Guy de LIONCOURT (1885-1961) 1


Guy de Lioncourt, crayon de Jean de La Hougue.

Au matin de Noël [1961], l'auteur du "Mystère de l'Emmanuel" nous a quittés pour toujours. La foule, qui se retrouva à l'église Saint-François-Xavier le 29 décembre pour assister à la cérémonie des obsèques du maître Guy de Lioncourt laisse entrevoir quels regrets sa disparition crée dans le cœur de ses innombrables amis et disciples : car ses disciples éprouvaient aussi à son égard une vive et respectueuse amitié.

1re page du IIIe volume du
Traité de composition de Vincent d'Indy,
rédigé par Guy de Lioncourt,
d'après les notes prises aux classes
de la Schola Cantorum

édité chez Durand, 1950.
( Coll. Michel Baron )
J'aimerais pouvoir retracer l'admirable carrière de Guy de Lioncourt ; hélas ! la place me manque ici, tant cette carrière fut fertile. Entré à la Schola en 1904, il ne la quittera plus jusqu'à sa mort, puisque l'Ecole César Franck devint l'héritière directe de la Schola. Au sortir de la classe de Vincent d'Indy dont il deviendra le neveu par son mariage, Guy de Lioncourt sera successivement professeur de contrepoint, puis de composition en 1931 à la mort de Vincent d’Indy. Il jouera un rôle capital dans la fondation de l'Ecole César Franck dont il devient sous-directeur, puis directeur en 1942, avec Marcel Labey, après la mort de Louis de Serres, tout en conservant la classe de composition.

Certes on ne peut séparer - moins que jamais maintenant qu'ils sont réunis dans l'Eternité - les noms de Guy de Lioncourt et de Vincent d'Indy. Il est étonnant de constater avec quelle opiniâtreté et quel désintéressement Guy de Lioncourt s'est attaché à défendre, à faire connaître, à faire aimer l’œuvre et la personnalité de Vincent d'Indy. Faut-il rappeler à cet égard l'activité que dépensa le directeur de l'Ecole César Franck durant l'année 1951 pour commémorer le centenaire de son maître2, et le soin qu'il mit à rédiger le 3° volume du Traité de composition de l'auteur de la Symphonie Montagnarde.

Je crois pouvoir affirmer que par ce dévouement presque incroyable à la mémoire de Vincent d'Indy, Guy de Lioncourt a sacrifié en quelque sorte l'aspect extérieur et public de sa propre carrière. N'était-il pas plus attaché bien souvent à faire jouer les œuvres de son maître plutôt que les siennes ! C'était d'ailleurs un trait saillant de son caractère : la musique lui donnait tant de joie visible qu'il voulait nous la faire partager. Je me souviens, à cet égard, que lors des répétitions de concerts, lorsqu'il venait parfois soit au piano soit au pupitre, j'avais été frappé d'éprouver, étant encore étudiant, combien son admiration pour la Cantate ou la Passion de Bach que nous travaillions était communicative: manifestement il ne se lassait pas de ces chefs-d’œuvre même à travers l'exécution bien imparfaite et incomplète que nous pouvions en donner. Que dire de sa joie lorsque nous eûmes l'honneur de monter son inoubliable Mystère de l'Esprit , joie d'entendre son œuvre bien plus que de voir l'accueil chaleureux que lui réserva le public ami de la salle Gaveau !

La musique de Guy de Lioncourt est toute à son image: distinction, élégance, sincérité. Tout comme lorsqu'il se faisait musicographe; sa plume devient tantôt ironique et descriptive, tantôt spirituelle, tantôt pleine de sentiment et de chaleur, tantôt teintée de mysticisme et de mystère, toujours poétique.

Je ne puis analyser ici son œuvre si importante, mais je veux tout de même citer Les dix Lépreux, Jean de la Lune, La Belle au Bois dormant. Et en cette revue Musique Sacrée3 j'évoquerai plus particulièrement le Mystère de l'Emmanuel, le Chant de Noël, la Messe en si mineur, le Mystère de l'Alleluia, le Mystère de l'Esprit, ses nombreux motets, son recueil de Vingt-et-un cantiques pour les principales circonstances de l’année liturgique, ses Elévations Liturgiques et récemment ses Dix préludes à l'Introït, etc...

Signature autographe de Guy de Lioncourt
( coll. DHM )
L'attachement que Guy de Lioncourt portait au chant grégorien et à la musique religieuse s'est manifesté non seulement dans ses œuvres où le maître mettait toute sa science, tout son cœur et sa foi profonde, mais aussi dans ses écrits où parfois sa plume se faisait mordante et batailleuse pour dénoncer certaines tendances anti-musicales dans nos églises. Pour lui, la beauté, la noblesse et la perfection étaient inséparables de la liturgie. Avec quelle vigueur ne l'a-t-il pas écrit dans cette revue même!4 Oui, il souffrait de la laideur et notre époque à ce titre l'a fait souffrir, surtout durant cette dernière décade: il n'est que de relire dans de nombreux bulletins trimestriels de l'Ecole César Franck ses articles où il flétrit avec une ironie amère le mauvais goût qui sévit sur les ondes radiophoniques et où encore il s'insurge contre les errements de certaine musique d'avant-garde !

En vérité il ne suffit pas de quelques lignes pour rendre hommage à la personnalité toute vibrante de ce Maître, pour dépeindre les richesses de son œuvre, pour énumérer les multiples aspects de son enseignement, pour décrire le vide que crée sa disparition, ni pour évoquer les souvenirs inoubliables que nous laisse Guy de Lioncourt.5

Joachim HAVARD DE LA MONTAGNE (1962)



La Schola Cantorumn en 1917
Paris, Schola Cantorum, 26 février 1917, classe de violon supérieur d’Armand Parent. Assis, de g. à dr. : Armand Parent, Vincent d’Indy, Guy de Lioncourt. Debout, derrière d’Indy : Madeleine Bloy-Souberbielle. Parmi les élèves, debouts derrière le banc, figurent certainement Mlles Marie Boegner et Waser qui obtenaient cette année leur diplôme de violon supérieur.
( coll. Galpérine-Souberbielle ) DR


Affiche concert du 21 juin 1929 dans la Salle des concerts de la Schola Cantorum (Paris), organisé par l'Association des anciens élèves de la Schola Cantorum.
( Coll. D.H.M. )
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Page de couverture des
souvenirs de Guy de Lioncourt
édités en 1956 à l'Arche de Noé
( dessin de Paul Guimezanes )
( Coll. DHM )
1) Né le 1er décembre 1886 à Caen, d'un père avocat, il acheva ses études musicales à la Schola Cantorum auprès de Léon Saint-Réquier (harmonie), Amédée Gastoué (grégorien), André Roussel (contrepoint), Vincent d'Indy (composition), Charles Pineau (orgue), F. Mondain (hautbois) et Louis de Serres (déclamation lyrique). Il épousa, le 2 juillet 1912 à Boffres (Ardèche), Claire Pampelonne, nièce de Vincent d'Indy, qui lui donna 5 enfants : Colette, Jeanne (infirmière), Vincent (mort à la naissance), Thérèse et Germaine. Cette dernière a épousé le compositeur Jacques Berthier (1923-1994), d'où est issu notamment Vincent Berthier de Lioncourt, l'un des fondateurs du Centre de Musique Baroque de Versailles. (note DHM)Retour ]

2) On lui doit notamment un fort bel article : Vincent d'Indy, 1851-1951, paru dans le numéro 20 (mars-avril 1951), pp. 1-3, de la revue Musique Sacrée - L'Organiste. [ Retour ]

3) Cet article est paru à l'origine dans le numéro 72, janvier-février 1962, de la revue Musique Sacrée - L'organiste. [ Retour ]

4) Voir numéro 52. [ Retour ]

5) Guy de Lioncourt a rassemblé ses souvenirs dans un ouvrage intitulé Un témoignage sur la musique et sur la vie au XX° siècle, édité en 1956 par L'Arche de Noé (381 pages, fac simile ci-contre). On trouve dans cet ouvrage d'un grand intérêt, notamment un catalogue de ses œuvres, ainsi qu'une liste de ses principaux élèves parmi lesquels on relève Maurice Gay, Noélie Pierront, Louise Delbos-Messiaen, Charles Brown, René Beneditti, l'abbé Pierre Kaelin... (note DHM)Retour ]


 


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