Paul PARAY
(1886-1979)
Paul Paray en 1952
( photo Studio Clinedinst, coll. Jean Cabon )Du vivant de Paul Paray, la brillante carrière du chef éclipsa quelque peu celle du compositeur. On se souvient que sa direction d’orchestre, chez Lamoureux et Colonne, passait pour un modèle de clarté et d’élégance, et qu’il fut, après la seconde guerre mondiale, un infatigable ambassadeur de la musique française, en particulier sur le continent américain. Mais il resta très discret quant à son œuvre musicale1, si riche en inventions rythmiques et mélodiques, qui se trouve enfin rassemblée aux Editions Jobert (Paris).
Une précoce formation musicale
Paul Paray disait volontiers que " toute musique digne de ce nom doit pouvoir être chantée ", et ce n’est pas un hasard si ses compositions privilégient la mélodie. Né le 24 mai 1886 dans la petite ville côtière du Tréport, en Haute Normandie, le jeune Paul est initié au piano par son père, Auguste Paray, organiste de l’église Saint-Jacques et directeur de l’Orphéon municipal, et découvre à ses côtés, pendant la saison estivale, les grands oratorios de Haydn, Mendelssohn, Berlioz, Gounod, Saint-Saëns.
C’est à la maîtrise Saint-Evode de Rouen qu’il reçoit une solide formation littéraire et musicale. Il y chante les maîtres de la Renaissance, approfondit les règles du solfège, pratique le violoncelle, les timbales, le piano et l’orgue. A quatorze ans, il joue de mémoire, sur le grand instrument de la cathédrale, toute l’œuvre pour orgue de Jean-Sébastien Bach, et compose un premier Magnificat pour les jours de fête. Avec son camarade Marcel Dupré, il passe de longues heures à interpréter les symphonies de Widor et de Vierne, et déchiffre à vue les partitions de Franck, Bruckner et Reger. Il découvre bientôt le répertoire des mélodies françaises, et compose lui-même Paroles à la Lune, en 1902, sur un poème d’Anna de Noailles.
Parrainé par l’organiste Henri Dallier, il entre à dix-sept ans au Conservatoire de Paris, où il suivra les cours d’harmonie, de contrepoint et de composition de Xavier Leroux, Georges Caussade, Charles Lenepveu et Paul Vidal. Il écrit alors une première série de mélodies, et une ravissante Pastorale de Noël (1904), qu’il conçoit « en une nuit ». Il met à profit ses moments de liberté pour tâter du métier : il est violoncelliste au Théâtre Sarah Bernhardt, puis, en 1909, après son service militaire, succède à Maurice Yvain au piano du cabaret "Les Quat’Z’Arts", où il signe de nombreux couplets sous le pseudonyme de Paul Apria. Il compose une élégante Fantaisie pour piano et orchestre, une Sonate pour violon et piano, et se lie d’amitié avec Jean Jobert, qui deviendra son éditeur à partir de 1912.
Le Prix de Rome et la guerre
Paul Paray en 1911 lors de son Prix de Rome
( Musica, 1911, coll. D.H.M. )Un premier prix d’harmonie et un second prix de contrepoint lui permettent de se présenter au concours de Rome de 1910. Sa cantate Acis et Galatée lui vaut un second Grand Prix, et l’estime de Gabriel Fauré. C’est l’année suivante, en novembre 1911, qu’il obtient le premier Grand Prix pour sa cantate Yanitza, qui fait l’unanimité du jury présidé par Camille Saint-Saens.
De son séjour à la Villa Médicis, brutalement interrompu par la guerre, Paul Paray se souviendra comme de la période la plus heureuse de sa vie. Il écrit à Rome la Suite d’orchestre Adonis troublé (qui fournira la musique du ballet Artémis troublée, monté par Léon Bakst à l’Opéra de Paris, en avril 1922), de nombreuses pièces pour piano, un Nocturne pour violon, et de nouvelles Mélodies sur des textes de Théophile Gautier, Jean Aicard, Albert Samain, José-Maria de Hérédia… Il travaille longuement à son oratorio Jeanne d’Arc, qui sera chanté en la cathédrale de Rouen, à l’occasion des fêtes commémoratives de mai 1913.
La guerre va mettre un terme provisoire à ce travail de création. Après deux mois de combat, Paul Paray est fait prisonnier et envoyé au camp d’internement de Darmstadt. Refusant toute collaboration musicale avec les Allemands, il subit une dure captivité de quatre années, mais développe cette étonnante faculté qui lui permet de composer sans instrument de musique, de concevoir et de garder en l’esprit le détail des partitions qu’il transcrira plus tard sur le papier, d’un seul jet, et sans rature. Son Quatuor à cordes, achevé au Tréport, plus sombre et plus heurté, semble témoigner de sa découverte du tragique de la vie.
Paul Paray porté en triomphe après la proclamation du résultat du Concours de Rome, le 30 juin 1911. De droite à gauche : Félix Leroux, Marcel Chadeigne, Raymond Pech, G. Paulet, Louis Vuillemin, René Delange, M. Schmidt, M. Sigwalt ( Musica, 1911, coll. D.H.M. ) |
L’ascension du jeune chef
Pendant l’été 1919, pressé par des nécessités économiques, il accepte de diriger l’orchestre du casino de Cauterets, et y fait une expérience décisive : le pianiste se découvre " un bras ", le talent de faire partir un orchestre, dont les plus grands compositeurs ont souvent été privés. Dès son premier concert à Paris, le 20 mars 1920 (un programme Wagner, Berlioz, Chabrier, Duparc, Debussy), le public réserve un accueil enthousiaste au jeune maître, qui est bientôt nommé chef adjoint de Camille Chevillard, puis directeur de l’Orchestre Lamoureux.
Paul Paray se donne alors avec ardeur à son travail d’interprète. Sa vaste culture et sa prodigieuse mémoire musicale lui permettent d’exceller dans le répertoire classique, qu’il soit allemand, français ou russe, et de mener les nombreuses créations que lui confient ses contemporains : Gabriel Fauré, Claude Debussy, Maurice Ravel, Ernest Chausson, Florent Schmitt, Gabriel Pierné, Louis Aubert, Lili Boulanger, Pierre de Bréville, André Caplet, Jacques Ibert, Albert Roussel, Claude Delvincourt, Maurice Duruflé… Il présente au public parisien de nouveaux interprètes de grand talent, comme Jascha Heifetz (en février 1921) et le jeune prodige Yehudi Menuhin (en février 1927).
En 1928, il cède la baguette de Lamoureux à Albert Wolff, et partage pendant douze années une intense activité musicale à la tête des orchestres de l’Opéra de Monte-Carlo, du Casino de Vichy, des Concerts Colonne, de l’Opéra de Paris, où il conduit plusieurs cycles Wagner.
Les œuvres de la maturité
Mais la direction d’orchestre n’épuise pas toute son énergie. Il compose alors des œuvres parfaitement maîtrisées, d’une audacieuse vigueur, dont le phrasé lyrique et l’esthétique apollinienne ne feront jamais place à la forme atonale ni aux expériences sérielles :
- La Messe pour le cinquième centenaire de la mort de Jeanne d’Arc, créée à Rouen, en mai 1931, avec les meilleurs instrumentistes de Lamoureux, de Colonne et du Conservatoire, qui suscita l’enthousiasme de Florent Schmitt : " La Messe de Jeanne d’Arc est une œuvre d’une force et d’une noblesse qui la hissent d’emblée aux sommets ";
- La Première Symphonie en ut, créée en mars 1935 aux Concerts Colonne, où la science orchestrale est mise au service d’un " optimisme que toutes les ironies et tous les scepticismes ne sauraient endiguer " (Jean-Philippe Mousnier) ;
- La Seconde Symphonie en la, créée au Châtelet en avril 1940, tour à tour méditative, nostalgique, tumultueuse et sereine, conçue à la faveur de longues promenades sur les falaises du Tréport, peu après la mort d’Auguste Paray.
Mais la guerre interrompt, une nouvelle fois, l’activité musicale de Paul Paray, qui démissionne de la présidence des Concerts Colonne lorsque les autorités d’occupation lui réclament les noms de ses musiciens juifs et entreprennent de débaptiser l’orchestre. Il quitte Paris en octobre 1940 et s’exile à Monaco, qui lui offre le poste de co-directeur et premier chef d’orchestre de l’Opéra. Contraint de réduire la fréquence de ses concerts publics après l’invasion de la " zone libre ", il prend le temps de transformer quelques-unes de ses œuvres antérieures : il élargit son Quatuor à cordes aux dimensions d’une Symphonie d’archets, qu’il dirige à Monte-Carlo en mars 1944, et orchestre une dizaine des Mélodies dont il avait achevé la série dès 1921, sur des poèmes de Jean Lahor.
La carrière internationale
Bientôt absorbé, à la Libération, par la réorganisation de son Orchestre Colonne, ses tournées à travers l’Europe – notamment à la tête du Philharmonique de Vienne - et les concerts qu’il effectue comme chef invité des plus grandes phalanges mondiales, Paul Paray interrompt son activité de compositeur.
Il avait déjà produit forte impression aux Etats-Unis, en 1939, à la tête du New York Philharmonic, et avait alors refusé le poste de co-directeur du NBC Symphony Orchestra, aux côtés de Toscanini. En 1951, au terme d’une prestigieuse série de concerts avec les orchestres de Boston, New-York, Cincinatti, Philadelphie, Pittsburgh et Chicago, il accepte de rebâtir le Detroit Symphony Orchestra, dont il fera, pendant onze ans, " le premier orchestre français des USA ".
Paul Paray conduit pourtant à Detroit de nombreuses créations, en étroite collaboration avec des compositeurs américains. A ceux qui s’étonnent qu’il ait lui-même abandonné l’écriture musicale, il répond que " rien ne peut égaler la joie de créer ", mais que son travail d’interprète, souvent nourri d’un fécond dialogue avec les auteurs, lui donne " une satisfaction palpable et bien réelle, plus directe que la composition, même si elle est éphémère ". C’est à Detroit que Paul Paray réalisera ses plus beaux enregistrements, servis par la nouvelle technique " Living Presence " de la firme Mercury.
Un infatigable " Guest conductor "
Il a soixante-quinze ans en 1962, lorsqu’il entreprend la dernière phase de sa carrière. Toujours précédé par sa réputation de " bâtisseur d’orchestres ", il est régulièrement invité par les plus grandes phalanges symphoniques, aux Etats-Unis, en France, en Israël, et sur tous les continents. C’est à Monte-Carlo que la mort surprend le doyen des chefs français, le 10 octobre 1979, peu après un concert avec son ami Yehudi Menuhin, à la veille de trois nouvelles prestations avec l’Orchestre de Paris.
Paul Paray était membre de l’Académie des Beaux-Arts, Grand Croix de la Légion d’Honneur, Citoyen d’honneur de Monaco et de Detroit.
Jean Cabon
Photos : Paul Paray et le Prix de Rome, la Villa Médicis.
Site du Cercle Paul Paray
____________1) La nouvelle publication des œuvres de Paul Paray, désormais rassemblées aux Editions Jobert, à Paris, doit beaucoup aux recherches de Jean-Philippe Mousnier (Paul Paray, éd. L'Harmattan, 1998) et à l'admirable travail d'analyse et de transcription des manuscrits effectué, depuis 1999, par un musicien américain, le Révérend Eduard Perrone, qui a connu le chef-compositeur lorsque ce dernier présidait aux destinées du Detroit Symphony Orchestra. [ Retour ]
Paru en 2004 :
Volume IV des enregistrements des oeuvres de Paul Paray en cours de publication chez Grotto Productions, sous la direction d'Eduard Perrone.
La musique de chambre de Paul Paray
Nadine Deleury (violoncelle), Robert deMaine (violoncelle)
Varty Manouelian (violon), Marian Tanau (violon)
James Van Valkenburg (alto), Eduard Perrone (piano)
Sonate pour violon et piano (1908)
Sonate pour violoncelle et piano (1921)
Quatuor à cordes (1919)
Grotto Productions, Detroit, Michigan (USA)
Point de vente : CD Baby
Rappel des précédents volumes :
I - Artémis troublée (ballet) et Symphonie d'archets
II - L'intégrale des mélodies : "Affairs of the heart" (2 CD)
III - Jeanne d'Arc (oratorio) et Pastorale de Noël (choeur et orchestre)