Le R.P. Emile Martin
(1914 - 1989)
Révérend Père Emile Martin
( Coll. D.H.M. ) DR
Né le 7 mai 1914 à Cendras dans le Gard, Emile Martin a débuté sa formation musicale auprès de son oncle qui était maître de chapelle de la cathédrale de Nîmes. Ordonné prêtre en 1939, membre de l'Oratoire à partir de 1947, Docteur ès lettres en Sorbonne, diplômé de grec biblique, chroniqueur au Figaro, le père Emile Martin, aujourd'hui injustement oublié, a embrassé la cause musicale tout au long de sa vie avec un savoir-faire évident et une passion sans égale.
De 1939 à 1951 (année où lui succède à ce poste Joachim Havard de la Montagne), il est maître de chapelle et organiste à l'église Sainte-Odile dans le XVIIè arrondissement de Paris, puis maître de chapelle de l'église Saint-Eustache, de 1964 jusqu'à sa retraite en1988.
En 1944, il crée et dirige le choeur des chanteurs de Saint-Eustache (http://www.chanteurs-st-eustache.org/), qui depuis sa fondation a donné plus de 1000 concerts. Sous la direction du père Martin, de nombreux disques de musique ancienne ont été enregistrés avec des oeuvres variées, françaises ou étrangères (dont des cantates de J.-S. Bach, des oeuvres religieuses de Palestrina, Victoria, Charpentier, Mozart, Beethoven...) avec à l'orgue des personnalités telles que Maurice Duruflé, Marie-Claire Alain, Jean Guillou.
En 1949, il crée une Messe du sacre des Rois de France qu'il fait passer pour une oeuvre du musicien Etienne Moulinié (1599-1676) alors qu'elle est en réalité de sa composition. Cependant, le succès en est éclatant et avant que les musicologues n'émettent quelques doutes sur l'origine de la pièce, la supercherie est totale. Le père Martin souhaitait simplement diriger une musique « pastiche » de celle qu'il aimait. Voici ce qu'écrivait Emile Vuillermoz à ce sujet (Critique musicale, 1902-1960, Paris, L'Harmattan, p. 490-492) :
« Les augures de la musicologie sont en émoi. Une des manifestations du bimillénaire de Paris les a placés dans une situation assez gênante dont la Radio vient d'aggraver l'inconfort en la révélant à l'univers entier. Pour ceux qui ne connaissent pas les données du problème, résumons ce curieux « incident technique ».
Il y a deux ans, le R.P Martin, de l'Oratoire, musicien éminent, compositeur, organiste et maître de chapelle, qui dirige l'importante phalange des Chanteurs de Saint-Eustache, exhuma une oeuvre « attribuée » à Etienne Molinié : la Messe du sacre des Rois de France. Les citoyens de la Quatrième République purent entendre cette partition grandiose à Saint-Roch, puis à la Radio, puis cet été au festival d'Aix-en-Provence et enfin ces jours derniers devant tous les corps constitués, à la basilique de Saint-Denis.
Ces exécutions furent partout accueillies avec enthousiasme. On salua le génie du maître languedocien qui honora de si magistrale façon l'art du 17è siècle, on s'extasia sur la grandeur et la noblesse de ce magnifique décor sonore et, en particulier, de ces fulgurants appels polyphoniques de trompette qui devaient sonner si splendidement sous les voûtes de la cathédrale de Reims, et l'on déclara que Moulinié nous avait légué là un véritable chef-d'oeuvre.
Cependant, un des membres de la Société Française de Musicologie dont le R.P. Martin fait partie, et qui avait été amené à consulter les archives musicales rémoises Félix Raugel fut troublé par cette révélation. Le protocole des sacres réservait formellement au maître de musique en exercice le privilège de composer la messe exécutée au cours de la cérémonie. Or, Moulinié, n'ayant jamais rempli ces fonctions ne pouvait être l'auteur d'une oeuvre de ce genre. Creusant plus méthodiquement le problème, Raugel découvrit que le Vivat Rex, qui est une des pages les plus réussies de la messe « reconstituée » par le R.P. Martin, n'était jamais traité en épisode chanté, mais traditionnellement, crié par la foule. Enfin, les beaux appels de trompette entendus à Saint-Denis ne pouvaient être exécutés que par des instruments à pistons qui n'existaient pas au 17è siècle ; au cours des sacres de Louis XIII et de Louis XVI, on n'entendit que des sonneries militaires. [c]
En attendant, Gavoty a mis tout le monde d'accord en signalant que les vraies victimes de ce procès étaient... les rois de France, puisque tout le monde applaudit depuis deux ans une messe admirable, composée pour leur couronnement, alors qu'ils sont, en somme, les seuls à ne l'avoir jamais entendue !
Opéra, 19 décembre 1951. »
Son oeuvre littéraire est dotée d'un caractère mordant comme la personnalité de l'auteur qui ne laissait pas indifférents les privilégiés qui l'ont approché. En effet, de nombreux musiciens ont été inspirés à son contact. Parmi eux, on peut mentionner le compositeur et chef d'orchestre Rémi Gousseau (né en 1954), chef de choeur de la maîtrise Saint-Louis-de-Gonzague à Paris.
Lauréat du prix Renaissance des Arts en 1989, Le père Martin est décédé à Lisieux le 7 novembre de cette même année.
Quelques compositions du R.P. Emile Martin :
Messe du sacre des Rois de France (1949)
Psaume pour l'agonie du monde (1956)
Le Voilier sous la croix, oratorio pour soli, orgue, choeur et orchestre (1956)
Rex pacificus, oratorio (1959)
Prélude funèbre pour orchestre
Stèle en forme d'élégie pour orchestre
Ode à saint Jean-Baptiste pour choeur, orgue, fanfare et orchestre
Libera me
Laetatus sum
Noël des mages
Images bibliques, poème symphonique avec choeur (1959 ?)
Messe responsoriale des Anges
Hymne de Sérapion pour choeur et orgue
Triptyque musical pour la chapelle Saint-Pierre de Villefranche, texte de Jean Cocteau (1963)
Le Miroir de Jeanne, commande d'Etat (1977)
Quelques ouvrages du R.P. Emile Martin :
Essai de restitution rythmique de quelques fragments notés de la musique grecque, Paris, Klincksieck, 1952.
Essai sur l'évolution des rythmes dans la lyrique grecque monodique, Paris, Klincksieck, 1952. (Thèse de Doctorat)
Trois documents de musique grecque : transcriptions commentées de : deuxième hymne delphique à Apollon, épitaphe de Seikilos (IIe s. ap. J.C.) et fragment d'un choeur d'Oreste d'Euripide, Paris, Klincksieck , 1953.
Essai sur les rythmes de la chanson grecque antique, Paris, Klincksieck, 1953.
Une Muse en péril : essai sur la musique et le sacré, Paris, Fayard, 1968.
La Querelle du sacré : dialogue entre Émile Martin et Pierre Antoine, Paris, Beauchesne, 1970.
Le soufre et l'encens [avant-propos de Jean Guitton], Monaco, Ed. du Rocher, 1987.
Il est indispensable de mentionner également les nombreux travaux de restitution scientifique d'oeuvres anciennes (Eustache du Caurroy, Roland de Lassus, Josquin des Près, Monteverdi...), d'arrangements ou d'orchestrations que le R. P. Martin a réalisés à partir de manuscrits retrouvés dans diverses bibliothèques.
Olivier Geoffroy
Affiche concert 17 juin 1971 à Notre-Dame de Paris,
sous la direction du R.P. Emile Martin, avec Pierre Cochereau au grand-orgue
( Coll. D.H.M. ) DR