L'orgue dans les synagogues


 

 

 

Actuellement, quelques synagogues françaises sont dotées d'un orgue. Ces instruments ne servent plus, désormais, qu'à l'occasion de quelques mariages, mais, durant un peu plus d'un siècle, à partir de 1845, on a pu dans certaines synagogues entendre l'orgue accompagner le culte israélite. Les organistes appartenaient obligatoirement à une autre confession car un juif ne doit pas assurer cette fonction pendant le shabbat. On peut penser, entre autres, à Jehan Alain (1911-1940) qui a composé une « Année liturgique israélite » pour orgue (1938) et fut organiste à la Synagogue Nazareth de Paris où lui succédera Marie-Louise Girod (1915-2014). Petit tour d'horizon et résumé, autour d'extraits de périodiques, des débats animés dont fut l'objet l'instrument à tuyaux.

 

 

« QUESTION DE L'ORGUE.

Cette question est mise à l'ordre du jour, à la demande de plusieurs membres de la Conférence. La Conférence, tout en déplorant la tendance à entourer les cérémonies religieuses d'une pompe très peu compatible avec le caractère de simplicité qui distingue le culte israélite, décide qu'au point de vue doctrinal, il est permis d'introduire l'orgue dans les temples et de le faire toucher, les jours de sabbath et de fêtes, par un non-israélite. Toutefois l'établissement de l'orgue dans les synagogues ne pourra avoir lieu qu'avec l'autorisation du grand rabbin de la circonscription, sur la demande du rabbin communal du ressort. »

(L'Univers israélite, année 11, n° 1, septembre 1855, p. 449)

 

« L'ORGUE DANS LA SYNAGOGUE.

Cette question a souvent été discutée et résolue dans ce Recueil, on sait dans quel sens. Des rabbins et des écrivains laïques ont repoussé l'instrument catholique du sanctuaire d'Israël, soit par des motifs religieux (surtout pendant les sabbaths et jours de fête), soit par des considérations morales, de convenance et de dignité d'une haute portée. Cependant le compte-rendu de la conférence rabbinique tenue à Paris en 1856 s'exprime ainsi à cet égard :

 

« Question de l'orgue.

Cette question avait été mise à l'ordre du jour, à la demande de deux membres. « Après le résumé des débats, on procède au vote sur les deux propositions suivantes :

« 1° La conférence, tout en déplorant la tendance d'entourer les cérémonies « d'une pompe qui ne semble pas en harmonie avec la simplicité du culte israélite, décide qu'au point de vue doctrinal il est permis d'introduire l'orgue dans « les temples et de le faire toucher, le jour de sabbath et les fêtes, par un non-israélite.

« Cette proposition est adoptée à la majorité de six voix contre deux. Un membre s'est abstenu de voter.

« 2° Quant à l'opportunité de cette introduction, la conférence ne la reconnaissant pas d'une manière absolue, la subordonne à l'appréciation des besoins « religieux de chaque communauté. – En conséquence l'établissement de l'orgue « dans les synagogues n'aura lieu qu'avec l'autorisation du grand rabbin de la « circonscription, sur la demande du rabbin communal du ressort. »

« Cette proposition est adoptée à la majorité de six voix contre deux. Un membre déclare qu'en votant négativement sur la première proposition, il n'a pas entendu contester le principe adopté par la majorité, mais que la question de l'opportunité lui paraissait d'une telle gravité qu'elle devait entraîner le rejet de la proposition tout entière. »

 

On remarquera que, sur les neuf grands rabbins consistoriaux représentant à la conférence les diverses circonscriptions, c'est-à-dire le judaïsme tout entier delà France et de l'Algérie, deux seulement avaient demandé la mise à l'ordre du jour de la question de l'orgue. Faut-il une preuve plus évidente, plus éclatante, que l'immense majorité de nos communautés ne veut point de cet élément d'un culte étranger dans la maison de notre Dieu ? Et depuis la résolution, que nous croyons regrettable, de la conférence de 1850, y a-t-il un seul temple israélite en France ou en Algérie qui ait voulu profiter de cette résolution ? Les trois ou quatre synagogues auxquelles on avait imposé déjà auparavant l'instrument chrétien par excellence, ne sont-elles pas restées, avant comme après, une triste exception au milieu de nos sanctuaires ?

Quoi qu'il en soit, cette question de l'orgue est depuis quelque temps de nouveau agitée dans la presse israélite d'Allemagne à l'occasion de la nouvelle synagogue en construction à Berlin. La communauté est divisée à cet égard, et le temple qui doit être un lieu de paix et d'union, au seuil duquel doit expirer tout sentiment de discorde et d'animosité, peut devenir, là aussi, un champ de bataille, à cause d'une machine anti-israélite Cependant cette nouvelle discussion sur l'orgue, soulevée dans un pays où l'on est depuis longtemps si incommensurablement loin de cette simple question d'organisation extérieure du culte, dans une ville où siège la fameuse société réformiste qui a aboli tout le judaïsme pratique, toute la loi écrite et traditionnelle ; cette nouvelle discussion sur l'orgue ne prouve-t-elle pas une fois de plus que tous les changements qu'on essaye d'introduire dans nos temples pour réformer, défigurer, mutiler, rendre méconnaissable l'antique culte d'Israël, n'ont aucune racine, aucune sympathie, aucune confiance dans le coeur de nos communautés et restent condamnés à tout jamais à être mis eu question, un objet de méfiance et de répulsion pour tout vrai sentiment israélite, un éternel sujet de querelle et de déchirement dans l'assemblée du Seigneur ? La paix et la stabilité ne sont pas données aux œuvres du schisme. L'Israélite de Mayence et le Ieschurun de Francfort ont publié récemment d'excellents articles sur et contre l'introduction de l'orgue dans la synagogue. Nous croyons devoir communiquer à nos lecteurs le travail ci-après, inséré dans le Ieschurun du mois de janvier dernier, et signé par un vénérable rabbin d'une grande réputation de science et de piété. S. Bloch. 

« Est-il permis d'introduire l'orgue dans la Synagogue ? Les lecteurs de cet estimable journal trouveront peut-être étrange d'y voir poser cette question, qui, à peine soulevée, fut résolue négativement d'une manière décisive et unanime par les autorités rabbiniques les plus éminentes, et que depuis longtemps l'introduction de l'orgue dans la synagogue est considérée comme illégale pour les Israélites fidèles à la loi. Cependant maintes apparitions sur le domaine religieux israélite de notre temps montrent indubitablement que parmi ceux-là aussi qui sont encore comptés au nombre des adhérents au judaïsme traditionnel il n'y en a pas peu qui n'ont point le courage de s'opposer avec énergie à l'introduction de l'orgue dans la synagogue, pensant que ceux qui s'opposent à cette innovation et ne prennent pas part au culte célébré avec la musique de l'orgue ont tort; ils les soupçonnent même parfois de ne point faire de l'opposition par un pur sentiment du devoir, mais par des motifs secondaires et des intentions mesquines. Il ne nous paraît donc pas inutile que la question de l'admission de l'orgue dans la synagogue soit traitée dans la presse Israélite, bien que nous soyons obligé, cela va sans dire, de revenir aux arguments déjà produits. […]

Personne ne peut nier que la musique de l'orgue soit un usage religieux d'un culte non-israélite, que les sons de l'orgue appartiennent aux signes particuliers d'un culte étranger. Quiconque se trouve dans la plus grande obscurité, dans un lieu tout à fait inconnu à lui, s'il entend les sons de l'orgue, il reconnaît certainement qu'il se trouve dans le voisinage d'un édifice consacré aux pratiques religieuses d'un culte non israélite. Tandis que tous les autres instruments sont employés aux lieux les plus divers et dans les circonstances les plus variées, l'orgue sert uniquement et exclusivement à un but religieux, sans jamais être employé autrement. L'orgue est donc un instrument spécial d'un culte c'est pourquoi il ne saurait trouver accès dans la synagogue […] On ne saurait douter que l'accompagnement de l'orgue à nos offices divins est non-seulement contraire à la loi les sabbaths et jours de fête, même par un non-israélite, mais qu'il doit aussi, les jours de la semaine, être considéré comme une violation du divin commandement. Dr J. Gugenheimer, Rabbin de Colin (Bohême). »

(L'Univers israélite, année 17, n° 1, septembre 1861, p. 300-301)

 

 

« L’ORGUE A LA SYNAGOGUE.

Nous avouons franchement, et dussions-nous être « maudit par la gauche », que nous ne sommes pas pour l'orgue. C'est un instrument barbare. Il ne chante pas, il hurle, il grogne. Sous les voûtes des grandes églises du moyen âge, cela fait bien. Dans nos temples, c'est affreux, insupportable.

L'orgue jure avec l'architecture de nos synagogues, il détonne au milieu de l'allégresse de nos chants religieux.

« Oh ! oh ! quelle caresse et quelle mélodie ! »

L'introduction de l'orgue dans nos temples est une hérésie artistique contre laquelle nous ne cesserons pas de protester. Isidore LOEB »

(L'Univers israélite, année 67, n° 50, août 1912, p. 136)

 

« L'introduction de l'orgue dans les synagogues ne date que du XIXème siècle elle fit l'objet de débats passionnés dans les milieux israélites. A Nancy, le chœur de chant fut organisé en 1844. Il fut accompagné par un harmonium. Un orgue Cavaillé-Coll fut placé à la synagogue en 1862, après avoir été essayé dans le palais de l'Université, place Carnot, en attendant la fin des travaux de réfection. Cet instrument est toujours en usage. »

(Annales de l'Est, 1934, p. 172)

 

 

ANNEXE : QUELQUES ORGUES ACTUELLEMENT EN PLACE DANS DES SYNAGOGUES FRANCAISES

 

Benfeld, Synagogue, 7 jeux, 1 clavier (Wetzel, 1895).

Bordeaux, Centre communautaire israélite, 20 jeux (facteur inconnu, 1900).

Lyon, Grande Synagogue, 12 jeux, 2 claviers (Beaucourt 1847, travaux Merklin).

Marseille, Grande Synagogue, 19 jeux, 2 claviers (Mader, 1890).

Metz, Synagogue, 23 jeux, 2 claviers (1897, travaux de Haerpfer, 1934 et 1965).

Mulhouse, Grande Synagogue, 21 jeux, 2 claviers (Wetzel, 1892, incendié en 2010).

Nancy, Synagogue, 11 jeux, 2 claviers (Roethinger, 1948, remplace un Cavaillé-Coll détruit durant la Seconde Guerre mondiale).

Paris, Synagogue Nazareth, 11 jeux, 2 claviers (Cavaillé-Coll, 1852).

Paris, Synagogue rue Buffault, 11 jeux, 2 claviers.

Paris, Synagogue de la Victoire, 26 jeux, 2 claviers (Merklin, 1875).

Reims, Synagogue, 14 jeux, 2 claviers (Brisset, 1901).

Versailles, Synagogue, 16 jeux, 3 claviers.

 

Documentation rassemblée par Olivier Geoffroy

(septembre 2020)

 

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