Musique liturgique : pop louange et culture musicale


 

 

Le répertoire de « pop louange » s'impose de plus en plus dans les paroisses. Son succès tient en partie au caractère des mélodies, de l'orchestration, de l'ambiance qui s'en dégage, le tout se rapprochant des chansons de comédies musicales composées à partir de la fin des années 1990 (lesquelles n'ont strictement rien à voir en termes de qualité avec leurs ancêtres des années 1950-60) et des chansons de dessins animés de « l'univers Disney ». La père Didier Rimaud s'en était rendu compte il y a déjà vingt-cinq ans :

 

« Je suis allé cet été aux États-Unis à la session Universa Laus. […]

Il m'a semblé que ce qui avait le plus de succès dans le monde américain était aussi ce qui aurait le plus de succès en France, c'est-à-dire essentiellement une musique de variétés avec une prédominance de rythme et aussi, autre succès, mais moindre, ce qui pourrait se rapprocher de la mélodie des comédies musicales. Je me suis dit que ce qui avait le plus de succès là-bas était ce qui avait aussi le plus de succès actuellement en France. »

(La Maison-Dieu, n° 208, Paris, octobre 1996, p. 72)

 

Cette tendance en suit une autre, celle de la « variété religieuse » qui a longtemps régné dans le domaine de la musique liturgique :

 

« Pour beaucoup de fidèles, la liturgie fut pendant longtemps le principal lieu où ils entendaient la musique. Aujourd'hui il y en a partout. Longtemps aussi la musique d'Eglise était « incomparable ». Aujourd'hui, elle est devenue comparable et la comparaison lui est défavorable car elle n'a pas les moyens de tenir sa place face aux exécutions de musique classique ou de variété.

Ce véritable déluge musical n'est pas sans répercussion sur la musique liturgique. La plus grande place est donnée à la musique de variété et à la chanson. Cela constitue l'univers musical de la majorité de nos contemporains. Pour eux, la musique, c'est la musique de variété. Et la télévision « fait voir », aux jeunes surtout, que cette musique est plus « vivante », plus animée que la musique savante. […]

L'annonce de l'Evangile n'est liée à aucune culture musicale particulière. Il faut gérer, dans les assemblées liturgiques, la variété culturelle de la musique qui est aussi l'expression des divergences de goûts et d'opinions des chrétiens. Il faut aussi gérer les « modes » qui passent très vite ! »

(La Maison-Dieu, n° 128, Paris, octobre 1976, p. 157)

 

Cependant, des chants dont les paroles contiennent une saveur biblique ne conviennent pas nécessairement à l'action liturgique. Que dire de la musique, dont le caractère doit s'accorder avec la dignité de la célébration et dont l'exécution doit être confiée à des personnes compétentes :

 

« La bonne volonté ne suffit pas. Celui qui n'a que sa bonne volonté se lasse vite. C'est une constatation souvent vérifiée ! Mais cette formation technique doit aller de pair avec la formation liturgique. Il ne suffit pas de connaître la technique musicale. Il faut aussi apprendre ce qu'est une célébration et ses lois, comment la musique s'y intègre et sous quelles formes. »

(La Maison-Dieu, n° 128, Paris, octobre 1976, p. 160)

 

De nombreux chants de « pop louange » contiennent les défauts de prosodie que l'on retrouve dans les chants de comédies musicale ou les versions en français de chants de dessins animés (mauvaise traduction de l'anglais, sans doute faite par de bons linguistes mais sans les conseils de musiciens, de sorte que les syllabes accentuées tombent sur le mauvais temps de la mesure). Par exemple, « Je suis DANS la joie », alors que le premier temps devrait tomber au moment où l'on chante « JOIE » :

 

 

On note, de plus, une absence de lien entre le contenu des paroles et la ligne mélodique. Ainsi dans le chant suivant, la phrase initiale, « Je veux le proclamer » est-elle mise en musique avec une mélodie descendante sans rapport avec le caractère de louange. On s'attendrait davantage à une ascension :

 

 

 

Les enregistrements de chants de pop louange par leurs auteurs sont significatifs de l'usage purement émotionnel de la musique (nous renvoyons à l'article relatif sur ce site : http://www.musimem.com/Chants_liturgiques_emotionnel.htm).

Ainsi, les ports de voix, les gémissements, les vocalises souvent incongrues s'apparentent aux traits caractéristiques de la musique pop profane actuelle.

 

Examinons ensemble la partition du début du « Notre-Père » composé par le groupe Glorious :

 

 

Dans le détail :

 

1 - Pas de variété dans l'harmonie : aucune modulation, emploi exclusif d'accords parfaits à l'état fondamental (pas de renversements), accords des principaux degrés de la tonalité de do majeur.

2- Accompagnement réalisé autour d'accords simplement plaqués (les quelques efforts se concentrent sur l'introduction), preuve d'une pratique du clavier en amateur et d'une faible connaissance des règles d'écriture musicale.

3 - Petite marche mélodique sur les deux premières mesures (à rapprocher de la chanson populaire « La Valse brune ») :

 

 

 

4 - Répétition permanente des mêmes motifs musicaux

5 - Rythmique bancale (ex : noire pointée sur « QUEEEE ton règne vienne » et plus grave encore : « PAAArdonne-nous)

6 - Élisions malheureuses de certaines syllabes (« Sur la TERR' comme au ciel »).

7 - Vocalises laides et mal venues (« DO-Onne-nous aujourd'hui »)

 

Les jeunes générations, peu habituées à l'écoute de musique vocale de bonne tenue ni même à la pratique de chansons de variétés correctement élaborées, ne sont pas sensibilisées à ces défauts qui sautent immédiatement aux yeux et aux oreilles de leurs aînés (ou de musiciens compétents). Pour leur complaire, les célébrants qui mettent un point d'honneur à revêtir de beaux habits liturgiques, à faire usage de l'encens, à préparer consciencieusement leurs homélies, n'hésitent pas à sacrifier l'aspect musical et parfois (souvent) à tourner la messe en ridicule pour d'obscures « raisons pastorales ». Sans doute les membres du clergé ne reçoivent-ils pas, pour la plupart d'entre eux, la formation musicale qui leur permettrait de séparer le bon grain de l'ivraie. Le manque de temps les oblige souvent à déléguer la réalisation du programme musical des célébrations à des paroissiens de bonne volonté mais inaptes à l'analyse critique du répertoire. Mais comment peut-on prétendre prendre au sérieux ce qui constitue « La source et le sommet de la vie chrétienne » tout en balayant d'un revers de main la dimension artistique ?

 

Olivier Geoffroy

(janvier 2021)

 

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