Chants liturgiques et negro spirituals
Lorsque l'on a commencé à introduire des musiques « rythmées » dans la liturgie, les negro spirituals traditionnels ont suscité la curiosité puis ont inspiré les musiciens chrétiens et les paroliers.
En 1977, les éditions du Cerf publiaient un petit recueil de 15 negro spirituals traduits et harmonisés par A.-Z. Serrand qui, s'ils ne pouvaient à l'époque être intégrés dans la liturgie, montraient l'engouement grandissant pour ce genre musical (recueil Halleluyah, 32 pages).
Au moment de l'application du Concile Vatican II dans la liturgie, la question du répertoire de chants en français était d'importance et l'on entendait évoquer la question des negro spirituals :
« Il est cependant bien tentant de chercher une forme d'expression de la foi qui ne soit pas totalement coupée des réalités de l'expression profane ; sans méconnaître les ressources de la tradition ou d'un œcuménisme culturel, il est évident, pour s'en tenir à deux exemples classiques, que la grande tradition du grégorien ou l'emprunt aux negro spirituals ne résolvent pas ce problème d'une création vivante correspondant à l'époque. Religion incarnée, le christianisme a besoin de manifester l'actualité du message. »
(La Maison-Dieu, n° 92, Paris, octobre 1967, p. 183)
Deux ans plus tard, ce répertoire concourait à la réflexion à propos des musiques des jeunes dans la liturgie :
« Le classement des répertoires, du point de vue de l'origine, peut les ramener, en gros, aux genres suivants : spirituals négro-américains, chansons « spirituelles » et « engagées », chants religieux traditionnels réinterprétés sous des formes actuelles, et finalement des chants entièrement nouveaux, conçus pour l'usage liturgique. Leur exécution souligne habituellement la composante rythmique, à l'aide d'instruments à percussion ou d'autres, dont on utilise les qualités rythmiques (guitares, orgue à tuyaux ou électronique). »
(La Maison-Dieu, n° 100, Paris, octobre 1969, p. 181)
Mais le fait de traduire en français (donc de « trahir », d'une certaine manière) et surtout d'adapter le rythme et l'harmonie des negro spirituals n'était pas du goût de tous. Ainsi dans le numéro d'août 1970 de la revue Informations catholiques internationales, page 27, on pouvait lire sous la plume de Marcel Frémiot :
« Je suis désespéré de voir que l'Eglise suit toujours en musique la mode la plus facile. A tout coup. Les responsables ont résolument opté pour les sous-produits, les sous-négro-spirituals et les sous-grégoriens. »
Il s'agit ici d'une allusion aux chants de Maurice Debaisieux et d'Odette Vercruysse (1925-2000) qui écrivaient la musique de leurs chants en imitant le style des negro spirituals, notamment dans le but de les faire enregistrer par le chanteur John Littleton (1930-1998).
Voici comment, en 1977, Michel Scouarnec, collaborateur de Jo Akepsimas et auteur de paroles de chants liturgiques qui ont connu un certain succès lorsque la chanson religieuse battait son plein, évoquait sa découverte des spirituals :
« C'est par le disque aussi que m'arrivèrent les premiers accents de la musique noire américaine. Nous connaissions bien la musique du « Nobody know a bien carrée et sage des « DeuxTables », mais l'entendre chanté par un groupe noir fut un bouleversement. La force incantatoire d'un tempo, l'affectif se donnant libre cours dans la manière de chanter, l'âpreté et la spontanéité de la couleur des voix, la mesure employée comme un outil dont on se sert librement en retardant ou en anticipant les notes, la gamme blue et ses altérations qui transgressaient allègrement les canons du bon goût tonal, puis avec la musique jazz une manière de jouer de la trompette qui n'avait rien à voir avec Haydn. On avait beau me dire que c'était un peu sauvage, incompatible avec une saine spiritualité, je n'y ai jamais cru dans le fond ! »
(La Maison-Dieu, n° 131, Paris, juillet 1977, p. 58)
Voici une liste non exhaustive de chants liturgiques en français dont la mélodie est celle, plus ou moins arrangée, d'un negro spiritual :
Allez sur la montagne (D 40), d'après Go, tell it on the mountain.
Allons, rassemblons-nous (A 99), d'après Down by the river side.
C'est le jour du Seigneur (A 95).
Elle est droite, ta parole (C 526), d'après Down in hell.
Etais-tu là-bas ? (H 140).
Il faut naître (I 531).
Invocations au Saint-Esprit (K 70), d'après Go, tell it on the mountain.
Le grand appel (R 14).
Le Seigneur nous a aimés (D 108).
Merci, Jésus (R 13), d'après I know the Lord.
Nous marchons ensemble (J 27), d'après We shall overcome.
Rassemblés (chant du soir) (P 26), d'après Red river valley.
Seigneur, tu cherches tes enfants (D 34), d'après Go down, Moses.
Souviens-toi (D 143).
Tiens-moi, Jésus, sans me lâcher (R 12).
Tu es, Seigneur, le lot de mon cœur (D 5), d'après Nobody knows the trouble.
Vois notre peine (G 520), d'après Old time religion.
Olivier Geoffroy
(août 2020)
a propos du père alain-zacharie serrand
(1906-1994)
Promoteur des negro spirituals en France et artisan de leur adaptation en langue française, notamment dans le cadre de la liturgie ou de la prière chrétienne, Alain-Zacharie Serrand est né le 8 mai 1906 à Fougères (Ille-et-Vilaine). Il fait sa profession simple chez les Dominicains d'Angers le 13 novembre 1923 et sa profession solennelle le 6 janvier 1929 à Ryckholt (Pays-Bas). Son ordination sacerdotale a lieu le 22 juin 1930. Aumônier de religieuses dominicaines dans l'Aube, membre de la province dominicaine de Lyon, grand spécialiste de la philosophie thomiste, membre du Secrétariat social maritime, accompagnateur du pèlerinage à Rome des Universitaires catholiques français, collaborateur aux Editions du Cerf et de plusieurs revues (La Vie Spirituelle, Economie et Humanisme, La Vie intellectuelle), on lui doit de nombreux articles théologiques ainsi que quelques livres (dont une vie de saint Thomas d'Aquin, Le Cerf, 1947). Le Père Serrand est mort à Rennes le 21 novembre 1994.
Chants liturgiques du père Serrand dans le répertoire du Secli :
- Le grand appel, R14 (EDIT806), Le Cerf.
- Merci, Jésus, R13 (EDIT903), LE Cerf.
- Tiens-moi, Jésus, sans me lâcher, R12 (EDIT13-26), Le Cerf.
Autres chants :
- De votre aide, Vierge sainte (sur une mélodie vendéenne).
- Vieux pèlerin, 1966 (sur un negro spiritual, longtemps au répertoire des chorales et des collèges, dans son arrangement par Jean Pagot), Florilège « Voix égales », Editions A Coeur Joie.
- Notre Père, sur un choral de J.-S. Bach, Schola Cantorum, 1951.
Recueils de chants :
- Office du soir d'après les Complies du dimanche, musique d'Anthony Milner, Le Cerf, 1958, 24 p.
« Cet ensemble séduira par sa musique sobre et chantante, par son texte accessible, par l'atmosphère religieuse qui s'en dégage, aussi bien les musiciens, les paroisses, les institutions éducatives et les chorales diverses que les responsables du beau chant sacré et les chrétiens désireux d'écouter dans l'intimité familiale une prière du soir liturgique, paisible et prenante à la fois. »
(La Maison-Dieu, avril 1959, np)
Un disque en avait été tiré :
« Office du soir d'après les Complies du dimanche : Chanté par le chœur E. Brasseur, musique d'Anthony Milner, adaptation française du R. P. Serrand, o. p.
Ce disque offre la prière intégrale des Complies du dimanche en français, avec une mélodie très sobre et très belle se prêtant facilement au chant communautaire.
Un microsillon 45 tours. »
(La Vie spirituelle, avril 1959, np).
- Treize psaumes et un choral, Le Cerf, 1958.
« Treize psaumes et un choral, traduits et harmonisés par A.-Z. Serrand
Une plaquette de 32 pages. Une traduction nouvelle qui veut être à la fois exacte et pastorale. »
(La Maison-Dieu, avril 1958, np)
- 15 Negro spirituals (Hallelujah), Le Cerf, 1957.
« Hallelujah, Quinze « Negro-spirituals » traduits et harmonisés par A.-Z. Serrand. Une plaquette de 32 pages
A la différence d'autres « negro-spirituals » présentés en traduction française, ceux-ci ont moins cherché l'adaptation au grand public ou à des chœurs exercés, que la fidélité à l'original, à son texte, à son rythme, à ses harmonies, à son dialogue surtout entre le soliste et le chœur. Ils laissent de grandes libertés et facilités d'exécution ; l'harmonie qu'on leur a jointe peut être confiée aux voix ou aux instruments qu'on voudra. Mais, comme le souligne la note de présentation, ce qu'ils réclament d'abord, c'est un authentique sentiment religieux, joyeux ou triste, contemplatif ou sermonneur, et le besoin de le chanter. »
(La Maison-Dieu, janvier 1957, np)
- Douze Cantiques, Le Cerf, 1961.
« A ceux qui voudraient des airs qui entrent sans trop d'effort - il le faut -, mais qui ne s'en aillent pas de même - il y en a, à ceux qui voudraient des paroles faciles à comprendre - il le faut - sans être purement sentimentales - il y en a -, ces douze cantiques offrent, pour la plupart des mélodies que depuis longtemps le peuple chrétien aime chanter et que les musiciens admirent; ils offrent des paroles dont seule originalité est d'avoir voulu respecter les lois de la poétique française et sans rien laisser perdre de la poésie d'hymnes empruntées à la Bible, à la liturgie ou aux traditions d'autres chrétientés que la nôtre.
Ils chantent la louange, la foi, la pénitence, l'espoir, les grands temps ou heures liturgiques, la Vierge. L'auteur suppose évidemment que les responsables du répertoire catholique et français estiment leur peuple capable et heureux de chanter autre chose que des romances pastorales ou des marches militaires. »
(La Vie spirituelle, juillet 1961, np)
Un disque en a également été tiré :
« Cantiques œcuméniques : Sur des mélodies religieuses contemporaines et anciennes, françaises et étrangères, de la tradition catholique comme de la tradition protestante, le P. Serrand a adapté des paroles françaises inspirées du Nouveau et de l'Ancien Testament. Douze cantiques pour des temps et des heures liturgiques divers sont ici enregistrés par une chorale accompagnée à l'orgue. Texte et musique sont joints au disque.
En disque 25 cm Standard. »
(La Vie spirituelle, mai 1964, np)
Collecte d'informations : Olivier Geoffroy
(novembre 2024)