Jean MARCOR
ténor belge
Jean Marcor dans le rôle de Chanteoiseau (Le Directeur de théâtre), lors de la création au Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles, 1956.
( photo Hélène Lapaille, Bruxelles, Fonds Musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR
« Si je n’avais pas réussi au Théâtre Royal de la Monnaie, j’aurais certainement été couturier, car j’avais beaucoup d’étoffe, m'a-t-on dit ! »
Jean Marcor
« Docteur, de votre fils Jean-Marie, vous n’en ferez qu’un saltimbanque ! »
Un proviseur de lycée au père de Jean Marcor
« Jean-Marie, ici à la Monnaie, d’un idiot, on en fait quelqu’un de très bien !
Ce qui donne, en patois borain : “Jean-Marie à la Monnaie d'enn biette on in fé n'saquet!»
Petite sélection d’extraits de presse
« Nous extrayons des journaux ce qui concerne plus particulièrement la mise en scène (sic) et la prestation du jeune ténor Jean Marcor, qui fit dans l’ouvrage de Massenet (Le Jongleur de Notre-Dame, NDR), des débuts lourds de risques et absolument réussis… »
Le Courrier du Théâtre Royal de la Monnaie,
n°9, 1er décembre 1956.
« Une grande part de la curiosité suscitée par cette reprise allait à l’interprète du Jongleur, le jeune ténor Jean Marcor, tout neuf au théâtre et pour qui l’enjeu était important. Sa voix légère se plie à une diction claire et à une excellente musicalité et surtout, elle est soumise à un comédien remarquablement doué, intelligent et émotif. Jean Marcor a conquis le public de la Monnaie.»
Le Courrier du Théâtre Royal de la Monnaie,
n°8, 15 novembre 1956.
« Le rôle de Jean réclame un comédien capable de concevoir son personnage et d’y plier tout son comportement depuis son moindre geste jusqu’au débit de son texte. Tout cela, Jean Marcor nous le donne et il en multiplie l’efficacité par un don de présence que l’on rencontre rarement. »
La Dernière heure, décembre 1956.
« D’une aisance étonnante pour un débutant, Jean Marcor incarne à merveille le famélique et candide baladin. Son insouciance, ses mimiques extrêmement mobiles, ses allures drôles, la conscience de son infériorité en présence des autres moines, sa foi simple et sincère, tout cela fut extériorisé avec un sens exact des effets scéniques. »
Le Soir, décembre 1956.
« Jean Marcor, que l’on dit un débutant à la scène, mais qui fait preuve d’une aisance et d’une maîtrise dans le jeu qui sont vraiment inattendues. »
La Nouvelle gazette, décembre 1956.
« Les derniers moments de Mozart pendant l’exécution d’un fragment du Requiem : on est touché car, pris par le prestige et l’illusion de la scène, la touchante figure de Mozart prend une réalité qui nous bouleverse. »
(Au sujet de la création de Mozart et Salieri au Théâtre Royal de la Monnaie), La Dernière heure, mai 1957.
« Le très grand talent de M. Huc-Santana, la ‘présence’ de M. Marcor… »
Pourquoi pas?
, mai 1957.
« M. Marcor, un Pelléas tout à fait dans la ‘ligne debussyste’, d’une bien jolie qualité de voix… »
P.M., La Dernière heure, mars 1958
Evocations et souvenirs
"Jean Marcor arriva à la Monnaie vers 1956. Il eut le privilège un peu mélancolique de faire partie – mais avec quel brio – de la dernière troupe belge du théâtre d’alternance. En 1959, ce fut la fin d’un système qui avait pourtant prouvé son efficacité et ses avantages durant des décennies. Depuis, l’opéra ne cesse de se chercher sans plus s’y retrouver …
Jean Marcor avait reçu une voix de ténor aux harmoniques reconnaissables entre toutes. Ce cadeau, les Dieux l’avaient agrémenté de présents supplémentaires. L’artiste jouait à ravir et portait le costume avec art. Son physique élégant n’évoquait pas les ténors-catcheur ! Dès ses premières prestations, l’artiste fut adopté par un public dont les habitudes et les souvenirs étaient parfois redoutables. D’emblée, il l’adopta et applaudit un Siebel (Faust), débarrassé des afféteries du travesti. Il chanta Mozart (Le Directeur de théâtre) et fut également un Amadeus émouvant, bien avant le film de Milos Forman (dans Mozart et Salieri, de Rimsky-Korsakov.) Son premier grand rôle à la Monnaie fut Jean (Le Jongleur de Notre-Dame), qui lui permit de jouer de toutes les facettes de ses talents. Tour à tour primesautier, inquiet, mystique, il chanta avec vaillance le rôle sur lequel repose toute l’œuvre. Avec quelle enfantine attention il écoutait la ‘légende de la Sauge’ dite par le baryton Jean Laffont1 dans le rôle de Boniface ! L’opérette réclame l’artiste : il avait tout pour y être brillant, mais on ne l’y vit pas assez à la Monnaie. Son Antonin (Ciboulette) était parfait de naïveté. Il portait sans effort la difficile musique légère de Raynaldo Hahn. Quant au Prince Orlovsky (La Chauve-souris), l’on n’oubliera pas son allure slave et décadente, vêtu d’un uniforme blanc et qui éclipse encore aujourd’hui les interprétations ridicules voulues par des metteurs en scène en mal d’originalité. Jean Marcor fut sans doute le dernier Pelléas belge dans l’œuvre de Debussy et de Maeterlinck. Avec lui, la redoutable complexité musicale de la partition s’oubliait : il la respirait comme les auteurs l’auraient aimée. Quel dommage que semblable interprétation n’ait laissé aucun enregistrement ! Mais ce genre d’opération technique en était encore à ses balbutiements, particulièrement au théâtre. Heureuse époque cependant, où pareille production, totalement belge (à l’exception d’André Huc-Santana dans le rôle d’Arkel), faisait des miracles sans recourir aux scandaleux subsides actuels. Notre souvenir le plus vif demeure celui du personnage de l’Innocent (Boris Godounov) : si le rôle est mince, il porte symboliquement toute l’annonce des malheurs futurs de la Vieille Russie. Grimé à miracle, l’artiste savait conduire un chant de pleurs et de gémissements à vous retourner le cœur ! Impossible pour nous d’oublier cette voix mourante, ces regards visionnaires, tandis que tombaient les premiers flocons de neige … Jean Marcor eut peut-être le privilège de quitter la scène lyrique au bon moment. Il connut le travail de la troupe, si regretté aujourd’hui, mais impossible à faire renaître. Il ne connut pas, pour son bonheur, l’hégémonie des metteurs en scène socio-freudiens ! Il quitta la scène en plein éclat, sans décroître, sans représentations d’adieux, même si l’on attendait encore beaucoup de lui. Son étoile scintille, intacte et toute neuve dans notre souvenir."
Un fidèle abonné du Théâtre Royal de la Monnaie depuis 1955
"Je n’ai pas chanté régulièrement avec Jean Marcor, mais je me souviens de représentations de la Chaste Suzanne au Théâtre Royal de Mons, lors de la saison 1962-1963. Il nous avait tous éblouis par sa magnifique voix : lumineuse, légère et parfaitement placée. Son jeu de scène était confondant de naturel et il possédait une élégance et une classe innées. Il avait en outre un sens de l’humour très aiguisé et un total respect pour ses partenaires de scène. Il était un véritable gentleman. J’ai alors réalisé, moi qui avais chanté avec Luis Mariano, Rudi Hirigoyen et tant d’autres, que Jean Marcor n’avait rien à leur envier ! Il n’a peut-être pas réalisé la carrière qu’il méritait, notamment à l’international, ce qui est regrettable. Je lui adresse, au travers de cette modeste contribution, le plus amical bonjour d’une vieille troupière."
Jane FRANCELLE
Divette d’opérette belge
"Jean Marcor a été un collègue admirable : toujours méticuleusement préparé sur le plan musical, d’un physique très avenant, il portait le costume avec élégance et surtout, avec un naturel confondant. Sa voix était lumineuse, au timbre riche et mordant. Nous avons participé ensemble à des créations au Théâtre Royal de la Monnaie et il laisse un souvenir intense de ses prestations dans ce théâtre."
Diane LANGE
Mezzo-soprano belge
"Je suis heureux que vous puissiez interviewer mon ami Jean Marcor. Ce sont des souvenirs intenses qui s’égrènent. J’étais déjà en troupe au Théâtre Royal de la Monnaie lorsque le jeune et fringuant ténor arriva et je fus séduit par sa prestance scénique naturelle, son élégance et sa grande préparation musicale. Il avait cette trop rare capacité à investir totalement ses rôles, et de façon tout à fait innée. A la Monnaie, nous avons partagé régulièrement l’affiche dans des œuvres telles que Boris Godounov, La Chauve-souris, Echec au roi, Une Education manquée, La Fille de Madame Angot, Le Jongleur de Notre-Dame, Les Mousquetaires au couvent, etc. Etant amis d’enfance, notre collaboration artistique fut rendue de ce fait encore plus plaisante. Ce furent les dernières années de la troupe et si ma carrière se tourna rapidement vers l’international, je conserve de mon association avec ce théâtre et avec mes collègues, un souvenir ému. La conversation téléphonique que nous venons d’avoir avec Jean Marcor m’a beaucoup touché : elle me ramène quelque 50 années en arrière. Nous étions alors une famille artistique unie, soudée et animée par un même esprit d’équipe. Merci, cher Jean, pour ta rayonnante présence à la scène, pour ton talent et surtout, pour ton indéfectible amitié qui trouve ici toute ma reconnaissance et celle de mon épouse, Jacqueline Vallière."
Michel TREMPONT
Baryton belge
"Avec toi, cher Jean, ce sont tant d’heureux souvenirs qui ressurgissent ! Je me souviens de ton rayonnant et mystérieux Prince Orlovsky ! Enigmatique et enjoué, tu as su conférer au rôle une aura particulière, androgyne et racée. L’Arlette que j’incarnais fut sous le charme !
Et il y eut tant d’autres incarnations marquantes, à l’instar de celles de Pomponnet, Gontran ou Frick, où je pus apprécier ta capacité à animer des personnages tout à fait opposés. Ta voix brillante et souple convenait à merveille à cette galerie de rôles, que tu animais en grand professionnel de la scène. Enfin, tu savais déclamer – qualité rare – et ton articulation était impeccable, je me plais à le souligner ! Merci pour cette riche collaboration artistique. Je m’associe à Michel Trempont pour t’adresser mon plus cordial souvenir, avec l’espoir de te retrouver bien vite !"
Jacqueline VALLIERE
Soprano belge
Jean Marcor à l'époque de sa carrière lyrique. ( photo X..., Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR |
ENTRETIEN
Etes-vous issu d’une famille de musiciens et comment avez-vous découvert votre vocation pour l’art lyrique?
Mes parents n’avaient pas la fibre musicale : mon père était médecin et considérait mes aspirations artistiques davantage comme une toquade, qu’une véritable vocation. Puis, dès la cinquième année de primaire, les maigres cours de chant qui nous furent dispensés représentèrent pour moi une indicible joie : contrairement aux autres élèves, j’explosai de joie à la seule idée de pouvoir chanter. Mon cursus pédagogique classique, je dois l’admettre, ne fut guère des plus brillants car mon objectif était de pouvoir réaliser mon rêve : devenir chanteur lyrique ! Ce fut l’une des raisons pour lesquelles mon père décida d’être mon précepteur pendant près de quatre années, en m’inculquant notamment, les rudiments du latin, tout en m’inscrivant à des cours généraux par correspondance. Cela ne m’empêcha pas d’apprendre à jouer du piano tout seul et naturellement, je commençai à placer ma voix, ce qui ne fit qu’accroître mon désir de chanter. Je passai la cinquième année de latin au Lycée de Valenciennes, mais mon opiniâtreté à vouloir poursuivre sur la voie du chant me valut d’être renvoyé et le verdict du proviseur fut sans appel. Il convoqua mon père et lui dit : « Docteur, de votre fils Jean-Marie, vous n’en ferez qu’un saltimbanque » !
Vous avez montré un véritable acharnement à vouloir embrasser la carrière lyrique …
En effet, car je venais de remporter le premier prix à un concours organisé par Radio Luxembourg : j’y chantai des extraits de La Belle de Cadix, en m’accompagnant au piano tout en jouant des castagnettes ! J’étais plus décidé que jamais :par conséquent, mon père, constatant mon entêtement et ma détermination, me contraignit à prendre une décision quant à mon avenir.
Ce fut donc le début de votre cursus pédagogique
En quelque sorte oui, mais je maîtrisais déjà quelques bases musicales qui ne demandaient qu’à être perfectionnées et développées harmonieusement. Il fut ainsi décidé de m’inscrire au Conservatoire Royal de musique de Mons, à compter de septembre 1949. J’y passai tout d’abord trois années en qualité d’élève-auditeur : j’y perfectionnai le solfège, puis y abordai notamment la diction et le phrasé. Mais en fait, vu mon jeune âge, je dus patienter jusqu’en 1952 pour débuter le travail de la voix à proprement parler, dans la classe du baryton Francis Andrien (1903-1980) qui fut pensionnaire de la Monnaie, où il incarna un nombre important de premiers rôles. En 1954, j’obtins un deuxième prix lors d’un autre concours de chant et l’année suivante, j’obtins mes deux premiers prix de chant (Premier prix de chant avec distinction et attribution du Prix Achille Tondeur) et d’art lyrique (avec distinction), dans la classe du célèbre ténor ukrainien Joseph Rogatchewsky (1891-1985.)
Le baryton belge Francis Andrien fut votre professeur de chant …
En effet, si son enseignement fut certainement excellent pour d’autres solistes, il ne s’avéra pas fondamentalement utile pour moi ! Et à vrai dire, le contact avec le pédagogue ne fut pas réellement fusionnel, le courant ne passa pas. Je continuai donc à perfectionner en solitaire mon acquis pédagogique et travaillai en véritable auto-didacte, en me basant en grande partie sur mon propre instinct, avant de rejoindre la classe de Joseph Rogatchewsky, toujours au Conservatoire de Mons, mais pour l’art lyrique.
Vos premiers prix furent une belle revanche …
Absolument car peu après l’obtention de mes prix, Joseph Rogatchewsky, qui était directeur du Théâtre Royal de la Monnaie2, m’invita à assister à une représentation de Pelléas et Mélisande, donnée par une troupe américaine et me dit : « Venez écouter, car la saison prochaine, c’est vous qui chanterez le rôle de Pelléas dans mon théâtre ». En effet, il tint promesse, puisque je fus engagé à la Monnaie dès la saison 1956-1957. Ce fut le début d’une belle association artistique avec la première scène lyrique de Belgique.
La Belgique et le Théâtre Royal de la Monnaie furent un vivier de talents lyriques dès le XVIIIème siècle jusqu’à la fin des années 1950. Quel est, selon vous, l’importance de la contribution d’artistes belges et français dans la création musicale, tant en opéra comique, qu’en opérette ?
Il est indéniable qu’en Belgique et plus particulièrement dans la région boraine, il y eut un nombre important de grandes et belles voix. A ce même titre, j’ose affirmer que nombre d’interprètes belges, abordant justement le répertoire français, avaient tout autant de talent que certains solistes internationaux invités dans la capitale belge ! N’y voyez aucune prétention de ma part, pas le moindre élan de chauvinisme, mais le constat doit être relevé. Je pense que les artistes belges ont joué un rôle significatif dans la création musicale d’œuvres françaises. L’échange culturel entre les deux pays a toujours été intense et a toujours bien fonctionné. A ce titre, je me souviens d’avoir suivi des cours de chant à Bruxelles avec un ami de Joseph Rogatchewsky, le baryton belge Georges Villier3, qui fit une magnifique carrière belge et justement, française. Il fut un brillant musicien et créa le Quatuor Villier en 19354, puis devint directeur du Casino de Dinant.
Lettre de félicitations autographe signée de Georges Villier à Jean Marcor, 29 août 1958.
( Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR |
Votre collaboration avec la Monnaie remonte à la saison 1956-1957, période-charnière pour la première scène belge. La troupe du théâtre connaissait alors le début de son inexorable déclin. A ce propos, que pensez-vous de la notion de troupe, quels en sont ses avantages et ses inconvénients ?
La Monnaie était à l’époque un véritable deuxième conservatoire de musique ! Dans les théâtres de province, on allait et venait pour y donner sa prestation, mais l’encadrement musical était souvent réduit au plus strict minimum et le nombre de répétitions aussi ! Alors qu’à la Monnaie, devenu Théâtre National depuis, nous avions une excellente équipe musicale en place. Il y avait Louis Vande Plassche (chef des chœurs), Lysette Levêque, Lira Lenoir et Solange Patinet (chefs de chant). Je n’oublierai pas non plus l’excellent Carlos Roty, chargé de la diction. C’était une équipe solide et unie, me rappelant l’ambiance d’un conservatoire ! Quant à la troupe, je fus très heureux de pouvoir en connaître les derniers feux : quelle expérience inoubliable, je puis vous garantir que tant d’artistes regrettent sa dissolution.
Pour quelles raisons ?
L’ambiance, la dynamique d’ensemble, le respect des artistes, du plus important au plus modeste, y compris des petites mains, étaient extraordinaires. Il s’agissait d’une atmosphère toute particulière, harmonieuse, homogène et l’esprit était véritablement propice au travail d’ensemble. Avant de chanter une première, lorsque nous avions un rôle à apprendre, les répétiteurs nous préparaient parfaitement à celui-ci, jusqu’au soir de la première, même si ce travail acharné devait durer deux semaines et de manière intensive ! Pour en revenir à la troupe, selon moi, ce fut dans l’ensemble positif : d’une part pour son esprit constructif, cette notion d’appartenance à une même maison, oeuvrant pour la défense d’une cause commune. Une partie des solistes étaient cantonnés dans un rôle, nous les appelions « les titulaires », rôle qu’ils reprenaient chaque année : mais il est vrai que le nombre de représentations, même si la Monnaie présentait quotidiennement une autre œuvre, était réduit. En revanche, lorsque les rôles qui m’étaient confiés pour la saison d’été s’ajoutaient à ceux déjà inscrits à mon répertoire habituel, il m’arrivait de devoir interpréter Pomponnet (La Fille de Madame Angot) 30 fois successivement … C’est moi qui étais « titulaire » du personnage et je puis vous garantir que je n’avais plus besoin de travail avec le répétiteur !
Vous semblez regretter l’ambiance de la Monnaie de l’époque …
Absolument, car vous l’avez compris, l’atmosphère fut excellente, nous formions une grande famille. A propos du baryton Michel Trempont, je me souviens qu’au début de ma collaboration avec la Monnaie, alors qu’il était déjà membre de la troupe, il me prit un soir en aparté et me dit en patois wallon : « Jean-Marie, ici à la Monnaie, d’un idiot, on en fait quelqu’un de très bien ! » Cela vous donne une idée de l’ambiance qui prévalait alors dans ce théâtre ! Une époque révolue !
Une anecdote en particulier ?
Je me souviens de représentations du Jongleur de Notre-Dame, lors desquelles je chantais le rôle-titre. Marcel Claudel, l’ex-ténor pensionnaire de la Monnaie et brillant interprète du rôle de Jules Massenet5 signait la révision de la mise en scène, l’inénarrable Roger Lefèvre en assurait la direction scénique. Lors d’une répétition sur la scène, Marcel Claudel, irrité en constatant que je ne parvenais pas, au 1er acte, à jongleur avec les boules de cuivre avec autant d’adresse et d’habilité que lui, me traita de … mauviette ! Je lui répondis que je n’étais pas Enrico Caruso, qui avait débuté dans ce rôle en 1902 et qui avait excellé par son jeu de scène dans Jean. Je m’appliquai de plus en plus et en peu de temps, j’améliorai mon tour de jonglerie ! Quelle œuvre originale et insolite : j’en conserve un excellent souvenir.
Vous avez participé à plusieurs créations dans leur traduction française, selon la coutume de l’époque …
Tout à fait, j’alternai les créations avec les reprises inscrites au répertoire, et je participai à des représentations d’opérettes pendant la saison d’été. Parmi les créations : Echec au roi (Die Kluge) de Carl Orff (mars 1957 : l’un des Vagabonds), Une Education manquée d’Emmanuel Chabrier (janvier 1958 : rôle principal de Gontran de Boismassif), La Fille de Madame Angot de Charles Lecoq (décembre 1957 : Pomponnet), Jeulx de France, un divertissement lyrique et chorégraphique de René Defossez (avril 1959 : le petit Tambour), La Licorne, la Gorgone et la Manticore, une fable sous forme de madrigal de Gian Carlo Menotti (octobre 1957 : l’un des Ténors), Macbeth d’Ernest Bloch (novembre 1957 : Malcolm), Mozart et Salieri de Nikolay A. Rimsky-Korsakov (avril 1957 : Mozart), Le Directeur de théâtre (novembre 1956 : Chanteoiseau.)
Germain Ghislain, Michel Trempont et Jean Marcor (rôles des Vagabonds) lors de la création d'Échec au roi (traduction française de l'opéra de Carl Orff, Die Kluge) au Théâtre Royal de la Monnaie en 1957. ( photo Hélène Lapaille, Bruxelles, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR |
Vous avez interprété des opéras du répertoire, à l’instar de Boris Godounov, La Chauve-souris, Ciboulette, Les Contes d’Hoffmann, Faust, Le Jongleur de Notre-Dame, Les Mousquetaires au couvent, Rigoletto, La Vie parisienne, Pelléas et Mélisande, etc. Premiers rôles (Jean dans Le Jongleur, Pelléas, le Prince Orlovsky dans La Chauve-souris) et deuxièmes plans se sont alternés (l’Innocent dans Boris, Matteo Borsa dans Rigoletto, Frick dans La Vie parisienne) : parmi ces personnages, lequel correspond le mieux à Jean Marcor l’artiste, mais surtout, l’homme ?
A vrai dire, j’ai aimé tous mes rôles : mon répertoire fut varié et il y eut tant de personnages, tous enrichissants à divers titres ; il m’est dès lors difficile d’en retenir un en particulier. Incarner les travestis Siebel et le Prince Orlovsky fut immensément gratifiant, tant sur le plan musical, que scénique, car peu de ténors s’aventuraient dans ces rôles ! J’aimais Orlovsky, mais également, le sympathique Pomponnet (La Fille de Madame Angot), dont la représentation de gala du 9 décembre 1957 a été captée par la RTBF (la radio-télévision belge francophone, NDR.) Ces emplois constituaient une riche mosaïque de portraits. Je ne dois pas omettre de citer la création de Mozart (Mozart et Salieri), toujours à la Monnaie, en 1957, qui constitua une étape importante dans mon processus de création musicale.
A ce propos, j’ai une anecdote à vous livrer. Je chantais le rôle-titre aux côtés de l’imposante basse française André Huc-Santana (1912-1982), qui incarnait Salieri. Lors des répétitions avec Lysette Levêque, Joseph Rogatchewsky décida que je devrais jouer moi-même du piano : je refusai catégoriquement, de peur de jouer une fausse note. Finalement, ce fut la répétitrice elle-même qui se dévoua à la tâche, en interprétant de cours morceaux depuis les coulisses, et quant à moi, je me contentai de mimer le virtuose Mozart ! Pour revenir à votre question, j’ai fondamentalement aimé l’ensemble de mes personnages, car au final, je me suis retrouvé un peu dans chacun d’eux. Leur mosaïque aura en quelque sorte constitué Jean Marcor l’artiste.
André Huc-Santana et Jean Marcor (rôles de Salieri et Mozart), lors de la création de Mozart et Salieri au Théâtre Royal de la Monnaie en 1957. ( photo Hélène Lapaille, Bruxelles, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR |
Avec le recul, comment évaluez-vous, votre contribution artistique ?
Je suis heureux de ce que j’ai entrepris et pu réaliser. J’ai eu la chance de pouvoir aborder un répertoire varié, en alternant des créations, avec des reprises. Je suis, il est vrai, orgueilleux, d’avoir été en mesure d’apporter ma pierre à l’édifice que fut la Monnaie de cette époque glorieuse, mais tourmentée. En effet, ce fut la fin de l’ « ère Rogat » - comme les intimes aimaient surnommer Joseph Rogatchewsky et l’arrivée fracassante de Maurice Huisman (1912-1993) en 1959.
Ce dernier dirigea le théâtre jusqu’en 1981 et créa avec son épouse Ida l’Opéra Studio. Que de chamboulements, que de revirements de situations, dont certains particulièrement pénibles ! A son arrivée, la vaste majorité des solistes de la Monnaie furent cavalièrement remerciés : les contrats ne furent plus renouvelés, sans autre justification officielle.6 Puis, il y eut l’arrivée de Maurice Béjart, qui avec sa troupe de ballet, prit une place excessive, au détriment de l’art lyrique.
Il voulut assurer un renouveau, eh bien renouveau il y eut ! Si ma carrière sur la première scène nationale ne fut pas, somme toute, très longue, elle fut des plus intéressantes, justement sur le plan de la diversité des œuvres à interpréter. La Monnaie fut une grande famille et j’en fis partie : le travail assidu avec les répétiteurs, l’atmosphère somme toute bonne enfant mais si professionnelle. Cela fut appréciable et me permit d’évoluer harmonieusement dans mon travail de soliste. Je vous rappelle que le théâtre donnait une, voire deux représentations quotidiennement ! Tout cela fut merveilleux et j’en garde un brillant souvenir. Ce fut, comme me le rappellent mes enfants, la plus belle époque de ma vie ! J’en suis très fier !
Etes-vous fier de votre talent ?
Pour moi, le chant fut extrêmement instinctif et naturel, autant en opéra comique, qu’à l’opérette. Peut-être s’agit-il d’un véritable don ? Je passais facilement d’un registre à l’autre : mes qualités de comédien s’adaptaient aisément aux nuances du personnage et je parvenais à m’investir totalement, musicalement et scéniquement. Même si le travail avec le metteur en scène pouvait être harmonieux, mon instinct certainement très sûr m’aura guidé plus d’une fois sur les planches ! Pour ces raisons, oui : je suis fier, au sens le plus humble du terme, de mon apport artistique.
Jean Marcor (un Vagabond) lors de la création d'Échec au roi (traduction française de l'opéra de Carl Orff, Die Kluge) au Théâtre Royal de Monnaie en 1957. ( photo Hélène Lapaille, Fonds musical Claude-Pascal Perna, Bruxelles ) DR |
Vous avez laissé un lumineux souvenir artistique grâce à votre élégante prestance scénique, votre caractérisation finement ciselée des personnages et votre parfaite préparation musicale. Vous avez marqué les esprits !
A la scène, comme déclaré précédemment, j’étais moi-même et j’investissais mes rôles tout à fait instinctivement : je me sentais à l’aise et finalement, en confiance, sur les planches. Je pense que ma préparation et mon jeu de scène, au-delà même de ma voix, représentaient de sérieux atouts. A titre d’exemple, le rôle de Jean (Le Jongleur de Notre-Dame) n’est pas facile à restituer sur le plan strictement scénique : pourtant, je n’eus aucun souci à insuffler toutes les facettes au personnage – à l’exception de ma gaucherie des premières répétitions dans le jeu de boules ! -. Pour Siebel et Orlowksy, ce ne fut guère gagné d’avance, car les travestis, surtout abordés par des ténors, surprenaient le public de l’époque qui n’y était pas du tout préparé. Or, dans ces deux emplois, je me fondis harmonieusement dans la production.
Quels conseils prodigueriez-vous à de jeunes ténors désirant aborder ces œuvres – en supposant que les théâtres actuels les mettent à l’affiche ! - ?
Pour tout répertoire lyrique, il faut être mû par une véritable passion, son cœur doit s’exprimer, battre à l’unisson de la voix, en soutien à la musique et à l’action scénique! La voix seule ne suffit pas ! Chanter, ne l’oublions pas, c’est aussi savoir déclamer, mais en chantant ! Cela est capital, afin que le chant soit le reflet de l’âme. Le travail de la diction, le respect de la prosodie, la maîtrise scrupuleuse du texte, sont importants : cela doit aller de pair avec l’étude de la voix et donc, des rôles. Trop de chanteurs, bien que possédant une superbe voix, sont incapables de véhiculer une émotion au travers du texte et je n’évoque même pas les artistes lyriques dont on ne comprend pas un seul mot.
Vous avez chanté aux côtés d’artistes internationaux de tout premier plan et bien sûr, avec les derniers membres de la troupe : aviez-vous des chanteurs préférés et dans l’affirmative, pour quelles raisons ?
Sans vouloir en favoriser certains au détriment d’autres, je me souviens de Maryse Patris, Ysel Poliart, Guy Fouché, Antonio Nardelli, dont vous avez d’ailleurs dressé un portrait pour Musica & Memoria en France7. Son chant était intense et brillant – une voix italienne par excellence - et je me souviens de son insolence vocale dans le rôle-titre d’André Chénier à la Monnaie : je chantais alors un petit rôle. Non seulement sa voix était naturellement belle et puissante, mais il conférait à son chant un superbe velouté. Alors qu’il était sur scène, j’étais dans les coulisses avec Michel Trempont et je me souviens de notre saisissement dans l’interprétation de Nardelli dans ce rôle vaillant. Nous étions en communion, en quelque sorte, avec ce poète révolutionnaire passionné, intense et vibrant qui, aux côtés du soprano dramatique d’Huberte Vecray, se livrait à une caractérisation poignante du rôle. Il y eut d’autres artistes, mais la liste serait trop longue.
Avez-vous eu des modèles artistiques?
Je n’eus pas de modèle au sens strict, mais je nourrissais une grande admiration pour mon professeur Joseph Rogatchewsky. Artiste de tout premier plan, il fut un excellent pédagogue, maîtrisant à la perfection l’art de la scène. Il possédait cette capacité innée de recréer un personnage, en l’investissant de son art consommé en lui restituant toutes ses facettes. Je crois qu’il m’appréciait ! Il était exigeant, sans être trop sévère : il parvenait toujours à obtenir ce qu’il désirait et tout se déroula le mieux du monde avec moi.
Joseph Rogatchewsky dans le rôle-titre du Mârouf, Savetier du Caire, qu'il chanta régulièrement avec succès. ( photo X..., Fonds Musical Claude-Pascal Perna Bruxelles ) DR |
Vous avez quitté le Théâtre Royal de la Monnaie au départ de Joseph Rogatchewsky, en 1959 : comment votre carrière évolua-t-elle ?
J’interprétai une partie de mon répertoire, surtout l’opérette, dans les principaux théâtres francophones du pays et je chantai pour la radio nationale, tout en participant à des émissions télévisées. Pour la radio, mes activités musicales inclurent des tours de chant – depuis 1952 déjà -, puis j’abordai Paganini (en duplex avec une radio britannique, dans le cadre du programme de jumelage Valenciennes-Chatam, 1958.) J’ajoutai La Chaste Suzanne, La Vie parisienne, Boccace, Ciboulette, La Veuve joyeuse (Coutençon, Camille), Rêve de valse, La Fille de Madame Angot, Les Trois valses, Le Marchand de Venise, le petit rôle du Remendado (Carmen), Hérisson (L’Etoile), ainsi que des extraits du Barbier de Séville. Je participai à l’émission ‘La Belgique joyeuse’ et à des représentations de Carmina Burana – dont une sur la Grand’Place de Bruxelles -, dans le cadre de l’Exposition universelle de 1958. Parallèlement à la radio, il y eut ma participation à des émissions télévisées, à l’instar de La Chanson wallonne, Le Tiroir aux souvenirs (1961-1967), La Surprise de l’amour, Colorado, Arc-en-ciel, etc.
Le départ d’une nouvelle carrière …
En quelque sorte, car finalement, je délaissai quelque peu l’opéra comique après mon départ de la Monnaie. Je ne chantai pas beaucoup à l’étranger, hormis quelques représentations en France, ainsi qu’au Danemark (1956). Le début des années 1960 marqua une phase de déclin dans l’art lyrique, avec la nationalisation des théâtres, la dissolution des troupes et l’avènement de la télévision. Ce fut un renouveau artistique certes, mais pour mes collègues et moi-même, il y eut un lourd tribut à payer !
Finalement, après ma carrière à la scène, puis à la radio et à la télévision, je décidai de poursuivre mes activités professionnelles dans un tout autre domaine. Avant cela, je fus chargé de cours de chant au Conservatoire de Mons, puis je fus nommé professeur de chant et de musique, tout en dirigeant des chorales. Je pus ainsi maintenir un lien direct avec le monde de la musique. J’allais oublier que je possède quelques humbles talents de composition ! Je suis l’auteur de La Féerie de Bruxelles (1953) et de ‘La Charente’/’Près de vous’, avec les musiciens de l’Orchestre d’Adamo, interprétée à la télévision française (FR3), notamment en 1978.
Quelques mots au sujet de votre collaboration avec les metteurs en scène ?
Dans l’ensemble, elle fut excellente, mais leur fonction n’était pas aussi dominante que de nos jours. A l’époque, nous étions éloignés de l’ingérence actuelle des metteurs en scène dans le spectacle qui souvent, va à contre-sens de la dramaturgie même de l’œuvre, elle s’impose en dépit du bon sens. Cela est bien regrettable. Je me souviens de représentations de Pelléas et Mélisande à la Monnaie en 1955, dans une mise en scène de Roger Lefèvre. Je commis une maladresse scénique qui fut relevée par le public et la presse se chargea de le souligner en publiant dans une critique que « seul un grand metteur en scène aurait pu empêcher l’artiste de commettre cette faute ». Dans ce cas, particulier, j’avoue que j’étais tout à fait en accord avec cette critique !
Quels sont selon vous les ingrédients indispensables à la réussite d’une œuvre lyrique au théâtre?
Tant de facettes sont indéniablement liées à une production lyrique qu’il est difficile de répondre. Pour ce qui est du ressort des solistes, il est nécessaire de créer une union, d’évoluer dans un esprit homogène, serein et en parfaite collaboration. A titre d’exemple, pour le rôle de Jean, au-delà de savoir habilement jongler (rires), il faut évidemment posséder une voix et surtout, un style, en mesure de restituer au personnage toute sa gamme de couleurs. Le plus important, comme dans toute interprétation, est de se donner à la scène avec tout son cœur … Nous évoquons le Jongleur, qui connut un beau succès à la Monnaie, mais d’autres œuvres furent un cuisant échec, notamment certaines créations musicales. A ce titre, même s’il ne s’agissait pas d’une création pour la Monnaie, je me rappelle que Pelléas et Mélisande fut hué par une faction du public et ne fit pas salle comble. Une multitude d’éléments interviennent : facture musicale, style, livret, sujet et texte, difficile de susciter un réel consensus !
Avez-vous enregistré et dans l’affirmative, quel répertoire ?
Des enregistrements de mes prestations radiodiffusées existent certainement, mais je n’ai pas eu l’occasion d’enregistrer dans le registre lyrique. Il devrait exister une captation télévisée de ‘La Fille de Madame Angot’ depuis la Monnaie : c’était un gala de la presse, en présence du Roi Baudouin, en décembre 1957. J’ai gravé quelques microsillons dans le répertoire de la variété. Des transferts vers le CD doivent être effectués.
Quelle est la vision de Jean Marcor sur les concours de chant ?
Je sais que certains concours internationaux jouissent d’une excellente réputation, mais j’avoue ne plus trop en suivre le déroulement. Mon jugement est mitigé : quel est leur rôle fondamental ? Sont-ils absolument utiles ? Il semblerait que oui … Surtout, sont-ils en mesure d’assurer un soutien ad hoc ? Je dois dire qu’à mon époque, ils n’étaient pas aussi nombreux qu’actuellement, donc il m’est délicat de tirer des conclusions.
Selon vous, l’opéra a-t-il encore un avenir ?
Je pense que oui et je l’espère de tout cœur. Il serait judicieux de revenir à un meilleur équilibre entre l’œuvre, la musique, les chanteurs, les choristes, les danseurs et la mise en scène. Cette dernière ne devrait pas être la pierre centrale de l’édifice, mais en être l’un des éléments, sans plus. Surtout, quand les mises en scène dénaturent et transgressent l’essence même de l’opéra ! Dans cet esprit d’équilibre, eh bien oui : l’avenir devrait être serein pour l’univers lyrique.
Avez-vous des regrets et dans l’affirmative, lesquels ?
Objectivement, aucun qui puisse toucher à ce que j’ai réalisé tout au long de mon parcours artistique. Tout au plus, je me dis que peut-être j’aurais pu élargir davantage ma carrière à l’international : en effet, Marcel Delsaut, le directeur du Grand Théâtre de Mons8, qui m’avait pris sous son aile, avait confié à mon père, peu avant mon entrée à la Monnaie : « Ne faites par entrer Jean à la Monnaie, car il y sera enfermé ». La troupe avait le désavantage de rattacher les solistes au même théâtre sur plusieurs saisons. Il y eut également cette audition, en elle-même tout à fait réussie, au Théâtre du Châtelet à Paris, organisée par Marcel Delsaut, en présence de Maurice Lehmann. J’y chantai la célèbre aubade de Mylio dans Le Roi d’Ys « Vainement, ma bien-aimée » : tout se passa fort bien, mais en acceptant la proposition du Châtelet, j’eus été cantonné dans un répertoire trop traditionnel, bien trop classique, ne me convenant pas. J’avais besoin de créations, de variétés, d’un répertoire diversifié … Sinon, je suis heureux de mon parcours, puisque malgré les réticences familiales, j’ai concrétisé mon rêve le plus cher, celui de devenir artiste lyrique !
Si vous pouviez remonter dans le temps, quel serait votre souhait le plus cher ?
Vous n’avez pas encore deviné ? Me remettre à chanter ! Et je ne changerai strictement rien à mon répertoire, je le reprendrais à l’identique ! Hélas, de nombreuses œuvres ne sont plus du tout représentées de nos jours : je me verrais donc bien contraint d’ajouter des opéras ou opérettes du répertoire à ma galerie de portraits !
Quel est votre maxime préférée ?
La musique, celle que l'on apprécie et qui nous berce, nous aide peu à peu à faire disparaître nos peines les plus cruelles.
Je vous cède les mots de conclusion de cet entretien :
La joie que j'éprouve à vous recevoir chez moi fait chavirer mon coeur. La vie passe et quoi qu'on fasse, il faut la prendre en chantant, plutôt qu'en pleurant. Je vous vénère pour votre travail si parfaitement réussi. Vous avez cher ami toute ma gratitude et mon indéfectible amitié. Merci, Claude-Pascal.
Claude-Pascal PERNA ã
mai 2010
N.D.L.R. : Jean Marcor (Jean-Marie Cornu pour l'état-civil) est né le 9 mai 1932 à Roisin (Belgique), d'un père docteur en médecine à Wihéries (Belgique) et d'une mère Charentaise. En l'honneur de celle-ci, Jean Marcor a composé une chanson intitulée La Charente, enregistrée sur disque par les musiciens d'Adamo (1978). On lui doit également une autre chanson, La Féerie de Bruxelles, composée en 1953 (inscrite à la SABAM) pour la Féerie lumineuse de Bruxelles. Quelques mois après cet entretien, il est décédé le 5 février 2011 à Thieu (Belgique). Ses obsèques ont été célébrées le mercredi 9 février à 11 heures, en l'église St Géry de Thieu, suivies de l'inhumation au cimetière de cette ville.
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1) Cf. portrait du baryton français Jean Laffont (1918-2005) par l’auteur : http://www.musimem.com/laffont.htm
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2) Il avait succédé à la direction du théâtre après le décès de Corneil de Thoran, en 1953. Cf. portrait par l’auteur: http://www.musimem.com/thoran.htm
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3) Georges Villier (1884-1963) chanta des premiers et deuxièmes rôles à la Monnaie entre 1909 et 1946. Il participa, entre autre, aux créations de Madame Butterfly (le petit rôle de Yakousidé) avec Enrico Caruso, sous la direction de Sylvain Dupuis, en octobre 1909. Il créa également l’Aubergiste (Manon Lescaut, en février 1911.) Il participa notamment à l’enregistrement historique de Manon avec Joseph Rogatchewsky et Germaine Féraldy sous la direction d’Elie Cohen (1928-1929).
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4) Le Quatuor fut composé de : Georges Villier (baryton), Oscar Jonau (ténor), Edouard Prins (ténor) et René Lits (baryton).
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5) Marcel Claudel (1900-1981) chanta régulièrement Jean (Le Jongleur de Notre-Dame) à l’Opéra Comique, dès 1928. Il chanta régulièrement au Théâtre Royal de la Monnaie, puis devint metteur en scène dans ce même théâtre.
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6) De nombreux solistes (chanteurs) de tout premier plan, dont des membres de la troupe, furent contraints, dès l’élection de Maurice Huisman (remportée à une voie près sur celle de Joseph Rogatchewsky qui se présentait à un deuxième mandat), de quitter la Monnaie sur-le-champ. Certains firent carrière à l’étranger, alors que d’autres durent se contenter des planches de théâtres provinciaux ou furent contraints de changer de profession. Cette pénible situation déprimera "le moral des troupes" – pour ainsi dire –.
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7) Cf. portrait par l’auteur, publié par l’auteur : http://www.musimem.com/nardelli.htm
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8) Entre 1948 et 1958.
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