver un ensemble aussi brillant.
L’activité de Marcel Labey ne fit alors que s’intensifier. Depuis 1902 il occupait les fonctions de secrétaire à la Société Nationale, groupement qui a rendu tant de services à la musique française.
C’est là, en effet, que se sont révélés d’une façon éphémère ou définitive tous les musiciens de notre pays.
A la Schola, d’Indy désigna Labey comme titulaire d’une classe supérieure de piano, emploi qu’il remplit jusqu’en 1914. Par ailleurs ce sont les tournées en province qui l’appellent sur les points les plus divers du territoire. Partout se formaient des groupes, des sociétés chorales, des orchestres, des écoles dirigées selon les tendances de la Schola. La polyphonie de la Renaissance y occupait une place prépondérante dans le répertoire vocal, les cantates de Bach lorsque les voix se joignaient à l’orchestre.
Mais les élèves de d’Indy ne vivaient pas confinés dans le passé. Le Maître n’entendait pas former les cerveaux d’une case, étroitement renfermés dans une époque plus ou moins lointaine. La connaissance de ces époques jusque là si négligées, était nécessaire pour la formation du goût. Elle ne devait pas empêcher les scholistes d’être de leur temps, et ils étaient bien de leur siècle. Ils suivaient avec assiduité les représentations de Pelléas et ne cachaient pas la profonde admiration qu’ils portaient à Gabriel Fauré, et accueillaient toujours chaleureusement la nouvelle œuvre de Ravel.
Ceux-là même qui reprochaient aux scholistes de remuer vainement la poussière des bibliothèques, les trouvaient trop modernes. Les audaces d’écriture de Fervaal scandalisaient beaucoup de mélomanes et le successeur des Auber et des Ambroise Thomas, Théodore Dubois, ne cessait de vitupérer contre le mouvement d’indyste.
Labey a été favorisé par les circonstances ; il s’est donc trouvé dans les conditions les plus favorables pour se développer : on ne peut que l’en féliciter. Il eut également le rare bonheur de ne jamais se sentir dépaysé au milieu des siens et de rencontrer dans son entourage immédiat amour et compréhension de la musique. Madame Marcel Labey est elle-même une admirable musicienne. Formée par l’enseignement de d’Indy pour la composition, de Vierne pour l’orgue, elle a produit des œuvres très remarquées de piano, de musique de chambre, d’orchestre, des mélodies et des chœurs. L’Opéra de Mulhouse a représenté en 1947 son important ouvrage dramatique L’esclave couronnée qui a remporté tous les suffrages. Ce fut pour Labey un grand soutien dans toute sa carrière musicale, de se sentir ainsi compris et secondé. C’est là un appui moral dont on ne saurait trop estimer le prix.
En 1914, les événements le contraignirent à interrompre ses travaux. Un devoir impérieux l’appelait ailleurs, et ce devoir, il le remplit avec ce calme, cette maîtrise de soi-même, ce sang-froid dont il a fait preuve dans toutes les circonstances de sa vie. Mobilisé à Guingamp, comme lieutenant d’infanterie, Labey fit tout d’abord l’instruction militaire de la classe 14, puis gagna le front en Janvier 1915. Ce ne furent pas les coups durs qui manquèrent à ce glorieux 10ème corps, composé de contingents bretons, corps d’armée auquel il appartenait. Blessé une première fois près des Eparges, après un séjour de 7 mois à l’hôpital, Labey, dont la manchette s’était garnie d’un 3ème galon, repartit au front. Blessé une seconde fois au nord de Compiègne, il fut nommé chef de bataillon honoraire, et, titulaire de quatre citations, reçut le ruban rouge. Quelques années plus tard il devait être promu officier de la légion d’honneur.
Une fois la guerre finie, Labey se remet à l’œuvre. Fixé dans sa belle propriété de Pacy-sur-Eure, sur les confins de la Normandie et de l’Ile de France, il fonde avec G. Quettier une école de musique à Vernon. La petite cité normande peut s’enorgueillir de voir se manifester dans ses murs une vie musicale que lui envierait mainte ville plus importante. Cours de solfège, d’harmonie, classes d’instruments, orchestre, chœurs : rien ne manque. Travail utile et fécond, dont tout l’honneur revient à ceux qui l’ont si généreusement entrepris et aussi aux autorités locales qui l’ont soutenu. De Pacy, Labey rayonne jusque dans les points les plus éloignés. Il reprend ses fonctions de Secrétaire à la Société Nationale, poste qu’il occupe avec Pierre de Bréville. Chargé de reconstituer la société symphonique de Reims, il y dirige les concerts jusqu’en 1925. Impossible d’énumérer ici toutes les manifestations auxquelles il prend part : à Nancy, Strasbourg, Angers, Pau, Bayonne, St Jean de Luz. Notons simplement les concerts de Moulins : la capitale bourbonnaise possède un ardent champion de la musique qu’aucune initiative si osée soit-elle ne peut rebuter. C’est un ancien élève de d’Indy, très lié avec Labey, Mr Albert Sarrazin. Il a déployé à Moulins une activité semblable à celle que Mme Le Meignien déployait alors à Nantes. Les difficultés auxquelles Sarrazin se heurtait étaient plus grandes peut-être, car Moulins n’est pas une ville de 200 000 habitants. On y rencontre, certes, de très bons éléments, mais le nombre en est forcément restreint ; il faut donc faire venir d’ailleurs ceux que l’on ne peut trouver sur place.
Marcel Labey
( coll. famille Labey )Les ouvrages les plus difficiles et les plus importants ont, malgré cela, été donnés et le sont encore à Moulins, depuis la Passion selon St Mathieu, la Messe en si, la Neuvième Symphonie jusqu’aux Béatitudes et au Roi David. Il y a quelques années un heureux hasard m’a permis d’entendre à Moulins une audition du Chant de la Cloche, sous la direction de Labey. Cette œuvre nécessite un déploiement d’orchestre considérable : comment réunir 11 trompettes ? Et toute la légion de cuivres et de Sax-horn que comporte le dernier tableau ? Des musiciens avaient été recrutés un peu partout : il en venait de Lyon, de Vichy, de Nevers et même de Paris. Eléments un peu hybrides, quelques-uns d’entre eux médiocres. On ne pouvait les réunir que la veille, sinon le jour même du concert, ce qui, dans une œuvre comme le Chant de la Cloche, ne laisse pas d’être un peu inquiétant. Or, l’exécution fut splendide, vivante et colorée. Cet incomparable chef-d’œuvre est apparu dans toute sa rayonnante beauté. Ce soir-là j’ai compris ce que peuvent obtenir la volonté d’un A. Sarrazin et la valeur d’un Marcel Labey. Ce concert venait quelque temps après le douloureux événement si cruellement ressenti dans tous les milieux musicaux, la disparition de notre cher Maître Vincent d’Indy. On sait qu’après sa mort la direction de la Schola Cantorum échut entre de Serres, de Lioncourt et Labey. Trois années plus tard, se produisit un événement sensationnel qui n’eut d’ailleurs pour nous qu’une influence relative : les directeurs de la Schola mis à la porte par des administrateurs qui ne connaissent rien aux choses de la musique, et qui, toujours fidèles à leurs directeurs, quittent en masse la rue St Jacques, et fondent l’école César Franck. L’affaire se réduit à un simple changement de local, à un simple changement de nom. La direction reste la même qu’auparavant, la pensée et l’enseignement de d’Indy continuent à agir et à se propager.
En 1943 nous avons le chagrin d’apprendre la mort de notre cher directeur Louis de Serres survenue dans sa propriété de Néronde (Loire) où son état de santé l’avait forcé de se retirer. Depuis lors Guy de Lioncourt et Marcel Labey se partagent la direction de l’école César Franck, le premier spécialement chargé des études, et le second des concerts.
Impossible d’énumérer ici tout ce qui a été entendu dans la brillante série des 51 concerts donnés par l’école César Franck depuis sa fondation : la musique ancienne y fut représentée par la Messe en si, le Magnificat, la Passion selon St Jean de Bach. Plusieurs cantates dont l’Actus Tragicus et la cantate Wachet auf , le troisième acte de Fervaal, le Requiem de Guy Ropartz, la quatrième Symphonie de Labey, œuvres auxquelles il faut joindre le Navrement de Notre-Dame de de Lioncourt, sous la direction de l’auteur.
Mais l’activité de Marcel Labey ne se borne pas à remplir une carrière de chef d’orchestre. Il est avant tout compositeur et son œuvre lui assigne une place très remarquée au milieu de ses contemporains. La musique pure semble l’avoir particulièrement attiré. C’est peut-être là que nous trouvons le meilleur de lui-même. Adopter une pareille ligne de conduite et s’y maintenir dénote un réel esprit d’indépendance. Il fallait même un certain courage pour s’y conformer. Nous voyons dans cette attitude une marque de personnalité, un gage de sincérité et la preuve d’un véritable raffinement. Il y a une vingtaine d’années, les formes de musique pure étaient décriées. Les musiciens jeunes alors, semblaient obsédés par la préoccupation d’écrire la musique du lendemain. Vincent d’Indy constatait avec une certaine ironie que le résultat le plus surprenant, le plus inattendu de cette ruée des compositeurs vers le succès immédiat était la suppression presque totale de la personnalité. " Usant tous du même procédé, écrivait-il, ils font tous la même chose et l’originalité se trouve bannie de l’Art Musical ". Ne pas se conformer aux usages établis, ne pas les suivre servilement, c’était s’exposer à passer pour rétrograde.
Paul Dukas a merveilleusement traité la question dans un admirable article qui parut dans " Latinité " (numéro de mars 1930). " A toute époque, disait-il, les variations du goût ont fait paraître archaïques les œuvres contemporaines basées sur le principe de stabilité, et arriérés les maîtres travaillant en profondeur, parmi les ouvriers de la surface ".
Labey est de ceux qui travaillent en profondeur et il a cent fois raison. Tradition n’est pas synonyme de routine. La tradition évolue, elle ne reste pas figée dans l’immobilité et implique une incessante marche en avant. Labey n’est nullement rétrograde, la hardiesse de son écriture est réelle mais ne choque jamais le bon goût. On peut constater dans son œuvre une gradation ascendante très marquée, et ce n’est pas déprécier les œuvres de jeunesse que de signaler l’évidente supériorité des ouvrages postérieurs.
Nous voyons en lui un esprit clair : clarté des idées musicales, qui ne sont pas des thèmes quelconques, mais bien des idées nettement caractérisées, qu’elles soient rythmiques, mélodiques ou harmoniques. Clarté des idées qui permet à l’auditeur de les percevoir sans effort, de les retenir, de les suivre à travers les divers épisodes formant l’ensemble. Clarté de l’écriture qui ne s’encombre pas de détails superflus et ne s’alourdit pas de surcharge inutile. Clarté enfin de la composition et c’est là un point capital trop souvent négligé aujourd’hui comme hier.
La composition consiste dans l’harmonieuse proportion des éléments qui constituent l’édifice sonore. C’est elle qui permet d’éviter le décousu, les longueurs, les redites qui entraînent fatalement l’ennui et le manque d’intérêt. Composition qui se traduit par le jeu des tonalités, ménageant les oppositions de lumière et d’ombre, donnant le relief nécessaire et entrouvrant sans cesse devant nous de nouveaux horizons et de plus vastes perspectives. Question de métier ? Oui, question de métier. Mais quel crédit peut-on accorder à la présomption de ceux qui se croient tant de génie qu’ils prétendent pouvoir se passer de métier ? Question de métier, c’est certain, mais aussi question de goût, question d’imagination où se manifeste de la façon la plus subtile et la plus pénétrante l’esprit inventif. La négliger c’est courir les risques les plus graves dont le moindre n’est pas celui de gâcher les meilleures intentions.
Cette nécessité de composer est une des grandes leçons qui se dégagent de l’enseignement d’Indyste.
A travers l’œuvre de Labey cette clarté s’affirme par l’écriture, la disposition vocale, pianistique, instrumentale ou orchestrale. Un effet d’orchestre si heureux soit-il ne peut pallier à la pauvreté des thèmes à l’indigence des idées. Labey n’écrit jamais en vue d’un effet. Son orchestre est disposé de façon à faire ressortir ce que renferme la musique, et comme il est muni d’une riche palette orchestrale (sa carrière de chef d’orchestre l’a puissamment servi dans la circonstance ) ; il a toujours su découvrir la disposition la plus adéquate à la pensée musicale qu’elle doit mettre en valeur : ce qui doit sortir sort sans effort, ce qui doit rester au second plan reste au second plan et le tout se fond dans une sonorité bien pleine , conforme aux exigences musicales et aux intentions expressives.
On en arrive même à ce paradoxe : Labey a souvent obtenu ce qu’il n’avait pas cherché directement ; c’est peut-être pour cela qu’il l’a obtenu. Combien de fois n’avons-nous pas rencontré dans ses symphonies, notamment, de véritables trouvailles orchestrales : la quatrième symphonie nous en apporte des exemples frappants. Toute sa production se distingue par la richesse rythmique, très marquée, cela va de soi, dans les divertissements et les épisodes pittoresques qui projettent une note lumineuse ça et là dans ses œuvres de musique de chambre et dans ses œuvres symphoniques. Mais le rythme ne se limite pas aux seuls mouvements vifs, il est la base de toute musique. Un dessin mélodique est en réalité la floraison d’un embryon très simple. De la répercussion de l’un sur l’autre dépend le phrasé, c’est-à-dire le répartition des appuis, la place des accents, phrasé qui comporte une ponctuation, des élans, des repos, toutes choses délicates à établir pour le compositeur, à observer pour l’interprète. Cela, Monsieur Labey l’a parfaitement compris et appliqué. C’est un de ses plus grands mérites.
Marcel Labey a écrit quatre Symphonies. Les deux premières remontent l’une à 1903, l’autre à 1908. Ce sont donc des œuvres de jeunesse, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient dépourvues d’intérêt. La première renferme un charmant scherzo d’une allure vive et enjouée, d’un caractère populaire. Quant à la seconde, c’est un ouvrage de grand caractère, bien construite, bien proportionnée avec de belles idées et une large conception d’ensemble. Elle recèle de très grandes beautés entre autres l’introduction magnifiquement présentée qui capte immédiatement l’auditeur.
Les deux autres symphonies sont beaucoup plus récentes. La troisième terminée en 1933 a été donnée l’année suivante aux concerts Poulet. Cette symphonie est un pieux hommage apporté à la mémoire de Vincent d’Indy par un fidèle disciple. Ce sentiment, l’auteur l’a exprimé avec une émotion prenante dans un admirable mouvement lent. Il s’y est inspiré d’une mélodie grégorienne que d’Indy avait lui-même traité (dans l’Etranger) l’Urbi caritas et amor. Mais ces mélodies grégoriennes sont si belles et si profondes que les employer à nouveau ne signifie nullement répéter ce que d’autres ont déjà dit. Ce mouvement lent est une des meilleures productions de l’auteur. La symphonie dans son ensemble est d’ailleurs une œuvre de premier plan et il serait à souhaiter que nous puissions le réentendre dans les grands concerts.
Moins développée que la précédente, la quatrième symphonie ne lui est pas inférieure. Il me semble même que c’est le chef d’œuvre de Labey. Elle est d’une veine mélodique incomparable, pleine d’idées très caractérisées et très évocatrices : souplesse du rythme, relief de l’écriture, variété du coloris orchestral, tout est attirant dans cet ouvrage. L’œuvre tient d’un bout à l’autre avec un intérêt qui ne se dément pas, sans longueur, sans point faible. Mais ce qui nous touche c’est moins l’absence de défauts que la présence des qualités supérieures. Je ne puis passer sous silence le second mouvement tant il est d’une belle venue. Scherzo alerté, capricieux, d’un mouvement irrésistible alternant avec un épisode lent et expressif formant avec la partie initiale le contraste le plus heureux ; enchaînement présenté avec une extrême habileté, d’autant plus que les oppositions tonales sont employées avec beaucoup d’à propos ; le tout orchestré de main de maître.
A coté de ces symphonies voici plusieurs ouvrages comportant un titre, où la composition est mise au service d’une idée extra-musicale. Titre assez vague dans l’Ouverture pour un drame, émotionnantes pages où l’auteur évoque le souvenir d’un camarade mort au champ d’honneur ; plus défini dans l’Oraison nocturne, poème symphonique très curieux, pièce fort imagée, attrayante par des contrastes très réussis.
La musique de chambre de Labey présente les mêmes qualités que sa musique d’orchestre. La différence entre les premières œuvres et les plus récentes est certainement plus accusée que dans les symphonies. La personnalité de l’auteur qui ne s’imposait pas encore dans la Sonate pour piano op.1, et dans la première Sonate pour piano et violon, commence à paraître dans la Sonate pour alto et piano (1904), et dans le Quatuor pour piano et cordes (1909) mais en 1919 elle se manifeste pleinement dans le Quatuor à cordes op.17 qui est vraiment de tout premier ordre. Et depuis, quel bel ensemble de sonates et de trios. Nous ne pouvons que les énumérer et pourtant sur chacune de ces productions il y aurait tant de beautés à signaler :
Deux Trios pour piano et violoncelle, un trio à cordes, une seconde Sonate pour piano et violon, une Sonate pour violoncelle et piano, un magnifique Quintette pour piano et cordes, une Suite pour quintette instrumental, une Sonatine et 7 préludes pour piano, pièces très caractérisées et très originales2.
Peu de mélodies dans l’œuvre de Labey, mais toutes celles qu’il a écrites sont d’une belle venue. Il faut être un psychologue pour traiter ce genre. Le musicien est ici au service du poète. La musique ayant moins de précision, mais plus de subtilité et de pénétration que le langage parlé, doit intensifier les sentiments, faire ressortir avec plus de force les images que recèle le poème. C’est ce que Labey a parfaitement réussi, soit qu’il prenne les rondeaux ou sonnets des poètes moyenâgeux comme Charles d’Orléans, soit qu’il ait été séduit par le charme délicat et l’harmonieux langage du grand poète qu’était Henri de Régnier. Dans ces mélodies, la voix chante toujours, ce qui n’a pas toujours été le cas des mélodies, la diction est juste et expressive. Le piano qui laisse toujours la partie vocale au premier plan, est d’une disposition et d’une écriture fort heureuse. Henri de Régnier semble l’avoir spécialement inspiré, et je dois avouer ma préférence pour l’odelette Si j’avais mieux connu mon amour. Rien de plus élégant, de plus gracieux, de plus fin que le charmant commentaire dont le musicien a paré le poème.
Même remarque pour les œuvres chorales parmi lesquelles une est particulièrement digne de retenir l’attention : Avril sur une poésie de Rémi Belleau, un petit chef d’œuvre.
Marcel Labey n’a abordé le théâtre qu ‘une seule fois, mais l’importance et la valeur de cet unique ouvrage écrit en vue de la scène permettent de le classer parmi les plus significatives productions de l’auteur.
Marcel Labey et son épouse Charlotte Sohy (voir note 3)
( coll. famille Labey )Bérangère, drame musical en 3 actes fut écrit de 1912 à 1919. Honoré d’une première mention de la ville de Paris (1921), Bérangère obtint deux ans plus tard le prix de la ville du Havre et fut représenté au théâtre municipal de la grande cité maritime en avril 1925, où il obtint un grand et légitime succès.
Le livret de Bérangère a toute la saveur d’un conte moyenâgeux. La trame de l’action en est fort simple. On assiste aux dures épreuves de la pauvre Bérangère, trahie dans ses affections les plus chères par l’infidélité de son époux Aubry. Dures épreuves qui, après maintes péripéties arrivent à se résoudre par le retour d’Aubry, implorant et obtenant oubli et pardon. L’action toute intérieure se prêtait à la musique, ceci n’a rien de surprenant. L’auteur du livret Charlotte Sohy3 possédait l’optique du musicien.
Quels sont les moyens mis en œuvre par le compositeur ? Les moyens mêmes qu’il a si heureusement employés dans ses symphonies. Il les a mis ici au service du drame. Nous y retrouvons l’esprit inventif sous toutes ses formes, se manifestant par l’essence, la nature, la couleur des idées et aussi par la judicieuse intervention des ressources dont dispose celui qui ne néglige pas la composition, composition utile au théâtre comme au concert, au drame comme à la symphonie.
L’écriture vocale, voilà un point capital. C’est à la voix de dominer les instruments. L’orchestre, dont la fonction principale est précisément de renforcer ce qui est dit, et ce qui se passe sur scène. L’auteur de Bérangère a trop le sens de l’opportunité et de la mesure pour ne pas avoir observé cette hiérarchie. La diction est toujours juste, la déclamation est dramatique, vivante et expressive, se concilie avec un certain lyrisme mélodique.
La partition renferme quelques épisodes très saillants : depuis la scène initiale pleine d’inquiétude et d’angoisse, l’arrivée d’Aubry avec la poétique évocation de la chasse. Le beau prélude du deuxième acte, morceau symphonique extrêmement développé et surtout la scène finale, véritable point culminant de l’ouvrage : la musique suit pas à pas les étapes successives qui amènent le dénouement. Elles sont fort habilement graduées dans le texte et le compositeur a su en tirer parti. Tel est le dernier aspect sous lequel se présente l’œuvre de Labey.
Et maintenant, retournons au cinquième cours. Quarante années se sont écoulées depuis le jour où se sont séparés ceux qui étaient alors de jeunes musiciens, quarante années lourdes de graves événements.
L’idéal d’Indyste est plus vivant que jamais, il a résisté à toutes les épreuves, à la pire même, des épreuves du temps. Qu’a donc produit le cinquième cours ? Q’ont produit ceux qui le composaient ? Ils sont ce qu’ils devaient être, et ce qu’ils n’auraient pu être sans la sage direction qui a permis à chacun d’entre eux de se former suivant sa nature. Ce qui frappe actuellement, c’est de constater comme ils sont différents les uns des autres. Les adversaires de D’Indy ne cessaient de déclarer que l’enseignement du Maître ne pouvait servir qu’à étouffer les personnalités.
Voilà la preuve du contraire.
Ces compositeurs ont eu des fortunes diverses, et combien de vides dans leurs rangs. Marcel Labey, dès sa prime jeunesse, laissait présager l’activité féconde qu’il devait déployer et qu’il déploie toujours. Jadis, à la Schola, on le prévoyait bien. Lorsqu’il devint chef d’orchestre, les élèves ou ses camarades, en parlant de lui, l’appelaient le " lieutenant du Maître ". Cette appellation n’était pas localisée rue St Jacques, et de nos jours elle n’est nullement oubliée.
Il me semble pourtant que depuis lors les galons ont fait place aux étoiles.
Michel D’ARGOEUVES 4
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(rédigé dans les années 1940)1) Né le 6 août 1875 au Vésinet (Yvelines), décédé le 25 novembre 1968 à Nancy (Meurthe-et-Moselle), fils d'un avoué parisien d'origine normande, Marcel Labey fut reçu docteur en droit en 1897 et après avoir exercé quelque temps comme avocat démissionna en 1901 pour se consacrer entièrement à la musique. Directeur de la Schola cantorum de 1931 à 1935 (avec Louis de serres), il dirigea ensuite dès sa fondation l'Ecole supérieur de musique César Franck de 1935 à 1954 (avec Louis de Serres et Guy de Lioncourt). Il fut également secrétaire de la Société Nationale de Musique de 1902 à 1914, charge qu'il assuma de nouveau après la première guerre mondiale. [note DHM] [ Retour ]
2) Entre 1945 et 1960, Marcel Labey composera encore deux autres Sonates pour violon et piano, une Symphonie pour cordes, un Sextuor à cordes et une Fantaisie pour orchestre. [note Gilles Weber] [ Retour ]
3) Epouse de Marcel Labey et cousine de Louis Durey, Charlotte Sohy (1887-1955), élève de Marty, Guilmant, Vierne et d'Indy, est l'auteur d'un opéra (Astrid ou L'Esclave couronné), d'une Symphonie, de musique de chambre (Méditations pour un ensemble de violoncelles, un Trio pour piano, violon et violoncelle, un Quatuor à cordes, Sérénade ironique pour 8 violoncelles, Thème varié pour violon et piano, Triptyque champêtre pour flûte, cordes et harpe) et de mélodies (Chants nostalgiques, Conseils à la Mariée, Poèmes chantés). [note DHM] [ Retour ]
4) Né le 27 juillet 1882 à Saint-Omer (Pas-de-Calais), décédé le 7 juillet 1966 à Paris, Michel Gorguette d'Argoeuves fit toutes ses études musicales avec Guilmant, d'Indy et Albert Roussel à la Schola cantorum où il obtint ses diplômes de chant grégorien 2e degré (1905), de contrepoint (1905) et d'orgue supérieur (1909). Professeur d'orgue dans cet établissement de 1920 à 1934, puis à l'Ecole César Franck où il enseigna également le solfège, il professa en outre à l'Institut grégorien de Paris et fut longtemps maître de chapelle de l'église du Saint-Esprit (Paris XIIe), à partir de 1936, à l'époque où Jeanne Demessieux tenait l'orgue. On lui doit une Fantaisie en ré pour violon et piano, un chœur intitulé Angelus breton et des Rondeaux de Charles d'Orléans pour voix et piano, ainsi que plusieurs articles musicologiques parus dans les revues « La Petite Maîtrise », « Les Tablettes de la Schola » et « L'Orgue ». Il était le parrain de Geneviève de Lioncourt (Mme Jacques Berthier), l'une des filles de Guy de Lioncourt. [note DHM]
Cette présente notice sur Marcel Labey nous a été aimablement communiquée par son petit-fils M. Gilles Weber, organiste, que nous remercions vivement. [ Retour ]
CATALOGUE DES OEUVRES DE MARCEL LABEY
établi par François-Henri Labey
INSTRUMENT SOLISTE
PIANO
PIANO à QUATRE MAINS
ORGUE
MUSIQUE DE CHAMBRE
VIOLON et PIANO
ALTO et PIANO
VIOLONCELLE et PIANO
VIOLE DE GAMBE et CLAVECIN
FLÛTE et PIANO
TRIO
QUATUOR
QUINTETTE
SEXTUOR
MUSIQUE POUR ORCHESTRE
MUSIQUE CONCERTANTE
MUSIQUE VOCALE
VOIX SOLISTE et PIANO
VOIX SOLISTE et ORGUE
VOIX SOLISTE et CINQ INSTRUMENTS
TROIS VOIX et PIANO
CHOEURS à TROIS ou QUATRE VOIX
MUSIQUE POUR LE THÉÂTRE
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Pour tous renseignements concernant ces œuvres, s'adresser à :
François-Henri Labey
69, rue des Cordes
81200 MAZAMET
(
05 63 97 08 86
GSM 06 09 79 33 39