Guillaume Lekeu, vers 1886 ( Photo Emile Rat, Poitiers, BNF/Gallica ) |
L’Homme
Guillaume Lekeu est né en Belgique à Heusy (près de Verviers) le 20 janvier 1870. Son père, négociant en laines, s'intéresse aux arts. Sa mère, bien que peu cultivée, est particulièrement sensible à la musique: elle sera la véritable confidente de son fils. L'enfant n'est pas prodige mais il prend plaisir à écouter la fanfare de son village natal dirigée par Alphonse Voss et il reçoit de ce musicien amateur des rudiments de solfège et de piano.
En 1879, la famille Lekeu s'établit en France à Poitiers (Vienne). Guillaume continue son apprentissage de la musique (violon, piano et violoncelle) et suit les cours du lycée. Grâce à son professeur de physique et musicien amateur Alexandre Tissier, Lekeu prend goût aux œuvres des grands maîtres classiques (Bach, Beethoven, etc.) et ressent à partir de 1885 un irrésistible besoin de composer. En trois ans Guillaume écrit un grand nombre d'œuvrettes de musique de chambre et de piano et signe en 1887 son premier essai dramatique d'après Les Burgraves de Victor Hugo. Il s'imprègne aussi de l'œuvre de Richard Wagner et manifeste de la curiosité pour un grand nombre de compositeurs du passé (Corelli) ou de son siècle (Grieg, Chopin, Mendelssohn). Beethoven, dont il n'a cessé de relire les derniers quatuors et les symphonies, reste cependant son "Dieu". Guillaume acquiert aussi une solide culture littéraire et philosophique. Très attaché à son village natal, Lekeu y passe chaque année ses vacances d'été. Il pratique alors le violon et (depuis août 1887) l'harmonie avec Octave Grisard.
Au mois de juin 1888 les Lekeu emménagent à Paris où Guillaume est reçu bachelier ès lettres philosophie le 23 novembre. C'est aussi le temps des premières rencontres importantes : le philosophe Gabriel Séailles et le critique d'art et homme de lettres Theodor de Wyzewa. Libre de s'adonner à la musique, Guillaume complète sa formation harmonique auprès de Gaston Vallin et compose son premier ouvrage orchestral, l'Introduction symphonique aux Burgraves de Victor Hugo. En août 1889, il est fortement impressionné par des représentations de Tristan et Yseult, de Parsifal et des Maîtres chanteurs de Nuremberg à Bayreuth. Au retour de ce voyage déterminant il se lie d'amitié avec Louis Kéfer, directeur de l'école de musique de Verviers et il a la chance de devenir élève de César Franck. Le maître, dont il se fera vite l'ami, lui enseigne le contrepoint et la fugue et l'encourage en 1890 dans la composition du Trio pour piano, violon et violoncelle (achevé en janvier 1891) et de la Deuxième Etude symphonique (deux parties achevées en 1890).
Entre-temps, au cours d'un séjour à Verviers de février à avril 1890, Lekeu a la joie d'assister à la première exécution publique d'une de ses œuvres, la Première Etude symphonique (achevée en janvier 1890) créée le 13 avril 1890 sous la direction de Louis Kéfer. Au cours de ce séjour, Lekeu reçoit aussi les encouragements d'autres musiciens notamment du violoncelliste Alfred Massau qui organise des auditions privées du Prélude pour le 2e acte de Barberine (achevé en décembre 1889) dans une version pour orchestre de chambre et de la Fantaisie contrapuntique sur un cramignon liégeois (achevée en mars 1890).
La fin de l'année 1890 est ternie par la mort de César Franck survenue le 8 novembre.
Heureusement, Theodor de Wyzewa permet à Lekeu de rencontrer Vincent d'Indy qui rend courage au jeune compositeur et en fera un orchestrateur de premier plan. Dans les premiers mois de 1891 Lekeu compose son émouvant Adagio pour quatuor d'orchestre et la Sonate pour piano. D'Indy pousse aussi son élève à se présenter au concours du prix de Rome à Bruxelles. Jugé de manière partiale car il n'est issu d'aucun conservatoire belge, Lekeu reçoit seulement le deuxième second prix pour sa cantate Andromède. A noter enfin, la création le 2 décembre 1891 du Chant lyrique (achevé en juin 1891) par la Société royale l'Emulation dirigée par Alphonse Voncken.
1892 sera une grande année pour Guillaume Lekeu. Mis en rapport par d'Indy avec Octave Maus, co-fondateur et secrétaire du " Cercle des XX " à Bruxelles, il dirige le 18 février à ce cercle un extrait de sa cantate avec accompagnement réduit pour piano et cordes. C'est aussi ce jour-là qu'Eugène Ysaye, rencontré en juillet 1891, lui commande ce qui sera son œuvre la plus célèbre : la Sonate pour piano et violon, achevée en septembre et créée aux XX, le 7 mars 1893 en même temps que les Trois Poèmes pour chant et piano composés aussi en 1892. Autre succès: la cantate Andromède créée à Verviers le 27 mars 1892 sous la direction de Louis Kéfer. Lekeu achève aussi en 1892 la célèbre Fantaisie pour orchestre sur deux airs populaires angevins créée le 29 juin 1893 à Bruxelles sous la direction d'Eugène Ysaye et à nouveau jouée le 18 octobre de la même année à Verviers sous la direction de l'auteur.
Lekeu consacre la majeure partie de l'année 1893 à la composition du Quatuor pour piano, violon, alto et violoncelle Le premier mouvement est achevé en juillet 1893 et le second est presque terminé lorsque le compositeur meurt le 21 janvier 1894 de la fièvre typhoïde chez ses parents établis à Angers depuis juin 1892. Pour lui rendre hommage, ses amis parisiens (Maurice Pujo, Carlos Schwabe, Vincent d'Indy...) organisent un concert à Paris, le 29 avril 1894. Y sont créés l'Adagio pour quatuor d'orchestre et la deuxième partie de la Deuxième Etude symphonique (Ophélie). Le 23 octobre 1894, c'est au tour du Quatuor (inachevé) d'être créé à Bruxelles par Mathieu Crickboom (violon), ami le plus cher de Lekeu en 1893, Paul Miry (alto), Henri Gillet (violoncelle) et Louise Merck (piano).
L’oeuvre
Au cours de sa brève existence, Guillaume Lekeu a composé une œuvre étonnamment riche, au style bien personnel. Bien que marquée de l'empreinte de Beethoven, de Wagner et de César Franck, sa musique frappe d'emblée par l'abondance et la richesse des idées mélodiques, par l'audace de certaines tournures harmoniques. D'une intensité d'expression peu commune, elle traduit une diversité de sentiments prodigieuse allant du désespoir à la plus profonde sérénité.
L'œuvre la plus connue de ce génie postromantique prématurément disparu est une sonate pour piano et violon, mélancolique et passionnée, souvent comparée à celle de Franck. Immortalisée par Eugène Ysaye, la Sonate fera le tour du monde et comptera parmi ses interprètes Henri Koch, Yehudi Menuhin et Arthur Grumiaux. Nul ne peut non plus rester insensible aux sonorités étrangement poignantes et désespérées de l'Adagio pour quatuor d'orchestre, œuvre dont l'harmonie annonce La Nuit transfigurée de Schoenberg et qui exprimerait le désarroi du musicien suite à la mort de Franck. Quant à la Fantaisie pour orchestre sur deux airs populaires angevins, elle frappe par la richesse de son orchestration. Par le jeu des timbres et le recours à une variété de rythmes surprenante, Lekeu évoque une idylle nouée au cours d'une fête populaire, par une chaude soirée d'été.
Outre ces trois chefs-d’œuvre demeurés au répertoire, Lekeu laisse une quinzaine d'autres pièces remarquables, momentanément oubliées mais remises à l'honneur au cours des vingt dernières années. Citons les deux Etudes symphoniques, les Trois Poèmes pour chant et piano, la Fantaisie contrapuntique sur un cramignon liégeois, le Trio pour piano, violon et violoncelle en ut mineur, le Quatuor en si mineur pour piano, violon, alto et violoncelle et surtout la cantate Andromède qui ne valut à son auteur, victime d'un jury partial et réactionnaire, qu'un deuxième second Prix de Rome. Réjouissons-nous de disposer aujourd'hui d'enregistrements de qualité de toutes ces œuvres alors qu'en 1970, pratiquement aucun disque de Lekeu ne figurait sur le marché.
Audition d'oeuvres de Guillaume Lekeu en hommage à sa récente disparition, le dimanche 29 avril 1894, Salle d'Harcourt à Paris, orchestre dirigé par Vincent d'Indy. Affiche dûe au peintre Carlos Schwabe
( coll. DHM )Différentes manifestations à l'occasion du centième anniversaire de la mort de Lekeu ont permis de mieux le faire connaître. A cette occasion, de nombreuses œuvres connues et moins connues ont exécutées et enregistrées sur disque compact.
Luc Verdebout
NDLR : Luc Verdebout,
signataire de cette esquisse biographique, est licencié en musicologie de l'Université libre de Bruxelles et a publié en 1993 la correspondance de Guillaume Lekeu sous le titre de : Correspondance, Guillaume Lekeu, introduction, chronologie et catalogue des œuvres, Liège, Pierre Mardaga éditeur, 1993, 496-XVI pages, 24 cm (ISBN 2-87009-557-0). Guillaume Lekeu, Chansonnette sans paroles pour piano, op. 39, 1892, éditions Veuve Muraille, Liège.
Fichier audio par Max Méreaux (DR.)