Yetty Martens

Mezzo-soprano belge

24 février 1915 - 27 octobre 2004

Yetty Martens
Yetty Martens
dans le rôle-titre de Carmen à l’Opéra Royal Flamand d’Anvers, en 1952
( photographie J. M. Mertens. Fonds musical de l’auteur )

 

"A propos de Carmen, vous me citez le nom du ténor français André Burdino (1891-1987.) Figurez-vous que j'ai chanté l’héroïne de Georges Bizet en décembre 1955 au Théâtre Royal de la Monnaie pour ses adieux à la scène ! C’était un rôle que j’aimais beaucoup et j'y étais très vive, fort active sur scène et il m'arrivait, dans les duos, de serrer André Burdino très fort, avec une pressante énergie et il me disait, ou plutôt, me murmurait à l’oreille: "Yetty, moins fort, car vous m'empêchez de respirer!" Il faut dire qu’il avait plus de soixante ans et qu’il avait choisi Bruxelles pour ses adieux, après une glorieuse carrière. Ce fut une inoubliable et prestigieuse soirée."

[Anecdote confiée à l’auteur lors d’une interview le 6 mars 2003]

"Je vous savais une excellente cantatrice, vous m’avez été révélée comme étant aussi une actrice de grande classe. Avec votre merveilleuse interprétation de ‘Swane’, vous m’avez procuré une des rares et grandes joies de ma carrière de compositeur."

[Le compositeur Maurits Schoemaker dans une lettre à Yetty Martens le 19 décembre 1955 après une reprise de son œuvre à l’Opéra Royal Flamand d’Anvers]

"Encore merci du plus profond du cœur. J’espère avoir très bientôt l’occasion de vous réentendre. Bravo, bravo! Vous avez été merveilleuse. J’ignorais que vous puissiez plier votre voix à tant de tendresse contenue, à tant d’émotion voilée. Vous vous êtes montrée artiste complète et la chose est trop rare."

[Le poète, essayiste et auteur belge Maurice Carême dans une lettre à Yetty Martens au terme d’un récital de chant, sans date, circa 1945]

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Décédée le 27 octobre 2004 dans sa maison bruxelloise, le mezzo-soprano Henriette Alberte Martens fut une figure marquante de la vie musicale belge, brillant d’abord à l’opéra, puis au concert, notamment par une intense activité axée sur création musicale contemporaine, privilégiant ainsi des compositeurs français et belges. L’artiste consacrera une part importance de son activité à l’oratorio, tout en excellant dans l’atmosphère plus intimiste du récital. Sa voix magnifiquement timbrée de mezzo-soprano long, reposant sur une ample tessiture, lui permettra d’aborder des rôles tant lyriques (Cornelia dans Jules César, Geneviève dans Pelléas et Mélisande), que plus dramatiques (Ortrud dans Lohengrin, Charlotte dans Werther ou le rôle-titre de Carmen, un emploi dans lequel Yetty Martens remportera les plus vifs succès, dans une composition très originale.) L’artiste consacrera une part importante de sa carrière au concert radiophonique, surtout en Belgique et en France. De Monteverdi à Cavalli, en passant par Rameau et Vivaldi, pour remonter jusqu’à Arnold Schoenberg, Paul Gilson et François Rasse, cette magnifique artiste fera siens plus de trois siècles de création musicale, défendant avec autant de conviction les compositeurs les plus célèbres, que des auteurs de l’ombre, fantomatiques premiers prix de conservatoires ou éphémères talents précoces. Yetty Martens sera soliste des Concerts Philharmoniques de Bruxelles, du Conservatoire Royal de Bruxelles (et des Conservatoires de Liège, Gand et d’Anvers), du Quatuor Ars Musica ou encore, du Quatuor Vocal de Bruxelles (dont elle sera fondatrice) avec Mariette Martin-Mettens (soprano), Frans Mertens (ténor) et René Piloy (basse.) L’artiste sera également soliste des Grands Concerts Symphoniques des radios française et flamande, puis soliste des Concerts de la Radiodiffusion Française (Paris), des Concerts Symphoniques de Radio-Luxembourg et finalement, du Kursaal (Ostende.) Elle deviendra vite une figure incontournable de la scène musicale belge en siégeant à de nombreux jurys de concours et en se consacrant à l’enseignement du chant. Son brillant parcours pédagogique sera sanctionné par de nombreux premiers prix. Au rang de ses pédagogues figurent le ténor Maurice Weynandt et pour l’art lyrique, la basse belge Albert Huberty (1881-1955), un favori de l’Opéra de Paris. Superbe artiste à l’éblouissante carrière internationale, il devint professeur de chant puis d’art lyrique, avec des résultats fort mitigés, comme d’autres artistes lyriques pourront le confirmer à l’auteur.

 

De brillantes études musicales

L’artiste entreprendra de sérieuses études musicales sur la recommandation de ses parents, eux-mêmes chanteurs amateurs. Elle sera admise dans la classe de piano de Gabrielle Tambuyser, du Conservatoire Royal de Liège et suivra pendant deux ans les cours d’harmonie avec Alfred Mahy. A partir de 1935, Yetty Martens prêtera son concours à plusieurs récitals ou petits concerts, forgeant ainsi ses premières expériences professionnelles. Ces débuts lui vaudront bien vite d’excellentes critiques et l’inciteront à poursuivre ses études musicales. En 1937, elle obtiendra son 1er prix de piano avec distinction du Jury Supérieur de Belgique, une belle reconnaissance pour la jeune talentueuse élève. Découvrant sa voix, Yetty Martens décide d’aborder le chant et c’est ainsi qu’elle fréquentera avec assiduité la classe du réputé ténor et pédagogue belge Maurice Weynandt, qui formera d’autres talents lyriques belges. Elle étudiera parallèlement le solfège, la diction et l’histoire de la musique (classe de Roger Bragard): elle obtiendra un autre 1er prix en 1939. En 1940, après un premier cursus complet de chant classique et d’interprétation, elle obtient son 1er prix de chant avec distinction au Conservatoire Royal de Bruxelles, puis en 1941, un diplôme supérieur de chant, à l’unanimité. Yetty Martens sera ensuite admise dans la classe d’art lyrique d’Albert Huberty: elle y remportera un 1er prix d’art lyrique avec distinction en 1943. Toujours en 1943, la jeune artiste remporte le Grand Concours National de Chant, organisé par Marcel Cuvelier au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, sous la forme d’un nouveau Grand Prix. Non contente de cet exemplaire cursus pédagogique, Yetty Martens suivra, pendant deux ans, le cours d’histoire de la musique dispensé par l’éminent musicologue belge, Charles Van Den Borre, à l’Université de Bruxelles ! Pourtant, au sujet de l’enseignement d’Albert Huberty, elle confiera à maintes reprises à l’auteur qu’elle n’aura guère abreuvé sa soif de nouvelles connaissances auprès du grand maître. Ce dernier se plaisait davantage à s’écouter plutôt que de prêter une attention toute pédagogique à ses élèves. Certains étaient impressionnés, il est vrai, de se retrouver face à un artiste d’une telle stature artistique. Ce constat n’ôte nullement les éminentes valeurs artistiques de cette magnifique basse à la carrière exemplaire. Pourtant, on le sait, les meilleurs artistes lyriques ne font pas les plus brillants pédagogues, bien au contraire. Ce sera avec Robert Lefèvre, lui-même baryton du Théâtre Royal de la Monnaie, que l’artiste apprendra les rudiments du métier, celui des planches. Il veillera au développement du docile mezzo-soprano qui avait doublement besoin d’encadrement, sa myopie lui empêchant d’évoluer tout à fait librement sur scène.

 

Des débuts remarqués au Théâtre Royal de la Monnaie

Le Conservatoire de Bruxelles était à l’époque un important foyer de jeunes talents et, à quelques exceptions près, un substantiel vivier de forces académiques influentes. Compositeurs, chefs d’orchestre, librettistes, auteurs dramatiques, artistes lyriques de tout premier plan, directeurs de théâtres: une jeune artiste aussi douée que Yetty Martens ne pouvait que séduire cet illustre aréopage de personnalités artistiques. Albert Huberty avait prié Corneil de Thoran, le directeur de la Monnaie (voir sous Biographies), d’assister à l’une des auditions de la jeune artiste et il fut agréablement surpris de découvrir cette belle voix de mezzo clair, fruité, à l’exemplaire diction et à l’infaillible musicalité qui déjà, pouvait passer de Caccini à Menotti. Le directeur ne prendra aucun engagement mais promettra à l’artiste de l’auditionner à la Monnaie dès que l’occasion se présenterait, ce qu’il fera. Toujours au Conservatoire, Yetty Martens fera la connaissance d’un professeur qui, quant à lui, excellera davantage dans l’enseignement du chant, que sur les scènes lyriques en qualité de ténor: Frédéric Anspach (1908-1977.) Il se spécialisera dans l’oratorio, le concert et surtout, la mélodie, ses incursions dans l’univers lyrique (Werther à la Monnaie) n’ayant pas été concluantes, hormis, peut-être, le rôle de Pelléas qui, grâce à sa tessiture centrale presque barytonale, lui convenait mieux. Il formera de nombreux élèves avec succès, notamment le baryton belge José Van Dam (1940-.) Le ténor ayant justement été programmé à la Monnaie pour y interpréter le rôle de Pelléas aux côtés du soprano russe Lydia Sariban et de son époux, la basse belge Maurice De Groote. Il écrira le 9 août 1943 à Yetty Martens afin de l’encourager à auditionner, non sans l’avoir chaudement recommandée. L’audition réussie, l’artiste sera donc engagée par Corneil de Thoran pour y débuter dans le personnage de Geneviève. Au-delà de son interprétation du répertoire dévolu au registre de mezzo-soprano, l’artiste participera à trois importantes créations: La Sirène au pays des hommes, légende dramatique en trois actes et cinq tableaux de Léopold Samuel (la Magicienne) en 1946, Jules César (Cornelia) en 1947, Le viol de Lucrèce, opéra en deux actes et quatre tableaux de Benjamin Britten, dans l’adaptation française de Georges Dalman (la Récitante) en 1947. A la Monnaie, Yetty Martens incarnera, elle qui était de nature plutôt réservée, voire timide, une flamboyante Carmen et outre l’héroïne de Bizet, elle abordera Werther (Charlotte), le rôle-titre de Mignon, Le Prince Igor (Kontchakovná), Sapho (Divonne) et La Vida breve (la Grand-mère.) Pendant le second conflit mondial, Yetty Martens obtiendra l’accord de la Monnaie pour se produire à l’étranger, notamment en France (à la Radio-Diffusion Française à Paris) et en Grande-Bretagne (à l’Institut Belge à Londres). En Belgique, elle participera à d’innombrables récitals et concerts de charité (en faveur de la Croix-Rouge de Belgique, du Secours Populaire) interprétant le répertoire lyrique et surtout, mélodique, privilégiant ainsi des compositions d’auteurs belges et français. Elle paraîtra régulièrement au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, à la Société Philharmonique, à l’Association des Concerts Populaires de Liège, aux Jeunesses Musicales de Belgique et aux conservatoires de Liège et Verviers.

Voici un succinct aperçu de son large répertoire à l’oratorio et au concert: la Messe en si mineur, la Passion selon Saint-Jean, la Passion selon Saint-Mathieu, le Magnificat et des cantates de Jean-Sébastien Bach, la partie d’alto dans la IXème Symphonie et dans la Missa Solemnis de Ludwig van Beethoven, dans le Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart puis dans celui de Giuseppe Verdi, le Stabat mater de Giovanni Battista Pergolesi, celui de Karol Szymanovsky, la Petite messe solennelle de Gioacchino Rossini, Les Choéphores de Darius Milhaud et de nombreuses mélodies d’auteurs classiques et contemporains, et ce en plusieurs langues. Les activités musicales de Yetty Martens seront intenses, puisqu’elle se ménagera encore du temps afin de siéger à de nombreux jurys de concours de chant.

 

Une brillante collaboration avec l’Opéra Royal Flamand d’Anvers

Dès 1948, l’artiste deviendra pensionnaire de l’Opéra des Flandres d’Anvers (à l’époque, l’Opéra Royal Flamand) et y créera La Fiamma (Eudossia), œuvre de maturité d’Ottorino Respighi en 1950 avec Jan Demulder, Irma De Keukelaer et Marzel Vercammen, La Sainte de Bleeker Street (Desideria) en 1955, opéra en trois actes de Gian Carlo Menotti, une œuvre fort rarement représentée, rappelant sous une certaine symbolique un autre chef-d’œuvre américain, West side Story, de Leonard Bernstein, The Medium (Madame Flora – ‘Baba’), opéra de chambre en deux actes, toujours de Menotti. L’artiste participera également à la création de Goyescas (la Jeune fille, Pepa), opéra en un acte et trois scènes d’Enrique Granados et enfin, à celle de L’Arlesiana de Francesco Cilea (la Mère.) Elle interprétera de nombreuses œuvres du répertoire de mezzo-soprano: Orphée (le rôle-titre), Ortrud (Lohengrin), Venus (Tannhäuser), Brangäne (Tristan und Isolde), Azucena (Il Trovatore), Amneris (Aida), Dalila (Samson et Dalila), le rôle-titre de Mignon et Carmen, qui lui vaudra de chaleureuses critiques de la part de la presse musicale: " J’ai minutieusement étudié la partition de Carmen, que je considère comme un des plus purs joyaux de la musique, et de constater comment votre grand talent parvient à réaliser les moindres intentions du maître, ce qui m’a comblé de joie. "1

 

Des succès mérités à l’étranger

Les théâtres et les radios de Paris, Marseille, Nice, Dijon, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Caen, Lille, Rome, Copenhague et Düsseldorf pourront mesurer l’ampleur du talent de Yetty Martens, davantage dans le Lied, l’oratorio ou la mélodie, qu’au lyrique, bien que son incarnation de Carmen ait à nouveau remporté tous les suffrages de la critique musicale française: " Yetty Martens a campé une Carmen incendiaire, tout à tour provocante, amoureuse et farouche, avec une belle autorité. Sa belle voix chaude surprend au début par sa profondeur. L’articulation (chose rare) est absolument impeccable. "2 Quelques années auparavant (en 1950), le mezzo-soprano s’était produit à l’Academia Belgica de Rome et un accueil des plus chaleureux lui avait été réservé, saluant son talent, dans un programme savamment composé pour la circonstance. Il en sera de même lors de ses récitals à l’Institut Belge de Londres.

 

Une riche activité de concertiste et de soliste des Concerts Nationaux

Yetty Martens sera soliste des Concerts Philarmoniques de Bruxelles, des Concerts du Conservatoire Royal de Bruxelles (et de celui d’Anvers, Bruges, Courtrai, Gand, Liège, et Namur), du Quatuor Ars Musica ou encore, du Quatuor Vocal de Bruxelles (quatuor qu’elle créera et dont elle sera membre entre 1942 et 1954) avec Mariette Martin-Mettens (soprano), Frans Mertens (ténor) et René Piloy (basse.) L’artiste fut également soliste des Grands Concerts Symphoniques de la Radiodiffusion Française (Paris) et Flamande, soliste des Concerts Symphoniques de Radio-Luxembourg et du Kursaal (Ostende.) L’artiste sera également invitée par Paul Collaer (1891-1989) pour interpréter de la musique de chambre dans le cadre de l’ensemble Pro Musica Antiqua.

 

Les compositeurs contemporains à l’honneur: un aperçu du répertoire de l’artiste

Egérie et amie de nombreux compositeurs et chefs d’orchestre de renom, Yetty Martens est indissociable de la vie musicale belge. Elle interprétera et souvent assurera la création d’œuvres de compositeurs tels que: Jean Absil (Heure de grâce, op. 98, Cache-cache,op. 117, Philatélie), Ernest d’Agrèves (Offrande), René Bernier (Le Cerisier, extrait du 2ème recueil des Sortilèges ingénus), Gérard Bertouille (Le Beau navire, extrait des Cinq poèmes de Charles Baudelaire), Pierre Capdevielle (Deux apologies sur un texte d’Oscar Wilde), René Defossez (Ceux qui pieusement et Ta première larme), Hugues Delorient (Premières paroles, extraites de La Chanson d’Eve), Maurice Guillaume (Avril, La Fleur de mes rêves), Fernand Goeyens (Berceuse, Le Jour du Seigneur), Roger Lefèvre (Humoresques, sur six poèmes de Tristan Klingsor), Victor Legley, Alfred Mahy (Tristesse), Marcel Poot, François Rasse (En Forêt, mélodie pour soprano ou ténor, Hymne au printemps, Le Cimetière au bord de la mer, Les Trois hussards extraits des Dix Chants de la Guerre 1914-1918, La Fleur de l’oubli, extraite des Quatre mélodies, Au Jardin Boboli (nouvelle version, 1938), Le Chant de ma mère, Midi, Nuit de Juin, Printemps, Sœur Blanche des lys, rose sœur des roses! Vocalise (mélodique): Rêverie au bord de la mer, Léopold Samuel (Les Heures d’après-midi: Trois poèmes lyriques), Léon Stekke (Deux Mélodies chinoises: La Fleur de pêcher et le Chant d’amour, extraites de La Flûte de jade, de Franz Toussaint.) Au concert, Yetty Martens se fera l’une des meilleures ambassadrices d’autres compositeurs tels que Bach, Haendel, Gluck, Beethoven, Mahler, Lalo, Honegger, Caplet, Ravel. Au récital et plus particulièrement en mélodie, l’artiste se plaira à interpréter Absil, Berlioz, Bernier, De Boeck, Bourguignon, Brahms, Britten, Bruneau, Buononcini, Büsser, Caldara, Capdevielle, Chabrier, Chausson, Cras, Debussy, De Falla, Dumortier, Duparc, Dvorák, Grieg, Haydn, Lekeu, Löwe, Menotti, Moussorgsky, Poot, Purcell, Schubert, Schumann, Richard Strauss, Vieullermoz, Wolf, et nombreux autres. Yetty Martens a chanté sous la direction de nombreux chefs d’orchestre de tout premier plan, tels que Franz André, Maurice Bastin, Henri Büsser, Ernest Closson, Désiré Defauw, René Defossez, André Dumortier, Charles Houdret, Fritz Hoyois, Robert Ledent, Hugo Lenaerts, Marcel Poot, Franz Rühlmann, André Souris, Daniel Sternefeld, André Theurer, Corneil de Thoran, Louis De Vocht, Maurice Weynandt, Albert Wolff et tant d’autres.

 

Une intense activité de pédagogue au service de la musique

Excellente pédagogue, Yetty Martens très tôt se consacrera à l’enseignement du chant, d’abord à l’Académie de Musique de Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles) – où elle reprendra dès 1968 le cours du baryton belge Jean Lescanne (1916-) puis en cours particuliers, jusqu’en 2003. Elle avait d’ailleurs assuré un long intérim auprès du Conservatoire de Mons auprès du baryton. Alors qu’elle était en pleine carrière, elle souhaitera déjà transmettre aux futures générations son savoir et c’est ainsi qu’elle prendra très au sérieux la mission dont elle était investie. Elle enseignera à des élèves belges et étrangers les bases du chant et de l’interprétation musicale, accompagnant elle-même sur son piano à queue ses cours avec une infatigable énergie. Certains de ses élèves enseignent désormais le chant dans leur propre pays, d’autres mènent une carrière de concertiste, alors que la jeune basse belge Shadi Torbey, un récent lauréat de la dernière édition du réputé Concours Musical International Reine Elisabeth de Belgique (2004), entame une carrière promise au plus bel avenir. Il se souvient de Yetty Martens avec respect et affection. Yetty Martens déploiera une intéressante activité parallèle, celle de membre de jury de concours, auprès des Conservatoires royaux, des écoles et des académies de musique de Belgique. Sa vaste culture musicale, son expérience de la scène et son judicieux esprit de discernement feront d’elle un excellent arbitre.

 

Une attachante personnalité et un précieux legs musical

Musicienne dans l’âme, profondément humaine, de nature plutôt réservée, voire timide, Yetty Martens aura consacré son existence tout entière à la musique. Même au moment de la naissance de son fils, elle ne ralentira qu’à peine ses nombreuses activités. En quête de perfection, elle continuera à peaufiner ses rôles et son répertoire, travaillant d’arrache-pied avant un concert ou un récital, fixant les moindres détails de son travail. Tout était méticuleusement pensé : l’approche stylistique, la composition, le contre-point, la prosodie, le texte, la projection des mots. Yetty Martens insufflera à ses interprétations une vérité toute déployée, un pathos bien particulier. De nombreuses émissions radiodiffusées par Radio-Bruxelles puis par la Radio (l’ex-Institut National de la Radiodiffusion belge) ont été préservées sur bandes, puis par absence de discernement, détruites. Une grande partie de l’activité musicale enregistrée de l’artiste est donc perdue à jamais. Des recherches plus approfondies, tant du côté belge que français, pourront, espérons-le, faire resurgir du passé les sonorités de cette superbe voix, et surtout, de cet unique talent. Yetty Martens a notamment enregistré pour Decca (BA-143235) " Phantasmes, Batterie, Toccata : Trois poèmes de Tristan Klingsor ", une œuvre de Jean Absil. En outre, l’artiste laisse plusieurs disques qui mériteraient d’être réédités un jour.

C’est par une froide journée d’octobre que Yetty Martens, doucement, a fermé ses beaux yeux pour toujours, chez elle, entourée des siens. Silhouette devenue frêle avec le poids des ans, femme très attachante et sensible, l’artiste ne quittait pratiquement plus son domicile, mais elle se plaisait à parler de chant et de musique, jouant encore régulièrement du piano. Au téléphone, elle se montrait toujours très affable et alerte, au courant des moindres détails de la vie musicale. Peu avant sa disparition, elle avait veillé tard devant son poste de télévision pour regarder une représentation d’Aida donnée par la Monnaie et en avait fredonné les passages d’Amneris, songeant peut-être avec un brin de nostalgie au crépitement des applaudissements sur la scène de ses lointains succès. Yetty Martens, en tirant sa toute dernière révérence, referme une page de l’âge d’or de la seconde partie de la vie musicale belge du XXème siècle. Huberte Vecray, Simone Boucherit et Claudine Arnaud, soprani de l'Opéra, ainsi que Jan Verbeeck et Jean Lescanne, ténor et baryton de l’Opéra se joignent à l’auteur pour saluer sa mémoire et se plaisent à reconnaître les éminentes qualités de leur collègue de scène. Yetty Martens était Chevalier de l’Ordre de Léopold (Belgique).

Claude-Pascal PERNA

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1) Le critique musical et compositeur anversois Gustaaf Van Etsem dans une lettre autographe signée à Yetty Martens le 25 mai 1953. [ Retour ]

2) André Garnier dans Paris Normandie de Caen, circa 1956. [ Retour ]

 


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