Musique liturgique dans les paroisses,

mélange de genres et relativisme artistique


 

 

Sur Musica et Memoria, d'autres articles traitent de la qualité déclinante du répertoire liturgique employé dans les paroisses, phénomène déjà ancien et qui remonte à l'immédiat après Concile Vatican II :

 

« Qu'un répertoire de chants français soit prêt à devenir liturgique eut pour conséquence que les évêques de France ne mirent pas la question du chant liturgique au premier rang de leurs préoccupations. Ils laissèrent le chant en latin passer naturellement au français, sans sentir la nécessité d'un contrôle hiérarchique que la Constitution leur demandait pourtant, ce qui est un très bon signe pour la qualité des chants qui existaient mais un très mauvais pour l'avenir.

Cette absence de contrôle a permis en effet une explosion de création de chants religieux dont il est évident qu'une grande part ne mérite pas la qualification de « liturgiques », mais qui sont cependant utilisés en liturgie sans qu'il soit possible, faute de critères et de commission d'examen, de faire admettre que tel chant convient et tel autre pas.

C'est le goût des utilisateurs qui devient le seul critère, renforcé jusqu'à l'inondation par le fait que le commerce de l'édition de partitions, de disques et bientôt de cassettes et de CD s'empare alors du marché du chant religieux. Le chant liturgique en français a souffert et souffre encore de la création pléthorique et incontrôlée de chants composés et mis sur le marché sans référence à des critères liturgiques objectif. »

(La Maison-Dieu, n° 212, octobre 1997, p. 35-36)

 

Cependant, après le développement quasi généralisé de chants rythmés de type « chansons religieuses » (Jo Akepsimas, Jean-Claude Gianadda, Gaëtan de Courrèges etc.) durant les années 1970-1990, puis ici et là des compositions du frère André Gouzes, les années 2000-2010 ont vu fleurir le répertoire de communautés charismatiques et de pop louange. Les responsables paroissiaux s'en sont emparés par mimétisme d'une église à l'autre, avec le souci d'attirer les jeunes vers les célébrations dominicales, alors qu'eux-mêmes, bien souvent, n'étaient pas spécialement demandeurs et parfois étonnés d'être ainsi assignés à un type de musique qui se voulait proche de leur pratique d'écoute personnelle :

 

« Le chant « rythmé » pose la question, actuellement insoluble - il faut le reconnaître - du rapport entre culte et culture. Faut-il que le chant liturgique se coule dans le moule culturel du monde ambiant par souci d'incarnation de l'expression de la foi ? Faut-il, au contraire, qu'il s'en écarte pour affirmer la différence et même la spécificité chrétienne ?

Question insoluble, avons-nous dit, et même doublement insoluble !

De la part de l'Église, d'abord, qui, avec la Constitution sur la sainte liturgie et l'Instruction « Musicam Sacram » de 1967, admet tous les styles de musique pourvu qu'ils puissent être en « connexion » avec l'action liturgique. On pourra donc faire l'option d'un style, mais en acceptant que d'autres soient possibles.

De la part du monde, ensuite, car il est, pour ne prendre que le cas de la musique, dans un état de culture complètement éclatée. Il ne donne pas à l'Eglise un modèle, mais de multiples modèles dont personne ne sait celui qui peut le mieux convenir à la liturgie.

Dans cette absence de repère, ce sont donc le goût, le plaisir et, il faut le dire, la facilité, qui ont pris un pouvoir que, dans la situation actuelle, aucune instance n'est capable de réguler. »

(La Maison-Dieu, n° 212, octobre 1997, p. 38-39)

 

Les moyens dont disposent les paroisses ne permettent généralement pas d'interpréter ce répertoire de façon convaincante, d'une part en raison du fait que les musiciens, sur place, n'ont pas les compétences ou le matériel technique nécessaires et d'autre part parce que l'acoustique réverbérante des églises n'est tout simplement pas appropriée. Les interrogations concernant le caractère liturgique de chants de cette nature restant, par ailleurs, hautement d'actualité :

 

« Nous venons de parler du chant « rythmé », mais il faut encore préciser à son sujet que, s'il est rythmé dans l'enregistrement, il l'est bien peu dans la liturgie. Il y a donc entre l'enregistrement et le chant paroissial, un décalage qui, manifeste encore plus la faiblesse de la musique. »

(La Maison-Dieu, n° 212, octobre 1997, p. 39-40)

 

En France, en dehors de quelques cathédrales et églises de région parisienne, les organistes paroissiaux sont souvent bénévoles ou médiocrement défrayés et rémunérés et, à la campagne, notamment, les musiciens chargés de l'animation ou de l'accompagnement des chants liturgiques souffrent d'un déficit de formation musicale tout à fait compréhensible, car l'on fait appel aux bonnes volontés. Sans ces bénévoles (dans tous les sens du terme), la liturgie serait privée d'acteurs musicaux et le curé serait la plupart du temps réduit à la diffusion d'enregistrements sonores :

 

« La plupart des musiciens d'église exercent cette fonction à titre extra-professionnel. Ils se recrutent parmi les amateurs de musique. Cela signifie que leurs conceptions de ce qu'est la musique religieuse occupent tout l'éventail de la culture et des goûts musicaux [...]. Ce n'est pas le joueur de guitare, le fanatique de jazz ou l'amateur de musique nouvelle, mais quelqu'un qui sait un peu jouer du piano, qui peut occuper la fonction d'organiste et donc la fonction de musicien d'église à titre extra-professionnel. La musique liturgique de la paroisse dépend de ses conceptions et de ses goûts musicaux.

Les conceptions musicales de nos paroisses s'éloignent cependant toujours plus de celles de ce type d'amateur de musique. Et ce type même devient rare ; on ne le trouve pratiquement plus dans la jeunesse. Non point que la jeunesse ne s'occuperait plus de musique, de musique religieuse, mais parce que son rapport à la musique est autre. Il y a longtemps qu'on pressent que dans un avenir prévisible il ne sera plus possible d'avoir recours pour la fonction de musicien d'église au type traditionnel de l'amateur de musique. La musique religieuse dans les paroisses sera ainsi amenée à se transformer.

(La Maison-Dieu, n° 108, octobre 1974, p. 16)

 

Les organistes et animateurs, même bénévoles, sont malgré tout invités à se former et à enrichir leurs connaissance et pratique musicale, pour rendre un service de meilleure qualité, ce qui leur est permis par des sessions ou des stages qui se déroulent durant l'année scolaire ou durant l'été. Plus on maîtrise son art et plus on a de recul par rapport au répertoire. Ainsi peut-on plus efficacement écarter la banalité.

 

Les communautés charismatiques et les groupes de pop louange s'inspirent souvent de la pratique cultuelle propre aux évangéliques, ce qui n'est pas sans poser de problèmes, la conception de la liturgie et la foi étant différentes d'une religion à l'autre :

 

« Certaines formes liturgiques et musicales montrent qu'elles n'appartiennent plus à notre culture (occidentale) ; d'autres par contre, étrangères à la liturgie actuelle, semblent assurer une bonne communication dans le groupe, surtout chez des jeunes. La tension entre l'exigence de spontanéité, le refus du conventionnel, d'un côté, et la référence historique, la force « instituante » du rite et du répertoire, de l'autre, paraît conduire à une dangereuse impasse. »

(La Maison-Dieu, n° 108, octobre 1974, p. 28)

 

Le temps n'a pas effacé les tensions liées aux abus dans l'ars celebrandi mais la situation évolue lentement. Tandis qu'une partie des pratiquants issus des nouvelles générations se tournent vers la tradition en assistant régulièrement aux messes célébrées selon le rite pré-conciliaire, d'autres se montrent vigilants et souhaitent que, même dans le « rite ordinaire », la messe ne soit pas le lieu d'exercice d'une fantaisie délirante et ne se transforme pas en happening. Certains jeunes parents n'hésitent plus à faire des remontrances à leur curé ou à l'équipe chargée de l'animation liturgique lorsque ceux-ci sortent des rails et exigent que la messe soit célébrée conformément à ce que demande le Missel romain, ainsi que l'Eglise leur en donne le droit. De même, les jeunes prêtres récemment ordonnés, bien davantage que leurs aînés dans le ministère, montrent un souci de dignité dans la célébration, ce qui se traduit par un usage plus fréquent de l'encensement, le port de vêtements sacerdotaux conformes aux règles, la formation d'une équipe de servants, le retour à l'adoration eucharistique et la préparation d'homélies nourrissantes pour la foi.

 

On assiste aussi, dans quelques paroisses, au retour ponctuel de pièces grégoriennes, notamment grâce à l'action du clergé de la jeune génération ou membres de la Communauté Saint-Martin, par exemple. Malheureusement, en raison d'une éducation musicale défaillante, dont ne sont pas préservés les jeunes prêtres, et d'une méconnaissance du caractère particulier que doit revêtir la musique liturgique, le relativisme culturel engendre un mélange de genres qui se manifeste de plus en plus dans l'élaboration des programmes de chants pour la liturgie, qu'il s'agisse de célébrations eucharistiques, de cérémonies d'obsèques ou de mariage. Ainsi n'est-il désormais pas rare de voir se succéder au cours d'une messe un chant d'entrée de type pop louange, un Ordinaire grégorien, un psaume tiré d'un chant charismatique, un chant de communion du père Gouzes etc. On pourrait établir une comparaison avec un buffet de fête guindée comportant du homard, du foie gras et des parts de pizza ou des hamburgers avec des frites et du ketchup. On verrait bien que quelque chose cloche et que l'indigestion guette les convives. Mais dans un programme de chant pour une messe, le meilleur côtoie le pire sans que ça n'émeuve personne et sans que le mauvais goût avéré n'offusque les fidèles habitués à entendre et à voir toutes sortes d'élucubrations dans les églises. Pour le moment, les chants sont encore pour l'essentiel en langue française ou en latin, mais l'américanisation des esprits et de la culture conduira peut-être un jour les responsables paroissiaux à introduire des chants en anglais afin de conjurer la crainte de paraître décalés par rapport au paysage musical quotidien...

 

Olivier Geoffroy

(juillet 2022)

 

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