Les orgues du Maroc


 

En préambule, je veux remercier ici toutes les personnes qui m'ont apporté leur aide dans la rédaction de cet article et particulièrement le facteur d'orgue Jean-Marc Cicchero. Je veux également mentionner ici le pasteur Jean-Teddy Ramaherijaona, l'abbé Simeon Stachera et monsieur Serge Médot, organiste. Il n'a pas été possible de faire un travail exhaustif sur l'ensemble des instruments présents au Maroc au cours des deux siècles écoulés, aussi les apports éventuels de lecteurs seront-ils les bienvenus.

 

CASABLANCA

Eglise Notre-Dame-de-Lourdes

Console de l'orgue de l'église Notre-Dame-de-Lourdes de Casablanca
Buffet de l'orgue de l'église Notre-Dame-de-Lourdes de Casablanca
Console de l'orgue de l'église Notre-Dame-de-Lourdes de Casablanca
( photo Jean-Marc Cicchero ) DR
Buffet de l’orgue de Notre-Dame-de-Lourdes de Casablanca
( photo Quentin Blumenroeder, août 2014 ) DR

Cette église construite en 1954 dispose d'un orgue en tribune qui proviendrait du Sacré-Coeur de Casablanca. C'est d'ailleurs dans ce vaste bâtiment de style art-déco des années 1930, aujourd'hui désacralisé que la Messe en ré pour orchestre, choeurs, soli et orgue de Georges Friboulet (1910-1992) a été créée en 1954 (source  : http://www.musimem.com/friboulet.htm).

On peut toutefois signaler que l'inauguration de cet orgue au Sacré-Coeur de Casablanca a donné lieu à plusieurs articles élogieux :

 

« L'inauguration des orgues de l'Eglise du Sacré-Cœur - Magnifique concert spirituel organisé avec le concours de :

Monsieur FUENTES, organiste du Sacré-Cœur.

Monsieur ERICK AUDOUIN, de l'Opéra.

Madame ERICK AUDOUIN, de l'Opéra-Comique.

MM. Etcheverry, Van den Hove, Bourdelon, Audonard, Mathieu, Gartal et la Chorale du Sacré-Cœur-

C'est le mercredi 27 mai à 21 heures, que seront solennellement inaugurés les orgues du Sacré-Cœur, dont maint Casablancais a déjà apprécié l'admirable sonorité sous les voûtes de notre belle église.

Aucun mélomane ne voudra se priver d'un régal si rare au Maroc et les auditeurs auront en outre la satisfaction de coopérer à une œuvre essentiellement Française : l'achèvement de notre future cathédrale.

 

PROGRAMME :

Première partie

I) Prélude pour orgue (si b majeur) (J. A. HASSE (1699-1783) — (Larghetto un poco) - M. FUENTES, organiste.-

II) Concerto en mi majeur, orgue et orchestre, J. S. BACH — (Allegro – Largo), M. FUENTES, organiste.

III) Ave Maria, Chœur mixte, LISTZ (Chorale du Sacré-Cœur).

IV) Rédemption (Air de l'Archange) - C. FRANCK (chanté par M. Erick AUDOUIN, ténor).

V) Adoramus te (Chœur mixte) PALESTRINA (1524-1594) (Chorale du Sacré-Cœur).

VI) 8ème Béatitude – C. FRANCK (chanté par Madame AUDOUIN, soprano.

VII) Andante de la 5ème Sonate, Orgue et Orchestre - (Largo) J.-S. BACH (M. FUENTES, organiste)

VIII) Panis Angelicus - Paul FAUCHEY (chanté par M. Erick AUDOUIN, ténor.

IX) Le Ciel étoilé (La Création) J. HAYDN (Chorale du Sacré-Cœur).

 

SERMON par Monsieur le CHANOINE de LACGER

 

Deuxième partie

SALUT

Ave Verum (J-S. BACH),

Magnificat (faux-bourdon).

Tantum ergo.

Laudate, par la Chorale du Sacré-Cœur.

Sortie d'orgue : Allegro final de la Création (HAYDN). »

(Le Petit Marocain, 26 mai 1936, p. 6)

 

« L'inauguration des orgues du Sacré-Cœur :

L’inauguration des orgues de la paroisse du Sacré-Cœur a été, en même temps qu'une très belle cérémonie religieuse, une intéressante production d'art. L'orgue est un des instruments les plus pénétrants et les plus évocateurs. Il est admirablement adapté à suivre, à amplifier la musique liturgique dont le majestueux dénuement s'accorde avec sa gravité.

Les orgues du Sacré-Cœur ont déjà retenti sous les voûtes de la cathédrale casablancaise. Leur belle sonorité nous paraît devoir s’accorder encore mieux avec la vaste nef prévue dans le plan intégral.

Pour l’instant, elles devront quelque peu modérer un éclat qui dépasse évidemment les limites de l'église actuelle.

Le concert organisé par M. Fuentès, organiste du Sacré-Cœur a fait valoir les registres les plus cachés du divin instrument et nous devons féliciter l'organiste aussi bien que les artistes qui l'entouraient de la perfection artistique de cette soirée.

Qu'il s'agisse des solis exécutés par M. Audouin, dont la belle voix de ténor a interprété si royalement un air de la Rédemption de César Franck, qu'il s'agisse des chœurs de la paroisse du Sacré-Cœur, ou de la voix si pure de Mme Audouin dans la 8ème béatitude de Franck, les orgues ont créé à ces pieux accents l'atmosphère harmonieuse dans laquelle elles ont pris leur merveilleux essor.

Avant le Salut qui devait terminer cette audition sacrée, M. le chanoine de Lacger a exalté dans une allocution pleine de sentiment et rehaussée d'une pensée toujours généreuse, le rôle de la musique religieuse dans la vie des peuples et des individus. M. de Lacger est un des orateurs favoris des Casablancais : son érudition, sa largeur d'esprit, sa saine compréhension du milieu et de l'heure en même temps que son inaltérable fidélité à la grandeur du dogme de l'Eglise font de lui un des maîtres les plus écoutés de la science religieuse au Maroc. Sa parole a dignement et pieusement terminé cette belle soirée de musique sacrée dont les chants liturgiques traditionnels ont achevé le cycle émouvant. »

(Le Petit Marocain, 28 mai 1936, p. 5)

 

On ne sait précisément quand le transfert de l'instrument a eu lieu. En tout cas, il a été construit par la manufacture Guetton-Dangon de Lyon, mais probablement pas dès l'origine pour le Maroc. La transmission est mécanique avec une console en fenêtre. A Notre-Dame-de-Lourdes, il a été joué en concert notamment par l'organiste Germain Desbonnet, en novembre 1978. En 2009, le facteur Jean-Marc Cicchero n'a pu l'essayer car le ventilateur était hors-service.

Sa composition est la suivante  :

Grand-Orgue (56 notes)  : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte 8', salicional 8', prestant 4', doublette 2', mixture, trompette 8', clairon 4'.

Récit expressif (56 notes)  : Bourdon 8', flûte harmonique 8', viole de gambe 8', flûte octaviante 4', nazard 2 2/3' (a peut-être remplacé une voix céleste 8'), trompette harmonique 8', basson-hautbois 8', voix humaine 8'.

Pédale (27 marches)  : Soubasse 16', flûte grave 8'.

Tir. I et II, acc. II/I, anches I et II, trémolo.

Durant l'été 2014, profitant de ses vacances sur place, le facteur d'orgue Quentin Blumenroeder a effectué bénévolement des travaux de remise en service de l'orgue de Notre-Dame-de-Lourdes, avec l'assistance de l'organiste titulaire Amine Hadef. Il va de soi qu'une restauration complète de cet instrument, très empoussiéré et attaqué par les insectes xylophages serait de la plus haute nécessité, d'autant que ces travaux de conservation ont permis de mesurer la qualité de la facture et des timbres de l'orgue, notamment son choeur d'anches.

 

Église Saint-François-d'Assise, rue Dupleix à Casablanca
Église Saint-François-d'Assise, rue Dupleix à Casablanca
( carte postale, coll. O. Geoffroy ) DR

Eglise Saint-François d'Assise

Cette église renferme un orgue Michel-Merklin-et-Kühn (1932-1933) qui comporte, semble-t-il, des éléments Merklin plus anciens. La console est indépendante et la transmission est électrique avec double registration.

L'orgue a été joué par Marie-Madeleine Duruflé le 24 mars 1958 à l'occasion d'un concert qui a permis d'entendre le Requiem de son mari. Maurice Duruflé en assurait lui-même la direction. Les époux Duruflé sont revenus à Casablanca le 25 avril 1962 dans le cadre d'une tournée de trois jours au Maroc (source  : www.france-orgue.fr/durufle/).

La composition relevée par Jean-Marc Cicchero (qui n'a pu l'essayer lors de sa visite) est la suivante  :

Grand-Orgue (56 notes)  : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte harmonique 8', salicional 8', prestant 4', flûte 4', doublette 2', fourniture, trompette harmonique 8', clairon 4'.

Récit expressif (56 notes)  : Cor de nuit 8', flûte traversière 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', nazard 2 2/3', octavin 2', tierce 1 3/5', trompette harmonique 8', basson-hautbois 8'.

Pédale (30 marches)  : Soubasse 16', échobasse 8', octavebasse 8', basse 8', violoncelle 8', quinte 5 1/3', bourdon 4'.

Tir. I et II en 8 et 4, acc. II/I en 16, 8 et 4, II/II en 16 et 4, supp. II/II en 8, appels anches I et II, crescendo, trémolo.

Malheureusement, tout récemment, la tuyauterie en étain de l'orgue a été entièrement volée, le métal ayant suscité la convoitise de malandrins. Aussi ne reste--t-il que les tuyaux de bois et les tuyaux en zinc de la façade (qu'il aurait été du reste difficile de subtiliser sans attirer l'attention). L'avenir de cet instrument, qui provient en grande partie de l'orgue Merklin (1880 ?) de l'église Notre-Dame-du-Port de Clermont-Ferrand, est donc aujourd'hui terriblement compromis. Il fut longtemps joué par Suzanne Guillaud (décédée en 1981), ancienne élève de Marcel Dupré, puis par Roland Serres.

Quelques extraits de presse à propos de Suzanne Guillaud :

 

« Une assemblée recueillie d’amis et connaisseurs du grand art était réunie le jeudi soir 20 courant à l’Eglise St. François d’Assise de Casablanca, pour y écouter le beau concert de musique spirituelle donné par le groupe musical de Rabat, sous la direction de M. V. de Steinheil, avec le concours précieux de Mlle Suzanne Guillaud, titulaire effective du grand orgue. Le programme, d'une sélection très étudiée, mériterait une analyse étendue. La place dont je dispose m'oblige à une critique générale. Disons tout de suite que les chœurs étaient très bons dans leur ensemble Mais — que j’en sois pardonné — cette fois mes préférences allèrent aux voix masculines. Parmi 1es solistes j’ai remarqué le soprano dans la Messe de Schubert, et le chaud baryton du O Salutaris de Lesueur. A part de très rares exceptions, les compositions pianistiques de Debussy ont peu d’envolée. L’auteur de Péléas et Melisande n’aimait pas le bruit. C’était un raffiné se plaisant dans les grisailles mystiques et les souscrites efféminées. Or, évidemment, les marteaux du piano font résonner, doivent parfois faire résonner sa caisse un peu fort ? Tandis que les instruments à cordes frottées se prêtent mieux aux caresses... Aussi, est-ce dans la musique à cordes que Debussy a réussi la mieux. Son Andante du Quatuor, admirablement exécuté par MM. Davenet, Grollean, Butte et Chatard, est d'une finesse exquise et d’élégance racée Mais que dire de l'orgue et du superbe Prélude et Fugue en sol mineur de Marcel Dupré ; sinon que ce fut la dominante de l’audition ? Le talent de Mlle Guillaud s’est imposé à nouveau, et davantage, encore. L’artiste a rendu la première partie de cette oeuvre magnifique, dans une demi-teinte fluidique de perfection absolue ; alors qu’ensuite furent mises en relief toutes les richesses de l'écriture et les souscrites majestueuses de la Fugue — Le maître eut pu être fier de son élève en l'entendant. Mlle Suzanne Guillaud n'est pas seulement une exécutante impeccable ; elle est une musicienne profonde, ce qui est plus rare ! Il me reste à rendre l’hommage mérité et nos remerciements au Père Dapzol, curé de la Paroisse, l’organisateur de tant de belles heures dans son sanctuaire. »

(Maroc-Matin, 28 mai 1938, p. 5)

 

« Le grand orgue avait aussi son rôle. Mlle Suzanne Guillaud, qui le tenait et dont il n'est plus nécessaire de faire l'éloge, tellement son talent de grande classe fait l'admiration des dilettanti les plus raffinés, a magnifiquement rendu le « Prélude et Fugue en sol mineur » de Marcel Dupré et le « Carillon de Westminster » de L. Vierne. »

(Maroc-Matin, 31 mai 1938, p. 4)

 

« Concert de Musique Spirituelle

A L'EGLISE St-FRANÇOIS D'ASSISE

par Mme Zina MASO et Mlle Suzanne GUILLAUD

C'est à l'Eglise St-François d'Assise, déjà célèbre par de nombreuses manifestations d'art sacré, que se fera entendre ce dimanche 17, à 16 h. 30, la cantatrice russe Mme Zina Maso, soliste des Grands Concerts Symphoniques et de l'Opéra. Les nombreux succès qu'elle a remportés sur les principales scènes d'Europe la classent parmi nos meilleures chanteuses contemporaines. L'organiste de l'église, Mlle Suzanne Guillaud, jouera quelques oeuvre de Bach, Frank, Dupré, Louis Vierne le célèbre organiste de N.D. de Paris, qu'elle a fait connaître au Maroc en exécutant ses oeuvres d'orgue et en dirigeant sa Messe en do dièse mineur.

Billets en vente à la porte de l'église. »

(Maroc-Matin, 17 septembre 1944, p. 2)

 

 

Temple protestant

Buffet de l'orgue du Temple protestant de CasablancaConsole de l'orgue du Temple protestant de Casablanca
Buffet et console de l'orgue du Temple protestant de Casablanca
( photos Jean-Marc Cicchero ) DR

Un orgue des Etablissements lyonnais Ruche (inauguré par André Marchal le 15 février 1953) a été installé dans le temple de Casablanca. C'est le seul lieu de culte protestant du Maroc qui bénéficie d'un instrument à tuyaux. Actuellement, le ventilateur est débranché mais pourrait fonctionner. Cependant, l'orgue aurait besoin d'un bon relevage et des démarches ont été entreprises en ce sens. La transmission est électrique et la console est indépendante avec double registration. La façade est constituée de tuyaux muets en zinc.

Composition  :

Grand-Orgue (61 notes)  : Montre 8', bourdon 8', flûte 8', prestant 4'.
Récit expressif (61 notes)  : Cor de nuit 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte 4', salicional 4', nazard 2 2/3', flageolet 2', larigot 1 1/3', trompette 8', clairon 4'.
Pédale (30 marches)  : Soubasse 16', bourdon 8', flûte 4', trompette 8', clairon 4'.
Tir. I et II, acc. II/I, anches II et péd., tutti, trémolo.

Le Bulletin paroissial de l'Église réformée évangélique française au Maroc (Paroisses de Casablanca et de Rabat) a évoqué l'instrument dans quelques-unes de ses pages :

« Notre édifice modifié et agrandi sera un véritable et nouveau Sanctuaire. Il aura un clocher, une façade complètement différente, une galerie que nous espérons pouvoir doter d’un orgue, une entrée latérale, un nombre de places presque doublé, un chœur aménagé, une table de communion nouvelle, etc, etc. » (n° du 10 février 1951)

« Assemblée Générale. — Elle s’est réunie le dimanche 30 Mars. Après un culte liturgique présidé par le Pasteur Lestringant, le Président dans son rapport moral a longuement évoqué les travaux considérables qui, au cours de l’année, ont complètement modifié le temple de Casablanca. […]  Il manque encore les disques du clocher et l’orgue à tuyaux qui est sur mer au moment où nous écrivons ces lignes. » (n° du 10 avril 1952)

« Inauguration des orgues. – Les orgues de notre temple seront inaugurées solennellement par l’un des premiers organistes de France, M. Marchal, au cours d’un grand concert spirituel, qui sera donné le dimanche 15 février à 21 heures précises, avec le concours de l’ensemble choral « Le Carillon. » (n° du 8 février 1953)

« Inauguration des orgues. — A l’occasion de sa tournée au Maroc, nous avons demandé au maître André Marchal d’inaugurer le bel instrument qui concourt à la solennité de nos cultes et au recueillement des fidèles.
La presse quotidienne a rendu compte, en termes élogieux, de cette manifestation insérée dans un bref service liturgique. M. Marchal, par son choix judicieux des pièces qu’il interpréta, sut mettre en valeur toutes les possibilités d’un instrument merveilleusement adapté à notre sanctuaire rénové. Un moment particulièrement émouvant fut celui de l’improvisation sur le thème du « Psaume des Batailles ».
Sous la direction de son créateur et chef, M. Verot, l’ensemble vocal « Le Carillon », par ses interprétations impeccables et marquées au coin d’une si grande personnalité, compléta fort heureusement ce concert spirituel d’une très haute tenue.
Le nombreux auditoire qui avait répondu à notre appel, se montra très satisfait et c’est là l’une des plus belles récompenses des organisateurs, notamment de Mme Ziegler, que nous tenons à remercier tout particulièrement en l’occurrence. »
(n° du 8 mars 1953)

 

MARRAKECH

Église des Saints-Martyrs de Marrakech
( photo Serge Médot ) DR

Eglise des Saints-Martyrs

Dans cette église construite en 1928-29, un orgue à traction mécanique avec console indépendante a été installé grâce à la générosité de Denise Masson (1901-1994), islamologue réputée et traductrice du Coran, qui en fut, d'ailleurs, titulaire durant une quinzaine d'années. L'instrument a été construit vers 1875 par un facteur inconnu. Il se trouvait à l'église Saint-Léon de Paris (XVe arrondissement) et a été démonté par Jules Isambart en 1948, lorsque ce facteur l'a remplacé par un orgue d'occasion de Mutin-Cavaillé-Coll datant de 1920. Le buffet est resté en place à Saint-Léon où il abrite aujourd'hui encore la partie instrumentale de Mutin. En 1951, Denise Masson fit l'acquisition de l'orgue, privé de son buffet, en vue de son remontage à l'église des Saint-Martyrs derrière une nouvelle façade. La même année, il traversa la Méditerranée en même temps que l'orgue privé de Mme Masson sur le paquebot «  Djenné  » qui avait été renfloué quelques années plus tôt.

Un périodique local nous renseigne sur l'inauguration de l'orgue :
« Inauguration des orgues de la Paroisse des St-Martyrs
C'est dimanche qu'aura lieu l'inauguration des orgues que l’on vient d'installer en l’église des Saints-Martyrs du Guéliz.
A 10 h. 30 : (Grand'Messe) Missa Festiva », à 4 voix mixtes et orgue de Alex Gretchaminoff.
A l'orgue le R.P. A. Lebrun.
21 h. : Récital, par le R.P. A. Lebrun, du Conservatoire de Bruxelles.
Au programme : Bach ; Haëndel ; C. Franck ; Vierne ; Dupré.
La chorale paroissiale, sous la direction de M. Degenne donnera au Salut (après le récital) : « Ave Verum » (Mozart), « Ave Maris Stella » (Degenne), « Tantum Ergo » (chor. J.S. Bach), « Psaume C. L. » (Franck). Ne manquez pas d'entendre le récital d'orgue qui marquera un événement musical à Marrakech. »
(La Vigie marocaine, 9 juin 1951, p. 5)

Lorsque Denise Masson cessa son activité, l'orgue ne fut plus joué durant près de trente ans. Des personnes sensibilisées à la cause de l'orgue créèrent en 2002 une Association des Amis de l'orgue de Marrakech qui se donnait pour objectif la restauration de l'instrument ou la construction d'un instrument neuf plus ou moins grand, éventuellement placé dans le choeur de l'église et qui réemploierait la tuyauterie de cet orgue symphonique. Marrakech étant une ville touristique et culturelle très dynamique, des projets plus ambitieux (classe d'orgue, emploi de l'orgue du Riad Denise Masson comme instrument d'étude, construction d'un positif d'étude...) étaient alors évoqués. Deux facteurs furent sollicités pour établir un devis de relevage (Jean-Marc Cicchero et Denys Delporte).

Voici ce que Jean-Marc Cicchero disait en 2003 de cet instrument dans la revue L'Orgue normand  :

"Cet orgue-là, de mémoire de paroissiens là-bas, ils ne l'ont jamais entendu. Le récit est complètement démonté, le grand-orgue à moitié et personne ne sait pourquoi  ! On ne peut même pas le mettre en route. Il y a à dépenser un peu de sous pour voir ce qu'il a dans les entrailles, à trier un peu, voir ce qui est démonté. Certains tuyaux sont pliés  ! Pourquoi y a-t-il 20, 25, 30 ans que cet orgue est démonté  ? Pourquoi aujourd'hui veut-on qu'il parle  ? Simplement parce que vient d'arriver un curé qui a été élève d'orgue d'un grand professeur à Paris quand il était jeune. Il a de la chance, car il est nommé en Afrique où il n'y a quand même pas tant d'orgues. Il arrive, et non seulement il y a un orgue, mais il ne parle pas et il est démonté. Vous imaginez  ! Lui, il n'a qu'une envie, c'est qu'il marche, donc il s'est entouré de gens qui eux aussi ont envie de faire quelque chose. En plus, Marrakech est une ville qui monte, il y a de plus en plus de monde, les habitations dans la «  Médina  » sont rachetées par des gens qui ne sont pas musulmans mais chrétiens, donc en fait, il y a un potentiel de chrétiens et ces gens ne sont pas forcément les plus pauvres. Donc c'est porteur. Il suffit de peu de chose..."

(Soret Monique, «  Entretien avec Jean-Marc Cicchero  » in  : L'Orgue normand, publication de l'Association « Connaissance de l'orgue  », n°35, Le Havre, 2003, p. 19-20)

C'est le facteur belge Delporte qui fut retenu pour effectuer des travaux de sauvegarde afin de rendre l'orgue jouable. A l'issue de ceux-ci, le clavier de grand-orgue était à nouveau opérationnel.

Mais, au fil des ans, l'instrument dont Serge Médot fut titulaire de 2004 à 2011, usé par le manque d'entretien et d'utilisation durant une trop longue période, perdit à nouveau son souffle et attend aujourd'hui une vraie restauration ou son remplacement par un autre orgue à tuyaux, opérations qui, l'une comme l'autre, nécessitent de lourds moyens financiers qui ne peuvent actuellement être réunis et les différents projets envisagés autour de l'orgue dans la ville de Marrakech sont pour le moment en sommeil.

Voici la composition de l'instrument  :

Grand-Orgue (54 notes)  : Bourdon 16', montre 8', flûte harmonique 8', salicional 8', prestant 4'.
Récit expressif (54 notes)  : Cor de nuit 8', gambe 8', voix céleste 8', flûte octaviante 4', oboe-basson 8', trompette 8'.
Pédale (30 marches)  : soubasse 16'.
Tir. I et II, acc. II/I, [appel anches, trémolo?]

Orgue des Saint-Martyrs, Marrakech
Orgue des Saint-Martyrs (Marrakech) détails du buffet
Orgue des Saint-Martyrs et détails du buffet. Les peintures sont l'oeuvre de Philippe Jayat dit Hugo.
( photos Serge Médot )

 

Orgue de cinéma

Une ancienne salle de cinéma de Marrakech abriterait encore un orgue à tuyaux mais le lieu est dangereux et inaccessible, de sorte qu'il n'est pas possible pour le moment de donner davantage de précisions concernant cet instrument.

 

Orgue du Riad Denise Masson

Orgue de salon installé dans le riad de Mme Denise Masson à Marrakech
Orgue de salon installé dans le riad de Mme Denise Masson à Marrakech
( photo Jean-Marc Cicchero ) DR

Ancienne élève d'André Marchal (1894-1980), Denise Masson, «  la Dame de Marrakech  », qui fut organiste à l'église des Saint-Martyrs - qu'elle avait fait doter d'un instrument -, possédait un orgue de salon dans sa superbe propriété en médina de Marrakech. Le Riad qui porte désormais son nom est aujourd'hui la propriété de la Fondation de France et c'est l'Institut français de Marrakech qui en assure la gestion. Les services culturels de l'Ambassade sont chargés du rayonnement de l'instrument placé dans cette maison que Denise Masson souhaitait voir devenir un espace de dialogue entre les cultures. Il est actuellement impossible de prévoir quel sera l'avenir de cet instrument dont le ventilateur est encore branché sur le 110 volts.

L'orgue a été construit par la Manufacture Parisienne de Grandes Orgues (Isambart, Perroux, de Froissard), lointaine héritière de la maison Cavaillé-Coll. Il a été monté dans le salon de Denise Masson en 1951. Sa propriétaire ayant exigé la mise en place d'un cartouche «  Cavaillé-Coll  » sur la console en fenêtre, un ultime exemplaire retrouvé par Antoine de Froissard a permis l'exécution de son souhait. La traction est électrique avec des sommiers de type «  unit  » qui comportent de nombreux emprunts et dédoublements à partir de six séries de tuyaux (bourdon, principal, flûte harmonique, gambe, larigot, basson-hautbois). Il est à noter que certains éléments de la tuyauterie proviennent de l'orgue dit «  Erard  », instrument d'étude de la maison Cavaillé-Coll, lorsque celle-ci se trouvait Avenue du Maine, à Paris. Suivant le conseil d'André Marchal, le larigot a remplacé une voix céleste 8'.

La composition est la suivante  :

Grand-Orgue expressif (56 notes)  : Bourdon 16', montre 8', bourdon 8', flûte harmonique 8', prestant 4', flûte 4', flageolet 2'.
Récit expressif (56 notes)  : Bourdon 16', bourdon 8', gambe 8', flûte 4', flageolet 2', larigot 1 1/3', basson-hautbois 8'.
Pédale (32 marches)  : Soubasse 16', bourdon 8', flûte 4', basson 8'.
Tir. I et II, acc. II/I, appel larigot.

MEKNÈS


Salle paroissiale de Notre-Dame-des-Oliviers

On trouve, remisé dans un coin de cette salle polyvalente, un rudimentaire buffet d’orgue avec des tuyaux de montre répartis en trois plates-faces. Il n’y a pas de console apparente et l’instrument semble en ruine. Les dimensions du meuble inclinent à penser que cet orgue n’a jamais pu renfermer plus de deux ou trois jeux. Il s'agit d'un orgue de série de la maison lyonnaise Ruche, probablement doté de sommiers unit.

 

 

RABAT

Cathédrale Saint-Pierre

Construite autour de 1921, cette cathédrale possède un orgue de tribune des facteurs Gray and Davison, de Londres. Cet orgue d'occasion a été remonté à Rabat par Vignolo en 1929. Des devis avaient également été demandés à d'autres facteurs - notamment Rinckenbach - par Edgard Lenhardt (1893-1975), organiste, qui deviendra Directeur Général de l'Office Chérifien des Phosphates. D'après Jean-Marc Cicchero qui a pu approcher l'instrument en juin 2009, l'entretien en était assuré depuis 2003 par Daldosso, mais le ventilateur était inopérant lors de la visite de M. Cicchero.

En voici la composition  :

Great (56 notes)  : Open diapason 8', stopped diapason 8', dulciana 8', principal 4', wald flute 4', harmonic piccolo 2'.
Swell (56 notes)  : Lieblich bourdon 16', principal violon 8', lieblich gedackt 8', gamba 8', voix céleste 8', gemshorn 4', mixture III rgs, cornopean 8', basson-hautbois 8'.
Pedale (30 marches)  : Bourdon 16', geigen principal 8', violoncelle 8'.
Acc. II/I, tir. I et II, appel et renvoi fonds I et II (séparément).
La transmission est mécanique tant pour les notes que pour les jeux et la console est en fenêtre latérale.

Maurice Duruflé (1902-1986) dirigea son Requiem le 23 mars 1958 dans la cathédrale de Rabat. Son épouse tenait les claviers et des oeuvres de Couperin, Bach, Buxtehude et Vierne furent aussi jouées lors de ce concert.
Germaine Francart-Terrillon était titulaire de cet instrument dans les années cinquante, avant d'être nommée à l'orgue Callinet de l'église Saint-Jean-Baptiste de Solliès-Pont (Var) où elle était en poste au début de la décennie suivante (NDLR)

Dans Les Annales coloniales du 13 septembre 1927, on lit : « Cathédrale de Rabat. […] Le R.P. Colombié, curé de Saint-Pierre, a acheté en France de superbes grandes orgues. Ces grandes orgues seront installées dans la tribune de la maîtrise. Leur voix puissante rehaussera l’éclat des cérémonies et s’étendra sur tout le Maroc, lorsque certaines cérémonies religieuses seront radio-diffusées. »

Un article sur la paroisse Saint-Pierre, paru dans Le Maroc catholique (octobre 1937, p. 265), évoque l’instrument de la cathédrale : «  […] boiserie d’orgue due à l’artisanat marocain […] Le R.P. Curé s’ingénie à trouver de l’argent […] Aussi joue-t-il de l’orgue ou plus exactement fait-il en jouer. A Rabat, on a l’âme et l’oreille musicienne et on assiste volontiers aux concerts religieux, surtout lorsqu’ils sont de choix. »

Rabat, façade de l’ancien orgue de l’église Saint-François d’Assise.
Rabat, façade de l’ancien orgue de l’église Saint-François d’Assise.
Avec l’aimable autorisation du Frère Manuel,
de la communauté franciscaine.
(DR.)

 

Saint-François d'Assise

La tribune de cette chapelle abritait un orgue espagnol signé Oeja. Jean-Marc Cicchero a pu en relever la composition en juin 2009 mais l'orgue n'était pas en état de marche, le ventilateur étant ici aussi hors-service. La console est en fenêtre et la traction est électrique. Les registres sont placés horizontalement au-dessus des claviers de 56 notes. Le second clavier est expressif et le pédalier est de 30 marches. Un essai de l'instrument n'ayant pas été possible, il serait présomptueux d'attribuer les jeux à chacun des claviers. Voici toutefois la composition que l'on peut trouver sur les registres de droite à gauche à la console  :

Soubajo 16' (probablement au pédalier), violon 8', flautado 8', drimenca 8', corno, otava 4', violon 8', gamba 8, céleste 8', conica 4', lleno III rgs, trompeta 8.
Trémolo I, trémolo II + sept cuillers non identifiées (tirasses  ? Accouplements?)

Cet orgue a récemment été démonté car l'humidité avait eu raison de ses nombreux tuyaux de bois. En tribune, il n'en subsiste qu'une façade de tuyaux.

 

 

TANGER

Cathédrale Notre-Dame

L'église «  La Purisima  » de Tanger, construite pour la communauté espagnole de la ville et inaugurée en 1880 se trouvait dotée d'un orgue. Durant la seconde moitié du XXè siècle, de moins en moins fréquenté par les fidèles pour le culte, l'édifice a changé de destination, la communauté s'est davantage tournée vers l'action sociale et l'orgue a été transféré à la cathédrale Notre-Dame de Tanger où il se trouve aujourd'hui encore. Depuis lors, cette cathédrale construite au début des années 1960 renferme un grand orgue de tribune et un orgue de choeur qui, tous deux, ne fonctionnent malheureusement plus depuis de nombreuses années.
Grand-orgue de tribune de la cathédrale Notre-Dame de TangerGrand-orgue de tribune de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
Grand-orgue de tribune de la cathédrale Notre-Dame de Tanger, console, buffets.
( photos Père Siméon Stachera ) DR


Claviers du Grand-orgue de tribune de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
Claviers du Grand-orgue de tribune de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
( photo Père Siméon Stachera ) DR

L'orgue de tribune est dû à la manufacture Organeria Espanola. La transmission, tant pour les jeux (par langues de chat) que pour les notes, est électrique. La console indépendante de trois claviers à frontons biseautés est placée entre les deux buffets, l'organiste regardant la rosace au fond de la tribune. Les naturelles sont plaquées d'ébène et les feintes de matière plastique blanche.

Sa composition est la suivante  :

Grand-Orgue (56 notes)  : Violon 16', flautado 8', flauta chimenea 8', octava 4', tapadillo 4', lleno IV-V rgs, trompeta 8'.
Positif (56 notes)  : Bordon 8', flauta chimenea 4', quincena 2', nazardo 1 2/3' [sic], cimbalita II rgs, clarin 4'.
Récit expressif (56 notes)  : Flauta holandesa 8', celeste II rgs, principal 4', corno gamo 2', corneta VI rgs, zimbala III-IV rgs, dulzaina 16', campanas 25 notes (cloches).
Pédale (30 marches)  : Contras 16', flauta dulce 16', principal 8', violon 8', flauta 4', lleno III rgs, fagot 16', trompeta 8', regalia 4'.
I/P, II/P, III/P, II/I, III/I, III/II, trémolo III, annulation 16', annulation anches, annulation mixtures, tutti, combinaisons fixes par boutons poussoirs sous le premier clavier (flûtes 8', flûtes 8' et 4', plein-jeu, anches).

L'orgue de choeur, quant à lui, est placé à gauche dans le transept. La partie instrumentale est contenue dans un joli buffet en chêne doté de jalousies d'expression en son milieu. Cet instrument a été construit par la maison Roques Hermanos de Zaragoza, comme en atteste la plaque figurant au niveau de la console en fenêtre et sa facture remonte manifestement à la fin du XIXè siècle. Une seconde plaque plus petite indique un probable relevage par Luis Moreno Barbero de Màlaga.

Orgue de choeur de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
Orgue de choeur de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
( photo Père Siméon Stachera ) DR


Console de l'orgue de choeur de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
Plaques des facteurs de l'orgue de choeur de la cathédrale Notre-Dame de Tanger
Console de l'orgue de choeur de la cathédrale Notre-Dame de Tanger et plaques des facteurs
( photos Père Siméon Stachera )

La console comporte 13 tirants, dont un pour le trémolo, et un clavier unique de 56 touches, à frontons droits, rendu expressif par le moyen d'une pédale à bascule. La hauteur des jeux n'est précisée que sur deux porcelaines. La transmission est entièrement mécanique. Actuellement, il n'y a pas de pédalier mais cela n'a peut-être pas toujours été le cas. L'attribution des jeux au seul clavier est donc purement hypothétique, d'autant que le violon, par exemple, est actionné par deux tirants, l'un placé à gauche du clavier et l'autre à droite ce qui peut signifier que le jeu est coupé en basse et dessus, qu'il s'agit de deux jeux distincts (l'un de 16 pieds et l'autre de 8, par exemple) ou bien que l'un des deux registres correspond au jeu d'un éventuel pédalier aujourd'hui disparu.

Voici la composition de cet instrument  :

Clavier manuel expressif (56 notes)  : Flautado 8 pies, violon [16' ou 8'  ?], flauta armonica 8', celeste [8'], octava [4'], viola [8' ou 4'  ?], quincena [2'], bajon [16' ou 8' ?], trompeta real [8'], fagot y oboe [8'], voz humana [8'].
Trémolo.


Église Saint-François

Un orgue de 20 jeux répartis sur deux claviers manuels et un pédalier a été posé dans cette église par la manufacture Famiglia Organaria Mascioni en 1956.

 

 

En guise de conclusion

Les organistes parisiens appréciaient les instruments d'Afrique du Nord, parmi lesquels figuraient en bonne place ceux du Maroc, comme le signalait Norbert Dufourcq (1904-1990) dans un article déjà ancien de la revue L'Orgue  :

Nos territoires métropolitains et coloniaux de l'Afrique du Nord avaient reçu peu avant la guerre la visite de Marcel Dupré. La prochaine tournée que doit accomplir ici, pour les Jeunesses Musicales de France, André Marchal (Casablanca, Rabat, Alger, Tunis), attire à nouveau l'attention sur ces contrées, qui semblent à première vue déshéritées, mais où s'accomplit un travail en profondeur, grâce aux efforts de certains apôtres soucieux d'ouvrir à notre art nombre d'amateurs éclairés.

(L'Orgue, n°46, Paris, Floury, janvier-Mars 1948, p. 18)

La vie culturelle intense du Maroc ne pouvait bien entendu le laisser de reste sur le plan de la facture et de la musique d'orgue au XXè siècle comme en témoigne cet extrait de La Revue musicale du Maroc qui a exprimé clairement son attachement à l'instrument en citant un article de Paul Allard sur la musique enregistrée à l'église paru dans L'Education musicale vivante  :

"[…] Autant que l'on peut, c'est de l'organiste que doit venir la musique et non de disques sans âme. […] Mais il n'est pas possible de réaliser partout cet idéal. […]

Mais, même dans ce cas, il est inadmissible d'installer dans le silence mystérieux et frais de nos églises de campagne cette musique bruyante, surchauffée, qui fait la joie de nos théâtres et parfois de nos dancings. Seuls peuvent être employés les disques qui ont enregistré les chants religieux et toujours exprimés en plain-chant et particulièrement en chant liturgique grégorien. […]

Il faut voir aussi une conséquence de l'introduction de la musique mécanique à l'église  : N'est-il pas à craindre que, peu à peu, elle fasse disparaître les quelques choeurs et les quelques organistes qui demeurent encore  ?  "

("Le disque à l'église" in  : La Revue musicale du Maroc, 2e année, n° 11, mai 1931, Imp. Réunies, p. 202)



Rabat, vue intérieure de Notre-Dame des Anges avec la tribune de l'orgue au fond.
(coll. O. Geoffroy) DR.
ORGUES DISPARUS

Un orgue Ruche de 1952 se trouvait dans l'église du Christ-Roi de Port-Lyautey (aujourd'hui Kénitra). André Marchal y a donné un concert le 16 février 1953. Il est fait mention de l’instrument de l’église du Christ-Roi dans Le Maroc catholique de juin 1937, p. 174 : « Malgré ses vastes proportions, notre nouvelle église s’est avérée trop petite pour l’assistance des grands jours. Aux accents de l’orgue, tenu avec maestria par M. Dupuis, le cortège des 120 communiants, formé depuis le presbytère, fait son entrée dans la maison de Dieu. » Cet instrument de série dans un buffet standard avec trois rangées de chanoines, sept jeux réels auxquels s'ajoutent emprunts et dédoublements à traction électrique possédait à l'origine la composition suivante : 

 

Grand-orgue expressif (61 notes) : Bourdon 16', montre 8', flûte 8', prestant 4', flûte 4'.

Récit expressif (61 notes) : Cor de nuit 8', gambe 8', voix céleste 8', salicet 4', flûte 4', nazard 2 2/3', flageolet 2', larigot 1 1/3', trompette 8', clairon 4'.

Pédale (32 notes) : Bourdon 16', bourdon 8', flûte 4', trompette 8', clairon 4'.

Tir I et II, acc. II/ I, tutti, appel anches, trémolo II, double registration.

La construction de cet orgue avait été relatée dans un journal marocain :
« Les cérémonies du culte :
Père Rémy, puisque vous êtes le « maître de chapelle » voulez-vous répondre à nos questions ? On nous a dit que l’Eglise du Christ-Roi allait très bientôt s'enrichir d’un orgue. Etait-ce bien nécessaire ? De quelle importance sera cet instrument ?
« L’orgue est considéré depuis des siècles déjà comme l’instrument d’église par excellence, il était normal que Port-Lyautey qui construit puis embellit son église songe à la doter d'un instrument digne d’elle. Commandé au mois de mai 1951 à la maison Ruche et Cie de Lyon, l’instrument sera monté en fin janvier 1952 et inauguré le 3 février. L’organier est venu lui-même dans notre église pour juger de l’importance et de l’harmonisation à donner à cet instrument qui comprendra, au total, 511 tuyaux parlants. »
(Casa-Cité, 24 novembre 1951, p. 6)

 

A la suite de la démolition de l'église de Kénitra lié à l'amenuisement de la communauté catholique sur place, l'orgue a été démonté et est revenu en France, acheminé par bateau. En 1986, le curé de l'église Saint-Samson de Ouistreham (Calvados), le père Jack Jousset, désireux de doter son église romane d'un instrument s'en est porté acquéreur et l'a fait placer sur le côté droit de la nef. En 2019-2020, l'orgue, fréquemment utilisé pour la liturgie et pour des récitals, a fait l'objet de travaux de rénovation par le facteur Emmanuel Foyer de Caen, assisté de quelques bénévoles (transmission électrique, amélioration du rendu sonore par ajourage de certaines parties du buffet). Quelques jeux ont été ajoutés par emprunts et dédoublements : une doublette 2' au grand-orgue et une tierce 1 3/5' ainsi qu'une mixture III rangs au récit.

Un orgue aujourd'hui disparu se trouvait selon toute vraisemblance au fond de l'église Saint-François-d'Assise de Fès. On en trouve trace dans la presse de l’époque :
« Grâce à la générosité des paroissiens, un grand orgue put être installé en 1950 pour donner plus de solennité aux cérémonies religieuses.
[…] La chorale put repartir en 1950 et 1951 et faire entendre à nouveau des œuvres splendides, avec le concours de Mme Dame, de M. Bondue et de leurs élèves, en même temps qu’un grand orgue était installé dans l'église. »
(Casa-Cité, 20 octobre 1951, p. 3-4)

Un témoignage rapporte la présence d'un petit orgue de six jeux dans une communauté religieuse féminine du Maroc mais cet instrument n'est a priori plus en place aujourd'hui.

Dans sa demeure de Casablanca, le docteur Pierson possédait jadis un orgue de salon du facteur E. Ruche. (Norbert Dufourcq, « En flânant... au fil des jours et des orgues » in : L'Orgue n° 77,1955-IV, pp. 111-114).

Dans le même article, Norbert Dufourq évoque la présence d'un orgue dans l'église des pères franciscains de Casablanca.

Deux orgues de type unit-major semblent avoir été construits pour le Maroc. Le premier pour l’église Notre-Dame-des-Anges de Rabat et le second pour l'église de Sidi-Slimane. Selon toute vraisemblance, ils ont disparu.

L'église Sainte-Marguerite des Roches Noires de Casablanca abritait un orgue inauguré par Suzanne Guillaud le 25 août 1946. L'instrument a disparu à une date indéterminée de l'édifice transformé en mosquée.

Un orgue se trouvait dans le temple d'Oujda, mentionné dans deux numéros du Bulletin paroissial de l'Église réformée évangélique française au Maroc :

« C’est par une belle journée de printemps que dans un Temple ensoleillé au milieu d’une assistance sympathique a eu lieu dimanche 23 mars, l'installation officielle de M. Balfec. […] Ajoutons que les chants de ce service solennel furent soutenus et embellis par la voix de l'orgue qui participait, également, à l'un de ses premiers cultes. Nous le devons à la générosité de l'un de nos frères. »
(n° du 10 avril 1952)

« Notre église du Maroc est dans le deuil. Un de ses plus fidèles membres, M. Gaston Vautherot, pionnier du Maroc Occidental lui a été prématurément enlevé, à l’âge de 63 ans, à la suite d’une grave opération. Nous n’avons pas besoin de souligner ici la grande perte que nous venons de faire. Si nous avons vu, successivement, se dresser à Oujda un temple et un presbytère, si un poste de pasteur y a été récemment créé c’est, en grande partie, à lui que cet essor est dû ; et pour souligner la joie de ce développement, un de ses derniers gestes fut de doter d’un très bel orgue son église. […]
Que ne lui devons-nous pas pour son aide morale et matérielle toujours soutenue, et tout dernièrement encore, afin d’égayer l'exercice du culte et rehausser son éclat, il fit don de cet orgue magnifique à ce Temple qu’il aimait, et pour lequel il s’était tant dépensé. »
(n° du 25 décembre 1952)



Olivier Geoffroy (avril 2016, mise à jour : février 2023)


 


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