LEON MANIERE
(1885-1954)


Léon Manière, en 1933
Léon Manière
( cliché Royal-Photo, Caen, coll. Nicole Rose ) DR


Affiche du drame lyrique en 3 actes Charlotte Corday, composé dans les années trente et donné au Théâtre de Caen en décembre 1937
( coll. Nicole Rose ) DR

« L'Art est la Vie et l'Amour et c'est tel que les générations l'attendent de ceux qui ont été placé par la Providence pour éclairer, d'une lueur bienfaisante, notre chemin au cours de cette vie misérable. »

« S'il est louable et s'il est même du devoir du compositeur connaissant son métier de ne pas négliger les efforts et les trouvailles de ses devanciers dans le domaine musical, qu'il ne perde pas cependant le « sens du Beau ». Qu'il évite, à force de remuer des formules de devenir sec et ennuyeux. Qu'il prenne garde aux combinaisons pour le plaisir de combiner !

« Le sens du Beau  ? Mais bien souvent, l'auditeur, quoique n'ayant pas touché aux matériaux, l'aura à un degré bien plus élevé que lui, qu'il ne l'oublie pas.

« Pour l'auditeur pénétré de l'Art, dans ce que ce mot a de plus noble, peu lui importe les moyens mis en oeuvre par le compositeur pour arriver au but ; celui qui aimera Rameau sera souvent le même qui se complaira dans l'audition des oeuvres de Mozart, Franck, Bizet, Debussy, Fauré Ravel, Strawinsky, etc. dans ce qu'il a de beau, de noble, de prenant dans la pensée de ces maîtres.

« L'inspiration compte donc seule ici-bas. »


*

Ces deux citations de Léon Manière (in La musique et l’auditeur, Musiques et Concours, 15 mai 1933 et Le Havre-Eclair, 23 août 1933) reflètent ce que fut son éthique tout au long de sa carrière de compositeur. Né à la fin du XIXe siècle, ce musicien ne pouvait que s’interroger sur l’avenir de l’art musical et réfléchir sur la direction à lui donner.

Musicien sensible avant tout, habile harmoniste, excellant dans la conduite des modulations et séduisant par la fraîcheur de ses mélodies, Léon Manière se laisse donc guider tout naturellement par son inspiration. Il se situe dans la belle tradition de maîtres tels que Gabriel Fauré, César Franck, André Messager… Esprit analytique toujours en proie à la sensualité des sons et des parfums harmoniques, sa musique demeure néanmoins un chant du cœur tout empreint de lyrisme. Indépendant et modeste, Léon Manière ne recourt pas aux intrigues. Il est un compositeur intègre et sincère, lequel, s’il connut le succès de son vivant, n’en est redevable qu’à son talent.

Bourguignon de souche, Léon Manière naît à Dijon le 19 février 1885. A l’âge de deux ans il arrive à Savigny-lès-Beaune où il passe toute sa jeunesse. Il est issu d’une famille modeste. Son père cumule les fonctions de facteur et de vigneron, pendant que sa mère exerce la profession de cuisinière.

Aucun penchant particulier pour la musique ne s’est jamais manifesté dans son milieu familial, et rien ne laisse présager le don de Léon Manière. C’est cependant dès son plus jeune âge qu’il est attiré par cet art. Plus tard, il attribuera à la nature au sein de laquelle il a vécu, l’origine de sa vocation.

Autodidacte, sa formation musicale se fait à peu près seule. Un voisin lui apprend les notes ainsi que des rudiments de solfège. Un harmonica, puis un piano que ses parents mettent à sa disposition, sont la source de son apprentissage en tant qu’instrumentiste. Adolescent, il entre dans la fanfare de Savigny-lès-Beaune. Peu après, il rencontre un ancien chef de musique militaire à Nuits-Saint-Georges, M.-F. Mourgue, qui lui enseigne quelques notions d’harmonie.

C’est alors qu’il réalise ses premières compositions musicales.

A l’école, puis au collège, il est un excellent élève. Ses parents le destinent à la carrière d’instituteur. Mais Léon Manière, quant à lui, souhaite se consacrer entièrement à la musique. Aussi quitte-t-il le collège à l’âge de 16 ans, et entre comme comptable chez un négociant à Savigny-lès-Beaune, M. Langeron. Ce dernier confiera par la suite que, bien que les tiroirs de son bureau fussent emplis de papiers à musique, Léon Manière était un très bon comptable. Pourtant, plus que jamais désireux de faire carrière dans la musique, il décide de s’engager dans l’Armée pour y passer les concours de sous-chef, puis de chef de musique.

En 1903, à l’âge de 18 ans, il monte à Paris et il est incorporé le 5 mars dans le 28e régiment d’infanterie comme soldat, à la caserne de la Pépinière. Puis, le 16 janvier 1904, il devient soldat-musicien dans le même régiment. Il est corniste.

Reçu par Gabriel Fauré au Conservatoire national de musique en 1905, il y est admis et fréquente alors les classes d’harmonie de Pessard et de Caussade, celle de fugue et de contrepoint de Paul Fauchet ainsi que celle de composition de Paul Ladmirault. Il y parfait son éducation musicale et y acquiert de solides connaissances indispensables à la carrière de compositeur.

Le 23 août 1907, nommé sous-chef de musique, il quitte la Capitale pour la Normandie, où il est affecté au 136e régiment d’infanterie à Saint-Lô.

Le 27 octobre 1909, il se marie avec Berthe Charles, tout comme lui d’origine bourguignonne. Ensemble ils auront trois enfants  : Georges en 1915, Maurice en 1919 et Geneviève en 1921.

Reçu au concours de chef de musique en 1913, il est nommé le 29 avril chef de musique à Mamers, au 115e régiment d’infanterie. C’est au sein de ce régiment qu’il combattra pendant la Grande Guerre. Au Front, son courage et son abnégation lui valent la Croix de Guerre. Il sera par la suite décoré de la Légion d’Honneur le 25 décembre 1929.


Musique du 115e Régiment d’Infanterie dans les tranchées, dirigée par Léon Manière, été 1915, Les Marquises, dans la Marne
( coll. Nicole Rose ) DR

Après la Guerre, en 1919, c’est de nouveau en Normandie, à Caen, qu’il exerce la fonction de chef de musique, au 36e régiment d’infanterie.

Jusqu’à cette période, Léon Manière n’a cessé de composer diverses pièces, pour piano, pour violon, pour chant, pour orgue, mais également pour harmonies et fanfares. Cependant à Caen il se fait connaître du public et ses œuvres sont jouées en concert. La presse régionale s’en fait l’écho de façon élogieuse, et Léon Manière trouve naturellement sa place dans la sphère musicale caennaise. Il fait la rencontre de Maurice-Charles Renard, romancier membre de la Société des gens de lettre et de la Société des auteurs dramatiques, qui lui propose une collaboration pour un projet d’Opéra  : Charlotte Corday, héroïne caennaise, et dès lors, Léon Manière travaille à cette entreprise.

Entre-temps le 36e RI est dissout, et Léon Manière est affecté en 1924 au Havre, au 129e régiment d’infanterie. Il y restera chef de musique jusqu’en août 1933, date à laquelle il se retire de l’Armée.

Tout comme à Caen, il participe pleinement à la vie culturelle havraise. Léon Manière fréquente les milieux musicaux. Ses œuvres se font entendre au cœur de concerts donnés Salle de la Lyre havraise, au casino Marie-Christine, à l’église Saint-Michel...

Parmi les compositions de cette période, on peut retenir les Trente pièces brèves pour Orgue et pour Harmonium, le Prélude de Charlotte Corday donné en premières auditions au Havre et à Caen en 1928, et encore Djémilé, chant persan et Marche Parade pour harmonies et fanfares, partitions qui furent jouées de nombreuses fois par la musique de la Garde Républicaine ainsi que par d’autres formations militaires.

En 1931, il prend la direction de l’Harmonie municipale du Havre et lui fait acquérir des qualités d’homogénéité et un bon niveau musical.

Au début des années 30, il fait œuvre de théoricien en mettant au point un Solfège d’ensemble à l’usage des sociétés musicales en trois parties, méthode progressive pour tous les niveaux en cent cinquante leçons.

En 1933, il participe au concours de la Fédération Musicale de France, et se voit décerner à l’unanimité par le jury présidé par Louis Aubert, le prix d’honneur avec la note maximale de 20 sur 20. L’œuvre primée est un prélude symphonique intitulé Les Voix du Crépuscule qui met en musique «  les impressions intimes devant le spectacle calme et majestueux d’un paysage crépusculaire  ».

En 1936, il prend la succession d’Henry Woollett qui vient de décéder, à la Schola Cantorum du Havre – annexe de celle de Paris, fondée en 1924 par Berthe Duranton. Il y enseigne l’harmonie, l’histoire de la musique ainsi que le solfège supérieur.

Le 8 décembre 1937 au Grand Théâtre de Caen, a lieu la création de son opéra Charlotte Corday sur le livret de Maurice-Charles Renard. L’œuvre est choisie pour commémorer le centenaire du Grand Théâtre. La distribution est prestigieuse, les principaux rôles étant chantés par des chanteurs de stature internationale en provenance de l’Opéra et de l’Opéra Comique. Le succès est total et la presse tant régionale que parisienne est élogieuse. Bien que des reprises soient prévues et même programmées à Caen, au Havre et à Rouen, l’œuvre ne sera pas rejouée pour des raisons obscures.

En 1939, Léon Manière meurtri par l’embrasement du monde entré de nouveau en guerre, traduit en musique dans une œuvre  intitulée Scherzo romantique, «  le fracas des armes et la fatalité qui entraîne le monde à son destin  ». L’œuvre est interprétée Salle Pleyel par l’orchestre des Concerts Lamoureux sous la baguette d’Eugène Bigot le 9 février 1947, et retransmise sur les ondes radiophoniques.

En 1943, la Guerre le contraint de quitter le Havre, et Léon Manière s’établit alors à Paris où il dirige quelques années plus tard la Musique municipale de la ville de Vincennes.

Pendant la Guerre, Léon Manière compose un oratorio pour orchestre, soli, chœurs et orgue inspiré par le Psaume CXVIII de David. L’œuvre, intitulée Psaume CXVIII, a été commencée au Havre en septembre 1940 peu de temps après l’invasion, et achevée à Paris en 1944. Vivant dans l’espoir d’une libération prochaine, l’auteur  «  a voulu traduire par avance et de façon symbolique les élans de joie de tout un peuple libéré de ses chaînes  ». La partition, soumise à diverses personnalités du monde musical - dont le critique Roland Manuel - obtient beaucoup d’éloges et de vifs encouragements pour une exécution, laquelle, pour des raisons financières, ne pourra avoir lieu.

En 1949, Léon Manière se voit une nouvelle fois décerner le premier prix au concours de la Confédération Musicale de France avec Danse Noble. Le jury est présidé par Louis Aubert.

Léon Manière décède le 22 mai 1954 à Lagny (Seine-et-Marne).

Nicole Rose



Pour en savoir davantage (catalogue des œuvres, autres photographies....) :
http://leon-maniere.fr/

 


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