Le 10 août 2000 à Fiesole (Italie) est décédée Suzanne DANCO, à l’âge de 89 ans. Son exceptionnelle carrière de soprano, tant en représentation d’opéras qu’en récital, dura de la fin des années 30 jusqu’en 1970. Née à Bruxelles le 22 janvier 1911, elle ne reçut pas, dit-on, beaucoup d’encouragements de sa famille lorsqu’elle décida de s’orienter vers le métier de cantatrice et dut au soutien de la reine de Belgique de pouvoir aller jusqu’au bout de ses études au conservatoire de Bruxelles, puis à celui d’Erich Kleiber, qui l’avait découverte en 1936 lors d’un concours à Vienne, de pouvoir achever celles qu’elle avait entreprises sur ses conseils avec le ténor Fernando Carpi. En janvier 1939 Kleiber écrivait à la mère de Suzanne : " votre fille possède une voix de mezzo colorature comme il en existe très peu ".
|
Suzanne Danco
CD "The Singers", oeuvres de Bizet, Debussy, Mozart, Massenet... ( Decca, 2002 )
|
Mezzo ? C’est bien dans ce registre qu’elle commença sa carrière, mais sa tessiture avait une telle amplitude qu’on l’entendra très vite dans des rôles tels que Donna Anna, Violetta ou Mimi. Ses grands rôles furent d’abord mozartiens : Fiordiligi (rôle avec lequel elle fit ses débuts en scène en 1941 à Gènes), Cherubino (qu’elle enregistra en 1951 avec E. Kleiber), Donna Elvira (qu’elle interpréta la même année au festival de Glyndebourne), Donna Anna (qu’elle enregistra avec Joseph Krips en 1955) ; mais parmi les rôles dans lesquels son interprétation fit référence, il faut ajouter –sans être exhaustif - : Ellen Orford (dans Peter Grimes, qu’elle créa à la Scala en 1947), Jocaste (dans Oedipus Rex, l’année suivante à la Scala), Mélisande (dont l’enregistrement en 1952 sous la baguette d’Ansermet fit date), Concepción (dans l’Heure Espagnole en 1953 à nouveau sous la direction d’Ansermet)… Outre ses interprétations d’opéra, Suzanne Danco consacra une part importante de sa carrière aux récitals, et particulièrement à la mélodie française, et dans ce domaine aussi sa collaboration avec Ernest Ansermet et l’orchestre de la Suisse Romande donna les plus beaux résultats : le jugement porté en 1994 par les auteurs des Indispensables du disque compact classique (éd. Fayard) selon lequel il est " impossible de dépasser " leur interprétation de Shéhérazade de Maurice Ravel demeure tout à fait valide. A partir de 1970, Suzanne Danco se consacra à l’enseignement à l’Académie Chigiana de Sienne puis à la Britten-Pears School.
Certains ont reproché à Suzanne Danco une certaine froideur alors que les mots de sobriété, de pudeur, voire d’humilité, mais surtout celui de classicisme, qualifient le mieux son art, fait de précision tant musicale que de diction, sans que l’émotion et l’expression en soient jamais absentes. Ce qu’écrivait, au lendemain de son passage en 1950 au Covent Garden, un critique britannique à propos de sa Mimi " capable d’atteindre des sommets d’émotion dans la plus grande sobriété " [cité par Danièle Laruelle, in Portrait, accompagnant le CD du récital de Vichy 1955 publié par INA-Mémoire vive] caractérise l’ensemble de son œuvre.
Jean-Luc Pirovano
Le 17 août 2000 à Milan s’est éteint le compositeur italien Franco DONATONI à l’âge de 73 ans. Né à Vérone, le 9 juin 1927, il avait fait ses études musicales à Milan, Bologne puis à l’Académie Sainte-Cécile de Rome, d’où il était sorti en 1953 avec tous ses diplômes en poche, après avoir travaillé auprès d’Ildebrando Pizzetti, qui, rappelons le, représente la tendance romantique de la musique moderne italienne. A son tour Donatoni enseigna au Conservatoire Verdi de Milan, à celui de Turin et surtout à l’Accademia Musicale Chigiana de Sienne. Considéré comme l’un des plus grands musiciens italiens de cette fin de siècle, il était connu du public français depuis le début des années 70. En 1998, le Festival Musica de Strasbourg lui avait commandé un opéra-comique, Alfred-Alfred. Le musicien s’était inspiré de mésaventures qui lui étaient arrivées lors d’une hospitalisation récente ! Compositeur prolifique, on lui doit de nombreuses œuvres pour la scène, pour orchestre ou encore de la musique de chambre et de la musique vocale. Parmi ses oeuvres les plus significatives, il faut relever son étude de musique de scène Puppenspiel I (Palerme, 8 octobre 1962) qui sera suivie de Puppenspiel II pour flûte et orchestre (Valdagno, 17 septembre 1966), son Per orchestra (1962), son Souvenir (Kammersymphonie) pour 15 instruments (Festival de Venise, 12 septembre 1967), son Movimento pour clavecin, piano et 9 instruments (1959) et sa musique pour la pièce de théâtre Atem (1984). Son œuvre ultime, qu’il venait tout juste d’achever, Esa, était destinée à l’Orchestre symphonique de Los Angeles en hommage au chef d’orchestre finlandais Esa-Pekka Salonen, qu’il avait eu pour élève à Sienne. Ce qui caractérise la musique de Donatoni c’est l’adoption d’un système de techniques sérielles sans renier une certaine structure baroque.
C’est le 17 septembre 2000 à Paris qu’est mort le comédien chanteur Armand MESTRAL, des suites d’une longue maladie. Né en 1917 dans le quatorzième arrondissement parisien, de son vrai nom Armand Zelikson et fils d’un sculpteur, il avait fréquenté le Conservatoire de Paris avant d’être engagé comme basse chantante à l’Opéra-Comique et à la Gaité-Lyrique. Il se produisait alors aussi bien dans Le Barbier de Séville que dans des opérettes ou comédies musicales comme Mississipi, Ma cabane au Canada ou encore Colorado. Dans les années cinquante il fit également ses débuts au théâtre et au cinéma. C’est ainsi qu’on put le voir dans la pièce de Brecht, Grandeur et décadence de la ville de Mohagonny et dans le film de René Clément (1956), Gervaise, inspiré de Zola, où il incarnait Lantier aux côtés de Maria Schell. Un peu plus tard, on le revit dans Le Grand Pardon d’Alexandre Arcady (1983) et l’année suivante à la télévision avec l’interprétation de Napoléon III dans L’Homme de Suez de Christian-Jaque.
Homme du spectacle complet, il a également touché avec succès à la variété en enregistrant de nombreuses chansons populaires. Parmi son répertoire citons l’Ave Maria de Schubert (paroles de Bélanger), l’Angelus de la Mer (Durocher/Goublier, 1894), le Credo du paysan (Borel/Goublier , 1890) et le célèbre chant traditionnel russe, Plaine ma plaine. Il s’était même pris de passion pour la peinture !
|
Rudi Hirigoyen ( Coll. D.H.M. )
|
Son fils, Patrice Mestral, élève de Lucette Descaves et Marcel Beaufils au CNSM de Paris, et de Pierre Dervaux à l’Ecole normale de musique, mène actuellement une carrière de compositeur, chef d’orchestre et pédagogue. On lui doit des pièces pour orchestre, des pages chorales et de la musique de chambre.
Chevalier de la Légion d’honneur, ses obsèques se sont déroulées le 22 septembre au crématorium du Père Lachaise.
Le 24 octobre 2000, à Lyon, le ténor d’opérette d’origine basque Rudi HIRIGOYEN nous a quittés. Né le 29 août 1919, il avait été révélé, avant la seconde guerre mondiale, par des radio-crochets et un concours de la chanson française à Nice. De retour de captivité en 1941, il débutait dans les chœurs du Châtelet et chantait l’opérette au Casino de Paris et au Palace. La Belle de Cadix, Le Chanteur de Mexico et Méditerranée lui valurent quelque succès, mais c’est plus tard, dans les années soixante, que sa notoriété fut définitivement assise avec plusieurs opérettes écrites à son intention : Farandole d’amour de Jacques Ledru en 1962 et Viva Napoli, jouée plus d’une centaine de fois au Châtelet puis à Mogador en 1969. Fandango de Francis Lopez, donnée à l’Elysée-Montmartre, fut un de ces derniers succès parisiens, les grandes salles parisiennes ayant ensuite retiré l’opérette de leur programmation. Il dut alors, jusqu'à un âge avancé, se produire dans les opéras de province.
|
Suzanne Haik-Vantoura ( avec l'aimable autorisation de M. John Wheeler, KING DAVID'S HARP, INC. )
|
La musicologue, organiste et compositeur Suzanne HAIK-VANTOURA est décédée en Suisse, à Lutry (canton de Vaud), le 22 octobre 2000. Née le 13 juillet 1912 à Paris, fille d'Izra Vantoura (ébéniste) et d'Alice Ullmann, Suzanne Vantoura avait rejoint le CNSM où elle obtenait un 1er prix d'harmonie en 1934 dans la classe de Paul Fauchet, puis un accessit de composition en 1938 dans celle de Roger Ducasse. Elle suivit également la classe d'orgue de Marcel Dupré au début des années quarante. Mariée à Paris, en 1949, à Maurice Haik (décédé en 1976), elle commença par se consacrer à l’enseignement et à la composition. C’est ainsi qu’on lui doit notamment un Quatuor à cordes, sept Motets, un Poème pour piano et orchestre et un poème liturgique, Judas le pieux. Egalement organiste à Paris, tout d'abord à la Synagogue de la rue Copernic (1946-1953) et plus tard à l'église Sainte-Hélène (1966 à 1979), elle avait rejoint en 1969 les rangs de l’Union des Maîtres de Chapelle et Organistes, alors présidée par Henri Büsser. Peu de temps après elle se passionnait pour le mystère du sens des signes musicaux contenus dans la Bible hébraïque et réussissait à en retrouver le sens puis à en établir une grille de lecture. Elle put ainsi faire éditer cinq mille versets dans leur mélodie originelle et a publié en 1976 le résultat de ses travaux dans son livre La musique de la Bible révélée. Une notation millénaire décryptée (Ed. Robert Dumas, 503 pages, fort in-8). Ses recherches sont actuellement poursuivies par Gilles Tiar dans un institut créé en Israël, portant le nom de " Shir Hashirim ". Elle résida longtemps dans un appartement de la rue d’Artois (Paris, IXe), non loin de la maison où mourut, en 1863, le poète et romancier Alfred de Vigny.
Le célèbre baryton-basse autrichien Walter BERRY est mort brutalement d’un infarctus, le 27 octobre 2000, en son domicile à Vienne. Devenu l’un des piliers de l’Opéra de Vienne, où il interpréta plus de 100 rôles au cours de 1300 représentations, et du Festival de Salzbourg, il s’était tourné assez tard vers la musique après avoir reçu une formation d’ingénieur et avait fait ses premières armes en 1950 à l’Opéra de Vienne. Le Met de New-York l’avait accueilli en 1966 dans le Die Frau ohne Schatten de Richard Strauss, où il interprétait le rôle de Barak. A Paris il a notamment créé à l’Opéra le Wozzecck de Berg, sous la direction de Pierre Boulez. Bien qu’ayant quelques affinités avec Mozart et Richard Strauss, il se distinguait aussi dans les opéras wagnériens ; on se souvient du rôle de Wotan dans la Tétralogie. Avec sa première épouse, la mezzo allemande Christa Ludwig, ils ont souvent chanté ensemble (Carmen et Escamillo...) Depuis quelques années il se consacrait plus particulièrement à l’enseignement au Conservatoire de Vienne.
|
Jacqueline Brumaire (DR)
|
Le 29 octobre 2000 à Nancy, la cantatrice française Jacqueline BRUMAIRE s’en est allée dans sa soixante-dix-neuvième année. Née le 5 novembre 1921 à Herblay (Val-d’Oise), cette soprano lyrico spinto avait fait des études de piano au Conservatoire de Paris, tout en apprenant seule le chant. En 1946, elle débutait à l’Opéra-Comique dans le rôle de Comtesse des Noces de Figaro et dans celui de Juliette de Roméo et Juliette. Commençait alors pour elle une brillante carrière qui, durant un quart de siècle, la mènera également à la Scala de Milan, en Espagne, en Suisse et en Belgique. Sa voix chaude, ses aigus étendus et son jeu subtil lui permettront d’aborder un vaste répertoire : Mimi, dans la Bohème (Puccini), Micaëla, dans Carmen (Bizet), Antonio, dans Les Contes d’Hoffmann (Offenbach), Marguerite, dans le Faust de Gounod, Fiordiligi, dans Cosi fan tutte et Dona Anna, dans Don Giovanni (Mozart)... Elle a également créé plusieurs opéras contemporains, comme Madame Bovary (Emmanuel Bondeville, 1951), Don Juan de Manara (Henri Tomasi, 1952) et d’autres œuvres de Manuel Rosenthal et Darius Milhaud. Retirée de la scène au début des années soixante-dix, elle se consacrait ensuite à l’enseignement au Conservatoire de Lyon et prépara le Chœur de l’Opéra de Nancy. Nommée à la Commission du chant de la Direction nationale de la musique au Ministère de la culture, elle fut envoyée en Chine afin de participer à la création de Carmen par une équipe chinoise, dans une mise en scène de René Terrasson et sous la direction de Jean Périsson. Elle a laissé une autobiographie, La Baraka.
Spécialiste incontesté de la musique légère, se disant lui même " ...le premier produit français d’exportation pour les disques... ", Franck POURCEL est mort le 12 novembre 2000, dans sa maison de Neuilly-sur-Seine, des suites de la maladie de Parkinson. Enregistrés pour EMI, ses disques ont toujours remporté un immense succès en France, mais également aux Etats-Unis et au Japon. Il était courant que ses albums dépassent le million d’exemplaires ! Malgré ce succès, c’était un homme modeste et, au contraire d’autres phénomènes du même genre, un excellent musicien. Né à Marseille le 14 août 1913, son père l’avait prénommé Franck par admiration de César-Franck ! Elève du Conservatoire de cette ville, il devint violoniste avant de créer en 1953 sa propre formation, " Franck Pourcel et son orchestre ", avec laquelle il remportera d’incontestables succès. Qu’on le veuille ou non, que l’on aime ou déteste ses interprétations, on ne peut nier sa popularité et le sérieux de ses musiciens qu’il recrutait d’ailleurs au sein des concerts du Conservatoire. La place importante que Pourcel a toujours réservée aux cordes donne à sa musique une certaine ambiance chaleureuse qu’il est plaisant d’écouter. EMI prétend que ses ventes de disques sont si considérables que si on les empilait on obtiendrait une hauteur de vingt fois la Tour Eiffel ! S’il a enregistré de nombreuses pages de Lehar, Strauss ou Planquette, il a également contribué à la diffusion mondiale d’œuvres de Mozart et de Beethoven.
Denis Havard de la Montagne