Yvonne LEVERING
Pianiste, contralto, mezzo-soprano, récitante et professeur belge
Bruxelles, 26 septembre 1905 – Bruxelles, 1er mai 2006

Yvonne Levering en 1936
Yvonne Levering en 1936
( Photographie Studio Verhassel, Bruxelles, fonds musical de l’auteur )

"Voix superbe, son mezzo ample, chaud, souple, est d’une homogénéité rare."
(Le Journal de Liège, 25 juin 1936)

"Yvonne Levering, contralto dont le meilleur registre est l’aigu éclatant. Chez elle, d’ailleurs, les registres sont nettement marqués, elle chante avec beaucoup d’expression [des extraits] de ‘Le Prophète’, ‘Orphée’, etc."
(Revue Lyrica, Paris, N° 146)

"Je tiens à exprimer à Yvonne Levring mes félicitations les plus vives pour l’interprétation empreinte de mystère et de songe, si conforme à ma pensée, qu’elle vient de donner au micro de l’I.N.R. de sa mélodie inpirée par des ‘chansons’ de Maurice Maeterlinck [probablement sa ‘Chanson archaïque, créée en 1944, NDR]. Intelligence et richesse vocale, diction expressive, musicalité scrupuleuse sont autant de vertus rares et précieuses que j’ai été heureux d’apprécier tout au long de ce rétital dont le programme sortait des sentiers battus!"
René Bernier, compositeur belge, Inspecteur de l’enseignement musical (1905-1984)
dans un courrier à l’artiste, vers 1949.

 

 

Une longue existence consacrée à la musique et à son enseignement

C’est dans sa cent-unième année que nous a paisiblement quittés, le 1er mai 2006 à Bruxelles, sa ville natale, le contralto et mezzo-soprano belge Yvonne Levering. Cette artiste émérite axa l’essentiel de son activité musicale sur l’oratorio, le concert, le récital et le professorat, privilégiant ces formes d’expression musicale à l’opéra, qui lui aurait pourtant offert de substantielles possibilités de carrière. Dans une interview avec l’auteur réalisée pour l’Union des Artistes du Spectacle (Belgique) en août 2005, dont Yvonne Levering était membre depuis 1936, la pétillante centenaire évoquait son audition avec Corneil de Thoran1, directeur du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles " L’audition se déroula fort bien je chantai des extraits d’Orphée, de Carmen, l’air de Sapho et, je crois, l’air des lettres, de Charlotte (dans Werther.) Le directeur me convoqua dans son bureau et me complimenta sur ma voix, ma musicalité et mon style. Puis il me demanda si je disposais déjà d’un répertoire lyrique que je pourrais utiliser rapidement. Je dus bien lui répondre par la négative. Corneil de Thoran me suggéra donc de revenir l’année suivante – nous étions en 1937 -, avec trois rôles complets à lui proposer. Puis, la seconde guerre mondiale éclata et je poursuivis d’arrache-pied mon activité concertante, donnant des centaines de récitals et concerts de charité et je n’eus guère le temps d’établir un répertoire lyrique. Enfin, je dois vous l’avouer sur scène, j’étais saisie par un terrible trac et ma mémoire du texte me faisait souvent défaut. Non pas la mémoire musicale, qui chez moi était pratiquement instantanée et photographique, mais le texte. Ce beau projet ne se réalisera finalement pas. " En dehors de la sphère lyrique, le répertoire de l’artiste sera cependant très large, passant de la musique baroque à la création contemporaine, particulièrement de compositeurs belges et français, qu’elle s’attachera à défendre avec brio. Elle ne manquera jamais d’accorder une place de choix aux extraits d’opéra, dans les registres de contralto et de mezzo-soprano. Yvonne Levering collaborera pendant près de 26 années avec l’I.N.R. (l’Institut National de Radio-diffusion) et participera à d’innombrables captations, tout d’abord en qualité de pianiste, puis de cantatrice attitrée (première soliste et récitante, auprès du Chœur français.) Toute jeune, elle prendra à cœur sa fonction de pédagogue, dispensant d’abord des cours de solfège, puis de chant avec succès. A plus de quatre-vingt-dix ans, Yvonne Levering chantait encore des mélodies et les airs d’Orphée ou de Carmen avec panache. Par ailleurs, la radio belge fera régulièrement appel à ses bons et loyaux services jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans, âge vénérable où son instrument était pourtant demeuré intact. Retirée de la scène musicale, elle ne manquera jamais de s’intéresser de près aux arts du spectacle, prodiguant ses conseils à la jeune génération d’artistes et se montrant d’une extraordinaire générosité envers eux, les soutenant du mieux qu’elle le pouvait. En parfaite mélomane qu’elle était, elle se plaisait à écouter régulièrement de la musique elle constituera au fil du temps une importante bandothèque, qui privilégiera les compositeurs belges et français qu’elle chérissait tant pour les avoir interprétés pendant sa carrière: Absil, Bernier, Brenta, Capdevielle, Chausson, Debussy, Duparc, Fauré, Gohy, De Guide, Honegger, Ibert, d’Indy, Koechlin, Milhaud, Poulenc, Ravel, Stehmann, etc. L’ensemble sera minutieusement étiqueté et catalogué des reports vers compact disc ont été effectués, offrant le reflet d’une splendide voix, ronde et homogène sur toute la tessiture, puissante, au grain cuivré et suave, soutenue par une technique irréprochable. Cette discographie, souvent captée sur le vif, offre un panorama non exhaustif de l’attachante personnalité musicale d’Yvonne Levering. On peut y apprécier les élans pathétiques d’Orphée, en passant par l’espiègle Carmen, à la tourmentée Charlotte (Werther) ou de la dramatique Azucena (Il Trovatore), au poignant negro spiritual ‘Deep river’.

 

Yvonne Levering ou un talent artistique précoce

C’est fort jeune que l’artiste découvrira sa vocation pour le piano, dont elle deviendra une virtuose acharnée dès l’âge de six ans, puis pour le chant classique, tout en nourrissant une aspiration pour l’enseignement de la musique. Adolescente, alors qu’elle poursuivait sa scolarité obligatoire avec un précepteur particulier, Yvonne Levering décidera de suivre une formation musicale initiale auprès d’une tante, professeur de solfège et de chant à Anvers: c’est elle qui l’initiera au chant. En quelques années, la brillante élève accomplira d’étonnants progrès en solfège, lecture à vue, retranscription, fugue et composition. Tout en s’adonnant à la pratique d’exercices, elle solfiera aisément avec une jolie voix déjà naturellement bien placée. La voie était donc toute tracée et c’est ainsi qu’une audition sera organisée avec une amie de la famille, le réputé mezzo-soprano et pédagogue belge Jeanne Flament (1872-1956)2, qui enseignait au Conservatoire de Musique de Bruxelles. Crainte pour son caractère intransigeant et peu commode, après une audition brillamment réussie, Jeanne Flament décidera d’admettre la prometteuse artiste au Conservatoire, où cette dernière suivra un cursus musical complet. Intelligente, assidue et consciencieuse, naturellement versée vers les Arts et la musique, Yvonne Levering réussira ses études avec les plus hautes distinctions. Afin de parer à toute éventualité, elle terminera ses études secondaires classiques avec un Diplôme avec distinction et un certificat de sténographie, au cas où et afin de rassurer ses parents. Puis, vinrent les reconnaissances académiques. En effet, le palmarès des distinctions qu’elle remportera au Conservatoire est éloquent : Prix de solfège avec distinction (1922), Prix de piano avec distinction (1926), Prix de musique de chambre (1928), Accessit d’harmonie (1928), Diplôme de virtuosité de musique de chambre (1930), Diplôme de diction (1932), Premier Prix de chant avec distinction (1934), Deuxième Prix d’art lyrique (1936), Diplôme de virtuosité de chant (1936.) Yvonne Levering ne débutera pas à la scène en qualité de cantatrice, mais tout d’abord, en tant que pianiste. Elle donnera de nombreux récitals dans la capitale belge, puis son excellente réputation lui ouvrira les portes de salles de concert à Liège, Mons, Gand et Anvers. Elle créera ainsi quelques sonates de compositeurs belges de qualité inégale, dont la plupart sont tombées dans l’oubli. Tout en développant ses activités de pianiste, elle continuera de travailler sa voix et donnera ses premiers récitals au Conservatoire, puis dans l’enceinte de l’I.NR. En effet, grâce à la rareté et à la beauté de son instrument, il y avait une place à prendre en Belgique. Incitée à poursuivre sur cette voie par Jeanne Flament et par le Directeur du Conservatoire, l’éminent compositeur belge et premier Grand Prix de Rome, Joseph Jongen (1873-1953), Yvonne Levering suivra une voie toute tracée. Elle donnera, tout en gérant son activité musicale, des cours de solfège, d’histoire de la musique et de chant à des élèves particuliers, puis dispensera son enseignement du piano et du solfège auprès de l’Institut Royal de Musique d’Ixelles (Bruxelles) et de l’Académie de Musique de Saint Josse (Bruxelles.) Cet institut fut créé en 1869 et comptera au rang de son corps professoral des artistes lyriques et solistes de concert de tout premier plan tels que Désiré Demest, Laurent Swolfs, Albert Huberty, Frédéric Anspach, Georges Genicot, Roger Lefèvre, Marie-Louise Derval, Ysel Poliart.

 

Une soliste et concertiste hors pair

Yvonne Levering participera à d’innombrables concerts et récitals, tout en abordant l’oratorio (parties de contralto, puis de mezzo-soprano) et le répertoire classique italien, anglais, français et allemand, tout en étant déjà rattachée à l’I.N.R. en tant que première soliste. En sa qualité de soliste des Concerts philharmoniques, l’artiste se verra confier plusieurs créations, notamment celle de La Passion du Christ, du compositeur belge Henri Thiebaut, alors directeur de l’Institut Royal de Musique, en 1936 au Conservatoire. De nombreuses créations locales ou absolues jalonneront le long parcours de cette attachante personnalité du monde musical belge, à l’instar de la création à Bruxelles en mars 1939 de Jeanne d’Arc au bûcher de Arthur Honegger à la Société Philharmonique de Bruxelles, sous la direction de Louis de Vocht, avec une solide brochette de solistes Yvonne Levering (Sainte Catherine), Ida Rubinstein (Jeanne), Jean Hervé (Frère Dominique), sociétaire de la Comédie Française, Germaine Teugels (la Voix de la Vierge), Nelly Mousset-Vos (Sainte Marguerite), José Lens (Porcus et un Héraut ténor), Andrée de Chavron (la Mère aux tonneaux), sociétaire de la Comédie Française, Georges Génicot (le Récitant), et Lucien Van Obbergh (un Héraut basse.) Cette même œuvre sera présentée à la Monnaie le 12 novembre 1952, dans une réalisation scénique pour 11 représentations, sous la baguette de son chef et directeur, Corneil de Thoran [cf. portrait du musicien par le même auteur, présenté par Musica & Memoria, section Biographies] Tout au long de son activité de concertiste, Yvonne Levering privilégiera les mélodies de compositeurs belges et français dont elle assurera la création et elle interprétera quelque 220 œuvres, accordant ainsi une place de choix à la création. Du même compositeur, l’artiste créera Antigone à l’I.N.R. en 1953, sous la direction de Franz André. Elle donnera de nombreuses prestations ponctuelles de musique de chambre contemporaine, notamment pour le groupe Pro Arte, tout en défendant des œuvres modernes du Groupe des Six, qu’elle reprendra occasionnellement à l’I.N.R. Elle poursuivra inlassablement ses activités de concertiste en préférant les récitals et concerts de bienfaisance, tout en enseignant avec succès. Tout au long de sa carrière, l’artiste sera invitée en Autriche, en France, au Luxembourg, en Italie, ainsi qu’en Grande-Bretagne (récitals et concerts de musique de chambre.) En 1949, Yvonne Levering prendra part à la création de Les Euménides (volet de L’Orestie, comprenant Agamemnon et Les Choéphores) au Palais des Beaux-Arts (Bruxelles), composition dont elle avait également assuré la création au Théâtre des Champs-Elysées (Paris.) Elle participera à des concerts de gala de première envergure en Belgique, à l’instar d’une représentation au Palais des Beaux Arts de L’Enfant et les sortilèges en novembre 1954 à la mémoire de Colette (avec Yetty Martens [cf. portrait du mezzo-soprano par le même auteur, présenté par Musica & Memoria, section Biographies], Ysel Poliart, Marie-Thérèse Pascal, Suzanne Yerlès, Jean Lescanne, Louis Devos, Georges Genicot, sous la direction de Franz André.) Elle sera fréquemment invitée, comme première soliste de la Radio, à prêter son concours dans le cadre de festivals et ensembles musicaux concertants, tels que le Pro Musica Antiqua, le Festival de Musique de Chambre, le Cercle Musical des Amateurs, l’Ensemble de Musique Baroque, le Festival Jean-Sébastien Bach, la Société Royale de Zoologie (Anvers), les Amis de Jeanne Flament, le Musée Charlier, l’Institut Belge (Londres), la Chorale Royale, la Société Philharmonique de Bruxelles et bien sûr, le Conservatoire. Enfin, l’artiste était soliste des Grands Concerts Symphoniques de Belgique.

 

Yvonne Levering en 2005
Yvonne Levering en 2005, fêtant son centième anniversaire
( (Photographie privée, fonds musical de l’auteur) )

 

Une figure attachante au service de la musique

Yvonne Levering : une vie tout entière consacrée à la musique, parcourant inlassablement l’évolution de son langage, devenant la réceptrice puis l’ambassadrice d’un savoir et d’une véritable passion qu’elle s’attachera à communiquer à la jeune génération. Tout au long de son existence, elle n’aura cesse d’incarner la musique. Très jolie femme, suprêmement élégante à la scène comme à la ville, d’une érudition et d’une culture générale rares, Yvonne Levering aimera voyager, lire, écouter de la musique, se rendre au concert et au théâtre. Ame foncièrement généreuse, elle se montrera toujours à l’écoute de son prochain, constamment prête à soutenir son entourage. Sa bonté et sa générosité l’inciteront à offrir ses deux cachets au terme de deux performances de La Passion selon Saint Jean à une collègue de scène, victime d’infortune familiale. Cela se déroula pourtant pendant la seconde guerre mondiale, époque où un cachet était rarissime et souvent infime, les artistes chantant le plus souvent bénévolement. Son appréciation et son jugement des programmes éducatifs actuels résume bien la musicienne dans l’âme qu’elle était, comme en témoigne un autre extrait de l’interview Q. " Madame, quelles sont les recommandations que vous souhaiteriez donner aux talentueux artistes de l’Union des Artistes du Spectacle? " R. " En ce qui concerne les chanteurs, je leur conseillerais de se concentrer sur les bases de la musique et le perfectionnement du solfège – oui, j’y reviens toujours! Les changements de clé, les transpositions, les dictées, la fugue, le contrepoint, voire même la composition! Egalement, le travail du son à l’aide du piano, le beau son qu’il faut reconnaître d’oreille, qu’il faut exercer, former, afin qu’elle devienne musicale. Toutes ces disciplines, de nos jours, lorsque je songe aux élèves des conservatoires de musique actuels, je n’en entends plus guère parler! " Jusqu’à son dernier souffle et bien qu’atteinte de surdité partielle, Yvonne Levering entendra la musique et le chant résonner, ceux-là même qui furent sa véritable raison d’être. En fermant les yeux pour la toute dernière fois ce 1er mai, elle emporte avec elle les lumineux souvenirs de près d’un siècle d’histoire musicale. Avec elle, la scène musicale belge perd une figure attachante, témoin privilégié d’une époque révolue. Yvonne Levering était Chevalier de l’Ordre de Léopold II (Belgique.) Elle était également la récipiendaire de la Médaille d’argent de la Ville de Paris, couronnée par l’Académie Française (Prix Thorlet), sous le N° 15688, qui lui a été décernée en date du 26 avril 1970.

 

Claude-Pascal PERNA
Tous droits réservés,
juillet 2006.

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1) Dont un portrait, du même auteur, est disponible sur le site Musica & Memoria (section 'Biographies') [ Retour ]

2) Jeanne Flament, après des études au Conservatoire de Musique d'Anvers dans la classe de la basse Henri Fontaine, se spécialisera dans l'oratorio, ainsi qu'au récital et au concert. Elle limitera sa carrière à cette discipline et créera avec ses propres deniers le " Prix Jeanne Flament " décerné aux meilleurs interprètes d'oratorio. Au terme de sa carrière de concertiste, elle dirigera plusieurs ensembles orchestraux en Belgique, puis aux Pays-Bas, notamment pendant la première guerre mondiale (Amsterdam, La Haye, Rotterdam et Dordrecht.) [ Retour ]

 


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