Compositions de quelques orgues « classiques » des cinémas de France


 

 

L'orgue de cinéma (Wurlitzer et autres) est doté, en plus de jeux traditionnels souvent en extension selon le système « unit », d'effets sonores variés (castagnettes, cymbales, tambour de basque, pluie, vent, mer, sirène de bateau, etc.) Mais, au début du XXème siècle, certains facteurs d'orgues d'église (Mutin-Cavaillé-Coll, Merklin, Mader, Abbey) ont aussi produit des orgues classiques (ne comprenant pour ainsi dire pas d'effets spectaculaires) pour des salles de cinéma. Nous allons parler des instruments de ce type pour lesquels la composition est connue.

 

Dans le catalogue des orgues construits par la manufacture Cavaillé-Coll (Paris, Sénart, 1923), on trouve mention de six orgues, tous remontant à la période Mutin et pour la majorité d'entre eux harmonisés par Jean Perroux, construits en tant que tels pour des cinémas parisiens : Lutetia Wagram, Royal Wagram, Le Sélect, Orléans et le Monge Palace, ainsi que celui du Cirque d'Hiver. Un autre instrument de cette maison se trouvait au Cinéma Olympia de Bordeaux. Certaines salles de théâtre parisiennes déjà dotées d'un orgue ont, par la suite, servi de salle de projection de cinéma.

 

Marseille Cinéma Odéon

 

Orgue Abbey (1923). On pourra comparer la composition originelle avec l'actuelle (cf. infra).

 

Composition d'origine :

Grand-orgue expressif (61 notes) : Bourdon 16', diapason 8', flûte harmonique 8', violoncelle 8', prestant 4', quinte 2 2/3', doublette 2', tierce 1 3/5', clarinette 8'.

Récit expressif (61 notes) : Principal 8', cor de nuit 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte 4', basson 16', trompette 8', basson-hautbois 8'.

Echo (61 notes) : Voix humaine 8', carillon.

Pédale (32 notes) : Soubasse 16', flûte 8'.

Acc. II/I en 16, 8 et 4, III/I et III/II en 8, tir. I et II, appel grand-orgue, anches grand-orgue, anches récit, trémolos I et II, double registration, crescendo.

(Source : Jean-Jacques Meusy, « L'orgue de l'Antéchrist » in L'Orgue, n° 270, 2005-II, p. 79)

 

Marseille Cinéma Le Rialto

 

Orgue Michel Merklin et Kühn de 1928. Des éléments en ont été réemployés en 1933 par Merklin et Kühn dans l'instrument de l'église de la Mission de France (Saint-Pie-X).

 

Composition originelle :

Grand-orgue expressif (61 notes) : Diapason 8', flûte harmonique 8', hautbois 8'.

Récit expressif (61 notes) : Flûte traversière 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', nasard 2 2/3', octavin 2', tierce 1 3/5', trompette harmonique 8'.

Troisième clavier pour les percussions.

Pédale (32 notes) : Soubasse 16', basse 8' (dédoublement). 

Tir. I et II en 8 et 4, acc. I/I en 16 et 4, II/II en 16, II/I en 16, 8 et 4, appel pédale, trémolo I et II, double registration, crescendo.

(Source : Jean-Jacques Meusy, « L'orgue de l'Antéchrist » in L'Orgue, n° 270, 2005-II, p. 81)

 

Nancy Cinéma Gaumont

 

Un orgue provenant de la chapelle de l'Institution des Jeunes Aveugles de Nancy a été posé près de l'écran de la grande salle de ce cinéma qu'un incendie le 2 mars 1988 a gravement endommagé. Le cinéma Gaumont (qui avait succédé au Rex et au Rio) occupait une partie de l'Hôtel de Mahuet, rue Saint-Dizier, construit par l'architecte Germain Boffrand. Les restes de l'instrument sont malgré tout conservés par la Ville de Nancy. Il s'agissait d'un orgue d'Antoine Grossir de 1834 que le facteur vosgien Jacquot avait profondément modifié.

 

Dernière composition connue :

Grand orgue : bourdon de 16', montre 8', bourdon 8', prestant 4', quinte 2 2/3'.

Récit expressif : flûte 8', salicional 8' (ou viole de gambe 8' ?), voix céleste 8, flûte 4', doublette 2', basson-hautbois 8', trompette 8'.

Pédalier (30 notes) : Soubasse 16' (empruntée au bourdon 16' du grand-orgue), basse 8'.

Tir. I et II, acc. II/I.

(Source : communication orale de Guy Jeaugey, ancien professeur à l'Institution des Jeunes Aveugles de Nancy)

 

Nice Cinéma L'Escurial

 

Orgue Auguste Convers de 1933, 19 jeux, avec chambres expressives, 1076 tuyaux. L'orgue a été démonté en 1980 et conservé par la ville de Nice.

 

Composition :

Manuel 1 (61 notes) : Bourdon 16', montre 8', flûte d'orchestre 8', prestant 4', clarinette 8', xylophone.

Manuel 2 (61 notes) : Cor de nuit 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', salicet 4', octavin 2', trompette 8', hautbois 8', voix humaine 8'.

Pédale (32 notes) : Flûte 16', soubasse 16', flûte 8', flûte 4'.

Tir. I et II, acc. I/I en 16 et 4, II/I en 16, 8, 4, anches II, appel trompette, renvoi harpe, tutti.

(Source : Jean-Jacques Meusy, « L'orgue de l'Antéchrist » in L'Orgue, n° 270, 2005-II, p. 87)

 

Paris Cinéma Monge Palace

 

Orgue Mutin-Cavaillé-Coll logé « dans deux buffets placés de chaque côté de la scène, à hauteur du premier balcon. Quant à la console, elle se trouvait dans la fosse d'orchestre.

(Source : https://journals.openedition.org/1895/219)

 

Paris Cinéma Lutetia Wagram

 

Orgue Mutin-Cavaillé-Coll installé à droite de l'écran après la Première Guerre mondiale.

(Source : https://journals.openedition.org/1895/219)

 

Paris Cirque d'Hiver

 

Un orgue Mutin-Cavaillé-Coll y fut installé. Cette salle était exploitée par le Cinéma Pathé de décembre 1907 à mai 1923. « Hormis deux tuyaux, l'orgue était enfermé dans une boîte expressive. » (Source : https://journals.openedition.org/1895/219 )

Le buffet ressemble fortement à celui des Concerts Colonne (aujourd'hui dans l'église Saint-Nicolas de Meursault) dont nous rappelons ici la composition à titre indicatif (rien ne laisse penser qu'elle fut identique même si la batterie d'anches devait bien sonner dans une vaste salle) :

 

Manuel (56 notes) : Bourdon 16', diapason 8' (B et D), flûte harmonique 8', salicional 8', prestant 4', plein-jeu III rgs, tuba magna 16' (B et D), trompette 8', soprano 4'.

Pédale (27 notes) : Soubasse 16'.

Tir. manuel, appel anches et plein-jeu.

 

Paris Théâtre Pigalle

 

Orgue Cavaillé-Coll (1932). Traction électrique, 3 157 tuyaux.

 

Composition :

Grand-orgue expressif (61 notes, 73 au sommier) : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte 8', violoncelle 8', prestant 4', plein-jeu V rgs, bombarde 16', trompette 8', cor harmonique 8', cromorne 8', voix humaine 8', clairon 4', cloches.

Positif expressif (61 notes, 73 au sommier) : Quintaton 16', cor de nuit 8', flûte creuse 8', salicional 8', unda-maris 8', salicet 4', nazard 2 2/3', flageolet 2', tierce 1 3/5', trompette 8', clarinette 8', xylophone, glockenspiel.

Récit expressif (61 notes, 73 au sommier) : Dulciane 16', flûte 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte 4', plein-jeu IV rgs, quinte bouchée 2 2/3', basson 16', trompette 8', basson-hautbois 8', soprano 4', célesta.

Pédale (32 notes) : Flûte 16', violoncelle 16', dulciane 16' (réc.), soubasse 16' (GO), quinte 10 2/3', flûte 8', bourdon 8' (GO), violoncelle 8', dulciane 8', flûte 4', bombarde 16', basson 16' (Réc.), trompette 8', basson 8' (Réc.), basson 4' (Réc.), clairon 4', cloches.

(Source : Jean-Jacques Meusy, « L'orgue de l'Antéchrist » in L'Orgue, n° 270, 2005-II, p. 86-87)


Note d’Eric Cordé (31 janvier 2023) : Cet orgue a été démonté dans les années 1960, avant la démolition du bâtiment. Il est resté en dépôt durant de longues années dans les ateliers de Rambervilliers, pour finalement connaître un pillage total de sa tuyauterie en métal. Au début des années 2010, le jeu de bombarde et les percussions ont été réutilisés dans un orgue Wurlitzer que possède le facteur d’orgues Bernard Dargassies. Et, parmi les autres manufactures qui construisaient à l’époque de « vrais » orgues de cinéma, il nous paraît utile de rappeler les noms de Compton, et Christie chez les Anglais, ainsi que Barton, Morton, et Kimball chez les Américains.

 

 

Anciens orgues de cinéma transférés :

 

Bourgueil (Indre-et-Loire), église Saint-Germain. Ancien orgue du cinéma Sélect-Palace de Tours, construit par Louis Debierre en 1920 et transféré à Bourgueil par la maison Cavaillé-Coll en 1931. Traction mécanique.

 

Composition :

Grand-orgue (56 notes) : Bourdon 16' (B et D), flûte traversière 8' (B et D).

Récit expressif (56 notes) : Violoncelle 8', quintaton 8', voix céleste 8', basson 8'.

Pédale (30 notes) : sans jeu réel.

Acc. II/I en 8 et 4, tir. I et II, trémolo II.

 

Kesseldorf (Bas-Rhin), église Notre-Dame-de-la-Nativité. Ancien orgue Mutin du cinéma Capitole de Strasbourg, transféré à Kesseldorf en 1958.

 

Composition actuelle :

Manuel expressif (56 notes) : Bourdon 16', diapason 8', flûte harmonique 8', salicional 8', voix céleste 8', principal 4', nasard 2 2/3', flageolet 2', plein-jeu III rgs, trompette harmonique 8'.

Pédale (30 notes) : Soubasse 16' (emprunt du bourdon 16').

Acc. I/I en 16, tir. Manuel.

(Source : decouverte.orgue.free.fr/orgues/kesseldo.htm)

 

Paris, église Notre-Dame-d'Espérance. Un ancien orgue de cinéma d'une vingtaine de jeux sur deux claviers, à traction électrique, construit par le facteur Abbey a été transféré par Gonzalez dans l'ancienne église en 1946. Au fil du temps il a connu plusieurs transformations.

 

Composition actuelle :

Grand-orgue (56 notes) : Montre 8', bourdon 8', prestant 4', doublette 2', plein-jeu IV rgs, trompette 8', cromorne 8'.

Récit expressif (56notes) : Flûte à fuseau 8', salicional 8', voix céleste 8', flûte 4', nazard 2 2/3', quarte 2', tierce 1 3/5', cymbale III rgs, trompette 8', hautbois 8', clairon 4'.

Pédale (30 notes) : Soubasse 16', bourdon 8', flûte 4', bombarde 16', trompette 8', clairon 4'.

(Source : https://www.organsparisaz2.orguesdeparis.fr/ND%20Esperance.htm)

 

Le Passage d'Agen (Lot-et-Garonne), église Saint-Joseph. Ancien orgue du cinéma Odéon de Marseille, construit par Abbey en 1923, transféré par Ruche dans l'église Saint-Joseph en 1936. Traction électro-pneumatique.

 

Composition actuelle :

Grand-orgue expressif (61 notes) : Bourdon 16', diapason 8', flûte harmonique 8', violoncelle 8', prestant 4', quinte 2 2/3', doublette 2', tierce 1 3/5', clarinette 8'.

Récit expressif (61 notes) : Principal 8', cor de nuit 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte 4', carillon III rgs, basson 16', trompette 8', basson-hautbois 8', voix humaine 8'.

Pédale (32 notes) : Soubasse 16', flûte 8'.

Acc. II/I, tir. I et II, trémolo II.

 

Lyon (Rhône), église Saint-Charles de Serin. Ancien orgue Mader du Royal Cinéma de Lyon (originellement, orgue de choeur de la cathédrale de Monaco, 1870). Acquis en 1949 par la paroisse lyonnaise et remonté en 1952. Modifications ultérieures par la maison Dunand.

 

Composition actuelle :

Grand-orgue expressif (56 notes) : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', prestant 4', flûte 4', nazard 2 2/3'.

Récit expressif (56 notes) : Cor de nuit 8', viole de gambe 8', voix céleste 8', flûte 4' mixture, trompette 8'. 

Pédale (30 notes) : Soubasse 16', flûte 8', quinte 5 1/3', flûte 4'.

Tir. I et II, acc. II/I, trémolo II.

(Source historique : Jean-Jacques Meusy, « L'orgue de l'Antéchrist » in L'Orgue, n° 270, 2005-II, p. 87)

 

Tieffenbach (Bas-Rhin), église Saint-Barthélémy. L'orgue Mutin-Cavaillé-Coll (construit entre 1920 et 1923) du cinéma des Arcades de Strasbourg a été transféré temporairement dans cette église par Roethinger de 1943 à 1949, avant que le facteur remplace celui-ci par un autre orgue d'occasion. L'orgue Mutin a depuis lors disparu.

(Source : decouverte.orgue.free.fr/orgues/tieffeba.htm)

 

Vailly-sur-Aisne (Aisne), église Notre-Dame. Semble être un ancien orgue de cinéma (provenance inconnue) construit par la firme Merklin et Cie et transféré à l'église de Vailly en 1922. Traction mécanique.

 

Composition :

Grand-orgue (56 notes) : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', prestant 4'.

Récit expressif (56 notes) : Flûte harmonique 8', gambe 8', voix céleste 8', nazard 2 2/3' (a peut-être succédé à une flûte 4'), fourniture III rgs, trompette 8'.

Pédale (30 notes) : Soubasse 16'.

Acc. II/I en 16 et 8', tir. I et II, trémolo II, combinaison libre, appel anches II.

 

Pour terminer ce tour d'horizon, voici un avis d'Emile Vuillermoz sur l'orgue de cinéma et ses effets orchestraux :

 

« On s'est enfin décidé à placer un microphone à l'église Sainte-Clotilde pour enregistrer les admirables exécutions de notre grand organiste français Charles Tournemire, l'éminent compositeur à qui sont confiées les grandes orgues de César Franck. Il était nécessaire que le disque fît entrer dans nos bibliothèques musicales ces interprétations d'une si haute tenue artistique. Le Choral en la mineur de César Franck (Pol) qui nous est offert aujourd'hui a donné les meilleurs résultats acoustiques et musicaux. Mais, j'avoue que la friandise d'oreille demeurera pour moi la Cantilène improvisée n° 1 (Pol) dont Tournemire est l'auteur et qui est, au point de vue de la registration, un éblouissant tour de force. Je ne voudrais pas établir un irrévérencieux rapprochement entre les orgues de Sainte-Clotilde et les orgues de cinéma, mais, après avoir entendu une page comme celle-là, on est bien forcé de reconnaître qu'un virtuose de l'orgue classique n'a pas besoin du secours de toutes les prétendues nouveautés des instruments américains pour tirer un feu d'artifice de sonorités d'une fantaisie inimitable. Il y a, dans nos grandes orgues, des richesses insoupçonnées et inépuisables : il suffit d'avoir le talent nécessaire pour les découvrir et les mettre en valeur. »

(« La musique mécanique, quelques bons disques » in Excelsior, 7 septembre 1930)

Collecte : Olivier Geoffroy

(janvier 2023)

 

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