MARCEL PEHU
organiste et compositeur lyonnais
(1904-1974)

Marcel Péhu, octobre 1965
Marcel Péhu, octobre 1965
( coll. privée )

« Un musicien qui a toujours négligé la gloire
et que la gloire ne cesse de poursuivre. »

 

Marcel Péhu est né avec le siècle (8 février 1904), dans une famille de notables : son père est architecte de la Ville de Lyon, son oncle, le docteur Péhu, fut l'un des fondateurs de la pédiatrie moderne ; sa mère, professeur de piano et de chant, va être très tôt l'initiatrice artistique de ce fils unique tant aimé chez lequel elle a pressenti des dons exceptionnels.

À l'âge de dix ans, au cours d'un voyage à Fribourg en Suisse, l'enfant est fasciné par l'écoute d'un concert d'orgue. Son destin s'ouvre irrémédiablement : il sera organiste, il en fait le serment.

Pour mener à bien cette vocation, sa mère le confie, à Lyon, à deux maîtres remarquables : E. Trillat pour le piano, V. Neuville pour l'orgue, l'harmonie, le contrepoint, la composition. Avec l'abbé Joubert, il étudie le plain-chant et se passionne pour l'art modal.

À vingt ans, ce surdoué de la musique a presque fini son cursus d'études. Mais pour aller plus loin dans son art, il n'hésite pas à se rendre à Paris pour travailler avec des maîtres de renommée internationale : Cortot, Dukas, Selva, Dupré et Bonnet pour lequel il aura une longue et profonde amitié.

Marcel Péhu, auréolé de diplômes à vingt-trois ans, se voit confier sa première tribune : celle du Saint-Sacrement de Lyon, où il restera quatorze ans. C'est dans cette paroisse qu'il débutera son œuvre de compositeur (1929).

Elle est importante : quatre-vingt-dix-neuf partitions composées de nombreuses pièces et suites pour piano, instruments divers, chœurs ; une messe modale pour chœurs et orgues, trois symphonies, un triptyque pour orgue et trompette...

Marcel Péhu
à l'orgue de Notre-Dame-de-Bellecombe,
Lyon VIe
( coll. privée )

Cette œuvre, reconnue comme faisant partie d'une des littératures les plus remarquables du vingtième siècle, est jouée dans le monde entier ; elle a fait dire au critique Pierre Samazeuilh : " Marcel Péhu est un musicien complet et toutes ses exécutions sont guidées par une pensée pleine d'élévation et de sens musical. Possédant une excellente technique, il anime ses textes qu'il traduit avec un rare bonheur... ".

C'est dès cette période que Marcel Péhu est demandé - tant sa notoriété a grandi - pour faire partie des jurys de conservatoire. Des centaines d'élèves le sollicitent, attirés par ses qualités de pédagogue, son enthousiasme et la rigueur de son enseignement.

La région lyonnaise peut s'enorgueillir de compter encore une dizaine d'organistes de renom, titulaires de paroisses importantes, et qui ont été les étudiants de Marcel Péhu.

1941 : Conformément au vœu de son premier maître, Marcel Péhu quitte le Saint-Sacrement pour la tribune prestigieuse de Saint-François de Sales, qui abrite le fabuleux Cavaillé-Coll, orgue symphonique d'une puissance herculéenne, entretenu dans son état d'origine (1881), et qui avait été construit à la demande de Ch. M. Widor.

À trente-sept ans, Marcel Péhu est au faîte de son art et de sa gloire. Il restera dans cette position dominante pendant trente-trois ans. Il nous a quittés un dimanche soir après avoir rempli sa mission à Saint-François (31 mars 1974).

Quant à l'homme Péhu, tous les témoignages concordent : une personnalité forte, attachante, séduisante. Il avait un grand respect d'autrui, ne serait-ce que par son exactitude légendaire, son humanisme, sa délicatesse, sa droiture. Ces traits de caractère, qui peuvent paraître austères, étaient contrebalancés par un amour immodéré des jeux de mots, plaisanteries de toutes sortes, calembours, humour exacerbé, etc., ce qui rendait son commerce très agréable. Ajoutons à cela une vénération pour les chemins de fer : " le chemin de fer me passionne, [...] ne me raille pas... " écrivait-il à un ami, vénération qu'il a traduite en musique dans son Poème du Rail.

Je garde de lui l'image lumineuse d'un musicien vivant dans et pour la musique, s'y immergeant totalement. Alors, il nous échappait et accédait, à n'en point douter, à cette perfection que la musique, les mathématiques pures, l'architecture utopique de la Renaissance peuvent seules laisser entr'apercevoir, cette perfection qui a pour base l'ordonnancement magistral du Nombre souverain et qui porte l'Harmonie Universelle à son comble de magnificence.

Michel LOUDE
Docteur ès lettres,
chargé de cours à l’Université Lyon II
ancien président-fondateur des " Amis de Marcel Péhu "


 


Marcel Péhu, de la voix humaine à la voix céleste

(Extrait du livre de Michel Loude  Editions. Stéphane Bâches, 3, place Marcel-Bertone, Lyon 4e, 155 pages,
" Prix du Manuscrit " du Conseil Général du Rhône, 1997.)

Marcel Péhu : de la voix humaine à la voix céleste
"Marcel Péhu, de la voix humaine à la voix céleste" par Michel Loude
( éditions Stéphane Bachès, ISBN : 2-9511985-1-5, 155 pages, 1998 )

Marcel Péhu : Variations pour grand orgue
Partition manuscrite (1ère page) des Variations pour grand orgue de Marcel Péhu, écrite à Lyon et Givry en août 1952, "pour Mademoiselle Guite Chesnard, organiste de la Chapelle du Collège St Thomas d'Aquin à Oullins et de la chapelle de Beaunand. En souvenir du récital de St Thomas - mars 1952 et en témoignage de bonne amitié"
( coll. privée )

" Il travaillait bien à Givry [Saône-et-Loire]. Il avait, dans sa modeste maison sans confort, un piano quelque peu désaccordé. Mais la qualité de l'instrument lui importait peu ; car, Marcel, entendait, " voyait " la musique tout comme Mozart. Il frappait deux accords sur le vieux piano défaillant dans " la chambre d'accouchement " et entendait mentalement le son pur. Sa musique est le reflet de cette Bourgogne paisible, grave, profonde, éternelle, qu'il n'avait plus qu'à transcrire sur le papier. Une musique descriptive, pastorale, attachée à ce territoire, comme Marcel Péhu l'était, viscéralement : " Toute image {et tout son), au fond, sont un résumé symbolique de l'idée que se fait l'artiste du monde illimité des sensations et des formes, une expression de son désir d'y faire régner l'ordre qu'il sait y découvrir " (Elie Faure). Amoureux de la nature au sens romantique du terme, comme Lamartine son compatriote bourguignon, comme Vigny, Hugo ou Verlaine, il supportait Lyon pour l'activité professionnelle qu'il y déployait, pour son Cavaillé-Coll, pour ses élèves, ses amis, mais il disait souvent : " je ne suis pas inspiré par les pavés de la rue Rabelais ".

" Marcel avait une vénération pour le piano qu'il avait travaillé avec les plus grands. Son œuvre pianistique, écrite en partie à Givry, un peu comme un enfant que l'on cache, n'était jamais jouée en public ; du reste, il ne donnait pas de récital de piano. Il fallait que ses élèves le suppliassent pour qu'il consentît à donner une partition pour une audition. À qui s'en étonnait, il répondait : " Vous croyez ? " sur un ton dubitatif et d'incrédulité en face de son génie. Cette production pour le piano est véritablement originale : c'est une musique de la nature, de la spontanéité, de l'élan, comme si elle était poussée par des mouvements de danse.

" Certaines partitions accompagneraient bien des films mélancoliques, tendres ou brusquement violents. La présence de nombreux arpèges leur donnent une allure aérienne, zéphyrienne : l'eau, les brumes la composent aussi. L'acrobatie des souffles de vent joue dans les miroirs de l'eau ; les bourdonnements des insectes se font entendre dans l'énervement d'une chaude journée d'été ; les libellules se croisent dans un sautillement frénétique dû aux notes piquées. L'apaisement du soleil au déclin de son cours s'étale dans la plénitude du septentrion ; gazouillis bavard d'une source luisante et limpide dans le clair pré fraîchement coupé, espace liquide présent dans toute son œuvre ; averse de chatoiement, irisation, raffinement de la vivacité contrôlée, de l'énergie tantôt domptée, tantôt libérée. Les influences se croisent ; la musique ibérique se lit en filigrane : Cordoba, E. de Falla, Albeniz, la Flandre, l'Espagne, la Bourgogne se joignent en un inestimable creuset de rondes enfantines dans les chaumes surchauffés. Musique essentiellement évocatrice de l'harmonie cosmique vibrionnante, elle a, dans la peinture impressionniste, son écho le plus intense et le plus flatteur. Force tellurique, manifestation d'une mythologie toute empreinte de paganisme - (certaines pages évoquent les petits génies, les petits lutins, les feux follets égarés dans le monde éthéré) - la musique pianistique de Marcel Péhu, c'est le rêve romantique phrasé et évanescent, tellement subtil que l'on regrette amèrement de n'être pas seulement des corps célestes. Musique faunesque, évocation de Daphnis et Chloé, de la Grèce, paradis perdu, revu et corrigé par Puvis de Chavanne, elle nous pousse toujours plus loin vers un inconnu jubilatoire " dans ces parages du vague/en quoi toute réalité se dissout " (Mallarmé).

" On ne pourrait pas imaginer aussi de plus belles illustrations pour Le Monde des Animaux de Frédéric Rossif que les phrases musicales de Marcel Péhu. Très attentif à la musique de film, du reste, il adorait le cinéma et aurait aimé écrire pour lui, " mais cela n'aurait pas fait sérieux " pensait-il pour l'organiste renommé qu'il était. "

 


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