Antonio NARDELLI
Ténor italien
Lecce (Italie), 11 janvier 1920 – Flémalle (Liège, Belgique), 17 décembre 2005
Antonio Nardelli dans le rôle du Duc de Mantoue, dans Rigoletto ( fonds musical de l’auteur ) |
Le ténor à la voix ensoleillée, Antonio Nardelli, s’est éteint le 17 décembre 2005 en son domicile de Flémalle, dans la banlieue de Liège. Il fut l’un des artistes les plus appréciés de sa génération, reconnu pour l’ensemble de ses qualités artistiques et humaines. Après de brillants débuts dans la péninsule italienne et une foisonnante activité musicale en Europe, il s’établira en Belgique, où il redonnera au répertoire lyrique italien romantique toute sa palette de couleurs, de nuances et d’éclat.
Qui mieux que ce sympathique artiste pouvait se faire l’emblème de la voix du ténor lyrique par excellence? Timbre brillant, tessiture longue et souple, projection vaillante, musicalité très sûre, des rôles tels que Edgardo (Lucia di Lammermoor), Fernando (La Favorita), le rôle-titre de Faust, le Duc de Mantoue (Rigoletto), le rôle-titre d’André Chénier, Rodolfo (La Bohème) ou Mario Cavadarossi (Tosca) ont toujours été défendus avec une maîtrise absolue des règles belcantistes, à l’ancienne.
Le style, la franchise et l’aisance de l’émission, au-delà même de la beauté de l’instrument, étaient saisissants. La voix était celle d’un véritable ténor lyrique et ce ne sera que plus tardivement dans la carrière que des emplois plus lourds seront abordés (Don Alvaro dans La Force du destin et Dick Johnson dans La Fanciulla del west.) Mais la transition progressive se fera avec intelligence, c’est-à-dire sans grossir l’émission, sans altérer la couleur primaire de la voix et en accord avec le chef d’orchestre, dans une orchestration évitant au maximum les débordements de forti et fortissimi, afin de laisser à l’organe la possibilité de conserver ses qualités intactes. La sécurité de l’émission et la parfaite projection du son, dans une voix essentiellement lyrique, permettront donc à Antonio Nardelli de ne connaître aucun problème dans des ouvrages plus dramatiques. C’est ainsi que dans La Fanciulla del west (pour la création in loco de cette œuvre de Giacomo Puccini au Théâtre Royal de Gand en 1963 aux côtés de son épouse, le soprano belge Marian Balhant), les déferlements orchestraux n’étoufferont pas la rondeur de l’instrument, mais au contraire, le porteront, en créant une caractérisation individuelle, certes, mais d’un très haut niveau musical.
Vainqueur d’un concours de chant organisé par Radio Roma en 1949 et comportant quelque 16'000 participants, l’artiste le remportera haut la main. Ensuite, sa carrière prendra son élan et le ténor se fera apprécier sur les principales scènes lyriques des théâtres italiens, français, britanniques, hollandais, algériens, hongrois, maltais et chypriotes. Sa collaboration artistique avec des théâtres de tout premier plan lui permettra de côtoyer d’illustres solistes internationaux, à l’instar de Magda Olivero, Lina Pagliughi, Mafalda Favero, Amalia Benvenuti, Pina Rollandi, Adriana Guerrini, Pilar Lorengar, Victoria de los Angeles, Tito Gobbi, Gino Bechi, Carlo Tagliabue, Alexandre de Sved, Enzo Mascherini, Piero De Palma, Jean Laffont et de nombreux autres.
Ce sera en mars 1953, lors d’une tournée en Belgique, à l’Opéra Royal de Gand, que l’illustre soprano belge Vina Bovy (1900-1983), alors directrice du théâtre, engagera le ténor pour la saison successive. La même année, l’illustre devancière des scènes lyriques internationales sera la partenaire du jeune artiste dans La Bohème, dans le rôle de Mimi. Depuis lors, Antonio Nardelli s’établira en Belgique où il deviendra l’un des favoris du public gantois, puis du Théâtre Royal de la Monnaie à Bruxelles.
C’est toujours en Belgique qu’il épousera le soprano lyrique belge Marian Balhant et qu’il y fondera sa famille. Une fois sa carrière achevée, il reprendra son métier de potier avec bonheur, réalisant de fort belles créations. Malgré sa santé défaillante, il aimait encore, ces dernières années, évoquer les étapes de sa carrière internationale. Ses yeux pétillants et sa joie de vivre communicative évoquaient à eux seuls l’homme qu’il était: généreux, souriant, intègre et si profondément humain.
La naissance d’une vocation pour le chant
Né dans la ville baroque de Lecce, dans les Pouilles, Antonio Nardelli, comme tous les jeunes enfants du sud de la péninsule italienne, chante et fredonne des mélodies à la vogue avec une belle voix naturelle. Ses parents, décelant alors un talent prometteur, décident de l’inscrire comme enfant de chœur à la paroisse de la ville et ce sera ainsi qu’il fera progressivement ses premières armes avec la musique et le chant en particulier. Peu à peu, un goût prononcé pour le chant, aidé par un instinct musical très sûr, guideront le jeune chanteur et en qualité de benjamin d’une famille de quatre enfants, Antonio Nardelli bénéficiera de toute l’affection et du soutien des siens afin de poursuivre, parallèlement à sa scolarité obligatoire, ses études musicales. Il se produira également en public lors de célébrations patronales sur les kiosques de places de la ville, interprétant des airs et de petits soli, apprenant ainsi fort jeune à appréhender un public et à maîtriser son trac. Peu à peu, le jeune talent en devenir prendra la sérieuse décision de poursuivre des études musicales complètes. C’est ainsi qu’il entreprendra son cursus complet (musique et chant lyrique) auprès du réputé Conservatoire Tito Schipa de sa ville natale, qu’il complétera par des cours privés (chant et interprétation musicale) avec plusieurs professeurs. De là, il décidera de se perfectionner à l'Accademia Santa Cecilia de Rome, une autre vénérable et prestigieuse institution de réputation internationale. Parallèlement à ses cours à Rome, le jeune ténor suivra des cours de chant et d’interprétation auprès du soprano et mezzo-soprano italien Maria Capuana (sœur du chef d’orchestre Franco Capuana), devenue une excellente pédagogue. A Milan, Antonio Nardelli effectuera un stage d’études à l’Ecole de perfectionnement du Teatro alla Scala. Peu après, il sera présenté au légendaire ténor italien Beniamino Gigli, venu donner un concert au Castello sforzesco, dans le centre du chef-lieu de la Lombardie. Une amie commune organisera une audition, au terme de laquelle, le vétéran des scènes lyriques internationales, prédira au jeune Antonio Nardelli un brillant avenir musical. Nul doute qu’un tel avis émanant d’une gloire vénérée en Italie confortera la décision du jeune artiste de tout entreprendre afin de réussir.
Le départ d’une carrière internationale
Le premier prix brillamment remporté lors du concours de Radio Roma en 1949 ouvriront à Antonio Nardelli les portes d’une carrière tout d’abord italienne, puis internationale; son parcours sera serein jalonné de nombreux succès et s’il se concentrera avant tout sur l’opéra et moins sur le concert ou le récital, il incarnera avec panache l’incarnation du ténor lyrique méditerranéen. Ce sera donc dès 1949 que le ténor débutera avec fierté dans sa ville natale de Lecce, dans le rôle du Lieutenant Pinkerton, dans Madama Butterfly, un emploi qu’il interprétera régulièrement, avec d’illustres soprani, dont l’inoubliable Magda Olivero. L’artiste suivra, tout en poursuivant sa carrière naissante, des cours de perfectionnement au Teatro alla Scala de Milan, mais finalement, il ne chantera jamais officiellement dans ce théâtre. Au début des années 1950, le prestigieux théâtre exigeait des solistes une expérience confirmée de la scène, ce que le jeune ténor ne possédait pas, puis avec le temps et la succession d’engagements internationaux, la possibilité ne se présentera plus. Cela n’empêchera pas le ténor de poursuivre avec succès sa collaboration artistique avec les théâtres de la péninsule, au rang desquels figurent: Ancône, Bari, Bassano del Grappa, Bergame, Bologne, Florence, Imperia, Jesi, Messine, Milan, Montecatini, Pérouse, Sassari, Varèse, Venise, etc. Antonio Nardelli chantera également en Algérie, Allemagne, Chypre, France et en Hongrie.
Antonio Nardelli dans le rôle-titre de André Chénier, au Théâtre Royal de la Monnaie, Bruxelles ( Photographie Hélène Lapaille, Bruxelles, fonds musical de l’auteur ) |
Un long partenariat artistique avec la Belgique
Son premier engagement dans La Bohème au Théâtre Royal de Gand marquera le départ d’une longue association avec la Belgique et avec Gand, en particulier, ville que le ténor italien appréciait tout particulièrement. Voici un extrait d’une interview (20 février 2003) consentie à l’auteur, lors de laquelle le ténor évoquait ses débuts en Belgique: " Alors que je me trouvais en tournée dans le nord de la France, à Lille plus précisément, je fus appelé à remplacer un artiste malade pour chanter le rôle de Rodolfo dans La Bohème. Le chef d'orchestre en poste à Gand était Luigi Martelli, qui était mon répétiteur à Milan. Il me recommanda auprès de la directrice, Vina Bovy, qui décida de faire appel à mes services. Passé le premier acte de l’opéra, je me vis offrir un contrat pour vingt spectacles pour la saison 1953-1954. Mon répertoire se composait alors de La Bohème, Tosca, La Traviata. Plus tard, je travaillai Riccardo du Ballo in Maschera, toujours avec Luigi Martelli. Ma future épouse, le soprano Marian Balhant, interprétait le brillant page, Oscar. Puis, avec La Traviata, je partis en tournée en Hollande et participai à plusieurs concerts radiodiffusés. Mes débuts au Théâtre Royal de la Monnaie eurent lieu en 1954 et je dois dire qu'ils me laissent un souvenir indélébile. L’année de mes débuts à Bruxelles, ayant obtenu un contrat après avoir passé une audition, j'interprétai Rodolfo de La Bohème avec le soprano catalan Victoria de los Angeles, une exquise Mimi. Puis, de retour en Italie afin d’y poursuivre mes activités artistiques, j’eus l'occasion de chanter avec des solistes d'exception tels que Gino Bechi, Carlo Tagliabue, Tito Schipa, Adriana Lazzarini, Pilar Lorengar, Mafalda Favero, Magda Olivero et bien d'autres encore. " La constance dans la qualité de ses interprétations, sa méticuleuse préparation musicale, sa grande conscience professionnelle, alliées à sa personnalité chaleureuse et sympathique, feront de lui un élément de tout premier plan dans la lignée des ténors lyriques. Il y interprétera une grande partie de son répertoire, pas très étendu, mais varié et il participera à de nombreux galas lyriques, fréquentant ainsi les éléments de la troupe, ainsi que des vedettes internationales invitées
Antonio Nardelli dans le rôle de Mario Cavaradossi, dans Tosca, au Théâtre Royal de Gand. ( Photographie J. M. Mertens, Gand, fonds musical de l’auteur ) |
APERÇU DU REPERTOIRE D’ANTONIO NARDELLI
Lucia di Lammermoor, La Favorita, La Forza del destino, Un Ballo in maschera, Don Carlos, Luisa Miller, Rigoletto, Faust, Les Pêcheurs de perles, Carmen, La Bohème, Tosca, Madama Butterfly, Manon Lescaut, La Fanciulla del west, I Pagliacci, Cavalleria rusticana, Andrea Chénier, Adriana Lecouvreur, La Wally, La Gioconda. Tout au long de sa carrière, Antonio Nardelli ne réservera que peu de place au récital, préférant la magie de l’opéra, la caractérisation d’un rôle sous toutes ses facettes. Il participera en revanche à de nombreux concerts et gala lyriques, dont certains ont été captés par la radio belge.
Antonio Nardelli, un homme heureux, chez lui à Flémalle, en 2002, consultant ses archives musicales ( Droits réservés, fonds musical de l’auteur ) |
Claudine Arnaud, Lucienne Delvaux, Julien Haas, Marie-Louise Hendrickx, Diane Lange, Michel Trempont, Pol Trempont, Jacqueline Vallière, Jacqueline Van Quaille et Huberte Vecray, solistes de l’Opéra, se joignent à l’auteur afin de rendre hommage à la mémoire de ce bel artiste.
Claude-Pascal PERNA
tous droits réservés, (mai 2006)