Le Panthéon des musiciens

De janvier 2008 à juin 2008

René BIANCO - Inga NIELSEN - Jean STEINMETZ - Giuseppe DI STEFANO - Pierre BIGOT - Jacques BONDON - Éliane MANCHET - Leyla GENCER

 

Avec la mort, le 23 janvier 2008 à Charbonnières-les-Bains (Rhône), du baryton René BIANCO, s’est éteint l’un des derniers représentants de cette prestigieuse époque où la R.T.L.N. (Réunion des Théâtres Lyriques Nationaux) s’était attachée bon nombre d’artistes de grande valeur (Denise Duval, Jacqueline Cellier, Marcelle Croisier, Simone Couderc, Régine Crespin, Jeannine Collard, Michel Dens, Jean Giraudeau, Pierre Salvignol, José Mallabrera, Michel Roux, Pierre Giannotti, Jean Borthayre… et bien d’autres encore !) Engagé en 1948, il avait été l’un des piliers de la troupe de l’Opéra et de l’Opéra-Comique de Paris durant deux décennies. Avec "un tempérament dramatique hors du commun" (Jean Gourret), il était aussi fort apprécié du public de province où il se produisait également très souvent. L’Europe (Belgique, Suisse, Portugal, Italie, Hongrie…) et le Canada l’ont applaudi en leur temps. Son répertoire comporte un grand nombre de rôles des opéras de Verdi, Puccini, Donizetti, Wagner, Rameau, Offenbach, Bizet, Gounod, Charpentier, Massenet, Delibes, Milhaud… Par la suite, il se livra à l’enseignement de son art avec lequel il remporta, là-encore, de vifs succès.

René Bianco
René Bianco
( cliché Héritier Studio ) D.R.

C’est en Algérie, à Constantine, que voit le jour le 21 juin 1908 René, Germain, Dominique Bianco. Attiré très tôt par le chant et plus spécialement par le théâtre, ses parents lui font prendre des leçons de chant auprès de Mme Cholin et entrer au Conservatoire de sa ville natale, où il décroche plusieurs premiers prix tout en débutant une carrière de fonctionnaire municipal. Sa première apparition sur scène a lieu en 1934 à Bône dans le rôle de Basile du Barbier de Séville, avant de se produire bientôt à l’Opéra de sa ville natale, puis à ceux d’Alger (1940), Oran et Tunis, ainsi que sur quelques scènes de la métropole (Marseille, Avignon, Lyon). Après la Seconde Guerre mondiale, il est remarqué par la célèbre basse Fred Bordon (1896-1966), retraité de l’Opéra de Paris et alors directeur du Grand Théâtre de Constantine, qui le présente au directeur d’opéra et metteur en scène Georges Hirsch, administrateur général de la R.T.L.N. (réunion de l’Opéra et l’Opéra-Comique) depuis 1946. Celui-ci l’engage, et le 2 mai 1948 René Bianco débute à l’Opéra-Comique dans le rôle de Dappertutto des Contes d’Hoffmann, sous la direction d’André Cluytens. Dans cette même salle, il va chanter ensuite et notamment les rôles d'Escamillo de Carmen, Tonio de Paillasse, Scarpia de La Tosca, d’Orbel de La Traviata, Ourrias de Mireille, Zurga des Pêcheurs de perles, Alfio de Cavalleria rusticana, le Père de Louise et également les 4 rôles graves des Contes d’Hoffmnan. Il participe à la création de plusieurs œuvres contemporaines, parmi lesquelles le roman musical en 3 actes Dolorès (Pascualo) de Michel-Maurice Lévy (7 novembre 1952), sous la direction de Pierre Dervaux. Le lendemain (3 mai 1948) de son apparition dans la salle Favart, il fait aussi ses débuts à l’Opéra dans Lohengrin (rôle de Telramund). Par la suite il y chantera dans Le Vaisseau fantôme, Rigoletto, Othello, Aïda, Lucie de Lammermoor, Faust, Thaïs, Samson et Dalila, Le Roi d’Ys, Médée, Les Indes galantes, Salomé… Doté d'une voix chaude et puissante, avec une tessiture étendue qui l'autorise à chanter aussi bien des rôles de baryton-basse que de baryton-Verdi, et d’un grand sens du drame, il peut de ce fait se permettre d'interpréter des rôles en français, en italien et en allemand. Cest ainsi qu'il couvre un vaste répertoire allant de Rameau (Les Indes galantes, 1735, Huascar dans la deuxième entrée Les Incas, chanté à l’Opéra en alternance avec Jean Borthayre de 1952 à 1965) à Emmanuel Bondeville (Madame Bovary, 1950) ou encore à Francis Poulenc (Le Dialogue des Carmélites qu’il crée en 1958 à la Salle de la Mutualité à Paris et enregistre la même année chez EMI), en passant par Wagner et Verdi. Mais c’est aussi un remarquable ambassadeur de la chanson française, avec, entre autres, l’interprétation de grands classiques du genre tels que Plaisir d’amour de Martini, le Temps des cerises de Jean-Baptite Clément , Le Credo du paysan, Les Semailles et La Voix des chênes de Gustave Goublier…

Retiré des scènes de l’Opéra et de l’Opéra-Comique à la fin des années soixante, il poursuit néanmoins une carrière en province, où il chante encore à plus de 70 ans : le 25 novembre 1978, au Théâtre lyrique de Caen (Calvados) il est Scarpia dans la Tosca et à la même époque chante également Le Père de Louise, dont il reste longtemps l’un des meilleurs interprètes ! Parallèlement, René Bianco se livre à l’enseignement du chant, tout d’abord au Conservatoire de Québec durant deux années (1970-1971), où il a notamment pour élève la soprano canadienne Edith Tremblay, puis en leçons particulières en France qu’il prodiguait encore voilà quelques années. Hélène Vetter, Anne-Sophie Tanguy, Marie-Lys Langlois, Thierry de La Roche ou encore Christophe Crapez, quelque-uns parmi ses nombreux élèves, savent ce qu’ils doivent à leur maître, tant sur le plan musical qu’humain.

René Bianco a beaucoup enregistré (Faust, Mireille, La Tosca, La Traviata, Madame Butterfly, Othello, Alceste, Médée, Sigurd…), mais tous ses disques sont épuisés depuis bien longtemps. Cependant quelques-uns ont été réédités en CD et, de nos jours, on peut encore trouver sur le marché Mignon d’Ambroise Thomas, avec l’Orchestre Symphonique de l’Opéra National de Belgique dirigé par Georges Sébastian (Preiser), Si j’étais roi d’Adolphe Adam, sous la direction de Richard Blareau (Accord), les Pêcheurs de perles de Bizet, aux côtés de l’Orchestre des Concerts Lamoureux dirigé par Jean Fournet (Philips Duo) et le Dialogue des Carmélites de Poulenc, avec les Chœurs et l’Orchestre de l’Opéra conduits par Pierre Dervaux (EMI). Signalons également chez Malibran (MR606) un coffret 2 CDs, compilation de ses meilleures interprétations qui permet de se faire une juste idée des immenses capacités de ce grand baryton, avec de nombreux extraits d’opéras et quelques chansons.

Décédé à Charbonnières-les-Bains (situé non loin de Lyon), où il résidait depuis de nombreuses années, René Bianco y a été inhumé après des obsèques célébrées le 28 janvier 2008. Il allait fêter 5 mois plus tard ses 100 ans. Ses deux fils Pierre et Philippe ont à leur tour fait carrière dans les arts du spectacle (le premier comme comédien et metteur en scène à Lyon et le second, comme comédien à Paris) et deux de ses petits-fils sont quant à eux musiciens professionnels : Nicolas, contrebassiste, bassiste et compositeur, Christophe, guitariste et compositeur. Ses deux derniers, avec la complicité et les conseils de leur grand-père, ont fondé en 1989 l'Atelier musical du Chapoly (école de musique associative) de Charbonnières-les-Bains, qui accueille de nos jours bon nombre de musiciens amateurs.

Denis Havard de la Montagne

Le 10 février 2008, à l’hôpital de Gentofte (au Nord de Copenhague), est décédée la soprano danoise Inga NIELSEN à l’âge de 61 ans. Bien que classée parmi les grandes spécialistes des opéras de Mozart, elle chantait également le répertoire contemporain, voire avant-gardiste : Strauss, Reger, Schönberg, Bartok, Ligeti. Elle se plaisait d’ailleurs à déclarer aimer les extrêmes. Après avoir été attachée à l’Opéra de Francfort, elle avait choisi dès 1980 une carrière indépendante pour se produire sur la plupart des grandes scènes européennes, ainsi qu’aux Etats-Unis, au Brésil et au Japon. En France, on avait notamment pu l’applaudir en août 1979 au cloître Saint-Louis d’Aix-en-Provence, dans une version pour 4 solistes des Scènes et interludes du Grand Macabre de Gyorgy Ligeti (Orchestre philharmonique de Radio-France sous la direction de Gilbert Amy), en mars 1983 à l’Opéra dans le rôle d’Adèle de La Chauve-souris de Johann Strauss, l’année suivante (février 1984) à l’Opéra-comique pour la création en France de La Chatte anglaise de Henze (rôle de Minette) et en 1989 à Strasbourg, dans Cosi fan Tutte de Mozart (Fiodiligi).

Inga Nielsen
Label Chandos (CHAN10444)

Née à Holbaek (Danemark) le 2 juin 1946, d’un père professeur de langues et d’une mère autrichienne, Inga Nielsen est initiée à l’art musical par son géniteur, grand amateur de musique. Dès l’âge de 6 ans, elle interprète à la radio des chants traditionnels danois et des chants de Noël, et à 9 ans enregistre son premier disque pour Columbia. A cette époque, elle réside dans l’Iowa (USA) où son père est venu enseigner. En 1951, alors âgée de 7 ans, Inga Nielsen a l’occasion de rencontrer la soprano autrichienne Hilde Gueden, alors membre de l’Opéra de Vienne, qui effectue une tournée aux Etats-Unis à l’occasion de ses débuts au Metropolitan de New-York (le 15 novembre). Celle-ci lui prédit un brillant avenir de cantatrice et dès le retour de la famille Nielsen en Europe, Inga intègre l’Académie de musique de Vienne. Dans cet établissement elle a notamment pour professeur le ténor autrichien Anton Dermota, également membre de l’Opéra de Vienne. C’est à Stuttgart qu’elle poursuit ses études musicales, avant de les achever à Budapest. En 1971, elle fait ses débuts à Gelsenkirchen (ville allemande de la Ruhr) dans l’opéra Der Bettelstudent de Carl Millöcker, puis chante à Munster et à Berne (Suisse). Quatre années plus tard, elle est engagée à l’Opéra de Francfort, mais en 1980 elle quitte cette troupe pour mener une carrière indépendante. On voit alors Inga Nielsen se produire à l’Opéra de Vienne, à la Scala de Milan, au Covent Garden de Londres, à l’Opéra de Zurich ainsi qu’à ceux de Barcelone, Paris, Berlin, Florence, à New-York, Buneos Aires… Parmi ses plus grands succès sur la scène au cours des années 1980-1990, époque au cours de laquelle sa voix évolue passant du registre de soprano léger à celui de soprano dramatique, lui donnant ainsi davantage de puissance et surtout de volume, il convient de noter : de Mozart L’Enlévement au Sérail (Constance) au Festival de Salzburg (1987), Mitridate à Münich (1990), Idoménée à la salle Tivoli de Copenhague (1991) et de Richard Strauss : Le Chevalier à la rose (La Maréchale) à l’Opéra de Copenhague, Salomé à Leipzig (1994), Elektra (Chrysothemis) au Japon, sans oublier Don Pasquale de Donizetti (Norrina), Falstaff de Verdi (Nanette), Le Freischütz (Annette)… Plus récemment, Nielsen est applaudie à Sante Fe (Salomé), à Londres (Mathis le peintre de Paul Hindemith, puis dans le monodrame Erwartung de Schoenberg), à Copenhague (La Tosca), à Hambourg (Lohengrin), à Athènes (La Femme sans ombre), à Nice en 1999 (Macbeth), à Los Angeles en 2004 (La Femme sans ombre), et parmi ses toutes dernières interprétations (à la Radio Danois) : Elektra, le 17 août 2006 et le célèbre hymne Sweet little Jesus boy (du compositeur américain Robert MacGimsey) le 4 avril 2007. En 2006, à la salle Tivoli de Copenhague, elle célèbre ses 35 ans de chanteuse professionnelle et, en décembre 2007, apparaît en public pour la dernière fois lors d'un concert à Naestved (Danemark), souffrant déjà d'un cancer qui va l'emporter quelques mois plus tard.

Dotée d'un grand sens de la musicalité, Inga Nielsen a également abordé avec succès le répertoire vocal sacré : Les Sept dernières paroles du Christ en croix et la Messe Lord Nelson de Haydn, des cantates, l'Oratorio de Noël, la Passion selon Saint-Jean et celle selon Saint-Mathieu de Bach, la Festmesse in San Marco de Monteverdi, plusieurs pages de Mozart..., et d'autres oeuvres profanes : la 9e Symphonie de Beethoven, les Symphonies 3 et 8 de Mahler, la cantate Der Rose Pilgerfahrt de Schumann, des oeuvres du compositeur danois Carl Nielsen (Hymnus Amoris, Springtime in funem, The Sleep, des motets)... Sa discographie est importante, ses premiers enregistrements datant de 1955. On trouve actuellement sur le marché et entre autres : Fidelio (Beethoven), Oberon (Weber), Le Roi pasteur (Mozart), Parsifal (Wagner), les cantates BWV 62, 64, 112, 114, 136, 139 (Bach), Salomé (R. Strauss), Der Rose Pilgerfahrt (Haydn). En 2007, le label Chandos a sorti un coffret de 2 CDs (CHAN10444) d'œuvres enregistrées entre 1952 et 2007 par la Radio danoise, qui donne non seulement un excellent aperçu des qualités exceptionnelles de l'organe vocal de cette cantatrice, mais également une idée du vaste répertoire abordé au cours de sa longue carrière.

Inga Nielsen avait épousé en 1978 le baryton basse américain Robert Hale (né en 1943 à San Antonio, Texas), qu’elle avait connu à Francfort. Ensemble ils eurent l’opportunité de chanter La Bohème, La Tosca et Salomé. Après leur séparation Robert Hale, devenu grand spécialiste de Wagner, a convolé en secondes noces (2006) avec la soprano russe Marina Poplavskaya (née en 1977 à Moscou).

Denis Havard de la Montagne

Le 27 février 2008 à Soissons (Aisne) s’est éteint dans sa soixante-dix huitième année Jean STEINMETZ, organiste honoraire des églises Saint-Louis-en-L’Ile et Saint-Laurent à Paris. Très attaché à ses fonctions d’organiste liturgique qu’il remplissait depuis plus de 40 ans, il avait très mal supporté sa mise à la retraite d’office de Saint-Laurent (31 décembre 1996), en application de l’Ordonnance du Cardinal Lustiger de 1991 (limite d’âge). Les circonstances dans lesquelles il fut poussé sans ménagement vers la sortie au moment où venait de se terminer la restauration de son grand-orgue pour laquelle il avait tant œuvré durant plus de 10 années, plongèrent cet artiste entièrement dévoué à la musique dans une grave dépression dont il ne parvint jamais à se sortir totalement depuis cette époque. En 1999, il écrivait à l'auteur de cet article : "…J’ai été mis devant un fait accompli aux conséquences graves tant pour ma famille que pour ma santé. Je suis parti, contraint et forcé, en janvier 1997…"

Jean Steinmetz
Jean Steinmetz, février 2008
( DR )
Autre photo

Né le 19 juin 1930 à Paris, Jean Steinmetz baigne très tôt dans la musique. Son père, Robert (1902-1959), ancien élève de Vincent d'Indy à la Schola Cantorum, est alors maître de chapelle et organiste de Sainte-Anne de Polangis à Joinville-le-Pont (depuis 1918) et de Notre-Dame de Saint-Mandé (depuis 1922), tout en assurant le casuel à Saint-Charles-Borromée de Joinville-le-Pont et à Sainte-Marie-Libératrice de Champigny-sur-Marne. Sa mère, née Jeanne Griveaux (1905-1976), est quant à elle organiste à Montreuil-sous-Bois (Saint-Maurice de la Boissière). C’est donc tout naturellement que Jean Steinmetz reçoit ses premières leçons de musique de la part de son père, puis entre à la Schola-Cantorum, achève ses études musicales à l’Ecole César-Franck alors placée sous la direction de Marcel Labey et Guy de Lioncourt, tout en se perfectionnant à l'orgue auprès de Rolande Falcinelli. Assurant dès la fin des années quarante quelques suppléances de son père à Joinville-le-Pont et à Saint-Mandé, il est nommé en 1954 professeur de musique et organiste de l’école et du collège Saint-Nicolas à Igny (Essonne), poste qu’il va occuper durant 35 ans (1989). Dans la chapelle de cet établissement scolaire fondé par les Frères vers 1855, était alors installé depuis 1895 un orgue Anneessens (remanié en 1954 par Beuchet-Debierre) de 20 jeux réels répartis sur 2 claviers et pédalier. René Quignard, ancien élève de Vierne et futur directeur du Conservatoire de Saint-Brieuc, l'avait précédé aux claviers quelques décennies auparavant.

Mais la carrière musicale de Jean Steinmetz débute véritablement l’année suivante, en octobre 1955, avec sa nomination au poste d'organiste de chœur et maître de chapelle de Saint-Louis-en-L’Ile (Paris IVe), où il succède à Mlle Claude Loyeux. Là, il supplée également Jean Arnault, titulaire du grand-orgue Merklin (1923, 30 jeux réels sur 3 claviers et pédalier). C'est à cette époque, au tout début des années soixante, qu'il adhère à l'Union des Maîtres de Chapelle et Organistes que son père avait rejoint dès le lendemain de la Première Guerre mondiale. Présidée par Henri Büsser, dans ces années soixante elle s'occupait plus particulièrement de mieux défendre les intérêts des musiciens alors menacés par des circulaires émanant de l'Archevêché et fixant de nouveaux tarifs pour les services paroissiaux et le casuel. On sait ce qu'il en adviendra par la suite avec la suppression totale des classes, l'abandon de la musique polyphonique et du grégorien, ce qui aboutit à une pauvreté liturgique générale, doublé d'un amateurisme musical dans bien des paroisses!...

A la fin de l’année 1971, Jean Steinmetz est appelé à recueillir la succession de Guy Lambert au grand-orgue de Saint-Laurent (Paris, Xe), décédé le 15 novembre. Titularisé l’année suivante, il cumule dans cette église les fonctions d’organiste du grand-orgue et de maître de chapelle. Cet instrument ne lui était pas complètement inconnu, car depuis juillet 1964 il suppléait chaque année durant le mois de juillet le titulaire qu’il connaissait bien. On doit d’ailleurs à Jean Steinmetz un bel article sur Guy Lambert écrit au moment de sa disparition (in Bulletin de l’Association des Amis de Léonce de Saint-Martin, n° 13, novembre 1972). A son arrivée à Saint-Laurent, Jean Steinmetz constate que le grand-orgue est à bout de souffle : construit par Ducastel en 1682, restauré ou reconstruit ou agrandi à plusieurs reprises (Collar en 1732, François-Henri Clicquot en 1767, Merklin en 1867), cela fait plus d’un siècle qu’il n’a pas été restauré sérieusement, bien qu’un agrandissement à 42 jeux avait été réalisé en 1941. Dès 1980 il alerte les autorités concernées sur le triste état dans lequel se trouve l’instrument devenu presque injouable et entame des démarches auprès de la Ville de Paris qui vont s’avérer longues et difficiles. Ce n’est en effet que 12 ans plus tard (juillet 1992) que débute enfin une importante restauration par le facteur Renaud, de Nantes, qui dure deux années. Le 14 février 1995 l'inauguration de l'instrument entièrement restauré est effectuée par son titulaire, qui interprète notamment son Carillon pour Grand Orgue et par Hans van Nieuwkoop. Mais, il n'a guère le temps d'en profiter, car c’est peu après que Jean Steinmetz est contraint à la retraite !

En dehors de ses activités à St-Louis-en-L’Ile puis à Saint-Laurent, Jean Steinmetz touche régulièrement jusqu’en 1995 les orgues de Sainte-Anne de Polangis à Joinville-le-Pont et de Sainte-Marie-Libératrice à Champigny-sur-Marne où il avait succédé en 1959 à son père, assurant parallèlement le casuel à Saint-Charles de Joinville-le-Pont au cours des années 1950-1960. Après sa retraite forcée de Saint-Laurent, il conserve cependant des contacts avec la profession comme co-titulaire (bénévole), avec son épouse Marie-Christine Boutroux-Steinmetz, du grand-orgue Stoltz (1875, 18 jeux réels, 2 claviers et pédalier, restauration Dargassies 1987) de Sainte-Marguerite (Paris XIe), mais sa santé défaillante l’oblige au fil des années à abandonner cette fonction et à s'éloigner du monde de l’orgue parisien...

Organiste, maître de chapelle, professeur de musique, Jean Steinmetz s’adonne aussi très tôt à la composition. On lui doit notamment des pages pour piano, dont un Impromptu composé en 1952, des motets pour chœur et orgue, et des œuvres pour orgue : Carillon "à la mémoire de Louis Vierne et en souvenir de Léonce de Saint-Martin" (1980), Prélude, Choral orné, Final (1981-1982), Elévation "en mémoire d’Erik Satie" (1982), Choral "Lorsque nous sommes dans la détresse" (1984), Triptyque sur l’hymne "Ave Maris Stella".

Après avoir longtemps habité en banlieue parisienne, à Saint-Mandé (Val-de-Marne), où son père avait résidé dès les années vingt, Jean Steinmetz s'installe en 1995 dans l’Aisne, à Villers-le-Sec puis à Longpont. Là, ainsi que dans quelques paroisses avoisinantes, il lui arrive encore parfois de jouer de l'orgue : le 10 février 2008, quinze jours avant sa disparition, il tient l'orgue à la messe dominicale de Villers-Cotterets (Aisne)... C’est dans le cimetière de Longpont qu’il est inhumé le 4 mars 2008, après la messe d’obsèques célébrée en l'église paroissiale Saint-Sébastien, non loin du château rendu célèbre par Louis Vierne avec son Carillon pour orgue écrit en 1913 sur la sonnerie du carillon de la chapelle du château de Longpont (Livre II des 24 Pièces en style libre, op. 31). Il avait épousé en secondes noces l'une de ses élèves d'orgue, Marie-Christine Boutroux, actuelle titulaire, depuis janvier 1980, du grand-orgue de Sainte-Marguerite (Paris), professeur d’éducation musicale au collège de Crécy-sur-Serre (Aisne) et ancienne vice-présidente du Syndicat National Professionnel des Artistes Musiciens des Cultes (1999). Père de 7 enfants, le 9 janvier dernier il avait eu la douleur de perdre sa fille Christine, emportée en quelques semaines par un cancer, ce qui l'avait profondément affecté.

En guise de conclusion, laissons la parole à Isabelle Fontaine, organiste titulaire de la cathédrale de Soissons, avec cet hommage posthume à Jean Steinmetz qu’elle a bien voulu nous adresser : "Quand vous touchiez un orgue, un harmonium ou un piano, vous étiez comme transformé, transfiguré. La musique, que vous avez servie avec tant de ferveur, reprenait ses droits. Pour moi, vous apparteniez à cette génération de musiciens en voie de disparition aujourd’hui, celle des poètes et humanistes. Vous n’aimiez pas les tempi trop rapides dans la musique, vous étiez avide de recherches harmoniques dans la tradition de l’école d’orgue symphonique. Vous aviez le souci d’une juste reconnaissance du métier de l’organiste liturgique, accompli avec compétence, mais loin des glorioles… Je garderai de vous, aussi, le souvenir d’un homme bon et délicat, très sensible, discret voire … pudique."

Denis Havard de la Montagne

Le 3 mars 2008 à Santa Maria Hoé, au Nord de Milan, est mort dans 87ème année le ténor lyrique italien Giuseppe DI STEFANO des suites d’une agression crapuleuse. Voilà plus de 40 ans, on disait déjà que son timbre de voix "est d’une qualité rare […], il soigne son beau médium et triomphe dans les pianissimos, s’offrant si besoin est, et même sans absolue nécessité, un luxe de "portando", de pâmoisons et de câlineries napolitaines…" [Le Figaro, 3 juin 1963]. Son nom est lié à celui de Maria Callas qu’il rencontre en 1951. Il est son partenaire durant plusieurs années et en sa compagnie effectue un grand nombre d’enregistrements. Luciano Pavarotti, qui l’avait pris pour modèle, disait de lui que c’était son idole. Ce grand ténor était l’un des derniers de sa génération qui brilla au cours des années 1950. Sa diction impeccable et la justesse de sa voix, doublés d’un grand talent d’acteur lui ont permis d’effectuer une carrière de plus d’un demi-siècle (1938 à 1995), notamment dans des rôles d’opéras italiens qu’il chantait à merveille (entre autres Rigoletto de Verdi, Lucia di Lammermoor de Donizetti, I Puritani de Bellini, La Tosca de Puccini, La Gioconda de Ponchielli.) A l'Opéra de Paris, on l'avait découvert pour la première fois en septembre 1954 dans Faust de Gounod, "faisant à cette occasion une superbe démonstration de l'art de la note filée sur le contre-ut de la cavatine." [Jean Gourret]. Mais Di Stefano n'a pas seulement chanté l'opéra, il a en effet abordé un répertoire d'œuvres vocales plus vaste comportant notamment Les Nuits d'été de Berlioz, l'Ave Maria de Gounod ou encore le Requiem de Verdi, ainsi que de nombreuses mélodies italiennes et autres chansons napolitaines. Au moment de sa disparition le Président de la République italienne, Giorgio Napolitano, lui a publiquement rendu hommage pour son "grand talent".

Giuseppe Di Stefano
Giuseppe Di Stefano
( photo X... ) DR.

C’est à Motta Santa Anastasia, près de Catania en Sicile (Italie), le 24 juillet 1921, que voit le jour Giuseppe Di Stefano (surnommé Pippo), fils d’un ancien carabinier reconverti dans la cordonnerie et d’une couturière. Visiblement doué pour le chant et attiré par la prêtrise il intègre le Séminaire d’Aviado à Milan, mais abandonne bientôt son projet d'entrer dans les ordres pour se consacrer uniquement au chant. En 1938, il gagne un concours de chant à Florence, puis l’étudie sérieusement auprès du baryton Luigi Montesanto (1887-1954) -ce dernier avait effectué ses débuts à la Scala en 1912 dans Carmen et créé notamment l’opéra Il Tabarro de Puccini au Metropolitan de New York (1918)-. Mais la guerre interrompt ses études et fait prisonnier en Allemagne en 1940 il s’évade trois années plus tard pour rejoindre la Suisse. Recueilli dans un camp de réfugiés à Vidy, situé dans un quartier de Lausanne, Di Stefano est remarqué par la Radio de Lausanne qui l’engage pour participer à plusieurs émissions, ce qui lui permet de travailler sa voix et surtout de l’entretenir. La guerre terminée, il reprend ses études de chant à Milan avec Montesando et débute officiellement le 20 avril 1946 au Théâtre municipal de Reggio Emilia dans Manon de Massenet (rôle du chevalier des Grieux). Le succès est au rendez-vous et dès lors il est réclamé sur la plupart des scènes italiennes. L’année suivante c’est la Scala qui lui ouvre ses portes (Manon), puis le Met de New York (1948, Rigoletto) et tous les plus grands théâtres mondiaux : Vienne, Paris, Covent Garden, Mexico, Buenos Aires, Chicago, Johannesbourg… A partir de septembre 1951 (La Traviata, Théâtre municipal de Sao Paulo) et durant une dizaine d'années, il est le partenaire principal de Maria Callas. L'on se souvient encore de leurs prestations du 29 mai 1952 à Mexico (I Puritani), du 26 décembre de la même année à Milan (La Gioconda) et du 18 janvier 1954, toujours à Milan, dans Lucia di Lammermoore sous la direction de Karajan ! Il chante également à ses côtés Rigoletto, La Tosca, Paillasse, Mefistofele, Madame Butterfly, Le Trouvère, La Bohème, Un bal masqué, Manon Lescaut... Sa voix évolue au fil des années et après lui avoir permis d'aborder un répertoire de "demi-caractère léger" (Mignon, La Somnambule, L'Elixir d'amour, Les Pécheurs de perles...), il s'attaque à des rôles plus lourds (La Force du destin, Carmen, Aïda...), sans toutefois abandonner totalement les rôles légers : en 1966 et 1967 il parcourt l'Europe et l'Amérique du Nord avec Le Pays du sourire de Franz Lehar, emportant de nouveaux succès. En 1972, Giuseppe Di Stefano chante à nouveau avec Maria Callas cette fois pour des tournées de concerts à travers l'Europe (notamment le 12 juillet 1973 au Théâtre des Champs-Elysées à Paris), puis en Amérique du Nord et au Japon. Mais leur collaboration se termine brutalement en 1974 après un récital à Sapporo (11 novembre), conséquence d'une liaison sentimentale rompue! La carrière de Giuseppe Di Stefano ne s'arrête pas pour autant et il continue à se produire en récital et concert sur les scènes mondiales, tout en dispensant des masters-classes très prisées (Spoleto, Stamford, Los Angeles, Assise, Buenos Aires).

Le 25 juin 1992, Giuseppe Di Stefano se retire des scènes de théâtre après s'être produit une ultime fois, aux thermes de Caracalla à Rome, dans le rôle d'Altoum de Turandot aux côtés de Ghena Dimitrova. Durant 5 années, il donne encore quelques concerts puis quitte définitivement la carrière après avoir chanté une toute dernière fois lors d'un concert-hommage qui lui est rendu le 12 décembre 1997 à la Scala de Milan. Par la suite il séjourne fréquemment au Kenya dans sa maison de Diani, située sur le littoral Indien non loin de Mombasa. Mais en novembre 2004, circulant en véhicule avec son épouse Monika Curth, il est victime d'une violente agression de la part de malfaiteurs qui en veulent à son argent. Grièvement blessé à la tête, soigné à l'hôpital de Mombasa puis rapatrié en Italie et hospitalisé à Milan, Giuseppe Di Stefano ne va jamais se remettre de ses blessures passant les dernières années de sa vie paralysé et totalement dépendant. Ses obsèques ont été célébrées dans l'église paroissiale de la petite ville de Santa Maria Hoé où il résidait.

Giuseppe Di Stefano a beaucoup enregistré entre 1944 et 1995. Sa discographie comprend ainsi plusieurs centaines d'enregistrements aussi bien dans le domaine de l'opéra que dans ceux du concert et du récital. Ses toutes premières prestations datent de 1944 et 1945 à la Radio Suisse romande (Lausanne) où il enregistre L'Elixir d'amour et Il Tabarro, mais c'est en compagnie de Maria Callas qu'il réalise dans les années cinquante ses meilleurs enregistrements d'opéras pour la firme EMI : Lucia di Lammermoor, Les Puritains, La Tosca, Paillasse, Rigoletto, La Traviata, Le Trouvère, La Bohème, Un bal masqué, Manon Lescaut, Cavalleria rusticana. Dans les années soixante, ce sera Fedora avec Renata Tebaldi (Legato), Andréa Chénier (Myto), Le Couronnement de Poppée (Myto). Au début des années 1970 sont gravés, toujours en compagnie de Maria Callas, des extraits d'airs d'opéra, mais certains à titre privé. Actuellement, bon nombre de rééditions de ses enregistrements sont disponibles sur le marché...

Denis Havard de la Montagne

Pierre BIGOT, un grand personnage du monde de la musique pour orchestre à vent en France, nous a quittés le 23 mars 2008 à Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), dans sa 77ème année. Sans avoir été réellement préparé ni formé pour faire une carrière comme chef d'orchestre d'une formation professionnelle, Pierre Bigot a joué un rôle important dans l'histoire de l'orchestre d'harmonie. Ayant connu et surtout apprécié ce charmant chef d'orchestre et compositeur qui se distinguait avant tout par sa gentillesse, sa simplicité et sa discrétion, nous avons tenu à lui rendre cet hommage en y incluant quelques extraits d'interviews réalisés lors de nos très agréables rencontres à Vaucresson.

Pierre Bigot
Pierre Bigot
( photo X..., avec l'aimable autorisation du Journal de la CMF ) DR.

Né le 27 mai 1932 à Rouen (Seine-Maritime), Pierre Bigot a des premiers contacts avec l'orchestre d'harmonie grâce aux trois formations de la ville de Saint-Malo qu'il écoute régulièrement avec grand intérêt, après la guerre lorsque sa famille s'était installée dans cette ville bretonne. Il reçoit une formation d'organiste, tout en faisant des études de criminologie et de droit qui le mènent vers une carrière dans la police. Engagé en 1958, il devient bientôt commissaire principal. Six ans plus tard, il est brusquement confronté avec l'orchestre d'harmonie - pour lequel il a gardé une passion - lorsqu'on lui propose le poste de chef adjoint de la Musique de la Sûreté qui deviendra plus tard la Musique de la Police Nationale. Puis, de fil en aiguille, il succède en 1968 à Maurice Huré à la tête de cette formation professionnelle qu'il dirigera durant dix-huit ans. L'un des plus grands mérites de Pierre Bigot est certainement d'avoir introduit le répertoire original français et étranger jusque là pratiquement inconnu en France. Il a été l'un des premiers, sinon le premier, à jouer les œuvres originales de Gustav Holst et de Ralph Vaughan Williams en France. A ce sujet nous citons ce qu'il disait du répertoire lors d'une interview : "Depuis l'ascension des disques, l'orchestre d'harmonie est considéré comme l'ersatz de l'orchestre symphonique et donc comme une forme d'orchestre inférieur. C'est pourquoi la plupart des orchestres d'harmonie se sont tournés vers la musique de variétés ce qui est fort à déplorer, car il y a tant d'autres bonnes choses à jouer et à faire écouter. Heureusement le public devient de plus en plus critique." [Pieters Francis, in "Gesprek met Pierre Bigot", in St. Cecilia, n° 370, janvier 1985, Pays-Bas] Hormis des transcriptions judicieusement choisies et un répertoire de musique symphonique légère plus récréative, Pierre Bigot joue principalement des œuvres originales et il se réjouit du fait que de plus en plus de compositeurs français se tournent vers l'orchestre d'harmonie sachant qu'ils seront plus souvent joués que par les orchestres symphoniques. II défend avec courage et persévérance les nouvelles œuvres écrites par des compositeurs contemporains français. Sa conception à ce sujet était claire : "Défendre le répertoire original est à la fois une vocation et une nécessité. Une vocation dans la mesure où tout chef d'orchestre, digne de ce nom, doit s'intéresser à ce que ses contemporains composent pour l'orchestre qu'il dirige. L'avenir nous dira ce qui restera des œuvres qui ont été écrites depuis vingt ans et que nous avons créées ou défendues, je suis persuadé qu'il en restera pas mal. C'est une nécessité pour les orchestres professionnels de donner le ton, d'indiquer la direction à prendre aux autres orchestres d'harmonie. Bien sûr, beaucoup de pièces contemporaines sont trop difficiles d'un point de vue technique pour les orchestre d'amateurs. Mais certains orchestres en sont capables, dommage qu'ils n'aient pas le temps ou ne veulent pas faire l'effort." [Ibidem] Avec la Musique de la Police Nationale il défend les œuvres de pionniers tels Ida Gotkovsky et Serge Lancen, mais également de Pierre Ancelin, Patrice Sciortino, Paul Méranger, Guy Luypaerts et bien d'autres. Il dirige une bonne trentaine de créations mondiales de compositions françaises. Avec l'orchestre d'harmonie de la Musique de la Police Nationale, Pierre Bigot a également enregistré une vingtaine de disques (voir discographie). II faut tout spécialement mentionner trois disques avec des marches françaises, souvent peu connues, enregistrées pour le projet "Heritage of the March" de Bob Hoe aux Etats-Unis (le seul orchestre français invité à participer à ce grand projet) et des disques entièrement consacrés à des œuvres de Serge Lancen, Patrice Sciortino et Guy Luypaerts.

Peu de temps avant sa retraite, le 17 juillet 1985, Pierre Bigot dirige la Musique de la Police Nationale lors de la conférence mondiale de la World Association for Symphonic Bands and Ensembles (WASBE) à Kortrijk en Belgique et crée le Concerto pour Orchestre d'Harmonie de Pierre Janssen ainsi que la Symphonie de l'Eau de Serge Lancen, en présence des deux compositeurs. Au programme, il y a Mostri de Pierre Sciortino et Thalassa de Paul Méranger. Début 1986, Pierre Bigot quitte la Musique de la Police Nationale pour préparer sa retraite comme Commissaire de police à Saint-Malo.

Une fois à la retraite, il se consacre davantage à la composition, bien qu'il se considérait lui-même plutôt "un compositeur du dimanche" [Ibidem], et fait souvent partie de nombreux jurys lors de concours pour orchestres à vent. En tant que compositeur à vocation tardive, il devait souvent combattre l'hésitation due au fait qu'il était en grande partie autodidacte. II a écrit pas mal de pièces à caractère pédagogique. En 1974, il obtient le Prix de la Confédération musicale de France, en 1979 le Prix Musique et Culture (pour Noces en Bretagne), en 1991 un autre Prix de la Confédération musicale (pour Carte postale d'Ecosse) et en 1993 on lui décerne le Premier Prix du Concours de Composition de la Fédération musicale de Bretagne (pour Musique pour un Pardon). Avec ses compositions pour chœur d'enfants, il est couronné de lauriers jusqu'à cinq fois par la Ville de Paris et l'association "A Cœur Joie". Il a également composé plusieurs pièces intéressantes pour batterie fanfare et a été vice-président, puis secrétaire, de la Fédération des Batteries Fanfares.

Pierre Bigot est décédé le dimanche de Pâques 2008. Ses obsèques ont été célébrées le jeudi 27 mars en l'église Sainte-Croix de Saint-Malo (Saint-Servan). Nous garderons un excellent souvenir de cet aimable personnalité et nous considérons un honneur de l'avoir connu. Son travail ne sera pas perdu, bien au contraire. Merci Pierre Bigot, le monde des orchestres à vent ne vous oubliera pas.

Francis Pieters
in Le Journal de la CMF, n° 535, avril 2008

Le 2 avril 2008 à l’hôpital de Coulommiers (Seine-et-Marne) s’est éteint à l’âge de 80 ans le chef d’orchestre, compositeur et pédagogue Jacques BONDON. Plusieurs fois récompensé à partir de 1957 pour l’ensemble de son œuvre, notamment en 1979 par le Prix Henri Dauberville de l’Institut de France, son langage moderne, qui fait appel à l’imaginaire, est tout emprunt d’impressionnisme contemporain. Le musicologue Marc Honegger a dit de lui qu’il était "novateur dans le domaine des timbres et du coloris orchestral." Fondateur en 1962 de l’Orchestre de Chambre de Musique Contemporaine (O.C.M.C.), devenu en 1968 Ensemble Moderne de Paris (E.M.P.), il avait défendu avec cette formation la création d’œuvres de compositeurs français modernes tels Jacques Boisgallais, Luc-André Marcel ou encore Pierre Ancelin, tout en exprimant son hostilité envers les avant-gardistes et plus précisément les sériellistes.

Jacques Bondon
Jacques Bondon
(© Patricia Dietzi - Éditions Durand / Paris)
Tous droits réservés

C’est dans le petit village provençal de Boulbon que voit le jour Jacques Bondon le 6 décembre 1927. Située aux portes de Marseille, cette ancienne seigneurie érigée en comté au début du XVIIe siècle, est notamment habitée depuis la fin du siècle suivant par les de Raousset-Boulbon et ses descendants. Vincent d’Indy, allié à cette famille, s’y rendit à plusieurs reprises pour visiter ses cousins…Dans la cité phocéenne Jacques Bondon étudie le dessin et la peinture qu’il affectionne particulièrement, tout en se livrant à l’apprentissage du violon. Arrivé à Paris à l’âge de 19 ans (1946), il opte pour une carrière musicale et se perfectionne auprès du violoniste André Proffit (1903-1992), un ancien élève de Jules Boucherit au Conservatoire de musique et de déclamation devenu soliste et chambriste réputé (Quatuor de l’Atelier), tout en travaillant le contrepoint et la fugue auprès de Charles Koechlin. Parallèlement, il entre au Conservatoire pour étudier l’harmonie avec Georges Dandelot, ainsi que la composition avec Jean Rivier et Darius Milhaud. Durant ses études, pour subvenir à ses besoins, Jacques Bondon est violoniste dans l’orchestre d’André Saury au Moulin-Rouge (1949 à 1953). De cette époque datent ses premières compositions : Chant d’amour et de peine pour voix et piano ou petit orchestre (Editions musicales transatlantiques, 1952), Essai pour un paysage lunaire pour orchestre de chambre, op. 1 (inédit, 1952), Petite Suite pour trois instruments (3 vents), op. 2 (EMT, 1952), Sonatine d’été pour piano et violon (EMT, 1953), Quatuor d’ondes Martenot "Taillis ensorcelé" (inédit, 1954). Quelques années plus tard, avec l’O.C.M.C. puis l’E.M.P., il se lance dans une carrière de chambriste au cours de laquelle il se fait un devoir de mieux diffuser la musique de ses contemporains. Parallèlement à ses activités d’interprète et de chef d’orchestre, il poursuit au fil des années la construction d’une œuvre dans laquelle il donne libre court à son imagination et affirme une liberté d’expression. Rapidement elle est reconnue par ses pairs et lui vaut de nombreuses récompenses : Grand prix musical du Conseil général de la Seine (1963), Second Prix en 1964 du Concours international Prince Rainier de Monaco pour son opéra La Nuit foudroyée (1963 Choudens, sur des paroles d’Yvon Mauffret), Grand Prix de l’Académie du Disque Français (1972), Prix de composition musicale de l’Institut de France (1979). Au début de ses activités de compositeur, où il avait expérimenté des techniques d’écriture ultramoderne avant d’évoluer vers un système plus personnel, il reçut également en 1957 le 1er Prix du Concours Nicolas Obouhov, du nom de l’inventeur d’un système de notation enharmonique appelée "harmonie absolue" (Honegger a également écrit quelques oeuvres avec cette notation)… En 1963, Jacques Bondon est nommé membre du Comité de la musique à l’O.R.T.F., poste qu’il occupe jusqu’en 1966. Une dizaine d’années plus tard (1974), il intègre la Commission nationale de la musique populaire au Ministère des Affaires culturelles, avant de prendre en 1981 la tête du Conservatoire de musique du XXème arrondissement parisien (Conservatoire Gustave Bret).

Son œuvre musicale, qui comporte une centaine de pièces, est variée et aborde tous les genres : des pages pour orchestre : Ivanhoé, Ouverture pour une fête, Sinfonia, Suite indienne, Symphonie latine, Grande Marche triomphale… et une Suite pour les Xe Jeux, pour chœurs et orchestre (1967, Eschig), commande d’Etat pour l’ouverture officielle des jeux olympiques d’hiver de Grenoble (1968) ; de la musique concertante : Concerto de Printemps pour piano, Concerto de Mars pour guitare, Concerto d’Octobre pour clarinette, Concerto de Molines pour violon, Concerto solaire pour 7 cuivres, Concerto cantabile pour violoncelle, Concerto con fuoco pour guitare, Concerto pour un ballet pour flûte, Concerto vivo pour harpe… ; de la musique de chambre : Le Tombeau de Schubert pour piano et 4 cordes, Les Folklores imaginaires (3 Suites, pour 5 vents, pour flûte, violon et guitare, pour 2 guitares), Mouvement chorégraphique pour flûte et piano, Musique pour un jazz différent pour 4 percussions, Quatuor à cordes…) ; quelques œuvres pour piano (Danse baroque, Les Insolites) et pour guitare (3 Nocturnes, Swing n° 2) ; 5 opéras : La Nuit Foudroyée (1963), Les Arbres (1964, opéra de chambre), Mélusine au rocher (1968), Ana et l’albatros (1970), I 330 (1975), 2 oratorios : La Résurrection (1975) et Le Chemin de croix (1985), un ballet : La Maya (1965) ; ainsi que des musiques pour le cinéma ou la télévision, parmi lesquelles les long-métrages La Verte moisson de François Villiers (1959) avec Pierre Dux, Dany Saval, Jacques Perrin et Claude Brasseur, Point mort d’Ody Ross (1984), Les Visages de bronze de Bernard Taisant, primé en 1958 au Festival de Cannes, et de nombreux autres documentaires ou fictions des réalisateurs Jean Lehérissey, Edouard Berne, Jacques Valentin, Jean Dasque, Pierre Jallaud… En dehors de quelques oeuvres éditées par Heugel, Choudens, EMT et Billaudot, la plupart l'est par Eschig et plus récemment (depuis 2005), Delatour a publié une dizaine de ses partitions, dont "4 Pièces brèves pour violoncelle seul" (Berceuse, Le Manège, Message, Danse slave), "Contes et féeries pour piano" (Le visage aux mille lueurs, L'automate de cristal, L'arbre qui chantait avec les étoiles, Danse et grand choral des ondines, Les caravelles de lumière, La rivière aux libellules bleues), une réduction pour 2 violons et piano de son Double Concerto pour 2 violons et orchestre, un Quatuor n° 2 ("à Stasia") pour 2 violons, alto et violoncelle, et une Suite Fantaisie pour clarinette en si bémol et quatuor à cordes. Si plusieurs de ses oeuvres ont été autrefois enregistrées, principalement par Erato, RCA et Columbia (notamment son Kaléidoscope pour ondes Martenot et orchestre, qu'il dirige lui-même, avec Jeanne Loriod et l'Orchestre de Chambre de Musique Contemporaine, disque 33 tours Columbia OS 823 RE), de nos jours seules quelques unes d'entre elles sont disponibles en CD dont son Concerto pour clarinette et orchestre, enregistré par Jean-Marc Fessard et l'Orchestre philharmonique de Poznam (label Dux, sorti en 2003), et Le Soleil multicolore pour flûte, alto et harpe, enregistré par "The Debussy Trio" (label Sierra Classical, sorti en 1990) et par le "Sabeth Trio Basel" (label Pan, sorti en 1997).

Retiré dans le petit village de Saint-Augustin, dans la Brie, Jacques Bondon est mort au centre hospitalier de Coulommiers et ses obsèques ont été célébrées le 7 avril 2008 en l'église Saint-Martin de Saints (Seine-et-Marne).

Denis Havard de la Montagne

Le 5 mai 2008 à Paris est décédée la soprano colorature Eliane MANCHET à l'âge de 72 ans. Engagée à l'Opéra de Paris en 1968, elle fit cependant l'essentiel de sa carrière sur de grandes scènes de province et à l'étranger. Au sein de son vaste répertoire allant de Platée ou Junon jalouse (La Folie) au Chevalier à la Rose (Sophie) et de Roméo et Juliette (Juliette) à La Traviata (Violetta), en passant par Faust (Marguerite), Les Noces de Figaro (Suzanne), La Flûte enchantée (la Reine de la nuit) et Cosi fan tutte (Fiordiligi), c'est assurément avec Pelléas et Mélisande (rôle de Mélisande), qu'elle chante en 1973 à la Scala de Milan, sous la direction de Georges Prêtre, qu'elle se fait un nom. En 1988, elle enregistre d'ailleurs l'œuvre de Debussy, aux côtés de Malcom Walker (Pelléas), avec l'Orchestre philharmonique de Nice et les Choeurs de l'Opéra de Nice placés sous la direction de John Carewe (coffret 2 CD's, disques Pierre Vérany 788093). Mais une mononucléose apparue en 1977 l'oblige à se retirer de la scène et à son retour en 1980 elle choisit de se consacrer davantage à la musique contemporaine et à l'enseignement, pour être ces dernières années professeur de rôles à la Scala.

Éliane Manchet
Éliane Manchet
( photo X... ) DR

Fille d'un Officier de carrière originaire de la région de Montbéliard, et d'une mère normande (Claire Cotte), Eliane Schaaf est née le 26 mai 1935 à Bamako (Mali) où son père, Georges Schaaf était alors en garnison. A la déclaration de la guerre, la famille s'installe en Tunisie où le militaire est affecté, rejoignant plus tard l'Armée Delattre avec laquelle il participe en 1944 à la Campagne d'Afrique du Nord. L'année suivante, c'est en Autriche, à Insbrück, que les Schaaf sont installés, ou le chef de famille est en garnison et au cours de l'année 1946, après sa démobilisation, ils rejoignent le Doubs pour s'installer à Pont-de-Roide. Eliane Schaaf entre alors au Lycée de Montbéliard puis effectue des études d'infirmière à la faculté de médecine de Besançon et débute une carrière médicale dans une clinique de Montbéliard où elle est l'assistante d'un chirurgien du nom de Manchet. Tout juste âgée d'une vingtaine d'années, elle l'épouse bientôt mais deviendra veuve à l'âge 32 ans (c'est sous le nom de MANCHET qu'elle fera une carrière artistique). Dotée d'une belle voix de soprano colorature, elle chante à cette époque dans les chorales des temples protestants de Pont-de-Roide et de Montbéliard. C'est là qu'elle est remarquée par Thérèse Skutnik qui fréquente également ces lieux. Professeur de chant au Conservatoire de Belfort, où son mari y enseigne le piano, elle la convainc de travailler sa voix et la fait entrer dans sa classe de chant. C'est ainsi qu'au début des années soixante, à l'âge de 26 ans, elle entreprend des études musicales et dès l'année suivante rejoint la classe de chant de Marcelle Bunlet (1900-1991) au Conservatoire de Strasbourg. Cette soprano, l'une des plus grandes voix françaises du répertoire wagnérien, avait débuté à l'Opéra de Paris en 1925 et s'était retirée de la scène en 1950 pour se consacrer à l'enseignement. Prix d'excellence du Conservatoire de Strasbourg (1964), Eliane Manchet remporte en 1965 le second prix du Concours international de chant de Toulouse puis effectue ses débuts en 1966 à l'Opéra de Lyon dans Rigoletto (rôle de Gilda). L'année suivante, et pour 3 saisons, elle est engagée par le Théâtre de La Monnaie à Bruxelles où elle se produit dans Le Comte Ory de Rossini (la Comtesse Adèle de Formoutiers). Elle chante également sur cette scène le rôle de La Folie du Platée ou Junon jalouse de Rameau, aux cotés de Michel Sénéchal et Jules Bastin, sous la direction de Louis de Froment (octobre, novembre 1968). Cette incursion dans le domaine baroque se reproduira à plusieurs reprises, avec entre autres l'enregistrement en 1974 de l'opéra Amadis de Gaulle de Jean-Baptiste Lully, à nouveau avec Michel Sénéchal et Jules Bastin, ainsi que Robert Massard, Jacques Villisech, Odile Pietti, l'Orchestre de chambre et les Choeurs de l'O.R.T.F. dirigés par Bruno Amaducci (Open Reel Tape, mr. Tape 3746). En 1970, c'est à l'Opéra-Comique de Paris qu'elle est applaudie lors de la création de L'Annonce faite à Marie (rôle de Violaine) de Renzo Rossellini (1908-1982). Plus tard, aux côtés de Christiane Stutzmann, elle l'enregistre avec l'Orchestre et les Chœurs de la R.A.I., sous la direction de Georges Sebastian. Cette même année, elle chante Mélisande à l'Opéra d'Amsterdan dans une mise en scène de Pierre Médecin qu'elle épouse en secondes noces deux années plus tard. Futur directeur général de l'Opéra-Comique de 1993 à 2000, celui-ci est longtemps lié à l'Opéra de Nice, tout d'abord comme conseiller artistique à partir de 1959, puis comme directeur (1982). Metteur en scène reconnu, il assure actuellement la présidence de la Chambre professionnelle des directeurs d'Opéra depuis 1999. A partir de 1974, le palais Garnier accueille Eliane Manchet à plusieurs reprises pour chanter Manon, Parsifal et son rôle fétiche de Mélisande. A cette époque on la voit également se produire à l'Olympia dans Les Contes d'Hoffmann, à la Salle Favart le 9 décembre 1976 dans Le Comte Ory avec Michel Sénéchal et Renée Auphan (direction : Michel Plasson) et à travers toute la France (Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice, Strasbourg, Rouen...) ainsi qu'en Europe : Allemagne (Berlin, Francfort, Düsseldorf, Cologne), Italie (Rome, Turin, Florence, Venise, Naples), Autriche (Vienne), Portugal (Lisbonne), Hollande (Amsterdam), Suisse (Genève), Roumanie (Bucarest), Monte-Carlo... Elle collabore aussi quelque temps avec le metteur en scène Jean-Pierre Ponnelle (1932-1988) pour chanter Mozart, notamment à Cologne (aux côtés de Lucia Popp), à l'Opéra de Munich, et la Reine de la nuit de La Flûte enchantée à Strasbourg.

En 1977, une maladie l'empêche de poursuivre sa carrière sur scène l'obligeant à un long repos de 3 années. Eliane Manchet continue néanmoins l'enseignement du chant à l'Ecole de musique de Cologne qu'elle a débuté en 1976 et qui se poursuivra jusqu'en 1994. A partir de 1986, et durant une dizaine d'années, elle professe également au Conservatoire National de Région de Nice, ainsi que dans les conservatoires municipaux parisiens des 8e et 10 arrondissements (1988 à 2001) et à l'Atelier lyrique de Lyon (1994 à 2001). A partir de 2001, elle se consacre plus particulièrement à dispenser son art aux artistes lyriques comme professeur de rôles et de chant aux Opéras d'Oslo, Rome, Leipzig, Liège et Strasbourg. Enfin, en 2005, c'est la Scala de Milan qui l'engage pour ses qualités de pédagogue.

On doit à Eliane Manchet quelques enregistrements, parmi lesquels il convient de mentionner (en plus de ceux déjà cités) : La Chauve-souris de Johann Strauss, avec Bernard Sinclair, sous la direction d'Adolphe Siebert (enregistrement de l'O.R.T.F., Sélection du Reader' digest, CD 3159.6), Les Brigands d'Offenbach, aux côtés de Dominique Tirmont, Micaël Piéri, André Mallabrera, sous la direction de Jean Doussard (Vega 1625 ou Decca SSL 40231), Louise de Gustave Charpentier (rôle de Camille), avec Ilenas Cotrubas, Placido Domingo, Gabriel Bacquier, Jane Berbié, l'Ambrosian Opera Chorus et le New Philharmonia Orchestra dirigés par Georges Prêtre (coffret 3 disques 33 tours, CBS 79302 [1976], réédition coffret CD's en 1990, Sony classical S3K46429). Signalons encore un remarquable enregistrement chez BNL (112773), réalisé entre septembre 1989 et janvier 1990, dans lequel la chanteuse (accompagnée au piano par Olivier Gardon, ainsi que par l'Orchestre Philharmonique de Noce dirigé par Claire Gibault) nous montre sa parfaite maîtrise du répertoire mélodique contemporain français, avec les "Cocteau mélodies" (oeuvres de Georges Auric, Darius Milhaud, Francis Poulenc, Germaine Tailleferre, Arthur Honegger, Georges Van Parys, Louis Durey). On lui doit aussi une Etude sur le chant en Europe, du XVe siècle à nos jours (1977).

Sportive à ses heures, s'adonnant à la natation (membre du Racing Club de France), cette artiste lyrique au tempérament affirmé a été emportée par la maladie au cours de laquelle elle fit preuve de beaucoup de courage. Ses obsèques ont été célébrées le 13 mai 2008 en l'église Saint Honoré d'Eylau à Paris 16°. Durant cette cérémonie le baryton Franck Ferrari, de l'Opéra de Nice, interpréta avec beaucoup d'émotion l'admirable Libera me du Requiem de Fauré.

Denis Havard de la Montagne

Surnommée "La Diva Turque", la soprano Leyla GENCER s’est éteinte le 10 mai 2008 à Milan, à l’âge de 80 ans. Installée en Italie depuis plus d’un demi-siècle, elle y a fait toute sa carrière, notamment à la Scala où elle débutait en 1957. Mal connue du grand public, cette interprète des héroïnes de Donizetti a en outre peu enregistré en studio. Et pourtant, son timbre de voix a souvent été qualifié de "superbe" et grand était son sens de la musicalité. D’aucuns l’ont parfois comparée à La Callas pour son engagement dramatique. Elle s’était notamment produite le 26 septembre 1983 à Paris lors de l’ouverture des festivités de la septième saison des "Lundis musicaux du Théâtre de l’Athénée" dans une admirable interprétation de 17 Polish songs de Chopin (avec Nikita Magaloff au piano).

Leyla Gencer
Leyla Gencer
( Photo X... ) DR

C’est en Turquie, à Istanbul, qu’est née Ayse Leyla Ceyrekgil le 10 octobre 1928, fille d'Hasanzade Ibrahim Ceyrekgil, riche commerçant et d'Alexandra Angela Minakovska, d'origine polonaise. Elle débute des études musicales au Conservatoire de sa ville natale, et épouse à l'âge de 18 ans, en 1946, Ibrahim Gencer un jeune banquier rencontré au Lycée italien. En 1949, elle rejoint le Conservatoire d'Ankara où elle a notamment pour professeur de chant la soprano espagnole Elvira de Hidalgo (1892-1980) qui avait été auparavant au Conservatoire d'Athènes le professeur de Maria Callas. Parallèlement, elle se perfectionne en cours particuliers auprès de la soprano italienne Giannina Arangi-Lombardi (1891-1951). Ancienne gloire de la Scala de Milan dans les années vingt qui chanta notamment en Australie en 1924 aux côtés de Nellie Melba, c’est elle qui lui fit découvrir le répertoire lyrico-dramatique italien dans lequel elle va se spécialiser. En 1950 à Ankara, alors membre du Choeur du Théâtre National Turc, Leyla Gencer débute sur scène dans le rôle de Santuzza de Cavalleria Rusticana et commence à se faire connaître du public turc. Peu après, elle se rend en Italie pour achever ses études de chant auprès du baryton Appolo Granforte (1886-1975), un spécialiste des opéras de Verdi et de Wagner, qui avait également fait partie de la troupe de Nellie Melba lors de sa tournée en Australie. Elle travaille aussi auprès de Roberto Di Fernando, Adolfo Camozzo, Domenico Trezzio et plus spécialement l'opéra allemand avec Georg Reinwald. Le 16 juillet 1953, on la voit se produire à l’Arena Flegrea de Naples dans Cavalleria rusticana avant de bientôt chanter dans Madame Butterfly (11 février 1954) et dans Eugene Onegin (17 mars 1954) au Théâtre San Carlo. Trois années plus tard, c’est la Scala de Milan qui lui ouvre ses portes où elle paraît sur scène pour la première fois le 26 janvier 1957 pour la création du Dialogue des Carmélites de Poulenc (Mme Lidoine), sous la direction de Nino Sanzogno. Au cours des années suivantes, outre San Carlo et la Scala, elle chante dans les principaux théâtres italiens (Turin, Palerme, Trieste, Venise, Gène, Vérone, Parme, Florence) et sur bien d’autres scènes européennes (Belgrade, Lausanne, Varsovie, Moscou, Leningrad, Londres, Glyndebourne, Vienne, Salsbourg, Barcelone, Monte-Carlo, Paris), ainsi qu'aux Etats-Unis (San Francisco, Philadelphie, New York, Chicago, Dallas, La Nouvelle Orléans) et à Buenos Aires et Rio de Janeiro. Si au départ elle embrasse des rôles lyrico-dramatiques avec des opéras principalement verdiens (Rigoletto, Le Trouvère, la Traviata, Simon Boccanegra, Un Bal masqué, Aïda, Don Carlos), elle ne tarde pas à l’élargir en abordant dès 1958 le répertoire du bel-canto dans lequel elle va exceller, notamment dans d’autres opéras de Verdi (La Battagna di Legnano, Macbeth), de Rossini (Elisabetta regina d’Inghilterra), de Bellini (Norma, Beatrice di Tenda, I Puritani) et surtout de Donizetti : Lucrezia Borgia, Belisario, Roberto Devereux, Maria Stuarda, Anna Bolena, Caterina Cornaro, Les Martyrs. Plus de 70 rôles sont inscrits à son répertoire, dans lequel on trouve également des opéras de Cherubini (Medea), Simon Mayr (Medea in Conrinto), Gluck (Alceste), Ponchielli (La Gioconda), Zandonai (Francesca da Rimini), Mozart (Don Giovanni), Massenet (Manon, Werther), Cilea (Adriana Lecouvreur), Monteverdi (L'Incoronazione di Poppea), Pizzetti (Lo Straniero), Tchaikovsky (La Dama di Picche), Prokofiev (L'Angelo di fuoco), Britten (Albert Herring)...

Leyla Gencer se retire de la scène de théâtre en 1985, tout en donnant encore des concerts jusqu’en 1992. S'étant toujours produite comme récitaliste, parallèlement à sa carrière théâtrale, son répertoire dans ce domaine est également vaste, comportant de nombreux arias extraits de son répertoire d'opéras de Donizetti, Verdi, Bellini, Rossini et aussi de Debussy (L'Enfant prodigue), Gounod (Faust), Haendel (Joshua, Alcina), Rameau (Hippolyte et Aricie, Les Indes galantes), Pergolèse (L'Olimpiade), Meyerbeer (Il Crociato in Egitto), ainsi que des fragments de grandes œuvres chorales chantées par ailleurs (Les Nuits d'été de Berlioz, le Requiem de Verdi et celui de Donizetti, le Stabat Mater de Rossini, des motets de Mozart et de Vivaldi) et des mélodies, chants et autres lieder de Bellini, Donizetti, Rossini, Bizet (Le Matin), Poulenc (8 Chansons polonaises), Ravel (Mélodies populaires grecques), Debussy (Les cloches), Fauré (Clair de lune, Après un rêve, Ici bas)... Simultanément, elle se livre davantage à l'enseignement qu'elle avait déjà abordé depuis 1982, année où elle avait été nommée directrice artistique de l'"Associazione Lirica e Concertistica Italiana" (As.Li.Co.) de Milan qui s'occupe notamment de la formation des jeunes chanteurs. Plus tard, elle occupe des fonctions identiques à l'école d'opéra de la Scala, donne aussi de nombreuses masterclasses et, à partir de 1995, préside à Istanbul le concours international de chant le "Leyla Gencer Voice Competition", fondé par la "Turkey's Yapi Kredi Bank", dont l'un des dirigeants n'est autre que son mari, et à présent placé sous l'égide de la "Istanbul Foundation for Culture and Arts".

Curieusement, aucune grande maison de disques ne s'est jamais vraiment intéressée à Leyla Gencer, l'une des dernières gloires belcantistes du XXe siècle et c'est ainsi que les CD actuels, assez nombreux au demeurant, ne concernent pratiquement que des enregistrements "live", dont la qualité n'est pas toujours au rendez-vous. Ils permettent cependant de réécouter avec beaucoup de plaisir celle que l'on surnommait "The Turkish Diva", déclarée en 1988 "State artist" par le Président de la république turque. Parmi les nombreux disques disponibles sur le marché, on peut mentionner Béatrice di Tenda enregistré à la Fenice de Venise en janvier 1964 (Morgan Records, Myto), La Norma en octobre 1966 à la Scala de Milan (Myto), Anna Bolena en juillet 1958 à Milan (Myto, Sony), Rigoletto en juin 1967 à Buenos Ayres (Myto), Macbeth en avril 1968 à Venise (Opera Italiana, Melodram), Simon Boccanegra en août 1961 à Salzburg (Opera d'Oro), La Traviata en août 1964 à Rio de Janeiro (Bongiovanni), Lucrezia Borgia en octobre 1971 à Bergame (Myto), Les Martyrs en juin 1978 à Venise (Italian Opera Rarities), Maria Stuarda en mai 1967 à Florence (Nuova Era)..., ainsi que ses récitals à Paris en 1980, 1981 et 1985 (Bongiovanni).

Récompensée par un "Puccini Honorary Award" de la prestigieuse Fondation Licia Albanèse-Puccini, qui lui avait été remis au Lincoln Center de New York en novembre 2002, Leyla Gencer est décédée le 10 mai. Ses obsèques ont été célébrées à Milan en l'église San Babila, suivies de sa crémation et, suivant ses souhaits, le 16 mai ses cendres ont été dispersées à Istanbul sur les eaux du Bosphore.

Denis Havard de la Montagne

 


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