PHILOSOPHIE DE LA MUSIQUE CONTEMPORAINE.
DIALECTIQUE DU SON.
Contribution à la recherche

 

La sensation auditive provoquée par émission simultanée ou successive de deux éléments sonores enfanta un nouveau sentiment musical prouvant la constatation d’Aristote : les choses, proportion de leur rapport numérique, ont plus de force étant unies que séparées. Cette nouvelle force engendra l’harmonie, le mot signifiant en grec arrangement, ajustement. Les vertus créatives de la force-harmonie se trouvent aux sources des musiques de tous les peuples d’Occident et d’Orient.

L’impact de la musique observée comme un phénomène social, objet de recherches esthétiques et philosophiques, s’opère par cette force-harmonie dont l’énergie active - imitant ou étant inspirée ou seulement impulsée par la nature, ou par le génie humain, ou par leur synthèse spontanée ou voulue - se prête à des études purement techniques et à des analyses psychologiques en rapport étroit et constant avec la condition sociologique d’une période déterminée et les états d’esprit la caractérisant.

Le sentiment de force-harmonie se traduit par son élément de base : intervalle.

Les Hellènes constatèrent que cet élément pouvait être consonant ou dissonant. Leur harmonie, préoccupée surtout par la succession coordonnée de sons, n’excluait point la dissonance. Le rôle de l’harmonie était fonctionnel : "Les choses hétérogènes doivent obligatoirement être assemblées par l’harmonie pour former une entité ordonnée", disait Philoaüs (470AC-385AC)

Les consonances dites parfaites, quarte, quinte et octave, régnèrent souverainement durant plusieurs siècles. Elles constituèrent "les symphonies" de la théorie d’Isidore de Séville (560-636). Le moine flamand Hucbald (840-930) reconnaît la suprématie de ces trois éléments tout en constatant les libertés structurales de l’organum. Franco de Cologne (vers 1260) dans son Compendium Discantus distingue trois sortes de consonances : complète (octave), moyenne (quinte et quarte) et incomplète (tierce). La quarte de trois tons (triton fa-si par exemple) demeure diabolus in musica.

Zarlino (1517-1590) dissocie l’intervalle de l’accord et considère ce dernier comme élément de base de l’harmonie, provenant de la division "harmonique" et de la division “arithmétique" de la simultanéité de trois sons.

Thomas Morley (1557-1603) discute les effets de la simultanéité de trois sons en 1597. Jean-Philippe Rameau(1683-1764) dans son Traité d’Harmonie réduite à ses principes naturels, publié en 1722, s’appuie sur l’accord comme unité harmonique mise en valeur en 1636 par Mersenne (1588-1648), qui observait sa nature physique et mathématique.

Le retour à l’intervalle se fait avec la théorie de Sechter (1788-1867) basée sur la tierce. Ce retour est contesté au XIX siècle par plusieurs théoriciens. Les avis concernant la consonance et la dissonance ainsi que leurs relations se modifient et changent continuellement. Montaigne (1533-1592) écrit :

"Notre vie est composée comme l’harmonie du monde de divers tons, doux et âpres, aigus et plats, mols et graves; le musicien qui n’en aimerait que les uns que voudrait-il dire ? Il faut qu’il s’en sache servir en commun et les mêler."

Ascanio Mayone (1565 ?-1627) s’exclame en 1609 (?) dans la préface de son recueil d’œuvres pour clavier :

"Qu’il ne soit pas scandalisé et qu’il ne me juge pas peu soucieux d’observer les règles de contrepoint (un critique anonyme ?) Les relations internes d’un tissu sonore provoquent les fausses notes paraissant opposées aux lois établies. Cependant, sans ses faussets il est impossible de rendre de jolis effets."

La molécule de l’intervalle (c’est-à-dire sa partie la plus petite existant à l’état libre), c’est le son, susceptible d’être esthétiquement défini (le ton).

 

 

(LA DIALECTIQUE du SON)

 

L’inexplicable et l’insaisissable caractérisent l’impact du son, émis ou imaginé, sur notre intériorité. L’indicible représente sa supériorité par rapport à l’expression verbale. Cependant, cet indicible est logiquement explicable et psychologiquement saisissable. Le son possède sa propre énergie active régissant son impact dont la répercussion sur notre intériorité entraîne des réactions psychologiques. L’énergie active du son contient un élément physique conditionnant son existence et un élément esthétique influençant la force de perceptibilité. Qu’il s’agisse de l’intensité ou du timbre d’un son, les vibrations qui les imprègnent, malgré leur hauteur ou leur opticité techniquement parfaitement définissables, contiennent un nouvel élément psychique qui s’impose comme primordial dans l’analyse d’effets provoqués par l’impact du même son, émis ou imaginé, sur notre intériorité. Lorsque l’intensité du son est trop faible et ne permet pas sa perceptibilité par notre oreille, ce son peut se transformer en couleur visible dans une expression artistique. Lorsqu’une couleur picturale possède trop de force optique, cette couleur peut acquérir l’intensité auditive dans une expression artistique. Ces intermodulations dans les vibrations d’intensité et de timbre peuvent éclaircir ce nouvel élément psychique, ou confirmer sa présence physique dans l’univers artistique.

Cet élément psychique exprime l’indicible et explique l’insaisissable, il influe sur la structure du son, l’altère ou l’adapte à la circonstance, ou à l’environnement, l’élargit ou la réduit à l’insignifiance. Son action enchaîne des réactions créatrices ou interprétationnelle, ou créatrices et interprétationnelles à la fois. Elles existent dans l’espace et dans le temps conditionnant leur entendement. Elles oeuvrent dans l’espace sonore et pictural, dans le temps réel ou intuitif. Elles permettent la fusion, voulue ou spontanée, de l’espace sonore et de l’espace pictural, mais uniquement dans le temps intuitif, le temps réel ne se prêtant pas aux variabilités de la métrique picturale dont les durées (et les silences) sont infiniment divisibles.

La durée du son dans le temps réel dépend de la métrique. Cependant, son extinction, voire sa disparition de l’espace et du temps, n’entraîne pas toujours sa négation. Il peut continuer à exister dans l’imagination de l’objet subissant et enregistrant son impact, à se mêler et se confondre avec les sons possédant l’intensité physique dans le cadre du temps réel, et mener vers une fusion de temps réel et du temps intuitif qui provoque l’abstraction de l’espace : la picturalisation de l’espace sonore ou la sonorisation de l’espace pictural, opération purement imaginaire, mais susceptible de devenir réelle dans l’univers psychique affecté par ce processus.

Une fois admises comme réelles dans l’univers psychique, les interactions de l’espace sonore et l’espace pictural, observées dans un temps intuitif, sont à l’origine de nouvelles présentations existant dans l’imagination et susceptibles d’être matérialisées, de subir les influences de notre intériorité avant le processus d’extériorisation qui se traduit obligatoirement par une forme abstraite, si toute fois forme il y a. Cette extériorisation peut avoir un caractère créateur ou interprétationnel.

L’observation de cette expression abstraite impose l’intervention de l’aléa sonore et visuel. Cet aléa sonore et visuel est en rapport étroit avec l’environnement matériel (physique) et intellectuel (spirituel) menant vers une concrétisation purement psychologique de l’expression abstraite se prêtant aux interprétations sonores et visuelles, individuelle et subjectives, étrangères à toute objectivation, bien que susceptibles de revêtir une certaine objectivité due à l’expérience auditive et optique. Cependant, cette objectivité toute relative, n’est point transmissible. Elle dépend de certains éléments indéfinissables ayant existé dans l’expérience auditive et optique. La couleur sonore est imaginaire, la couler picturale relève d’un choix arbitraire. Elles peuvent choquer par leur côté inhabituel et insolite, parfois. Ce choque éventuel représente leur confirmation ; et leur affirmation. Il est en même temps une condition de continuité, au cours de laquelle il acquerra une nouvelle intensité, plus particulièrement liée à ses origines et susceptible de le conduire vers un affranchissement total de sa source de provenance.

Affranchi de sa source de provenance, il devient une nouvelle entité expressionnelle qui existe dans l’espace sonore et pictural, dans le temps intuitif. Cette nouvelle entité n’est explicable que psychologiquement. N’ayant pas de technique structurale, le son, observé dans son contexte, est une présentation purement sensorielle d’intensité de perception purement individuelle et, par conséquent, indéfinissable, et de timbre purement psychique et, par conséquent, d’une opticité indescriptible, donnant ensemble l’image achevée de l’abstrait, adaptable aux diverses formes (et formats), les dimensions métriques n’influant point son pourvoir expressionnel.

La mobilité du son abstrait dans l’espace permet des altérations et des modifications de timbre d’émission primitive ainsi que l’élargissement de sa gamme de nuances subissant à son tour l’influence de son échelle dynamique, parfaitement intuitive et en rapport direct avec les dispositions psychiques afférentes à ses durées.

Le son abstrait existe dans l’environnement qui lui transmet certaines de ses qualités susceptibles d’agir sur la source d’émission et la perception sensorielle. L’action de l’environnement n’est pas descriptible verbalement. Est-ce elle qui confère au son l’inexplicable et l’insaisissable de son impact ?

La perception d’un son abstrait de matérialisation picturale, son intensité (= qualité physique conditionnant son existence, son timbre (= qualité esthétique) dépendent de l’interprète qui lui confère une nouvelle intensité et un nouveau timbre, produits de son intériorité enrichie d’expériences sonores et visuelles, et sensibles aux antennes sensorielles. Donc, une fusion d’intensité d’un son abstrait de matérialisation picturale et de son timbre, et d’intensité et de timbre suggérés par l’interprète, est réalisée durant le processus d’interprétation, se prêtant, bien entendu, aux divers procédés. Le processus interprétationnel peut être empirique (bien qu’il s’agisse des sons abstraits, ou spontané. Le subconscient intervient d’une manière active. Ses impulsions sont directement répercutées sur l’émission du son abstrait, observé séparément ou en essaim sonore, doté d’une force de persuasion composite assemblant les intensités et les timbres d’éléments de cet essaim et jouant un rôle unificateur absolument insensible à toute contrainte restrictive, chaque élément de l’essaim gardant son caractère personnel et opérant le mouvement libre dans la continuité. La prépondérance qualitative d’un son abstrait faisant partie de l’essaim est une affaire purement individuelle des antennes de perception(s) sensorielle(s), relative à la circonstance, à l’environnement et à la disposition psychique d’un moment donné.

La hauteur d’un son abstrait (représentant le nombre des vibrations qui le forment) varie d’émission en émission. S’il s’agit d’un ton abstrait de matérialisation picturale (n’oublions pas qu’il puisse également être verbalement suggéré ou matérialisé), cette hauteur dépend de la variabilité d’intensité de la couleur conditionnée par la disposition psychique de l’interprète un moment donné. L’intervention de la lumière n’est pas à exclure. Elle éclaire les couleur représentant les sons, effectue des changements instantanés et affecte l’état d’âme de l’interprète. La dynamique du son abstrait de matérialisation picturale, quoique suggérée par la couleur, dépend également de la disposition psychique de l’interprète. Le son abstrait possède une large gamme de nuances dynamiques susceptibles d’affecter sa hauteur d’émission primitive. Mais toutes ces cellules du spectre dynamique de ce son sont animées par l’interprète. Son état d’âme (sa disposition psychique) leur confère la réelle signification, apte à la traduction sonore. Donc, la dynamique représente la force vitale des extériorisations des influences subies par l’intériorité. Suivant et s’appliquant è la mobilité spatiale du ton abstrait, elle acquiert des impulsions rythmiques dans le temps intuitif susceptible d’affecter les durées (les dispositions métriques) du son abstrait. La diminution brusque ou progressive d’intensité d’un son abstrait conduit vers le silence organiquement rattaché à ce même son, mais possédant sa propre intensité et sa propre durée. Il ne s’agit donc pas de la négation du son abstrait (de sa suppression du temps et de l’espace), mais d’un changement qualitatif facilement compréhensible dans la continuité.

(Le son abstrait représente souvent cette impulsion qui déclenche le processus de création.)

 

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D’après Hegel, la matière musicale, malgré sa sensualité, pénètre dans la subjectivité plus prononcée et plus spécifique. L’idéalisation de l’élément sensoriel par la musique consiste à transformer la monotonie de l’extériorité de l’espace en une entité indivisible. Ce point (négatif) est concret en lui-même et représente la suppression active de la monotonie extérieure dans le cadre de la matérialité. Cette idéalisation initiale de la matière qui n’apparaît plus comme spatiale, mais comme temporelle, c’est le ton : un élément sensoriel posé d’une façon négative, dont la parution abstraite devient audible; le ton affranchit l’idéal du matériel. Cette première intériorité représente le matériel d’une intériorité imprécise de l’âme et de l’esprit et fait résonner et disparaître dans ses sonorités l’élément spirituel avec la gamme complète des sentiments et des passions. Ainsi la musique est un passage entre la sensualité abstraite et spatiale de la peinture et l’esprit spirituel de la poésie. La musique produit des rapports quantitatifs rationnels en elle-même.

L’harmonie de la musique actuelle, malgré sa multiplicité et sa complexité apparentes, est basée sur l’émission successive ou simultanée de deux sonorités faisant un intervalle ou un interstice provenant de toute source sonore, esthétiquement déterminée ou indéterminée, susceptible de provoquer la sensation sonore-auditive-acoustique. L’égalité entre la consonance et la dissonance stipule la base de cette nouvelle harmonie : une idée transcendantale observée dans l’espace et le temps. Kant appelle "idées cosmologiques" toutes les idées transcendantales ayant trait à la totalité absolue dans la synthèse des apparitions. Aussi cette nouvelle harmonie transcendantale est-elle perçue dans le temps et dans l’espace, ou dans la synthèse spatiale-temporelle.

Kant établit la différence entre une œuvre d’art et la nature tout en constatant la nécessité de concordance de la finalité formelle de l’œuvre, affranchie de la contrainte de règles arbitraires, - et la spontanéité expressive de la nature.

La finalité et la liberté caractérisent le dessein de l’art : production qui doit avoir l’apparence de la nature et la conscience de sa différence avec la nature

La dialectique de Kant, unissant la logique d’apparence à la critique et la rectification, est opposée à celle d’Aristote fondée sur l’opinion probable. L’application des principes de raisonnement et la tentative de saisissement d’une réalité absolue engendrent les antinomies dont les solutions se trouvent dans l’idéalisme transcendantal :

les objets de l’expérience ne consistent pas en eux-mêmes ; ils sont corrélatifs à nos capacités cognitives.

Le mot "transcendantal", chez Kant, désigne une capacité cognitive opposée à la connaissance empirique qui relève de l’expérience. Ainsi le jugement esthétique peut être empirique ou propre. Le rapport de l’objet à la capacité cognitive s’exprime par la modalité : le postulat de la pensée empirique en général.

La sensation n’est qu’un élément empirique de la connaissance donnant l’impression d’agréable et de désagréable, opposé à des jugements esthétiques matériels considérés sensoriels et donnant l’impression de beau. Le jugement esthétique provient de la capacité de ressentir l’agréable ou le désagréable, tandis que le jugement logique provient de la capacité cognitive.

L’esthétique transcendantale englobe l’étude des formes indispensables de toute connaissance sensible : espace et temps.

L’espace n’est pas une idée empirique; il est une présentation à priori qui est à la base de toutes perceptions extérieures; la certitude apodictique de tous les principes géométriques est basée sur cette nécessité à priori ainsi que les possibilités de leur construction à priori; l’espace est la condition de la possibilité des apparitions extérieures; l’espace n’est pas une idée discursive, une idée générale des relations des objets, mais une perception pure; l’espace se présente comme une infinité donnée; l’espace est la forme de ce que nous appelons "objets extérieurs" (présentation de notre sensualité).

Le temps n’est pas une idée empirique; il est une présentation nécessaire à la base de toute perception; le temps est indestructible, mais les apparitions peuvent être séparées du temps; le temps est donné à priori; la réalité des apparitions n’est possible que dans le temps (toutes les apparitions peuvent disparaître, mais le temps, la condition générale de leur possibilité, ne peut être détruit) ; le temps n’a qu’une dimension ; les différents temps ne représentent pas la simultanéité, mais la succession (les différents espaces sont simultanés et ne se succèdent pas) ; cette qualité ne provient pas de l’expérience qui ne pourrait donner ni généralité rigoureuse, ni certitude apodictique; le temps n’est pas une idée discursive (une idée générale), mais une forme pure de la perception sensorielle ; les différents temps ne sont que les parts d’un seul et même temps ; la mesure du temps est possible seulement sur la base de la limitation d’un temps simple.

L’espace et le temps sont deux sources de connaissance permettant le puisement à priori de différentes connaissances synthétiques. Observés ensemble, l’espace et le temps sont deux formes pures de toute perception sensorielle permettant les conceptions synthétiques à priori.

Le temps et l’espace sont deux quanta élémentaires de toute perception. Le temps est une succession (une condition formelle de toute succession) distinguant dans la substance les antécédents (sensation sonore-harmonique vécue) des consequentibus (sensation sonore-harmonique supposée et représentant la finalité d’une opération sonore). L’idée transcendantale de la totalité absolue de successions de conditions se rapporte uniquement aux antecedentia. Quant à l’espace, il ne distingue pas la progression de la régression étant un agrégat (non pas une succession) : toutes ses parts sont simultanées.

Joseph Schillinger (1895-1943) transforme les qualités musicales en structures temps-espace dans le cadre des relations géométriques de leurs composantes à l’aide de la méthode graphique de notation permettant la projection de la musique dans l’espace et la transformation de symboles en configuration linéaire, en appliquant directement la théorie des interférences sans se servir des techniques spatiales des mathématiques de la relativité dont l’impact s’opère à travers des idées sous-entendues. - Schillinger formule ainsi son concept : la grande musique et tout grand art reproduisent les lois de développement de l’univers.

Donc, la pensée de Schillinger est basée sur la corrélation existant entre la musique et la nature, entre la forme musicale et celle de la nature. La musique imite la nature et particulièrement les formes des mouvements dans l’univers, l’extension et l’évolution des formes naturelles (le canon par exemple, est présent dans la nature dans l’écho). Arnold Shaw et Lyle Dowling considèrent que Schillinger fournit une interprétation matérialiste à la conception d’Aristote du caractère imitatif de l’art à partir de son univers conceptuel et mathématique :

"Quelle relation pourrait être établie entre les formes musicales (assemblages tonals) et la naturelle forme ? Manifestement, la congruité de structures, la similitude de relations internes, l’équivalence de quantités structurales."

C’est la relativité qui fournit des idées de base au développement de cette corrélation géométrique.

L’aspect significatif de la relativité réside dans un traitement nouveau de temps et d’espace.

Einstein a démontré que le "mesurage" de temps et d’espace n’était pas une propriété indépendante et absolue des sujets précités, mais la propriété de relativité entre l’objet et celui qui l’observe. Après avoir relativisé tout mesurage en y intercalant l’observateur, Einstein part à la recherche des mesurages indépendants de l’observateur et les trouve dans la mise en relief de la quatrième dimension (temps) en rapport avec l’espace. Ainsi ne parlera-t-on plus de temps et d’espace séparément, mais de l’espace-temps et désignera-t-on les événements par les coordonnées spatiales-temporelles exprimant les propriétés métriques de l’espace et les propriétés physiques de l’univers. La nature (et y compris son phénomène-musique) est saisie comme une relation de mesures.

Il est donc possible, d’après Schillinger, d’étudier les phénomènes de l’art par l’analyse de la coïncidence et de la correspondance de leurs coordonnées spatiales-temporelles.

L’application de la dialectique transcendantale à l’harmonie contemporaine observée dans l’entité spatiale-temporelle exigerait des modalités suivantes :

1º totalité absolue de la complexité de l’entité donnée de toutes les apparitions sonores ;

2º totalité absolue de la division d’une entité dans l’apparition auditive ;

3º totalité absolue de naissance d’une apparition acoustique en général ;

4º totalité absolue de la condition d’existence des changements dans ces apparitions sonores-auditives-acoustiques.

L’idée de la totalité absolue concerne uniquement l’exposition de ces apparitions. La diversité des apparitions (choses chez Kant) n’exclut point l’identité de l’espèce. Toutes les espèces doivent être traitées comme attributs d’un petit nombre de genres, et ces derniers, comme attributs de classes, etc. Toutes ces apparitions visent une unité systématique. La nature des choses offre le matériel de cette unité (logique) et l’infinité apparente de la diversité ne doit pas empêcher l’avènement de l’unité de qualités élémentaires permettant l’avènement de cette même diversité par l’intermédiaire d’un grand nombre de déterminations.

 

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Partant des principes de l’esthétique transcendantale de Kant et de la considération à priori comme une analyse de la sensibilité, conçue en connaissance innée que transcende les sens, abstraction faite de tout concept : fonction propre de l’entendement par opposition à l’intuition sensible, Charles Ives (1874-1954) crée sa propre philosophie sur l’élément heuristique, plus particulièrement hypothétique et fournissant une idée conduisant à la recherche des faits musicaux. Et comme la raison qui hypostasie les idées en les transformant en “objets absolus”, l’esthétique de Charles Ives établit des hypostases sonores aptes à reproduire les exigences des sensations auditives. La matérialisation de ces hypostases se traduit par des complexes sonores que justifie l’évolution de l’acoustique et de la perception acoustique active opposée à la sensation acoustique purement statique. La complexité brûlante de la réalité, de la nature des choses et, par conséquent, de la musique, représente la source d’inspiration de Charles Ives, dont l’existence fut étroitement liée à la complexité des structures sociales de son pays.

La philosophie transcendantale et la physiologie de la raison pure constituent la métaphysique. Si la physiologie prend nature comme entité de tous les objets de sens, elle est immanente et opposée à la physiologie transcendante qui vise la connaissance des objets par la raison pure dépassant toute expérience.

Les spéculations métaphysiques de Charles Ives s’alignent à la métaphysique de Schopenhauer : ce qui distingue la musique des autres arts, c’est qu’elle n’est pas une reproduction de phénomènes, ou, pour mieux dire, de l’objectivité de la volonté ; elle exprime ce qu’il y a de métaphysique dans le monde physique, la chose en soi de chaque phénomène ; en conséquence, le monde pourrait être appelé une incarnation de la musique tout aussi bien qu’une incarnation de la volonté ; nous comprenons désormais comment il se fait que la musique donne directement à tout tableau, à toute scène de la vie ou du monde réel, un sens plus élevé; il y a dans la musique quelque chose d’ineffable et d’intime; elle est pour nous à la fois parfaitement intelligible et parfaitement inexplicable ; cela tient à ce qu’elle nous montre tous les mouvements de notre âme, même les plus cachés, délivrés de cette réalité qui les déforme et les altère.

Charles Ives rejette la stérilité du concept et se rallie à la constatation de Schopenhauer qui voit en compositeur le révélateur de l’essence intime du monde.

Schopenhauer considère que la musique est une copie immédiate de toute volonté, son influence est plus puissante et plus pénétrante que celle des autres arts parce qu’elle parle de l’être.

Kant, partageant la métaphysique en métaphysique de la nature de l’usage courant spéculatif et métaphysique des mœurs de l’usage pratique, fournit à Schopenhauer une subsomption reflétée dans ses considérations concernant la musique, que Charles Ives incarne dans son œuvre La Pregunta Incontestada (The Unanswered Question). Cette œuvre de Charles Ives, publiée en octobre 1941dans Boletin Latinoamericano de Musica, est composée pour quatuor de flûtes (ou deux flûtes, hautbois, clarinette), trompette (ou cor anglais) et orchestre de chambre à cordes (ou quatuor à cordes) et chef d’orchestre (ou à défaut, un flûtiste dirigeant l’exécution) ; les cordes jouent PPP du début à la fin sans changement de tempo; elles doivent représenter "le silence des druides" qui ne savent, ne voient, n’entendent rien ; la trompette entonne "le problème perpétuel d’existence" et ne change pas de dynamique; mais la chasse à la question invisible entreprise par les flûtes et les autres êtres humains (!) devient progressivement plus active, plus rapide et plus sonore (animando menant à con fuoco); cette partie de l’œuvre s’accommode à un rythme plutôt libre ; les "répondants en conflit", après une "conférence secrète" se mettent à se moquer de la "question" ; après leur disparition, "la question" est posée pour la dernière fois et "les silences" sont entendus (!) au delà d’une "solitude paisible".

Dans la musique de John Cage (1912-1992), les sons (bruits et sonorités esthétiquement déterminés) sont des événements dans le champ des possibilités. Cage distingue : fréquence, amplitude, durée, timbre et (dans la composition) ordre de succession des sons. Parlant de son œuvre Music of Changes (1951) exprimée en changements de tempi, John Cage souligne que la notation exprime la relation entre le temps et l’espace. Malgré son excursion orientaliste (les "chances operations" dirigeant les procédés de composition proviennent de I-Ching, le livre chinois des changements), la pensée de John Cage est étroitement liée au transcendantalisme de Kant, à l’espace et au temps, éléments de base de l’esthétique transcendantaliste, exprimée par procédé métaphysique : par l’intermédiaire du sens extérieur (i.e. une qualité de notre conscience), nous nous représentons les objets comme quelque chose en dehors de nous, dans l’espace; c’est dans l’espace que la forme, le format et les relations des objets sont définis ou peuvent être définis ; le sens intérieur permet à la conscience son auto-perception en son état intérieur dans les relations du temps ; le temps ne s’aperçoit pas comme quelque chose d’extérieur, l’espace ne s’aperçoit pas comme quelque chose en nous.

Dans l’œuvre de John Cage "les changes" se réfèrent particulièrement à ce qu’il appelle "structure" et "méthode". La structure c’est la division d’une entité en parties; la méthode c’est le procédé note-à-note. La structure et la méthode ensemble (et aussi le "material" : les sons et les silences de la composition) étaient pour John Cage "affaire propre à l’esprit" (opposée aux sentiments) (l’idée d’ordre est opposée à l’action spontanée), tandis qu’au contraire les deux derniers, méthode et matériaux ensemble avec la forme (morphologie de la continuité) étaient "affaire propre aux sentiments". John Cage voit en composition une action d’intégration de rationnel, irrationnel et opposé effectuant d’une manière idéale le mouvement libre de la continuité dans les limites de la stricte division en parts et opérant avec les sons dont les combinaisons et successions sont logiquement alliées et arbitrairement choisies.

En introduisant l’action de la méthode au sein de la structure, opposée en termes d’ordre et de liberté, la structure devient indéterminable; il est impossible de savoir la durée totale de l’œuvre avant la "chance operation" finale, "le dernier lancement du palet" affectant l’allure du tempo. Etant indéterminée, quoique toujours présente, la structure ne paraît plus indispensable, bien qu’elle ait certains emplois. L’un de ses emplois affecte les variations de sons, de silences, d’amplitudes, de durées, potentiellement actifs dans la continuité.

Comme dans la fonction logique de la raison chez Kant, englobant la quantité, la qualité, la relation et la modalité, les rapports de sons dans la musique contemporaine peuvent être catégoriques (rythmiquement déterminés), hypothétiques (rythmiquement indéfinis, localement indéterminés) ou disjonctifs (fonctionnellement indéfinis, rythmiquement indéterminés, localement catégoriques ou hypothétiques).

Le silence, considéré tantôt comme une pause psychologique au contenu insonore qui prépare une nouvelle action ou marque sa fin, tantôt comme une idée sans objets (ens rationis, chez Kant), ou objet sans contenu d’une idée (nihil privatum, chez Kant), ou perception vaine sans objets (ens imaginatum, chez Kant), ou, finalement, objet sans idée (nihil negativum, chez Kant), ne peut pas être dissocié de la continuité. Comme le son, le silence est observé dans la synthèse de l’espace et du temps, ou, plutôt, cette synthèse met en évidence le silence, partie intégrante d’une composition.

D’après Kant, la sensualité soumise à la raison comme objet d’application de sa fonction est la source des connaissances réelles. Cette même sensualité influant directement la fonction de la raison et l’incitant à juger, devient la cause de l'erreur.

Si la qualité du silence provient de la sensualité, elle le rend limitatif, parce qu’aucun moyen de transmission ne peut traduire cette qualité du silence de l’interprète à l’auditeur. Si la qualité du silence provient de l’action psychologiquement déterminée (interprète) ou supposée (auditeur), le silence est réel. Le silence ne peut être négatif (épithète de la qualité chez Kant) psychologiquement. Sa qualité peut être faussée par l’interprète. Dans ce cas-là, il est seulement temporellement présent, mais substantiellement absent de la composition.

Issue d’idées de Charles Ives et John Cage, la musique dite aléatoire, que nous considérons comme une expression historique propre à notre siècle de l’improvisation des siècles précédents, met en valeur le côté créatif d’une improvisation en introduisant l’intuition, ce nouvel élément musical. Sa radicalisation progressive passe par la relativisation de l’élément spatial et de l’élément temporel (Kant) et par la relativisation de l’entité spatiale-temporelle (Einstein-Schillinger) qui prend le caractère temporaire dans une œuvre esthétiquement indéterminée. La synthèse des conceptions du compositeur et de l’interprète étant pratiquement irréalisable, l’aléa sonore, bien que parfois suggéré ou minutieusement décrit dans la partition, est une matérialisation de la sensation auditive et de sa perception acoustique dépendant de l’état d’âme et, éventuellement, de l’affection de l’interprète, introduit(s) dans son acte, voire la reproduction instrumentale ou vocale.

Dans le deuxième mouvement de sa First Sonata for Piano conçue en 1902, Charles Ives introduit un Chorus qui s’enchaîne en intermède In the Inn contenant deux mesures optionnelles; ce Chorus représente dans le deuxième mouvement de la Première Sonate (Allegro moderato) "an Impromptu Affair" (as is also the rest to some extent), il varie avec le tempo pris par l’interprète; la deuxième et la quatrième mesure du Chorus peuvent être changées chaque fois, dans les autres mesures du Chorus la main gauche peut changer les dix "shifts"ad libitum ; la dernière mesure peut être élargie similairement. Donc, les éléments d’interprétation aléatoire et optionnelle apparaissent déjà en 1902 et peuvent être comparés aux "ossia" qu’on trouve dans des partitions romantiques au XIXème siècle (Études symphoniques, op.13 de Schumann, par exemple).

Dans son œuvre General Slocum (juillet 1904) – fragmentary sketches for a boat disaster piece, suggestion for pre-explosion and explosion, Charles Ives emploie pour la première fois le terme take-off qu’il reprend dans son œuvre Central Park in the Dark (achevée en 1907, mais conçue en 1898) - for chamber orchestra (no 3 des Three Outdoor Scenes) contenant "academic, anthropic, urban, athletic, tragic” take-off events", - ainsi que dans l’œuvre Yale-Princeton Game (1907) - the wedge-formation piece : les notes sont marquées et dispersées comme les joueurs de football sur un terrain ("one note runs around left end for a loss"), dans laquelle Ives introduit des kazoos (instruments primitifs - instruments-jouets) qui comprennent un tube dans lequel se trouve des cordes dont les vibrations sont provoquées par les sifflements.

Les compositions de John Cage employant les "chances operations" les "charts" et les "moves" datent de 1951. En 1952, Cage compose Seven Haïku : le poème japonais de dix-sept syllabes est interprété comme l’espace du temps dans lequel la noire (¼) égale ½ inch ayant 17 unités (5,7,5).

Les courants opérant dans la musique aléatoire engendrent le tune-in, le happening, la musique conceptuelle, la musique purement intuitive.

Charles Baudelaire (1821-1867) écrit :

"Dans la musique, comme dans la peinture et même la parole écrite, qui est cependant le plus positif des arts, il y a toujours une lacune complétée par l’imagination de l’auditeur."

Stéphane Mallarmé (1842-1898) écrit dans son conte Igitur ou la Folie d’Elbehnon :

"Le conte s’adresse à l’intelligence du lecteur qui met les choses en scène, elle-même. (...) IV. Le Coup de Dés. Bref dans un acte où le hasard est en jeu, c’est toujours le hasard qui accomplit sa propre Idée en s’affirmant ou se niant. Devant son existence la négation ou l’affirmation viennent échouer. Il contient l’Absurde - l’implique, mais à l’état latent et l’empêche d’exister : ce qui permet à l’infini d’être... Un coup de dés qui accomplit une prédiction, d’où a dépendu la vie d’une race..."

La Sonate dite Concord (1909-1915) est certainement l’œuvre la plus ambitieuse de Charles Ives écrite pour le piano. Se référant à ses œuvres précédentes (Ouverture Orchard House pour Orchestre, Concerto pour piano ...) Ives construit une œuvre magistrale dans laquelle il dit pratiquement tout ce qu’il avait à dire. Essays before a Sonata de Charles Ives révèlent les intentions de l’auteur : on est prêt à croire que la musique échappe à toute analogie avec le mot du langage, et l’avenir prouvera que la musique développe ses possibilités d’une façon inconcevable aujourd’hui, que son langage deviendra si transcendant et que son éminence et sa profondeur deviendront familières à toute l’humanité. Les mouvements de Concord Sonata portent les noms des héros trancendantalistes du "romantisme de la Nouvelle Angleterre" : Emerson, Hawthorn, Alcotts, Thoreau.

Parlant de Ralph Waldo Emerson (1803-1882), Ives constate qu’il paraît plus grand, son identité plus complète, dans le domaine de révélation du dévoilement naturel, que dans la poésie, la philosophie ou la prophétie. Emerson est un envahisseur de l’inconnu, explorateur des immensités spirituelles, cosmiques, religieuses, humaines, voire même sensuelles. Comme la révélation et la prophétie dans leur acceptation commune ramenée par l’homme de l’absolu et de l’universel au relatif et au personnel, la dévolution d’une finalité tend à mésestimer les moyens de transmission. Emerson est plus intéressé par la perception que par son expression. L’intensité se sa création est plutôt consumée par sa substance que par la manière de sa présentation. Sa ferveur sereine est impulsée par la profonde conviction de la victoire ultime des principes de la vie.

La substance créative de Nathaniel Hawthorn (1804-1864), ruisselante de surnaturel, de fantasque et de mystique, englobe les aventures spirituelles allant du profondément pittoresque au fantastiquement illusoire. (La musique de ce mouvement essaie de suggérer l’étrangeté de ces événements extraordinaires dans le royaume semi-infantile et semi-féerique.)

Dans le mouvement consacré à Amos Bronson (1799-1888) et à sa fille Luisa May (1832-1888) réapparaît la polytonalité indicative (croisement d’éléments de si bémol et de la bémol) ; le même procédé est appliqué dans Largo Risoluto pour Piano Quintett datant de 1908 et ne comportant que vingt-neuf mesures (les cordes jouent en mi bémol et en do mineur, tandis que le piano s’exprime en la majeur et en fa dièse mineur).

En 1894 Charles Ives écrivit Song for Harvest Season pour chant, cornet à piston, trombone et orgue, chacun de ces éléments étant dans une tonalité différente. Nous sommes en présence de la première œuvre polytonale appartenant aux idées directrices de la musique d’aujourd’hui. La provenance polytonale de Song for Harvest Season n’est qu’une application pratique et spontanée de la pratique polytonale de son père George Ives qui faisait chanter ses enfants dans des tonalités différentes, en chœur, la même chanson.

Le rythme de la prose de Henri David Thoreau (1817-1862) suffit pour démontrer ses qualités de musicien. Enthousiasmé par la nature, Thoreau est inspiré par l’émotion de ses rythmes et l’harmonie de sa solitude. Dans la musique, dans la poésie, dans l’art, la vérité vécue par le créateur doit être transmise en formes adéquate à l’inspiration. Ives s’applique à démonter que dans des moments de grandeur les inspirations de Thoreau, comme celles de Beethoven, expriment les vérités les plus profondes et les plus hauts sentiments. La philosophie de Thoreau, bien qu’à des échos orientaux, est plutôt intéressée qu’influencée par leurs principes. Il admet les voies de résignation et d’autocontemplation, mais son analyse personnelle ne fait pas le même chemin. Les moments les plus inspirés de Thoreau proviennent de la nature. Il trouve une analogie avec les principes fondamentaux de transcendantalisme.

Dans l’Épilogue, Charles Ives constate que la futilité de la tentative de retracer la source de l’impulsion primitive d’une inspiration artistique peut éventuellement être admise sans concéder que les qualités humaines ou les attributs allant avec la personnalité ne peuvent être suggérés et que l’intuition artistique les suivant de près, ne peut être reflétée dans la musique. Dans l’avenir, lorsque les écoliers fredonneront les mélodies populaires en quarts de ton et que la gamme diatonique sera aussi inusitée que la pentatonique aujourd’hui, disait Charles Ives, peut être toutes les expériences seront-elles aisément exprimées et volontairement reconnues. Ives considère qu’aucun vrai compositeur ne formera sa “substance” du noyau d’une matière musicale déjà définie par autre.

Charles Ives croyait que les impossibilités d’aujourd’hui étaient les possibilités de demain. Comme toutes les vérités et les réalités, la musique ne peut être comprise d’une façon immédiate parce que certains de ses éléments structuraux et esthétiques changent d’aspect avec le temps. Le but de Charles Ives est de créer une unité de base (structurale et esthétique) à l’aide d’un nombre illimité de divers éléments techniques employés d’une manière asymétrique. La philosophie de Charles Ives subordonne l’écriture à la substance et considère que cette dernière est plus importante, étant en liaison directe avec le caractère, et élargit la capacité d’expression sonore ainsi que les possibilités de sa transmission par une concrétisation spatiale-temporelle de la finalité matérielle et psychologique.

Ives incitait les compositeurs à essayer d’exprimer même ce qu’ils sentent être bien au-dessus de leur capacités d’expression. Il est évident que seule la méthode basée sur les expérimentations peut conduire à la découverte et à l’obtention de nouveau résultats.

Après s’être essayé dans la polytonalité effective (1894), Ives étudie les curiosités techniques de la harpe phénicienne appelée le naulia: cet instrument, comme nous le confirment Flavio Josefo (37-101) et St. Jeronimo (347-420 ?), avait douze cordes, chaque corde produisait un seul son; contrairement à la harpe actuelle, la caisse de résonance du naulia était placée à la partie supérieure de l’instrument ; les musiciens de l’antiquité improvisaient sur les douze sons différents produit par cet instrument. L’idée du système de douze sons, comme la polytonalité, n’est pas nouvelle, mais Charles Ives fut le pionnier de ce système, qu’il abandonna vite. Il n’a jamais cherché à adopter ou à créer un système auquel il soumettait les effusions intempestives de son de son prodigieux talent. En 1898-1904 Charles Ives introduit le Take-off.. En 1905 il donne sa remarquable Three-Page Sonata pour piano, un produit de sa pensée musicale pure, dont le caractère heuristique représente un achèvement; la musique actuelle n’a rien produit de nouveau au point de vue stylistique. En 1911 Ives écrit son Tone Road No 1 (le chemin tonal est établi par le violoncelle et la contrebasse) anticipant l’apparition de la série. En 1923 il présente Three Pieces en quarts de tons. Aussi s’est il servi de citation : son œuvre intitulée The Last Reader commence par une phrase due à Ludwig Spohr (1783-1859). Notons encore que le cluster : bouquet de notes comportant la file de deuxièmes successives, ou combinaison de deuxièmes et de tierces mineures (s’il s’agit des touches noires des claviers, par exemple) - préconçu par Wladimir Rébikoff (1866-1920) - apparaît dans les blocs sonores de Charles Ives, avant d’être matérialisé et baptisé par son disciple spirituel et biographe, le compositeur américain Henri Cowell (1897-1965), qui révolutionna la technique du jeu pianistique en introduisant des éléments nouveaux et originaux (dans la lignée de Charles Ives) aujourd’hui adoptés par toute une pléiade de compositeurs aux quatre coins du globe.

Henry Cowell préfaça en 1945 The Schillinger System of Musical Composition qui, d’après Arnold Shaw et Lyle Dowling, vise la substitution du système inadéquat de la notation par la méthode scientifique d’écriture d’une composition musicale, la modification d’une œuvre musicale par les variantes de ses propriétés géométriques, la production musicale à partir du système de valeurs numériques par translation aux relations géométriques d’abord et ensuite aux composantes de l’art musical.

Les spéculations philosophiques n’affectent pas les structures des œuvres de Henry Cowell, leur présence est extérieure et n’influence pas ses moyens techniques d’expression qui représentent la face originale de son travail créatif. Le talent de Henry Cowell est moindre que celui de Charles Ives, son horizon imaginaire plus restreint que celui de son disciple John Cage. Cependant, la musique contemporaine lui doit beaucoup. Ses innovations techniques donnèrent une nouvelle orientation à l’art du piano actuel (les clusters introduits dans son œuvre Three Irish Legends datant de 1912, indiqués dans la partition par les symboles spéciaux, doivent être joués avec l’avant-bras, la paume de la main et le poing ; en 1925 Cowell compose The Banshee, pièce pour piano jouée sur les cordes, après avoir composé la pièce intitulée Aeolian Harp ; toutes les notes indiquées dans la partition doivent être pressées sans son sur le clavier et en même temps jouées sur les cordes correspondantes avec l’autre main, etc.) Henry Cowell fut le premier compositeur contemporain qui ait saisi le principe esthétique de Charles Ives.

Son disciple John Cage a continué ses recherches purement techniques : en 1938, il compose l’œuvre intitulée Bacchanale sa première pièce pour piano préparé (la nécessité de changer le son de l’instrument provient du désir de faire un accompagnement sans insister sur les percussions). Sonatas and Interludes datent de 1946/1948, Cage tente d’y exprimer en musique les « permanent emotions » de tradition hindoue - héroïque, érotique, surprenante, coléreuse, exécrable - et leur tendance commune vers la tranquillité ; l’œuvre est écrite pour piano préparé également et la préparation du piano est très élaborée. En 1942 Cage compose The Wonderful Widow of Eighteen Years, sur le thème de James Joyce : la voix adoptant le procédé de la mélodie populaire (senza vibrato) est accompagnée du piano fermé. John Cage considère la musique pour percussions comme une transition contemporaine de la musique influencée par les claviers vers la musique omnisonore de l’avenir. Chaque son est acceptable aux compositeurs de musique pour percussions. Ils explorent le champ extra-musical du son interdit par les règles académiques dans la mesure du manuellement possible. La méthode d’écriture de la musique pour percussions est orientée vers la structure rythmique de la composition.

Les expérimentations traduisent une force intérieure impulsée par le besoin séculaire éprouvé par l’homme de faire évoluer, voir de changer l’environnement. Cette évolution (ou ce changement) représente l’empreinte opérée par l’homme dans l’environnement, voire la matérialisation de ce perpetuum mobile effectué dans l’environnement, l’identification de l’homme avec l’environnement, ou l’identification de l’environnement avec l’état d’esprit de l’homme. Dans ce processus d’identification (qui peut demeurer au stade de tentative ou même représenter une action rétrograde sous certaines conditions et dans certaines circonstances), il est possible de reconnaître certains moyens techniques déjà connus ou ayant opéré dans les processus similaires d’une époque antérieure. Cependant, ils s’adaptent toujours à la situation et à l’état d’esprit qui caractérisent une époque donnée.

La polytonalité réintroduite par Charles Ives (1894) avait fait son apparition au XXVIIIème siècle : Darius Milhaud cite dans son article intitulé "Polytonalité et atonalité" (Revue musicale, Paris, 1923, n° 4) un duetto de J.-S. Bach s’exprimant en ré mineur et en la mineur par mouvements parallèles. (Il est inutile de rappeler l’existence dudit trimel formé par Sacadas des modes dorien, phrygien et lydien.) - La dodécaphonie (ou le système des douze sons) fut pratiquée dans l’antiquité par les joueurs de naulia. La série proprement dite fut également pratiquée dans l’antiquité par les joueurs de magadi, une version de l’instrument assyrien (antiphtongue), construit à base de la gamme pythagoricienne décatone et en contenait deux (les cordes de cette petite harpe étaient parallèles). - Si l’on considère la musique aléatoire comme une expression historique propre à notre siècle de l’improvisation des siècles précédents, on doit ad mettre que l’improvisation était souvent conceptuelle, les musiciens ne pouvant échapper à l’influence de l’environnement : l’organiste improvisant dans une église, par exemple, est certainement influencé par l’architecture de l’église, par les fresques, les vitraux, par l’ambiance qu’ils créent, voire l’environnement, etc., sans parler de l’emploi de citations.

Il va sans dire que la notation (l’écriture) suit de près les expérimentations. John Cage parle de "l’imperfection in the paper upon which the piece was written". Dans sa Music for Carillon No 1(1952), Cage utilise la notation graphique : un égale horizontalement une seconde ; dans son œuvre intitulée for String Player, il se sert également de notation graphique: les 2 cm égalent horizontalement l’indication métronomique donnée ; son Concerto for Piano and Orchestra (1957/1958) ne possède pas de partition conventionnelle : chaque partie est écrite en détails dans une notation qui englobe l’espace relatif au temps déterminé par l’interprète et altéré par le chef d’orchestre (s’il participe à l’exécution).

L’interprétation et l’application spatiale-temporelle passent par plusieurs phases évolutives, voire expérimentales et représentent l’originalité du compositeur, basée sur sa fantaisie, son imagination ainsi que sur sa capacité de synthèse de ces vertus organiques, avec la nécessité d’extériorisation d’influence de réalités quotidiennes sur l’intériorité.

L’application de l’élément spatial et de l’élément temporel de l’entité spatiale-temporelle d’expression sonore est opérée stochastiquement dans la musique de Iannis Xenakis (1922-2001) et matérialisé à l’aide de l’algèbre normative. Les contraintes restrictives susceptibles d’apparaître dans le cadre d’une opération sonore sont minimisées par l’introduction de la fonction logique du développement architectural. Les nuages de tons - une unité esthétiquement déterminée mais immatérialisée - et les groupes tonals - les classes de sons traitées d’une manière linéaire - forment une nouvelle unité où l’élément temporel comporte des précisions métriques et l’élément spatial des déterminations concernant la hauteur. Les barres de mesure servent de repère métrique sans influencer la substance rythmique de l’œuvre. Les groupes tonals indiqués apparaissent séparément ou simultanément, leurs rapports mutuels créent une stéréométrie tonale apte à reproduire toutes les subtilités d’une expression sonore.

L’œuvre Herma écrite pour piano comporte quatre classes : A,B,C et la classe R qui est référentielle, et comprend la totalité de sons de l’instrument. Ces classes servent de base à la formation des hors temps, opération abstraite provenant de la complémentarité, de la conjonction et de la disjonction. L’œuvre débute par la classe référentielle séparée de la classe A par un espace sonore muni de crescendo et accelerando. La classe A se manifeste d’abord d’une manière linéaire, ensuite en nuages de sons (positif). La classe B fait son apparition comme linéaire positive. Un long silence prépare psychologiquement la fusion des classes A et B et leur rappel positif conduisant à la fusion doublée AB + AB. L’union des classes B et C suit la fusion AB + AB et précède la fusion des trois classes ABC. Les opérations logiques conduisent à l’entité finale F résultant de ABC + ABC + ABC + ABC par exemple, ou de (AB + AB)C + (AB + AB)C.

La conception du Danois Per Noergaard (né en 1932) relative à l’espace et au temps est faite dans le cadre d’une planimétrie sonore, la longueur et la largeur constituant une entité en corrélation avec le temps englobant la hauteur, ou plutôt la hauteur est observée dans le temps et dans la superficie planimétrique à la fois.

Per Noergaard s’efforce de démontrer que chaque objet de notre conscience est à la fois proche et éloigné étant toujours le même bien que différent apparemment. Cela justifie l’emploi de microsons esthétiquement indéterminés, mais ayant la possibilité de fasciner la perception sonore : le craquement d’une allumette, par exemple, à un mètre de distance de l’auditeur, très près de lui, ou transmis à l’aide d’un amplificateur.

La philosophie de Per Noergaard part du principe de "subconscient collectif", voire l'agnosticisme concernant les liens existant entre les êtres humains et provenant des différences évidentes de leurs structures individuelles et de leur manière d’atteindre une expérience. Cependant, ces différents chemins conduisant vers le fond d’une expérience, effacent les divergences et font apparaître les liens qui unissent les individus d’une collectivité. Per Noergaard est convaincu que la musique collective manifeste l’existence de ces liens. Le compositeur d’une musique collective (tune-in, par exemple) devient créateur d’une ambiance dont la portée est sociale. Donc, la philosophie de Per Noergaard se rallie à celle de Schönberg qui parle du rôle miraculeux de notre subconscient et aux idées de John Cage concernant l’improvisation de groupe (musique orale ayant un rôle culturel).

L’Américain Earle Brown (1926-2002) considère que le temps est la dimension actuelle dans laquelle la musique existe durant l’exécution et que, par sa nature, il représente une continuité infiniment divisible. Aucun système métrique, aucune notation basée sur la métrique, ne peuvent indiquer toutes les particularités possibles dans la continuité, le son étant capable de commencer ou de s’éteindre tout le long de cette dimension.

D’après Earle Brown, toutes les autres caractéristiques du son - fréquence, intensité, timbre, modes d’attaque-continuation-désintégration - sont également des continuités infiniment divisibles et incommensurables. Il admet la possibilité du temps réel et du temps intuitif, la durée totale d’une pièce (son œuvre intitulée October 1952 for Piano, en l’occurrence et par exemple) et les parentés sous-entendues de durée métrique entre les événements sonores étant déterminés par l’interprète. L’espace englobe une infinité de directions au départ d’une infinité de points. L’interprète opère dans l’espace à cadences de vitesse constantes ou variables relatives au temps réel ou intuitif.

 

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Considérons l’intervalle comme agent communicatif d’une expression sonore. Le son, sa partie la plus petite existant à l’état libre, peut être d’origine concrète (nature, voix humaine), instrumentale (toutes sortes d’instruments musicaux) ou scientifique (son électronique). Le son ayant une certaine intensité susceptible de provoquer sa perception peut être considéré comme une apparition sonore. L’intelligibilité de la perception d’une apparition sonore demeure en rapport étroit avec l’intensité, condition physique de son existence, qui peut être accompagnée d’une qualité esthétique : le timbre en l’occurrence, susceptible de transformer l’apparition sonore en apparition auditive. Le timbre sert d’agent communicatif entre une apparition sonore devenue auditive et nos sens. Le timbre, qualité esthétique d’un phénomène physique, après avoir contribué à la transformation d’une apparition sonore en apparition auditive, devient condition physique de la naissance d’une apparition acoustique dont l’élément physique dépend de l’environnement et de l’élément esthétique, de notre sensualité. L’apparition acoustique est le résultat final de la transformation d’une apparition sonore, donc une finalité subjective dépendant de notre sensualité susceptible d’atteindre un certain degré d’objectivité au moyen des réactions psychologiques provoquées par elle-même. Ces réactions psychologiques représentent l’énergie active des apparitions sonores-auditives-acoustiques. Cette énergie active qui est au fait un agrégat d’éléments physiques et esthétiques possède sa propre intensité (condition de son existence en tant qu’énergie) physique et esthétique, voir psychologique. Si l’on intercale l’observateur susceptible de subir ou de suivre simultanément ou successivement le processus de transformation de deux apparitions sonores en apparitions auditives d’abord, et en apparitions acoustiques ensuite, cet observateur percevra l’impact d’une nouvelle force. Cette nouvelle force, c’est l’harmonie, condition et finalité d’une expression sonore. Conclusion : le sentiment de cette nouvelle force se traduit par l’intervalle.

L’harmonie possède ses propres qualités physiques et esthétiques (synthétiques) susceptibles de provoquer des réflexions, certes subjectives, parce que nous subissons tous d’une manière différente l’impact de la force-harmonie, qui devient, dans la composition musicale, énergie active, voire moyen de transmission et moyen de saisissement de son objectivité (si toutefois objectivité il y a).

Les qualités synthétiques (physiques et esthétiques) de l’harmonie, impulsées et orientées vers une nouvelle finalité par l’action de l’observateur, acquièrent une nouvelle intensité susceptible de motiver (et justifier) l’action de l’observateur et de la doter d’un timbre psychologique qui sera sa raison d’être : l’accomplissement d’une œuvre d’expression sonore. La valeur réelle de cette finalité accomplie dépend de certains facteurs : qualités propres à l’observateur intervenant au cours de son action. - Cependant, la valeur réelle ne peut pas être formulée d’une façon immédiate. Elle sera le résultat final de décantations et cristallisations d’opinions et jugements subjectifs susceptibles de s’imposer par sa seule présence. Cette nouvelle finalité sera l’avènement d’une œuvre d’expression sonore dans le contexte historique de l’art en général.

L’expression sonore contient dans sa substance un élément aléatoire qui peut être matérialisé par l’écriture ou immatérialisé. Si cet élément aléatoire est immatérialisé, le processus de matérialisation se fait par la reproduction, voire l’exécution, représentant par elle-même une substantialisation de la matière sonore élaborée, basée sur l’élément intuitif : une capacité cognitive et émotive susceptible d’orienter la matérialisation vers une intériorisation purement intuitive, ou purement conceptuelle, ou, dans la plupart des cas, intuitive et conceptuelle à la fois, contenant parfois des éléments gestuels ou d’autres éléments extra-sonores d’une extériorité réelle ou imaginée.

Si l’on réintroduit l’observateur face à cette matérialisation, voire substantialisation de la matière sonore élaborée, il subira l’effet psychologique du processus représentant la finalité de l’expression sonore aléatoire. Cet effet psychologique variera avec les conditions de réalisation du processus.

Si l’élément aléatoire est matérialisé par l’écriture, son extériorisation s’effectue par le processus technique de la reproduction s’opérant dans des conditions psychologiques souvent préétablies n’ayant que des couleurs (psychologiques) subjectives susceptibles d’être assimilées par l’observateur ou de ne provoquer que son indifférence face à la présentation de la matière sonore, déjà connue ou tout-à-fait inconnue de lui. L’aléa sonore peut être présenté en état semi-matérialisé permet tant une présentation optionnelle apte à reproduire une intériorité subjective ou une extériorité et caractérisée par un certain degré d’intensité variable capable d’augmenter ou de diminuer cette intériorité subjective ou cette extériorité, ou de les rendre négatives, c’est-à-dire de les réduire, ou mieux encore, de les remplacer par le silence, devient ainsi la couleur, le timbre psychologique (donc une qualité esthétique), partie intégrante d’une œuvre d’expression sonore, ayant sa propre intensité, qui peut (sous certaines conditions et dans certaines circonstances) entraîner la réaction de l’observateur. Dans ce cas-là on peur parler de la dialectique du silence provoquant soit le changement interne de structures d’une œuvre, soit sa transformation spontanée ou voulue (encore sous certaines conditions et dans certaines circonstances), possédant ses propres structures purement techniques et esthétiques.

Ayant acquit l’intensité qualitative (condition d’existence et de perceptibilité) au cours de la présentation d’une œuvre d’expression sonore, le silence s’intègre à l’entité donnée de toutes les apparitions sonores perceptibles dans l’œuvre, voire à leur complexité, leur fusion rationnelle, représentant une totalité absolue : résultat final du processus susceptible d’affecter notre sensualité en passant par la division structurale d’une entité dans l’apparition auditive donnant une nouvelle totalité absolue, facteur de naissance d’une apparition acoustique, donc une nouvelle totalité absolue conditionnant l’existence de changements dans les apparitions sonores-auditives-acoustiques.

La totalité absolue de la complexité de l’entité donnée de toutes les apparitions sonores, de la division d’une entité dans l’apparition auditive et de la naissance d’une apparition acoustique (en général), étant en rapport étroit avec notre sensualité, peuvent être transformées en sensation auditive d’abord et en sensation acoustique ensuite. Le processus de transformation dépend de notre connaissance. Tout en postulant la naissance d’une sensation auditive, notre connaissance, basée sur l’expérience, influence l’intensité (condition d’existence) d’une sensation auditive et l’environnement, choisi ou imposé, propice à l’opération, dont la continuité conditionne le passage en sensation acoustique, active ou statique, qui à son tour, enrichit notre connaissance. Les sensations acoustiques actives, face à l’observateur, peuvent être à l’origine de nouvelles actions sonores, tandis que les sensations acoustiques statiques, face à l’observateur passif, peuvent être à l’origine de changements dans l’environnement. Les sensations auditives et acoustiques représentent une entité indivisible (les apparitions sonores et auditives peuvent être divisées), voire une complexité déterminant le caractère psychologique de l’œuvre qui dépend de notre connaissance et qui peut être également en rapport direct avec notre sensibilité innée ou acquise, représentant notre réaction à l’impact opéré par les sensations auditives-acoustiques dans le contexte d’une œuvre d’expression sonore. Cet impact peut être faussé par notre connaissance qui englobe des sensations sonores (sensations auditives-acoustiques en général) vécues et des sensations sonores supposées dépendant de notre volonté. Une fusion éventuelle des sensations sonores vécues et des sensations sonores supposées (dépendant de notre volonté, donc voulues ou imaginées) définirait le musical : une qualité purement subjective. Cette fusion paraît irréalisable matériellement. bien que facilement imaginable dans l’espace et dans le temps et jouant un rôle actif dans la formation de nos jugements, souvent qualifiés d’empiriques, mais changeant avec le temps, donc dépendant de la condition sociologique d’une époque déterminée et des états d’esprit la caractérisant. Ces jugements représentent donc notre réaction à une fusion imaginée des sensations sonores vécues (apparentées à notre connaissance) et supposées (proches de notre sensualité, parce que leur origine est au fait une apparition sonore). Ces jugements peuvent être seulement hypothétiques, mais leur seule présence confirme l’existence des sensations sonores et de l’ambiance (musicale) qu’elles créent et dans laquelle on pourra observer leurs actions susceptibles de s’unir dans la force composite qui représentera tendance de cette même ambiance (musicale), voire le de se désagréger et de disparaître sans laisser de trace dans la période qui les a vues naître. (Cependant, elles demeurent présentes dans le climat sonore d’une période donnée.) La force composite des sensations sonores devient un agrégat dépendant de notre connaissance et de notre sensualité et influant à la fois sur elles. Son action crée la possibilité d’existence d’émotions sonores dans l’expression intérieure d’une période historiquement déterminée. Ces émotions sonores représentent le caractère musical d’une période donnée à laquelle elles restent étroitement liées.(Chaque période possède ses propres moyens de transmission.)

Face à l’observateur passif, l’émotion sonore, ayant sa propre intensité (condition physique d’existence) et son propre timbre (qualité esthétique) qui représentent sa capacité originelle (littérale) acquiert sa capacité allégorique dans un environnement choisi ou imposé, qui œuvre à l’acquisition de la capacité sociale (que l’on considéra jadis comme une commotion). La syncrétisation de ses trois capacités d’une émotion sonore, opérée dans l’espace et dans le temps, aboutit à une nouvelle capacité composite, mais susceptible d’être considérée comme unitaire (sous certaines conditions et dans certaines circonstances), une sorte de capacité maîtresse (analogique), qui tout en agissant sur la sensualité de l’observateur, entraîne ses réflexions.

Face à l’observateur actif, l’émotion sonore, par sa capacité maîtresse (analogique), active sa fantaisie et son imagination, dans un environnement imposé et choisi, et l’entraîne à la concrétisation sonore des réflexions provoquées par elle-même. Donc le noyau d’une nouvelle musique est issue de la concrétisation sonore des réflexions provoquées par elle-même. Donc le noyau d’une nouvelle musique est issue de la concrétisation sonore des réflexions provoquées par une émotion sonore dans un environnement choisi ou imposé, toujours caractérisé par un état d’esprit accompagnant toute activité concrète dans un moment donné. La musique ne représente pas une action anticipée, mais un reflet de la réalité quotidienne. C’est pourquoi la musique a toujours un petit retard par rapport aux autres arts (la littérature, la peinture, la sculpture) qui peuvent concrétiser ou matérialiser et reproduire des idées dépassant la réalité quotidienne. Par exemple, l’art de Jules Vernes (1828-1905) eût pu influencer la structure d’un tableau ou d’une sculpture contemporaine, mais sa pénétration dans une structure musicale était pratiquement irréalisable à l’époque de sa parution. Même un créateur musical eût voulu reproduire une idée de Jules Verne par les moyens propres à la musique, le résultat de sa tentative se rapporterait plutôt à l’esprit de l’époque qui a vu naître ses idées, qu’à l’époque que ses idées concernent. Par contre, une musique paraissant insaisissable peut toujours influencer une œuvre d’art (littérature, peinture, sculpture, cinématographie) qui refléterait à son tour et à sa manière par les moyens qui lui sont propres un fragment de la réalité quotidienne traduit par la musique et par les moyens propres à la musique. Si Jules Verne eût exprimé sa pensée en musique, elle serait demeurée incomprise à l’époque parce qu’elle n’aurait pas eu de contact avec la réalité quotidienne de cette époque.

Il est donc évident que la musique d’aujourd’hui reflète la réalité quotidienne par les moyens qui lui sont propres et que par son action elle joue un rôle social qui lui est toujours inspiré par cette même réalité : document historique et esthétique d’une période donnée susceptible de contribuer à la constitution d’idées conductrices de la période suivante, caractérisée par un nouvel état d’esprit (et une nouvelle structure sociale).

L’impossibilité de comprendre et d’accepter cette réalité quotidienne provoque des révoltes psychologiques qui atteignent obligatoirement l’expression sonore d’une époque donnée prouvant à la fois son identité d’esprit avec cette même époque.

Nous avons constaté que l’intensité (condition physique d’existence) et le timbre (qualité esthétique conditionnant la perception) représentent deux principaux éléments de l’agent communicatif d’une expression sonore (ainsi que ses molécules). L’intensité, observée séparément, englobe la hauteur (nombre de vibrations), la fréquence, l’amplitude, la durée, la continuation, la désintégration... Le timbre, observé séparément, sert d’agent communicatif d’une apparition sonore, avec nos sens (donc il conditionne la perception d’une apparition sonore, voire d’une réalité). L’intensité avec toutes ses composantes (physiques) peut être analysée scientifiquement. Par exemple : supposons qu’il s’agisse de l’unité sonore qu’on appelle 1 à 1; on peut mesurer le nombre de vibrations qui provoquent (435), on peut également mesurer sa durée, sa fréquence et son amplitude dans un contexte sonore, etc. Quant au timbre, il ne se prête qu’aux analyses esthétiques. Par exemple : la même unité sonore, en l’occurrence 1 à 1, peut être émise par plusieurs sources différentes, disons la voix humaine, le piano, le violon, le hautbois... La hauteur de cette unité donnée sera toujours la même, sa couleur toujours différente. Elle dépendra de la source d’émission, mais aussi et en même temps, de notre perception. - Peut-on expliquer pourquoi les unités sonores émises par les cordes nous paraissent réelles, proches, tandis que les unités sonores ayant la même hauteur et émises par les instruments à vent, paraissent irréelles, lointaines ?

L’homme a souvent besoin de changer, voire de faire évoluer les deux principaux éléments de l’agent communicatif d’une expression sonore. Par exemple : le cluster, qui influe sur l’intensité, fait varier le timbre aussi; les instruments nouveaux (les instruments électroniques) apportent de nouvelles couleurs à l’univers sonore tout en possédant des intensités particulières, etc.

Donc, la traduction sonore de la réalité quotidienne (et de toutes ses composantes physiques, esthétiques, sociaux, psychologiques) représente une ambition de l’expression musicale d’aujourd’hui. L’ambition (sonore) est matériellement présente dans l’espace et le temps. L’extériorisation des influences opérées sur notre intériorité, étant une sorte de nécessité organique, peut être transformée en ambition sonore si elle est accompagnée de certaines vertus organiques. (Notre intériorité est physique et spirituelle; l’intériorité physique peut acquérir des qualités spirituelles : le rythme élément de base de l’expression sonore, qui naît de l’extériorisation des battements du cœur, dans son évolution devient spirituel et se suffit à lui même). Les vertus organiques (imagination, fantaisie, invention, impulsion créative) peuvent être actives ou statiques. Les vertus actives concernent le compositeur et l’interprète, les vertus statiques de rapportent à l’interprète et à l’auditeur (que nous avons précédemment considéré comme l’observateur passif). Sans l’auditeur, l’expression sonore demeure sans impact et substantiellement absente de l’espace et du temps bien que matériellement existante. S’il s’agit d’une œuvre d’expression sonore immatérialisée, elle demeure sans impact et substantiellement absente de l’espace et du temps sans interprète.

L’ambition sonore peut être directe ou indirecte (symbolique, hermétique, philosophique, prophétique). L’ambition sonore directe et l’ambition sonore indirecte peuvent avoir un effet inchoatif.

En présentant son œuvre intitulée “Hymen” , Kharlheinz Stochausen (né en 1928) écrit :

"Un compositeur, que peut-il faire de mieux que de créer des univers musicaux qui soient plus qu’un simple reflet de l’humanité contemporaine telle qu’elle est, mais où se manifeste la vision d’un monde meilleur et dans lequel les sons, les fragments, les objets trouvés se réconcilient les uns avec les autres pour réaliser tous ensemble ce Seul monde qui rejoint la mission divine de l’Unité."

Hymnen de Stockhausen représente une ample vision sonore cubiste d’hymnes nationaux de divers pays ou d’un hymne quelconque dans le sens originel du mot, ainsi que les réactions psychologiques provoquées par l’audition effective ou imaginée de ces hymnes dans un environnement concret ou imaginaire, à un moment donné, choisi ou imposé par les circonstances. L’action compositionnelle de Stockhausen consiste à synthétiser tous les éléments disparates constituant son ample vision sonore provenant de sources concrètes, électroniques, instrumentales et comprenant des sonorités esthétiquement déterminées ou indéfinies (y compris les parasites techniques d’un poste récepteur), et concrétiser leur impact dans l’espace et dans le temps.

Hymnen de Stockhausen représente également un assemblage d’éléments intellectuels : réflexions, méditations, conclusion, dans un environnement créé par leur présence.

Hymnen comporte quatre Régions. Les Régions I, II et IV sont conçues pour quatre solistes et les sonorités électroniques préétablies : la Région III, pour orchestre (cordes et vents) et les sonorités électroniques. La première Région est axée sur la Marseillaise Internationale apposée sur les bruits faits par les voix humaines se transformant en cris d’oiseaux et d’autres onomatopées. La deuxième Région traite de l’hymne national allemand et d’un groupe d’hymnes africains. Le compositeur dit qu’il s’agit de l’enregistrement original d’un moment de travail en studio visant la simultanéité d’une deuxième face du présent, du passé et d’un passé antérieur. C’est la troisième Région qui paraît la plus achevée; son message sonore, le plus significatif. Son rythme demeure intuitif et conceptuel bien que son mètre soit partiellement déterminé. Ce vaste mouvement perpétuel brosse un tableau sonore où le pastel et le criard cohabitent avec l’habituel et l’insolite, l’inaudible et l’insaisissable avec le perçant et l’évident, le féerique et le rêveur avec le réaliste et le commun, où la locution lyrique influence la pensée dramatique et se confond avec elle. La quatrième Région évoque l’hymne national suisse et l’hymne imaginaire d’un royaume utopique formé sur l’accord final de l’hymne suisse, dans un nuage d’échos inintelligibles. L’arrangement des parties caractéristiques et la durée totale sont variables.

L’énergie active de la musique qui opère dans l’environnement par sa force-harmonie inspirée ou impulsée par la nature, ou par par le génie humain, ou par leur synthèse spontanée ou voulue, est basée sur le rythme, un phénomène organique et une qualité physique et esthétique de tout ce qui existe dans la nature. Le rythme matérialise l’extériorisation des pulsations du cœur. A son tour, le rythme influence notre intériorité. Il demeure la qualité primordiale de l’expression sonore. Toute les autres qualités de l’expression sonore dépendent ou sont en rapport étroits avec le rythme : qualité fondamentale de la complémentarité.

De bonne heure le rythme fut considéré comme élément essentiel de l’expression sonore. Nos affections, nos états d’âme et nos actes expriment un sentiment rythmique. Les similitudes et les différences des sentiments rythmiques se manifestent dans notre expression intérieure. Que cette expression intérieure soit musicale, ou littéraire, ou picturale... elle se basera toujours sur un mécanisme complexe et savamment conçu par les similitudes et les différences rythmiques. Effectivement, comme on peut constater dans la nature la différence entre le rythme d’une averse et d’une bruine, ou la similitude du rythme d’un brouillard et des embruns, on peut constater également la différence et la similitude rythmique existant dans la prononciation d’un même mot par deux personnes parlant la même langue. Le rythme de la langue française n’est pas celui de la langue italienne ou espagnole bien qu’il puisse apparaître similaire à l’oreille d’une personne d’expression germanique, qui pourtant se rend bien compte de la différence rythmique existant entre les différentes langues germaniques. Le rythme de la prose d’un Thomas Mann n’est pas celui d’un William Faulkner. Le rythme de la poésie de Pouchkine n’est pas celui d’un Byron. Le rythme du théâtre de Tchékoff n’est pas le rythme du théâtre d’Ibsen. Le rythme de la sculpture d’un Rodin n’est pas celui d’un Henry Moore. Le rythme d’un tableau de Giorgione n’est pas le rythme d’un Gauguin. Ainsi le rythme du folklore russe n’est pas celui du folklore espagnol (bien qu’on puisse déceler les mêmes unités métriques). Enfin le rythme d’un Wagner n’est pas celui de Debussy... comme le rythme d’un interprète de Chopin n’est pas celui d’un autre interprète, ou le rythme d’un auditeur de John Cage n’est pas celui d’un autre auditeur, etc…

On peut constater que tout ce qui existe a un rythme. Le rythme est donc une structure. On peut distinguer le rythme d’une peinture et ses variétés, le rythme de la sculpture, le rythme de la prose et de la poésie... Tous ces rythmes existent dans l’espace et dans le temps, voire dans l’entité spaciale-temporelle. Le rythme sonore peut échapper à la condition spatiale et exister seulement dans le temps affranchi de l’emprise métrique.

La pensée de Hegel est résumée ainsi par Alain :

"La subjectivité est étrangère à l’espace, qui est à la fois l’objet. Comme changement de sentiment total et indivisible, elle doit de réduire à une succession de moments, c’est-à-dire tendre à s’exprimer sous la forme du temps seul. Ce n’est que dans la musique que l’on arrive à cette négation de l’espace."

Le rythme peut négliger le temps également, mais seulement dans une certaine mesure. Si l’on considère la danse comme une forme de rythme sculptée dans l’espace, elle peut, sous certaines conditions et dans certaines circonstances, découler d’une métrique intuitive ou conceptuelle dégagée de l’élément temporel de l’entité spatiale-temporelle. Le mètre demeure cependant la qualité physique du rythme, tandis que la dynamique s’impose comme qualité esthétique, voire expressive. Les variations dynamiques agissent sur notre sensualité et nous font subir et sentir l’impact du rythme qui peut se confondre avec les rythmes de notre intériorité physique, ou créer une entité corrélative avec ces rythmes, ou agir tout-à-fait indépendamment. Donc, l’impact du rythme sur notre intériorité (ou notre sensualité) est une fonction de ses variations dynamiques : une qualité esthétique indépendante de notre volonté ou en rapport étroit avec elle.

On trouvera le moyen de marquer le rythme comme l’on marque un mot. On ordonna son courant en le divisant. On inventa la barre qui matérialisa la mesure déjà pressentie. Ainsi dompté, le rythme continua son développement tout en visant, plus ou moins spontanément, une discipline métrique qui l’adopta, progressa et avec Jean-Sébastien Bach atteignit une perfection maintenue pendant plus d’un siècle. Cette discipline menaçait la spontanéité primitive du rythme. Les romantiques furent les premiers à pressentir le danger. Ils subjuguèrent les règles à l’expression artistique, à l’invention. Ainsi donnèrent-ils une signification nouvelle au rythme. Il était tout-puissant dans l’œuvre de Jean-Sébastien Bach, mais son rôle était, malgré tout, tout à fait statique. Robert Schumann voit l’orthocentre du rythme dans l’effusion de sa poésie sonore; dans l’œuvre de Chopin le rythme est déjà polyvalent; Mendelssohn supprima la barre dans une œuvre composée à l’âge de 17 ans (Adagio e senza tempo, mouvement de la Sonate op. 6) ; le rythme de ce mouvement est quasi aléatoire (bien que le mètre existe). Il le fut, d’ailleurs bien avant Mendelssohn, dans les improvisations des organistes qui fleurissaient au temps de J.S. Bach, au temps du rigorisme le plus strict. On trouve chez Liszt de nombreux passages "hors- temps" qui servent d’appui à sa virtuosité inspirée. Cependant, on trouve ces passages "hors-temps" avant Liszt, chez Beethoven, par exemple, et bien avant Beethoven dans des cadences des concerti instrumentaux écrites par les compositeurs ou conçues par les interprètes.

Issue de la polyvalence rythmique des romantiques, la polyrythmie s’affirme avec Charles Ives. Cependant, cette polyrythmie introduite dans le language musical au début du XXème siècle est aussi âgée que le rythme lui-même. Nous avons déjà parlé des pulsations du cœur dont l’extériorisation nous transmet le rythme. Pensons maintenant aux battements du pouls ou des paupières. Ces rythmes si différents font une entité corrélative que nous portons en nous-mêmes. Extériorisés, il nous font comprendre les principes élémentaires de la polyrythmie qui offre des moyens nouveaux d’expression musicale et confirment l’origine organique de la polyrythmie.

Dans Tripticon pour 6 percussionnistes de Simeon ten Holt (né en 1922), œuvre chorégraphiquement conçue, le rythme vivifie les couleurs expressives des instruments à percussion. Le titre nous oriente vers la structure d’un triptyque. Les éléments extérieurs sont dirigés vers l’espace, l’élément central est dirigé vers l’intérieur. Structurellement, cela veut dire que le matériel musical des périodes extérieures est traité d’une manière quantitative et centrifuge à l’aide des additions et des multiplications, tandis que l’épisode central concerne les éléments infrastructures obtenus par les divisions et les soustractions. Les éléments extérieurs représentent le temps amorphe et inconscient, l’élément central reflète le temps qui devient conscient.

La pièce est basée sur une série d’intervalles et de leurs qualités fondamentales.

La notation étant proportionnelle, l’interprète convertit les impressions optiques et les rapports spatiaux en effets acoustiques dans le cadre de leur parenté rythmique.

Cependant, le rythme demeure déterminé (une noire = MM 112) malgré l’antimétrie de la mesure. Les subdivisions non contrôlées qui planent sur la surface insistant sur la caractère indéfini du temps, entraînant la périodicité strictement maintenue par la mesure 4/4, mais affranchie par les effets de syncope et les changements de sonorités émises; ainsi le mètre est à peine perceptible. Le point de départ de l’épisode central représente des éléments infrastructuraux apostrophés par le rapport microtonal.

Parallèlement avec les courants rythmiques nouveaux, le phénomène rythmique du jazz qui naquit de la confrontation et de l’assimilation des traditions africaines des Noirs nord-américains et de la musique indigène des Américains influencés par le langage européen, après une période préparatoire, fit son apparition dans les Etats de la Louisiane et de l’Illinois pendant que la première guerre mondiale sévissait en Europe, gagna les autres États américains avant de conquérir le monde. Ce phénomène rythmique, malgré son schématisme et son uniformité, influença les rythmes de nombreux créateurs et subit des influences à son tour. Son action directe et efficace fit beaucoup pour la vulgarisation musicale dans le sens positif du mot. Vulgarisée elle-même par la commercialisation, elle tomba dans la banalité et l’insignifiance. Grâce aux talents de certains musiciens qui comprirent la signification sociale réelle du jazz, il subit actuellement des modifications rythmiques qui tâchent de le dégager de la symétrie métronomique de la mesure 4/4 en assimilant les pulsations rythmiques de la musique exotique. Ainsi, par exemple, le talas hindou fournit la métrique de 7, 17 ou 21 unités ; la musique palestinienne et bédouine, apporte de nouvelles couleurs esthétiques par l’introduction d’instruments locaux - le zoukra (hautbois d’origine méditerranéenne), le derbouka (percussion contenant une urne en céramique fermée par une peau de chèvre tendue), le naî (flûte de bambou) - et un nouveau principe rythmique qui consiste à préserver la métrique du thème dans l’improvisation, ce qui rend cette dernière plus ordonnée. Tout en apportant des rythmes spécifiques, les musiques japonaise, chinoise, indonésienne et philippine influent surtout sur la thématique du jazz.

Les rythmes synchrétiques du jazz (Cake-Walk, Ragtime, Negro Spiritual, Blues..) se reflètent dans la musique de Debussy (en 1908 il compose Golliwogg’s Cake-Walk faisant partie de Children’s Corner, avant l’apparition officielle du jazz), de Ravel Concerto en sol pour piano et orchestre)... Honegger (1892-1955), Stravinsky (1882-1971), Milhaud (1892-1974), Hindemith (1895-1963), Prokofieff (1891-1953), etc., ne restèrent pas insensibles à l’entrain du jazz. Ils sentirent la prodigieuse possibilité d’assimilation et d’intégration du jazz. C’est à cette qualité que le mouvement doit son succès social et sa popularité.

Le compositeur Gunther Schuller (né en 1925), continuant la tradition de George Gershwin (1898-1937), de Morton Gould (1913-1996) etc., composa en 1967 le jazz-opéra The Visitation en se servant des éléments de et d’autres motifs propres au jazz ainsi que des principes de la musique sérielle et aléatoire. Le livret de l’opéra fut écrit par le compositeur sur le motif de Franz Kafka. Gunther Schuller est l’initiateur du courant intitulé Third Stream Music visant la synthèse des sonorités et des sentiments du jazz avec la spontanéité expressive de la musique symphonique contemporaine (Concerto for Jazz Quartet and Orchestra). Même le nom de jazz est dû à une assimilation du pluriel du mot anglais "jasey", signifiant perruque, parce que, au fait, son rythme travestit ceux d’un Cake-Walk, d’un Blues, d’un Ragtime, - et du même mot d’origine créole signifiant accélérer : "jasey", pluriel = "jaseys", et disparaît (syncope phonétique) dans la prononciation reste "jass".

Voya TONCITCH

 

 

Essai publié dans Revue de l’Université d’Ottawa, vol. 45, n° 2, avril-juin 1975.

"La dialectique du son" est incorporée dans l’essai intitulé "Impressions sur impressionnisme", publié dans Anuario musical, vol. XXXVI, 1981, Instituto español de musicología / Consejo superior de investigaciones científicas, Barcelona, 1982)

 

 

 


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