Il y a 50 ans, à propos d’une émission à Paris-Inter

 

On sait que, parmi les organisateurs de concerts et les responsables des programmes radiophoniques, l'oubli et parfois même le mépris sont la ligne de conduite adoptée à l'égard des organistes et " musiciens d'église ". Ceux-ci, cependant, dans bien des cas, ont écrit des œuvres de musique de chambre ou symphonique qui mériteraient souvent, non seulement un autre sort que l’abandon pur et simple, mais encore une célébrité, une " popularité " semblables au succès réservé, à juste titre d'ailleurs, à des œuvres de compositeurs exclusivement classés dans le domaine de la musique non religieuse.

Mais la consolation est venue sous l'apparence d'une émission radiophonique qui nous fit oublier pour une heure ces réflexions amères. Tous les samedis, à 15 h. 18, on peut entendre sur Paris-Inter l'émission " la Chaîne des Compositeurs ", dirigée par Gérard Michel. Etiez-vous à l'écoute le samedi 17 janvier [1953]? J'y étais par bonheur et le hasard m'a fait découvrir cette émission consacrée, ce jour-là, à des organistes célèbres...

Pour commencer, de Widor, on put entendre, ou plutôt réentendre, la Toccata de la 5e Symphonie, énergiquement et brillamment enregistrée par Jeanne Demessieux, puis une œuvre que l'on avait oubliée, Non Credo, mélodie dont le style a pu peut-être paraître un peu fané, mais dont la plénitude de sentiment et l'expression chaleureuse gagnèrent le cœur de chacun. De Widor on passa à Louis Vierne dont on retrouva toute la personnalité dans l'Impromptu dédié à André Marchal et enregistré par le dédicataire. On eut ensuite le privilège d'entendre, pieusement conservée par la cire, une improvisation de Vierne lui-même : grand chœur puissant et grandiose, avec un thème plein d'envolée en refrain, où l'improvisateur n'aurait pu renier son maître Alexandre Guilmant. La défectuosité de l'enregistrement était bien compensée par l'émotion que suscitait ce recul de quelques années dans le temps.

D'Alexandre Cellier, un autre élève de Guilmant, dont on sait la dévotion envers son maître, on entendit un Lamento pour alto et piano, avec l'auteur au piano, où l'on goûta la douce expression plaintive et à la fois confiante.

Avec Charles Tournemire, on retrouve encore à l'orgue plusieurs enregistrements nous permettant d'écouter cette fois le grand organiste de Sainte Clotilde improvisant sur son célèbre Cavaillé-Coll. Quelles magnifiques capacités d'improvisateur! Quel souffle et quelle fraîcheur dans cette pièce symphonique superbement construite sur le Te Deum ; quelle poésie vaporeuse et aérienne dans cette Cantilène mettant en valeur de nombreux jeux de solo que Franck affectionnait particulièrement ; quelle légèreté et variété dans cette petite Rhapsodie !...

L'émission parvint à son sommet, me sembla-t-il, en abordant Marcel Dupré et son Concerto en mi pour orgue et orchestre dont il nous fut donné d'entendre le second mouvement (largo, allegretto, meno mosso). L'auteur était à l'orgue, aux côtés d'Eugène Bigot à la tête de l'Orchestre Lamoureux. On ne se lasserait pas d'écouter cette large phrase qui passe des voix célestes de l'orgue aux cordes, puis au cor, atteignant alors le suprême degré de l'émotion, ni la " chanson " (le mot est de l'Abbé Delestre) qui, gaiement, va et vient entre différents instruments et l'orgue. Nous ne saurions mieux faire pour décrire l'admiration qui a pu saisir l'auteur, que de citer encore le distingué biographe du Maître 1 : " D'aucuns ont pu s'y tromper et croire qu'il s'agissant d'un thème de folklore. La " chanson " passe par mille colorations chatoyantes, prend de plus en plus d’ampleur, se modère enfin pour se mélanger à un retour de la phrase large du début... La conclusion est donnée à la manière d’un écho, par un cor en sourdine ".

On ne sait qu'admirer le plus! L'émotion de la phrase, la noblesse et la profondeur du sentiment, l'étonnante richesse de l'orchestration, le foisonnement des idées et trouvailles de génie ou l'habileté suprême de l'écriture ?...

Les privilégiés qui ont vu le maître de Saint-Sulpice improvisant sur son orgue magnifique de Meudon goûtèrent d'autant mieux, n’en doutons pas, l'audition de six Chorals (extraits des 79 Chorals) enregistrés sur cet orgue.

L'émission se termina sur les deux premiers volets du Triptyque d'Olivier Messiaen : Les Offrandes oubliées (successivement la Croix, le Péché), enregistrées par un orchestre dirigé par Roger Désormière, nous livrèrent la personnalité complexe et parfois déroutante, quoique attachante, de l'organiste de la Trinité.

Oui, ce fut une belle émission, une heure bien captivante, un moment trop court à notre goût, qui nous fit oublier que le mot " ennui " existe même à la Radio.

Joachim Havard de la Montagne 2

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1) Abbé Delestre : L'Œuvre de Marcel Dupré, Ed. Musique Sacrée. [ Retour ]

2) Cet article, écrit voilà plus d'un demi-siècle, était paru dans la revue Musique sacrée - L'Organiste, nouvelle série, IIe année, n° 10, 1er mars 1953, p. 52. [ Retour ]

 


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